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Black Sunday

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Quatorzième boucle de course, trois pilotes dominent ce début de Meeting. Le petit groupe est poursuivi par un quatrième homme qui cravache pour recoller au wagon de tête... Quand brusquement le chaos survient qui va emporter encore une vie.

par François Coeuret

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Après l’annulation du Grand Prix du Mexique qui devait clore la saison c’est un évènement très british qui s’annonce en forme de fête de la Formule 1 dans le Comté du Kent. Les écuries anglaises ou assimilées sont au complet pour disputer une dernière épreuve en dehors du Championnat officiel. Les équipes BRM, Lotus, Tyrrell, March, Surtees, Brabham, Mc Laren ont effectué le déplacement pour cette épreuve de clôture célébrant le second titre mondial de Jackie Stewart. Ferrari et Matra n’ont pas jugé utile de traverser le Channel pour l’occasion. Les organisateurs ont admis un contingent de Formule 5000 afin d’étoffer le plateau. Parmi elles des Surtees, Lola, Mc Laren, une Leda, une Crosslé, toutes munies d’un copieux moteur Chevrolet 5 litres à l’exception de la Crosslé équipée d’un V8 Rover. Des monoplaces moins véloces que les F1 mais qui vont fournir une belle extension à la grille de départ. 

 

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Les essais ont déterminé une hiérarchie qui permet au Team BRM d’occuper l’avant poste de la grille. Les pilotes ont abouti à un excellent équilibre côté châssis et Jo Siffert, le vainqueur du dernier Grand Prix d’Autriche, s’est finalement adjugé la pole position à l’issue des essais. Suivent son équipier Peter Gethin et la Lotus d’Emerson Fittipaldi. Une seule F5000 se positionne devant une F1. Franck Gardner place sa Lola T300 devant la March de Henri Pescarolo.

Dimanche au baissé du drapeau, Siffert  rate son envol, il s’ensuit un léger contact avec la March de Peterson. Les deux hommes poursuivent comme si de rien n’était. Le Suisse a perdu des places dans l’incident et navigue en dixième position au passage du premier tour. Son équipier Gethin a pris la tête suivi d’un ruban de monoplaces avec dans l’ordre des poursuivants Fittipaldi, Hailwood, Peterson, Ganley, Stewart, Schenken, Surtees, Cevert…

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Les premiers tours  seront empreints d’une certaine fébrilité. A Druids au second passage Wisell et Pescarolo s’accrochent. Ils finissent le long du talus sans dommage corporel. Le secteur de Bottom Bend est le témoin d’un tête-à-queue de Ronnie Peterson au troisième tour. Mike Hailwood qui suivait de près n’a pu éviter la March qu’il percute. Le britannique reste sur le carreau et abandonne tandis que le suédois rentre au stand pour changer ses pneus arrière.   

Gethin domine toujours suivi de Fittipaldi et Stewart. Siffert cravache pour remonter son handicap. Il est cinquième au sixième tour tandis que Ganley, le troisième homme BRM, renonce joint de culasse grillé. Lors du onzième tour Jo Siffert passe la Brabham de Schenken, il s’empare de la quatrième position. Le pilote suisse ne cesse d’attaquer et s’emploie à remonter le tiercé de tête.

Après le quatorzième passage sur la ligne, Il passe Surtees attardé juste avant la passerelle précédant la courbe Hawthorns. Le pilote anglais voit la BRM décrocher puis tirer brutalement à gauche. La monoplace heurte le talus, rebondit vers la piste puis percute un panneau de signalisation à Hawthorn. Projetée dans les airs  la voiture se retourne et se disloque. Elle prend feu. L’incendie est très dense. Les secours tardent, les commissaires sont impuissants devant le brasier. Les extincteurs sont insuffisants, plusieurs ne fonctionnent pas, ils viennent difficilement à bout de l’incendie.

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La  course a été stoppée. Les monoplaces se sont arrêtées avant le secteur de l’accident. Nombreux sont ceux qui craignent le pire devant la scène de la catastrophe. A juste titre, le malheureux pilote est sans vie dans la coque de sa monoplace disloquée.

La cause réelle de la sortie de Joseph Siffert n’a jamais été élucidée malgré l’analyse de l’épave. Seules des hypothèses ont été émises. Un bris de suspension suite à la touchette du départ  avec Peterson. Une crevaison subite. Un problème de boîte de vitesse survenu juste avant la sortie de piste d’après certains observateurs ?

 


 

Les causes de sa mort furent précisées plus tard. Une autopsie révéla un décès par asphyxie, le pilote suisse présentant une fracture de la cheville pour toute blessure.

Avant de prendre la route vers l’Angleterre pour disputer la « Victory Race » Seppi , comme le surnomme ses compatriotes, avait disputé 42 courses depuis le début de saison 71. Son programme très chargé comportait la Formule 1 avec BRM, l’Endurance avec Porsche, la Canam avec sa structure privée engageant une Porsche, la Formule 2 sur une Chevron. Malgré la saturation qu’il ressentait*, Jo se rendra à Brands Hatch pour fêter le titre de Stewart, résident suisse, avec qui il s’entendait bien.

 

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50.000 personnes pour les funérailles de Seppi à Fribourg...

 

Unanimement regretté par ses pairs, le public en général, suisse en particulier, Joseph Siffert avait rejoint le destin de son équipier Pedro Rodriguez chez Porsche Wyer.

(*) Propos recueillis auprès de sa femme par la presse.

 

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Monaco 1971. Jo Siffert, Richard von Frankenberg

 

- Illustrations ©D.R.

 

Addendum : sur le caractère de Seppi

Fribourg, la Rome suisse, curé contre curé, église contre église... Une petite France en pleine Suisse, pays à grande majorité protestante.

C'est là que naît Seppi Siffert. Dans la Basse-Ville... Ses parents tiennent une laiterie, laquelle n'est pas vraiment rentable. Son père Aloïs Siffert prend alors un commerce d'eau minérale..., qui ne marche pas mieux, puis finit par abandonner toute activité régulière et même un peu plus tard sa famille.

Maman Siffert, née Ackermann, fait des ménages à l'Université pour 1,10 franc (suisse) de l'heure. Seppi l'aide au ramassage de vieux habits, plus tard ils ont même vendu des narcisses sur la Grand-Rue.

C'est Seppi qui tira sa famille de la mouise. C'est dans la Basse-Ville de Fribourg qu'il rencontre sa première compagne Yvette.

Qui ne sait pas cela ne peut pas comprendre la personnalité de Seppi, devenu Joseph, - plus français -, puis Jo, - plus international -. Sa réputation dans les affaires vient de ses origines.

Il finira par épouser Sabine Eicher qui était mannequin, puis Simone la fille du grand brasseur local Guhl (de la brasserie Beauregard). Issu du quartier populaire de la Basse-Ville il avait ainsi rejoint la haute société de Fribourg...

Mais à ce moment-là il ne ramassait plus, ni les chiffons, ni les douilles pour l'armée; il louait des autos, des Porsche 917, une March de F1, des F2, entre autres activités !

par Francis Rainaut

 

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Autographe Jo Siffert ©F.Rainaut 1969

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24 octobre 2018 | Lien permanent | Commentaires (2)

Mon Rétromobilorama 2016 ...

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Tenir un Blog présente parfois quelques avantages...

Alors, même si « Racing' Memories » fait nettement moins d'entrées que n'importe quel spectacle de Johnny, il me permet au moins de bénéficier d'une accréditation presse.

Et si on y ajoute quelques efforts de séduction auprès des (charmantes) hôtesses,  on peut parfois gagner le sésame qui permet d'apprécier au plus près les charmes de ces belles qui s'offrent pour quelques centaines de milliers d'euros aux acheteurs fortunés, je veux parler du fleuron de la vente Arcurial bien entendu !

F.Rainaut

Dès le Hall 2.2, j'ai senti le choc...

Cette année Rétromobile a mis le paquet sur les voitures de course, tant mieux c'est celles que je préfère.

L’Automobile Club de l’Ouest a bien fait les choses, il expose sobrement quelques modèles d’exception, la visite commence bien.

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 Porsche 908 « Steve McQueen »

 

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 DB Panhard 1961

 

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Dino  Berlinetta Speciale Pininfarina 1965

 

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 Porsche 904 GTS (essais Michelin)

 

Des Autos et des Femmes:

( ou Les bijoux de la Baldanza )

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« whoosh, bonk, and we've got a single-seater ! » Bruce McLaren

Patsy Burt, vous connaissiez ? Eh bien moi non plus. Cet (cette) honorable sujet de Sa Majesté conduisait en 1967 l'une des premières monoplaces McLaren produites, il s'agit en l’occurrence du modèle M3A motorisé par un V8 aluminium 4,4-litres Oldsmobile F85 développé par Traco. Les connaisseurs noteront le lien avec le moteur de l'ultime Scarab ainsi qu'avec le Repco de 1966. Ultime clin d’œil, une troisième M3A motorisée par un 4,7-litres Ford servira de voiture-caméra lors du tournage du film Grand Prix.

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La McLaren formule Libre est entourée d'autre joyaux de la collection, dont la Maserati A6GCM 2 litres de 1951 et l'Alta 1,5 GP de 1955

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« Half of what I say is meaningless
But I say it just to reach you, Julia ... »

 

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Il est plutôt rare de retrouver une ex-reine de beauté dans sa configuration d’origine, dépourvue de tous ces colifichets que sont les prospectus et autres autocollants pas toujours d'époque. C’est pourtant ainsi qu’est présentée la Ford P68 3 litres Alan Mann, et c’est là une heureuse surprise (1).

C’est ce prototype qu’aurait dû conduire Jim Clark ce funeste jour d’avril 1968. Les autres pilotes qui se partagèrent son volant ne furent pas beaucoup plus chanceux, puisque sur la liste on trouve entre autres les noms de Bruce McLaren, Mike Spence, Jochen Rindt et Pedro Rodriguez et que c’est en conduisant une Ford P68 que la carrière de l’espoir Chris Irwin fut brutalement et prématurément stoppée aux essais du Nürburgring 1968.

(1) Hormis le #68 qui n’est là que pour souligner discrètement le modèle et l'année

 

Per qualche dollaro in più :

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 Ferrai 335 S Spider Scaglietti (32 millions d'euros)

 

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 Vente Automobilia - Rétromobile 2016

 

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1953 Renault Frégate Ondine Cabriolet Ghia, dite « Edith Piaf »

 

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 Graham Paige type 97 Cabriolet par Pourtout 1939, dite « de Françoise Sagan »

« ...maintenant s'il te faut des distractions luxueuses et compliquées, on ira se tremper à Deauville avec l'Aga Khan dans une ravissante voiture au nez pointu qui coule des bielles comme qui badine »...

 

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1960 Maserati 3500 GT Vignale Spyder

 

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1962 Alfa Romeo Giulietta Sprint Zagato « Coda tronca »

 

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 « the greatest Ferrari road car – perhaps the greatest road car of any make » Stirling Moss

 

Du coté des Artistes:

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 Michel Vaillant Art Strips

 

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Denis Sire est ce genre de dingue comme on aimerait en croiser plus souvent... Il y a du Dali chez Denis, l'écouter est aussi captivant que de dévorer ses albums, ce salon aura vu l'éclosion d'un nouveau fan ultime, j'ai un peu peur à cause de l'accoutumance. Bon, et puis au fond un mec qui aime à ce point les Chaparral ne peut pas être foncièrement mauvais !

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Rétromobile c’est aussi - et surtout – les retrouvailles et les rencontres avec ceux qui partagent la même passion. Citons par ordre chronologique Johnny Rives, Gérard Gaud de GT Dreams, l’irremplaçable Jean-Paul Brunerie et toute sa fine équipe, Jean-Paul Renvoizé (un moment confondu avec Michel Leclère), Jean-Paul O., Pierre M., Olivier R., Patrice V. (je me contente des initiales pour ne pas écorcher les noms…), l’excellent Bernard Asset, le talentueux Patrick Brunet, Yves Morizot de Stand 21 avec qui nous parlons de la Californie et donc de son ami Philippe de Lespinay et du Slot Racing, Pascal Dro et enfin Denis Sire. J'en ai aussi « loupé » beaucoup d'autres, mais pour tous les rencontrer, il faut bien plus qu’une journée. Je n'ai pas vu non plus beaucoup de pilotes emblématiques, l'ombre de Beltoise hante encore le salon.

J'aurais notamment aimé rencontrer Jean Gessalin, le « G » de C.G., présent sur le stand éponyme peu de temps auparavant, à qui j'aurais bien posé quelques questions, et puis tant d'autres...

Merci donc à Matthieu Turel pour cette interview de Jean Gasselin que j'aurais aimé faire:


Francis Rainaut

 

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- Photos 1 à 17 ©F.Rainaut

- Photo 23 ©Retromobile

- Autres illustrations ©DR

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rétromobile,ford p68,denis sireLa Mirage M6 - V12 Weslake, une descendante de la Ford P68

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10 février 2016 | Lien permanent | Commentaires (5)

Gran premio de México 1964: ultimes tours pour un titre …

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Le drapeau s'abaisse devant les dix-neuf pilotes qualifiés qui s’élancent pour le dernier Grand Prix de la saison. Trois d'entre eux peuvent prétendre au titre mondial. Lors de la course les trois hommes vont tour à tour se positionner en virtuel champion du monde. Jusqu’à ce que le sort désigne l'élu qui bénéficia de deux coups de pouce (de pousse ?) pour coiffer la couronne.

François Coeuret

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GP Mexico 1964. Drivers ©TheCahierArchive

 

Le trio des prétendants

Très disputée la saison F1 64 a longtemps cherché son vainqueur. Les trois équipes de pointe, BRM, Lotus et Ferrari étaient proches quant aux performances. Ajouter quelques excellents pilotes auxquels viennent se joindre ceux des Brabham officielles. Pour couronner le Champion il fallut attendre la dernière course et jusqu’aux ultimes tours.

Graham Hill fort de ses 39 points semble le plus sérieux « client », il vient de remporter le Grand Prix des USA au volant de la BRM P261. Il est épaulé par Richie Ginther au sein de Owen Racing Organisation. Hill a commencé sa carrière en F1 chez Lotus. Il est fidèle à BRM depuis 1960. Champion du monde en 1962, il  a terminé second en 63 derrière Jim Clark. John Surtees suit l’Anglais moustachu avec un retard de 5 points. Le leader de la Scuderia peut compter sur son équipier Lorenzo Bandini pour la conquête du titre. Jim Clark champion sortant possède 9 points de retard sur Hill soit l’équivalent des points d’une victoire. Le challenge de l’écossais est plus ardu. Il lui faut gagner sans que le pilote BRM ne termine mieux que quatrième*. Il égale ainsi son capital et le devance au nombre de victoires obtenues, 4 succès contre 2. La combinaison est réalisable avec de la chance, l’aide éventuelle de son co-équipier Spence et les qualités de la Lotus 33.

 

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Les essais

L’autodrome de la « Ciudad de México » est une piste variée avec secteurs lents, courbes rapides et deux lignes droites. La moyenne des monoplaces 1500cc se situe aux alentours de 150 km/h. Jim Clark réalise la pole position devant un Dan Gurney très en forme aux commandes de la Brabham BT 7. Suivent les deux pilotes Ferrari, Bandini (Ferrari 1512) réalisant 1/10e de mieux que son chef de file (Ferrari 156). On note ensuite Spence l’équipier de Clark, Graham Hill, Jack Brabham, Jo Bonnier (Brabham) et Pedro Rodriguez qui pilote une troisième Ferrari, une 156 Aero.

 

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Lorenzo Bandini vs Graham Hill ©TheCahierArchive

La course

Jim Clark réalise un départ fulgurant. Il est suivi par Gurney et le duo Bandini- Surtees. Graham Hill a pris un départ très moyen, il se met en demeure de viser les points après son envolée laborieuse. L’écossais volant a pris la direction des opérations, il est intouchable. Hill remonte méthodiquement au classement durant les dix premiers tours. Il atteint la troisième place au douzième, il a pris le meilleur sur les deux  Ferrari. Cela lui assure une position idéale pour s’adjuger le titre de Champion. Surtees est maintenant en retrait sous la coupe de Bandini qui le précède. Les positions se figent ainsi jusqu’à la mi-course. C’est le moment que choisit Bandini pour passer à l’offensive. Il tient la BRM de Hill en point de mire et tente rapidement une attaque. Il vise la corde dans l’épingle Horquilla et se porte à la hauteur de Hill au prix d’un freinage appuyé. L’anglais se déporte à gauche mais l’italien qui est emporté vers l’extérieur heurte la BRM (premier coup de pousse). Les deux pilotes réaccélèrent. Hill a du mal car un de ses échappements  s’est tordu et fissuré dans la manœuvre. Il doit passer par les stands où l’on redresse tant bien que mal la tubulure. Les espoirs de Graham Hill sont maintenant compromis. Ceux de Surtees encore minces. Le sort de l’anglais à la fine moustache repose sur les épaules de Clark. Celui de Surtees également. Ce dernier doit aussi compter sur son équipier car une troisième place ne suffit pas dans la perspective éventuelle  d’un abandon de Clark. Bandini doit se laisser doubler pour que Surtees dépasse le score de Hill d’un point. Graham Hill a chuté à la treizième place et n’y croit plus, son moteur a perdu de la puissance en raison de son échappement touché. Clark est virtuel champion du monde.

 

john surtees

 

A l’approche du drapeau à damier alors que la Lotus semble avoir course gagnée, l’Ecossais est subitement ralenti par une conduite d’huile endommagée, il s’arrêtera dans le dernier tour. Les concurrents sont à deux tours de l’arrivée et la course change brutalement de visage. Gurney hérite de la première position. Hill redevient virtuel Champion… Mais à l’approche du dernier tour le stand Ferrari brandit un panneau au passage de Bandini lui intimant l’ordre de laisser passer Surtees (deuxième coup de pouce). Ce dernier franchit la ligne en deuxième position au baissé du drapeau, l’anglais est sacré champion du monde avec un point d’avance sur Graham Hill.

La polémique va ensuite battre son plein. Hill est très remonté contre Bandini dans les jours qui suivent, il ne se prive pas de commenter… La « manœuvre » de Bandini était-elle intentionnelle ? Pas évident… Elle est intervenue à la mi-course. Difficile d’accuser l’écurie Ferrari de forfaiture, l’incident au stade où il est survenu ne suffisait pas à sauver Surtees qui a été relancé par le ralentissement soudain de Clark à deux tours de l’arrivée. Bandini a tout de même tiré longtemps ce boulet. Sa manœuvre de dépassement était précipitée, il a « emmené » Hill trop loin sur l’extérieur. L’anglais a légèrement tapé le rail et tordu un échappement. L’italien souhaitait probablement prendre le dessus et laisser derrière lui  Hill et Surtees s’expliquer loyalement. Mais...

 

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En robe blanche et bleue

Gurney franchit la ligne en vainqueur devant les deux Ferrari en livrée blanche et bleue. Cette singularité fut le résultat de la colère du Commandatore. Les monoplaces italiennes arborèrent ces couleurs pour les deux dernières courses de la saison disputées sur le continent américain. La FIA a refusé d’homologuer la Ferrari 250 LM en catégorie Grand Tourisme. Le créateur de la Scuderia n’en décolère pas. En signe de protestation il fait engager ses monoplaces peintes aux couleurs américaines par le NART en cette fin de saison 1964.

 

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(*) Seuls les 6 meilleurs résultats sont pris en compte pour attribuer le titre. Hill a déjà décompter 2 points, le prochain décompte est 3 points. Si Hill termine troisième il marque 4 points soit 1 point comptabilisé avec les 3 décomptés.

 



 

- Illustrations ©TheCahierArchive & D.R.

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15 novembre 2020 | Lien permanent | Commentaires (5)

La fois où Steve McQueen et Peter Revson ont failli gagner Sebring

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 Ce fut certainement la voiture la plus « starisée » de toute l’histoire de Sebring, ses deux pilotes étaient des légendes.

L’un d’eux fréquenta Miss Univers, apparut dans des émissions de télévision, fit la promotion de marques comme Rolex, eut sa propre ligne de lunettes de soleil, et fut désigné athlète le plus sexy des U.S.A. par un magazine américain en 1973. L’autre pilote était Steve McQueen.

adaptation Francis Rainaut

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Lorsque Peter Revson accepta de faire équipe avec Steve McQueen pour participer aux 12 Heures de Sebring en 1970, chacun en prit bonne note. Toute l’attention, bien sûr, était focalisée sur McQueen.

Après avoir joué dans des films à succès tels que La Canonnière du Yang-Tsé ou Bullitt, McQueen était devenu en 1970 l’une des plus grandes stars d’Hollywood. Mais c’était aussi un coureur dans l’âme... Son engagement aux 12 Heures de Sebring était sa deuxième participation à la prestigieuse course. En 1962, McQueen avait conduit une Austin-Healey dont le moteur rendit l’âme après 71 tours.

 

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Sebring 1962. Steve McQueen

 

En 1970, McQueen avait à nouveau la course à l’esprit. Il avait prévu de faire un film basé sur les 24 Heures du Mans et voulait alors relancer sa propre carrière de pilote. Il acheta donc une Porsche 908 Spyder et l’engagea pour les 12 Heures de Sebring prévues le 21 mars. Lorsque le formulaire d’inscription fut soumis, il n’avait pas encore de copilote. En fait, son copilote ne fut choisi qu’une semaine avant la course. Et il était tout aussi intéressant que McQueen.

Né à New York, Peter Revson était surtout connu à l'époque à cause de son entourage familial. Son oncle avait fondé Revlon Cosmetics et Peter a longtemps été dépeint comme un « New‑yorkais mondain » en plus d’être un héritier de la firme de cosmétiques. Mais comme on peut l’imaginer, une famille qui fait des millions dans la vente de maquillages et autres vernis à ongles ne se souciait pas vraiment des voitures de course de leur fils. L’ascension de Peter dans la hiérarchie des courses s’est faite par un travail acharné et les propriétaires d’équipe durent l’embaucher pour conduire leurs voitures sans qu’il apporte le moindre d’argent.

En 1967, Revson était pilote d’usine pour le programme Ford GT40. Lors d’une séance d’essais privée à Daytona en mars de cette année, un pneu déchiré envoya la Ford de Revson faire un tonneau les quatre roues en l’air un peu comme la Mercedes CLR au Mans en 1999. Il se sortit indemne de ce spectaculaire looping. En Trans-Am, Revson conduisait une Mercury Cougar pour Bud Moore. En 1968, il devint pilote d’usine pour AMC en Trans-Am et conduisit pour Carroll Shelby dans la Can-Am. En 1969, il termine cinquième en tant que rookie à l’Indy 500 et remporte une course d’IndyCar à l’IRP.

Lors des 12 Heures de Sebring en 1970, Revson était censé être le coéquipier de Mark Donohue AMC Javelin appartenant à Roger Penske. Mais moins de deux semaines avant la course, la voiture fut disqualifiée quand il devint clair qu'AMC ne pourrait pas construire assez de Javelin similaires pour atteindre le quota de voitures de production SCCA. Revson étant sur la touche, McQueen l’a alors rapidement embauché comme copilote.

 

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Au milieu de tout ça, l’acteur était aux prises avec une blessure qui menaçait sa course. Deux semaines plus tôt, McQueen s’était cassé le pied gauche en six endroits alors qu’il courait en moto dans le Nevada et avait à peine obtenu l’autorisation médicale pour courir à Sebring. Il avait besoin de porter un énorme plâtre ignifugé qu’il appelait sa « botte de Frankenstein ». Du papier de verre fut collé en dessous du plâtre afin d’offrir suffisamment de grip sur la pédale d’embrayage.

78 voitures étaient engagées dans la course pour seulement 70 autorisées à prendre le départ. La pole fut obtenue par Mario Andretti au volant d’une Ferrari 512S. La voiture McQueen-Revson se qualifia en 15e position.

Au départ de la course, c’est Steve qui était au volant de la 908 #48. Pour la première fois, l’événement ne commença pas par traditionnel « départ Le Mans » avec des pilotes courant vers leur voiture. Considérant qu’il pouvait à peine marcher, McQueen était tout heureux qu’ils se soient débarrassés de cet anachronisme, plaisantant qu’ « ils auraient du le pousser à travers la piste sur un fauteuil roulant. »

À mi-course, Andretti menait, les Ferrari étant alors 1-2-3. McQueen et Revson étaient à sept tours derrière. Il fut signalé que le meilleur temps au tour de McQueen était d’environ 2 minutes 50 secondes. En comparaison, le meilleur de Revson était plus rapide d’environ sept secondes. On ne sait pas comment ils se sont répartis les relais, mais Revson a certainement conduit la plus grande partie du temps. Après avoir terminé ses relais, McQueen imbibait son pied cassé dans de l’eau chaude.

 

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Steve McQueen en piste

 

Andretti conduisait la Ferrari 512S #19. Partageant la voiture avec Arturo Merzario, Mario s’est un peu mis en retrait de la course. Lentement, les Ferrari furent frappées par des problèmes mécaniques, leurs voitures abandonnèrent ou perdirent des tours dans les stands. À deux heures de la fin, Andretti était toujours en tête, mais Revson avait grimpé à la deuxième place.

À ce stade, le célèbre commentateur Chris Economaki lâcha carrément

- « Si une star de cinéma sur une seule patte gagne cette course, vous vous demandez vraiment si c’est de la course. »

À une heure et 45 minutes de la fin, Andretti a remis la voiture à Merzario. À ce moment-là, ils avaient 10 tours d’avance, environ 25 minutes devant Revson. Mais la Ferrari était en danger. C’était la boîte, les vitesses sautaient et Merzario reçu l’ordre de rouler très lentement afin de préserver la voiture. À ce moment, Mario a été expédié sur la voiture de ses coéquipiers, la #21 Ferrari, qui était à un tour derrière Revson. Andretti est monté dans la voiture et a essayé de rattraper les voitures devant, une précaution si la voiture de tête devait casser. À un peu plus d’une heure de la course, la boîte de vitesses de la #19 a finalement rendu l'âme et Merzario l’a garée sur le côté de la piste.

 

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Mario Andretti sur la #19

 

Cet abandon a mis en place le scénario d’une bataille épique de trois voitures pour la victoire. La tête de la course était dorénavant occupée par une Porsche 917 K usine partagée par Pedro Rodriguez, Jo Siffert et Leo Kinnunen. Devant Revson et McQueen. Andretti était maintenant troisième dans le même tour, sur la voiture d'Ignazio Giunti et Nino Vaccarella.

A 26 minutes du drapeau à damiers, la Porsche 917 K conduite par Rodriguez est entrée dans les stands. La voiture connaissait depuis le début d'incessants problèmes mécaniques et le moyeu avant droit finit par casser. Un long arrêt aux stands pour réparer fit tomber la Porsche à quatre tours.

Cela a donné le leadership à Revson. Aussi improbable que cela ait semblé, la voiture un peu dépassée, partagée par un acteur infirme et un héritier des cosmétiques épuisé était malgré tout en tête de la course. Mais ça ne dura pas longtemps. Un tour plus tard, Andretti dépassa Revson pour reprendre à nouveau la tête et creuser un écart tangible avec la #48.

Avec deux tours à faire et une grosse avance, Andretti s’arrêta alors pour remettre un tout petit peu de carburant et retourna en piste. La Ferrari gagna en définitive avec un écart de 23 secondes sur Revson et McQueen, classés deuxièmes au général. Leur deuxième place signifiait également qu’ils avaient remporté la classe Sports Prototype 3000. C’est la combinaison d’une voiture supérieure et d’un pilote légendaire qui les a battus pour la victoire globale.

« (Mario) est un pilote si rapide que ça a fait toute la différence », a déclaré Revson plus tard à Auto Racing Digest. « Je suis convaincu que si Mario n’avait pas pris le relais, nous aurions gagné. »

 

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Bien que McQueen et Revson n’aient pas remporté l'épreuve, ils ont fait beaucoup mieux que les prévisions les plus optimistes. Y compris celles des pilotes.

« La voiture était assez bonne, » a dit Revson. « Mais Steve avait ce plâtre sur son pied, et je ne pensais pas que nous puissions faire un aussi bon résultat. Steve a de l’endurance, cependant, et il a surtout du cran. Il a fait un travail fantastique compte tenu de son handicap. » 

Mais il y a certains qui soutiennent que Revson et McQueen ont effectivement gagné la course et que seule une erreur de notation a donné la victoire à la Ferrari. Un article de Louis Galanos donne le point de vue d’un chronométreur qui dit Revson était en fait en avance d’un tour complet sur Andretti. Lorsqu’on lui a demandé dans son camping-car après la course s’il aimerait protester contre le classement, McQueen répondit qu'il était satisfait de sa deuxième place et qu'il ne voulait pas de controverse.

Environ une heure après la course, McQueen a quitté son camping-car et a appelé Revson à travers la foule. « Hey Peter, ils veulent à nouveau te tester. » McQueen a tapé dans la main de Revson - un high-five en anglais - et a quitté la piste avec une escorte de police. Leur bref partenariat était terminé.

 

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La Porsche 908 Solar Production au 24H du Mans 1970

 

Dans l'optique de réaliser son film « Le Mans », McQueen devrait courir les 24 Heures du Mans cette année-là sur une Gulf Porsche 917 usine avec Jackie Stewart. Malheureusement, les studios de cinéma lui interdire de courir, de sorte que son engagement dans la course française fut retiré. La Porsche Sebring de McQueen fut utilisée comme véhicule caméra au Mans pour enregistrer des scènes du film. Le Mans est sorti en Juin 1971.

Deux mois après Sebring, Revson fut engagé par l’équipe McLaren. Il remporta la pole pour l’Indy 500 en 1971 et finit deuxième de la course. Il remporta ensuite le championnat Can-Am 1971 pour l’équipe et courut pour eux à temps plein en Formule Un en 1972. Revson a remporté deux Grand Prix en 1973 et a terminé cinquième au Championnat du monde en 1972 et 1973. À ce stade, Peter était l’un des principaux pilotes U.S., apparaissant dans les publicités pour Rolex, vitamines, et les voitures à sous. Il avait sa propre ligne de lunettes de soleil et sortait avec Miss Univers. Tragiquement, Revson a perdu la vie le 22 mars 1974 lorsque une panne mécanique a envoyé sa Shadow F1 dans un garde-corps sud-africain.

 

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La participation de Steve McQueen à Sebring en 1970 reste l’une des plus spectaculaires de l’histoire de la course. La course elle-même n’est pas loin de s’être jouée comme un film avec une fin presque scénarisée.

Mais même alors, il serait difficile de croire qu’un acteur avec une seule jambe valide pourrait s’approcher si près de la victoire.

... d'après un post de nascarman sur www.racing-reference.info


- Illustrations ©D.R.

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17 août 2020 | Lien permanent | Commentaires (2)

Montjuic 1969 : la malédicti(Am)on !

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Mai 1969, un dimanche matin; une tornade nommée « Led Zeppelin » vient à peine de débouler, le Printemps de Prague est désormais enterré, l’ORTF nous fait la faveur de diffuser des images du Grand Prix d’Espagne disputé en fin de matinée sur le merveilleux tracé du Parc Montjuic à Barcelone.

Cette course va me marquer pour plusieurs raisons : la prolifération des ailerons gigantesques, les accidents qui en découleront, la prise du pouvoir par l’écurie Matra - International - mais surtout la guigne indéfectible de Chris Amon.

Francis Rainaut

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La piste

Le circuit de Montjuic (ou Montjuïc), qui domine le centre de Barcelone, a été utilisé une première fois pour la course en 1933. Il est long de 3,8 km.

Il a fallu attendre 1966 pour y revoir des épreuves, d’abord en formule 2 puis en Sports. Afin d’accueillir les formule 1, la piste est re-surfacée et équipée de barrières Armco, mesure qui allait s’avérer prémonitoire.

Le parc de Montjuic (1) se situe sur le flanc d'une colline. C’est une attraction touristique majeure. Du haut du parc, qui a lui-même été rénové, on peut voir Barcelone s'étendre en contrebas, c'est un spectacle assez magnifique.

Les pilotes, les engagés, les professionnel et la Presse furent unanimes dans leur appréciation de cette nouvelle étape du Championnat du Monde. Le seul problème semble être les douaniers espagnols qui rendent encore très difficile l'introduction d'une voiture de course dans le pays ainsi que la police plutôt stupide pour gérer les accréditations dans des stands. Personne n’oublie qui est encore à la tête du pays, un certain Francisco Franco…

- (1) Littéralement, le Mont des Juifs, ainsi nommé en raison de la présence à cet endroit d'un cimetière israélite

 

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Les engagés

L'Espagne n'est que le deuxième Grand Prix de l'année, mais tout le monde attend des 4 roues motrices. En vain, seule l'écurie Matra International, gérée par Ken Tyrrell engage des modèles 1969. L'équipe est venue avec deux MS80, dont une neuve destinée à Beltoise, plus une MS10 en réserve. Les MS80 se présentent avec un capot avant plus plat; un aileron avant et des flaps élargis seront testés aux essais.

 

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Le Gold-Leaf Team Lotus a amené deux 49B de 1968 et une 49 Tasman en réserve. L'essentiel des évolutions concerne la largeur des ailerons, ce sur quoi va travailler le Team pendant tous les essais...

La Scuderia Ferrari a décidé de se concentrer sur une seule monoplace sur laquelle de multiples améliorations, notamment moteur ont été apportées. Amon, bien aidé par les pneus Firestone, semble enfin disposer d'une bonne arme, comme on va vite s'en rendre compte lors des essais. La première victoire du pilote néo-zélandais en formule 1 ne devrait plus tarder.

 

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L’Owen Racing Organisation qui a connu des problèmes de jeunesse avec son nouveau moteur V12 BRM à 48 soupapes a désormais le sourire. Pour la première fois, les deux monoplaces sont équipées de ce nouveau moteur, seul le malheureux Pedro Rodriguez engagé par le team Parnell doit se contenter du V12 à 24 soupapes un peu poussif. Pas comme Pedro.

Pas grand-chose de neuf chez McLaren Racing. Seul Bruce dispose du modèle intérimaire M7C pourvu d’un auvent travaillant.

Côtés pneumatiques, les Matra ainsi que les BRM et la Brabham de Courage sont en Dunlop, les CR84. Firestone équipe les trois Lotus et la Ferrari avec son ZB11. Le reste du plateau est monté en Goodyear, qui sort un nouveau dessin.

 

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Les essais

Les premiers essais débutent le jeudi en fin d’après-midi. Et c’est Chris Amon, au volant d’une Ferrari revigorée, qui claque un meilleur temps - 1’27’’6 contre 1’33’’3 pour les F2 - devant le Champion du monde en titre, Graham Hill. On attendait l’autre Lotus, mais un chien s’est malencontreusement trouvé sur la trajectoire de Jochen Rindt, et le train avant a souffert, mais pas autant que le pauvre animal. Jackie Stewart est à une demi-seconde, Jacky Ickx lui, casse son injection. Piers Courage n’a même pas pris la piste, Williams a des problèmes avec les douaniers espagnols peu coopératifs.

Le lendemain Hill égalise le temps d’Amon, et Rindt, plutôt mécontent de sa monoplace, claque tout de même un 3e temps.

La troisième séance se déroule le samedi. Un amortisseur a été changé sur la Lotus de Rindt qui réalise avec brio le meilleur temps. Son aile arrière a encore été élargie, et cela se voit au chronomètre. De son coté, Amon se démène pour contenir Hill. Ce qui nous donne trois monoplaces « Firestone » en 1e ligne, derrière elles Brabham et Stewart sauvent les meubles, mais clairement ils ne partent pas favoris.

Le scénario est parfait. Deux pilotes de talent sont donc favoris pour remporter leur première victoire en formule 1, bien aidés par leur monte pneumatique. Et les Matra vont devoir puiser dans leurs ressources pour rester dans la course en tête.

Ce pourrait-il enfin être le jour de de Chris Amon ?

 

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La course

En fin de matinée et par un temps splendide, le départ de la course va pouvoir être donné. Il est précédé d’un défilé de jolies filles porteuses de drapeaux nationaux; le public est venu en masse, tout est prêt pour la fiesta. Mais si fête il doit y avoir, les carabiniers ne vont pas manquer de tout faire pour la gâcher.

En pré-grille, les mécaniciens de BRM découvrent soudain une fuite d’huile, on l'apprendra une durite s'est fendue, sous la monoplace du pauvre Oliver. Un mécano essaie alors de prévenir le pilote, mais un policier le bloque et Jackie s’élance, arrosant d’huile sans s’en rendre compte une bonne partie du circuit. Pagaille sur la grille de départ, les organisateurs tentent d’étancher la flaque d’huile avec du ciment, et un second tour de reconnaissance est lancé. Oliver pendant ce temps rejoint les stands pour faire changer la durite. On s’agite également autour de la Matra de Stewart, dont le moteur cafouille. On finira par lui changer les bougies ainsi que le boitier d’allumage. C’est maintenant Piers Courage qui ne peut démarrer, mais l’on empêche ses mécaniciens d’intervenir. Le public hurle, les matraques volent…

En définitive, le salut viendra du Directeur de Course, le comte Villapaderna, qui s’interpose et laisse les mécanos Williams pousser la Brabham pour la démarrer, sous les vivats du public. Ollé !...

 

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Derrière mon écran N&b, j’ignore évidemment tout de ces péripéties. Rivé au poste, je suis avec attention le départ, où Rindt s’envole comme prévu, suivi comme son ombre par un Amon déchaîné lui-même talonné par Siffert pas en reste. La course est lancée !

Hill suit derrière, on a bien les quatre monoplaces « Firestone » devant, comme on s'y attendait. Rindt et Amon se détachent, enfin du neuf sur les Grand Prix ! Cependant au 8e tour, et sans que l’on s’en rende vraiment compte derrière le poste, le moteur de la Ferrari émet des bruits inquiétants, le chat noir serait-il déjà de retour ? On apprendra plus tard qu’il s’agit d’un injecteur bouché.

 

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Plus d’inquiétude au tour suivant, qui voit Graham Hill sortir de la route, sans mal fort heureusement mais de façon spectaculaire. Il s’agit manifestement d’un incident mécanique.

La course continue, il ne se passe pas grand-chose hormis quelques ennuis pour les BRM. Rindt vient d’entamer son 20e tour lorsque les drapeaux jaunes s’agitent à nouveau. Grosse panique dans le stand Lotus, où l’on a cru voir l’aileron se détacher sur la monoplace de l’Autrichien.

 

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Effet du hasard, Rindt à plus de 220 km/h est effectivement violemment sorti de la piste à l’endroit même où Hill s’est arrêté et est venu écraser sa monoplace sur les rails Armco. Jochen est prestement évacué vers l’hôpital, sans blessure grave en apparence.

Ce qui nous met maintenant en tête Chris Amon la malchance, qui va évidemment tout faire pour enfin remporter enfin un Grand Prix. Il possède alors une marge de 25’’ sur l’ultime Lotus encore en course, celle du vaillant « Seppi ».

Paradoxalement la course devient un peu monotone, Siffert abandonne sur casse moteur, il manque déjà cinq monoplaces, nous n’en sommes qu’au tiers de l’épreuve.

 

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Amon a désormais une large avance, on a oublié ses ennuis d’injection. La course de Jack Brabham s’arrête là, une bielle a traversé le carter. Beltoise s’arrête plusieurs fois à son stand pour faire régler sa timonerie de boîte de vitesses.

56e tour : et puis soudain, les évènements se précipitent. Amon passe au ralenti devant les tribunes, de son moteur s’échappe un panache de fumée, le V12 émet un bruit affreux. Le Néo-zélandais stoppe sa Ferrari et rentre à pied à son stand. En manque de pression d’huile, il a dû se résoudre à couper le contact (2).

Et le beau rêve de s’arrêter là. Amon est décidément maudit, on commence sérieusement à douter qu’il puisse un jour en gagner une. Collé à mon poste de TV, j’en aurais pleuré !

Le beau Grand Prix se transforme alors en défilé des rescapés.

Certes cela replace les Matra devant, mais on préférerait des victoires acquises avec plus de panache. Le podium accueille le tiercé Stewart / McLaren / Beltoise.

 

- (2) en début de course, un injecteur s'est bouché sur le V12 Ferrari, avec comme conséquence de « laver » un cylindre, ce qui a probablement entrainé une usure de la segmentation. D'où la consommation d'huile excessive.
Le passage des injecteurs dans une « bête » cuve à ultrasons aurait peut-être pu éviter ces ennuis, mais avec des si... A noter que sur ce coup-là le Kiwi n'y est pour rien.

 

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Epilogue

Au moment d’écrire la conclusion, me vient l’ombre d'un doute. Ce Grand Prix d’Espagne a-t-il vraiment été diffusé à la TV française ? J’ai cherché des traces, en particulier sur le site de l’INA, je n’ai rien trouvé. Ces images seraient-elles le fruit de mon imagination ? J’en appelle à vos souvenirs. Quoi qu’il en soit, cela ne change pas grand-chose rien à mon récit, cette course existe bel et bien dans mon esprit.

L’affaire des ailerons laissa elle des traces. Rindt écrira à Colin Chapman une lettre (3) lui faisant part de ses doutes quant à la sécurité des Lotus. Il semble également qu’il ait été plus sérieusement touché que prévu par son accident. Dès Monaco deux semaines plus tard, la C.S.I. sonnera le glas des grands ailerons.

Le couple Amon-Ferrari commença à prendre l’eau de toute part. Il y eut un sursaut à Monaco, suivi d’une lente descente dans la hiérarchie. Dégouté, Chris lâchera l’affaire à Monza juste au moment de la sortie - problématique - de la 312B. Erreur funeste, ce fut la Ferrari du renouveau.

Le casque « scaphandre » Bell Star s’imposera rapidement parmi les pilotes, sans doute échaudés par les accidents ayant touchés les pilotes Lotus.

Je continuerai longtemps à guetter une victoire F1 de Chris Amon, me contentant de me réjouir qu'il ait pu échapper au pire, à l'inverse de nombre de ses compagnons de grille présents à Barcelone en cette belle matinée de 1969.

Quant à moi, je retrouverai quasiment le même plateau, moins les BRM, à Charade deux mois plus tard. Le Championnat du monde était désormais devenu l'affaire de Matra, et Chris Amon dut se contenter de participer.

- (3) [lettre du 9 mai 1969 de Jochen Rindt à Colin Chapman]

 

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Je terminerai en rendant hommage à David Phipps, cet immense photographe à qui j'ai emprunté la plupart des photos qui illustrent cette note.

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David Phipps, X, Jochen Rindt

 


- Illustrations ©David Phipps, ©Filmoteca Española, ©DR

 

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09 juin 2023 | Lien permanent | Commentaires (4)

Krissémon Go ...

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Pour nous, et sans doute pour pas mal d'autres, tout a probablement dû commencer peu de temps après ce funeste Grand Prix de Monaco 1967, épreuve suite à laquelle allait périr de façon tragique le premier pilote de la Scuderia Ferrari, pilote italien de surcroît.

Les projecteurs furent alors instantanément braqués sur son coéquipier, un garçon au look encore juvénile venu de très loin, enfin des antipodes, de cette Nouvelle-Zélande qu’on avait un peu de mal à situer sur une carte, mais qui nonobstant se révélait prolifique en pilotes de talent.

Ce type au casque identifiable entre mille s’appelait Arthur Chistopher Amon, on ne savait pas trop s’il fallait prononcer « krissamone » ou « krissémone », il allait d’emblée jouir d’une cote affective assez élevée chez les fans et du fait sans doute de l’absence de Français dans la catégorie reine [1], fit rapidement partie de mes pilotes fétiches…

par Francis Rainaut

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Monaco 1967. Chris Amon, Ferrari 312 ©EricDellaFaille

 

On en apprit alors un peu plus sur ce « kiwi » si prometteur. Il avait commencé très jeune à piloter, à 16 ans très exactement, puis il s’était fait les bras au volant d’une lourde Maserati 250F avant de s’exiler sur le nouveau continent, à l’incitation de Reg - Reginald - Parnell, un homme qui comptait alors beaucoup dans le milieu et qui l’ayant observé dans les courses tasmanes raconta qu’il n’avait jamais vu une 250F aussi bien conduite depuis l’époque de Fangio.

Un peu plus tard le même Reg Parnell le fit débuter en Grand Prix au volant d’une Lola-Climax de seconde zone, non pas à Monaco où la star locale Maurice Trintignant lui chipa sa monture, mais dès le Grand Prix suivant à Spa, où il fut tout sauf ridicule. On était alors en 1963, Chris n’avait pas encore vingt ans.

“it was dangerous to race but, believe me, have Mike Hailwood going round all over the house by night was much more risky”. Chris Amon

Il rejoignit en 65 son compatriote Bruce McLaren au sein de l’armada Ford et le même équipage toucha le jackpot l’année suivante au Mans où, sans le vouloir, nos deux kiwis assénèrent un coup de massue terrible sur la tête du méritoire Ken Miles [2].

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 Le Mans 1966. Un Cobra, deux Kiwis ©D.R.

 

Pour 66, il était prévu qu’il fasse partie de l’écurie éponyme de son compatriote, mais Bruce se débattait avec tant et tant de problèmes techniques avec sa formule 1 naissante que Chris ne devait en définitive ne disputer qu’une seule course au volant d’une Cooper-Maserati, à un moment où l'écurie anglaise se trouvait en pleine opération séduction auprès d'« il Grande Surtees ». En Panavision sur grand écran il en ira tout autrement, le look du personnage de Pete Aron dans le film « Grand Prix » sera en effet directement inspiré de celui d’Amon, d'ailleurs on se pose toujours la question de savoir si c’est Chris qui a repris le design du casque de Pete, ou bien l’inverse, mais là c’est comme pour le sexe des anges, nul ne connait vraiment la réponse [3].

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 Daytona 1967. Chris Amon, Ferrari P4 ©D.R.

 

Changement total en 67, Amon signe pour Ferrari. Débuts en fanfare à Daytona en Sport-Protos: c'est un triplé Ferrari, avec Bandini-Amon vainqueurs sur la #23. Ferrari est à moitié vengé de l'affront du Mans.

On assista alors ce que - toutes proportions gardées - l'on a vécu en 2016 avec un tout jeune hollandais volant. Sur ses six premiers Grand Prix au volant de la Ferrari, Amon allait décrocher pas moins de quatre podiums plus une 4e place. Ne restait plus dès lors qu'une seule marche à franchir, le chemin de la victoire allait fatalement s'ouvrir, la Scuderia et son jeune kiwi allaient progresser de conserve, ce n'était juste qu'une question de temps. Au championnat Amon se positionna juste derrière les deux pilotes Brabham et le grand Jim Clark, à égalité de points avec John Surtees [4].

Les fans pensaient, impassibles,
« Qu’il ne puiss' arriver tout en haut,
C'est complètement impossible... »
La suite leur prouva que non ! [5]

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1968. Chris Amon, Ferrari 312 ©D.R.

 

Pour notre kiwi, soixante-huit allait débuter un peu comme l’année précédente; Amon termina le Grand Prix d’Afrique du Sud en 4e position. La course suivante se déroulait en Espagne, sur le nouveau circuit de Jarama, et c’est peut-être bien cette course qui allait fonder le mythe d’ « Amon le malchanceux ».

Aux essais déjà, Chris obtient sa première pole. La course, c’est Tommy Franklin qui allait nous la faire vivre, je ne sais plus sur quelle radio, mais l’ambiance y était, on était transporté sur place dans un Madrid surchauffé.

... « Ici Rhârhâma - Au moment où je vous parle, la Matra de Jean-Pierre Beltoise a dû s’arrêter à son stand où elle a pu répartir et c’est la Ferrari de “Krissémone” qui est maintenant en tête et est en train de creuser l’écart sur la Lotus de “Grahâme Hillll” ! »

Un instant ébranlés par l’incident technique ayant ralenti notre JPB national – mais ayant aussi du mal à croire à une victoire dès son 1er Grand prix au volant d’une vraie formule 1, on se préparait donc à assister au triomphe – mérité - du jeune Chris Amon qui avait largement dominé une course qui ne comptait il est vrai que 13 - oui treize - participants.

Mais une « bête » pompe à essence en décida autrement. A l’issue du 58e tour, Amon range sa Ferrari malade au bord de la piste. Ça n'est pas encore aujourd’hui que Chris allait gagner son premier Grand Prix !

 

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Spa-Francorchamps 1968. Chris Amon, Ferrari 312 ©D.R.

 

Absentes à Monaco pour des raisons restées obscures, les Ferrari sont de retour en Belgique où elles arborent un aileron arrière original en plus des bavolets à l’avant.  Chris est à nouveau en pole sur le « grand » circuit de Spa, il fait maintenant partie sans discussion des « top drivers ». Las, le chat noir est désormais entré dans son cockpit, Amon n’effectuera que huit tours avant qu’une pierre ne transperce son radiateur. Deuxième victoire envolée.

A ce stade on n’ira pas égrener la litanie de tous les malheurs qui vont accabler l’ « infortuné » Amon. On rappelons juste quelques épisodes marquants :

  • Le Mans 1969, à l’instant où le malheureux John Woolfe perd le contrôle de sa – trop - puissante Porsche 917, devinez qui l’on retrouve juste derrière la 917 à devoir rouler dans les débris incandescents, évidemment notre ami Chris dont la course s’arrêtera là.
  • Monza 1969, où j’étais présent, à la fois « in » et « out » the paddock. Nous avons attendu longtemps la nouvelle Ferrari 312B, celle du renouveau, celle qui devait redonner des couleurs à la Scuderia. Amon aussi à dû l’attendre. Elle n’est jamais arrivée à Monza, il y avait une fuite d’huile à un carter moteur ou de boite, je ne sais plus. Chris s’est lassé et a décidé d’aller respirer un autre air. Avec effet immédiat.  C’est-à-dire juste au moment où la Scuderia allait enfin remonter la pente.

 

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Le Mans 1969. Chris Amon, Ferrari 312P ©D.R.

 

Vu sous le regard d’un tifosi, la saison 69 de formule 1 fut réellement consternante, l’une des pires qu’ait connue la Scuderia. Mais ça c’était « avant ». Tout va changer en effet à partir de 1970.

Chris pendant ce temps a succombé aux sirènes de ce vieux renard de Max Mosley et dispose enfin d’une monoplace presque identique – c'est-à-dire aussi pourrie – que celle de la référence Jackie Stewart. N’épiloguons pas sur cet épisode, notons cependant que Chris sauve une magnifique seconde place sur le prestigieux tracé de Spa, les mauvaises langues diront que le V12 BRM du vainqueur Pedro Rodriguez avait été généreusement réalésé, quoi qu’il en soit Amon ne franchit toujours pas la plus haute marche du podium [6].

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Spa-Francorchamps 1970. Chris Amon, March 701 ©D.R.

 

Pour la saison 71 on change tout. Un peu à l’instar d’Amon, l’équipe Matra-Matra n’a toujours pas réussi à aligner une victoire en formule 1. Alors peut-être qu’avec la combinaison Amon-Matra on va réussir à conjurer le mauvais sort. L’affaire se présente au mieux. En début d’année Chris Amon remporte le Grand Prix d’Argentine de formule 1,… Grand Prix hors championnat faut-il tout de même le préciser.

La suite fut moins glorieuse, jusqu'à ce que survienne cet épisode inénarrable dans le temple de la vitesse de Monza. Après avoir réussi la pole sur sa Matra revigorée, Chris est en tête, même largement en tête. Nous sommes au 45e tour, il en reste moins de dix, le sortilège ne va pas tarder à être rompu. Oui mais avez-vous déjà regardé de près un Bell Star ? En 71 sa visière est maintenue par deux pièces en plastiques vissées dans la calotte en fibre, elles ne peut pas s'arracher, c'est impossible. Impossible, sauf quand on s'appelle Chris Amon et que l'on est déjà passé à coté de pas mal de victoires. Fin de l'épisode Monza. Cela nous aura au moins apporté ce final d’anthologie !

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L'année suivante Chris allait de nouveau mettre nos nerfs à rude épreuve. Cette fois le drame se déroula en terre auvergnate, sur ce joyau qu'était le circuit de Charade. Les ingénieurs Matra ont bien fait progresser le châssis MS120D et, heureux coup du hasard, un moteur issu des Prototypes est monté à l'arrière. Il aurait dû logiquement se révéler un moins puissant, mais c'est le contraire qui se produit, l'huile circule en effet beaucoup mieux dans le bloc. 

Amon livre alors un récital comme on en voit peu, et prend peu à peu le contrôle de l'épreuve. Jusqu'à ce qu'un caillou, un vulgaire silex... Cet épisode sonna le glas de l'engagement Matra en formule 1. Quant à notre ami Chris, il entamera alors une lente descente dans les profondeurs du peloton, et plus jamais ne retrouvera un volant digne de son talent. Comme un clin d’œil au temps, sa dernière formule 1 - Ensign - est aussi rouge et stylée que sa première Ferrari 312. Très choqué par l'accident survenu à Niki Lauda au Nürburgring en 76, il retourne alors définitivement à ses moutons et ne fit plus que de très rares apparitions sur le Circus. Son charisme par contre est lui toujours resté intact.

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 Charade 1972. Chris Amon, Matra 120D. Putain de caillou !

 

Epilogue:

On n’a sûrement pas fini de parler de Chris Amon, le sujet en soi est inépuisable et puis surtout l’homme a laissé une empreinte affective tellement forte, malgré ou à cause de ses défauts. C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris l’annonce de sa disparition. Sur ce plan-là aussi il aura hélas été précoce. Amon était tout sauf un professeur, Amon était le contraire d'un ordinateur. Chris était un artiste, un pur artiste c'est-à-dire quelqu’un par nature désordonné, quelqu’un qui ne pèse pas toujours scrupuleusement le pour et le contre de chaque décision. Mais Stirling Moss n’a-t-il pas affirmé un jour qu’il considérait la course automobile comme un art ? Alors où sont les Chris Amon d’aujourd’hui ?

Chris on l’aimait, sans même souvent savoir pourquoi.

Repose en paix, Man…

 

Christopher Arthur “Chris” Amon, MBE (July 20, 1943 – August 3, 2016) 

 

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Chris Amon 1969 ©F.Rainaut

 

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 Weka. New-Zeland 2016

 

Notes et références

  1. Le vétéran Guy Ligier ne pouvant plus prétendre au titre de véritable espoir.
     
  2. Épisode admirablement bien conté par René Fiévet sur un site à tendance néo-classique.
     
  3. Même si certaines reliques du Bell auraient, dit-on, été conservées non loin de Versailles; mais chacun sait que les reliques tout comme les Corses en vie ne parlent pas.
     
  4. Ce qui restera définitivement son meilleur classement en Championnat.
     
  5. Sous forme de clin d’œil à Georges Brassens.
     
  6. “At Spa I was leading from Jackie and Jochen, and I could see them getting smaller in my mirrors. Then suddenly there was this bloody BRM looming up. Pedro Rodriguez – he’d been eighth on the grid, a good couple of seconds slower than me and Jackie in qualifying. I thought, where the hell did he come from? He just blew by. I stuck with him, and I worked out that the only way I could pass him was by taking the Masta kink flat, and getting him down the hill. It had never been flat up to then, but on the last lap I hung back, and then I went for it. I did get it flat between the buildings – I was that close to the wall – and I drafted past him down to Stavelot. That was when I set the lap record. But on the long drag up the hill he just steamed past again. Aubrey Woods, after he left BRM, told me they built a 3.5-litre engine. He wouldn’t say when they used it, but I’m pretty sure I know.”    MotorSport June 2008, Lunch with Chris Amon, by Simon Taylor

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06 août 2016 | Lien permanent | Commentaires (10)

Treize ans d’attente… GP des USA 1971

watkins glen

1958… 1971
Entre ces deux dates s’écoulèrent quelques années de manque dans notre hexagone. On parle ici de la participation des pilotes français au plus haut niveau des courses de formule 1. De Maurice Trintignant à François Cevert une passerelle enjambe la privation tricolore au sommet des podiums… Les jeunes pousses mirent du temps à atteindre le nirvāṇa.

François Coeuret

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État des lieux

Le circuit de Watkins Glen est désormais plus long de 1700 m (5,472 km). Il a été rénové avec des stands plus larges adaptés aux nouveaux standards de la compétition. Le secteur de « Big Bend » a disparu pour laisser place à une nouvelle ligne de départ. Seule la partie allant des « Esses » à « The Loop » a été conservée. Après celle-ci une portion plus sinueuse conduisant vers la ligne droite des stands a été réalisée. La piste a été resurfacée, des glissières en acier ARMCO couvrent l’ensemble du pourtour du circuit.

Les travaux sont achevés deux jours seulement avant les premiers essais ! Les bordures sont garnies de sable, beaucoup de voitures vont soulever des nuages de poussières durant le week-end.

 

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Parmi les participants habituels…

Le Grand Prix du Mexique a été annulé en raison du décès de Pedro Rodriguez. Le dernier enjeu de la saison est la deuxième place de la coupe des constructeurs qui se dispute entre Ferrari (32 points), BRM et March (30 points chacune). Stewart a le titre en poche. Il a amassé 60 points devant Peterson, Ickx et Cevert qui en comptent respectivement 29, 19 et 17.

Une prime de 50.000 dollars promise au vainqueur - la plus haute récompense décernée par une épreuve de Formule 1 - a attiré des pilotes américains. On en compte six plus un Canadien. Mario Andretti pilote la troisième Ferrari. Roger Penske engage de nouveau une McLaren M19A que se partagent Mark Donohue, qui a réalisé de superbes débuts en Grand Prix en finissant sur le podium à Mosport, et le Britannique David Hobbs qui a déjà conduit en Formule 1 en 1967-1968 et s'est depuis fait un nom en Formule A. Donohue hésite entre participer au Grand Prix ou à une épreuve USAC. Par conséquent, tout en assurant sa propre qualification, il prête sa voiture à Hobbs qui sera chargé de le suppléer en cas de forfait.

 

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Skip Barber et Pete Lovely sont engagés avec leurs voitures privées, de même que l'Anglais Chris Craft et sa Brabham BT33 de l'Ecurie Evergreen(1).

Tyrrell engage une 001 pour Peter Revson. L’américain vient de remporter le championnat CanAm devant Denny Hulme. Revson se réaccoutume au pilotage d'une F1. Il va d'ailleurs rester dans le sillage de François Cevert durant les essais pour parvenir à se qualifier.

 

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John Surtees aligne trois TS9 pour cette épreuve. « Big John » conduit bien sûr sa propre Surtees, sponsorisée par Brooke Bond Oxo, une marque de thé anglaise. Rolf Stommelen, lui,  cède définitivement sa place à Mike Hailwood, lui aussi aidé par Brooke Bond Oxo. L'Américain Sam Posey, une des vedettes de la Formule A, est prévu sur la troisième voiture, avec en réserve Gijs Van Lennep, dont ce serait la deuxième apparition après Zandvoort, au cas où.

BRM place une nouvelle fois au départ une escadrille de quatre P160 confiées à Jo Siffert, Howden Ganley, Peter Gethin et Helmut Marko, tandis que le Canadien John Cannon, champion de Formule A en 1970, conduit une P153.

Jo Bonnier est de retour avec sa vieille McLaren M7C, ainsi qu’Andrea de Adamich au volant de la March-Alfa Romeo. L'Italien prend la place de Mike Beuttler.

Pour ce dernier Grand Prix BRM utilise son moteur Mk2 dans toutes ses monoplaces, exceptée celle de Howden Ganley. Toujours côté moteur, Alfa Romeo a modifié la distribution de son V8.

Enfin John Surtees utilise une nouvelle TS9B à radiateurs latéraux.

 

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L’attraction locale

Le « Bog » est l’endroit où certains spectateurs locaux « s’éclatent », ceux que le spectacle conventionnel des Formules 1 trop européennes lasse vite. Traverser le fossé de boue au volant d’une vieille berline américaine est le défi ludique et apprécié d’une « faune disparate » qui se délecte du petit jeu. Resté embourbé au milieu du Bog expose le propriétaire du véhicule à voir brûler sa carcasse métallique !

 

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Les essais suivis de la course

La concurrence est rude en cette fin de saison puisque les sept premiers sur la grille se tiennent en moins d'une seconde. Malgré un sous-virage affectant la Tyrrell, Stewart obtient la pole position de justesse devant Fittipaldi, devancé de seulement dix-sept millièmes de seconde ! La Lotus 72D est très performante en cette fin de saison. Fittipaldi espère l’emporter pour empêcher Lotus de connaître sa première saison sans victoire depuis 1959. Autre surprise: Hulme se hisse au troisième rang, sa meilleure qualification depuis longtemps. Aucun pilote équipé d’un douze cylindres n'est en première ligne. En deuxième ligne on retrouve Regazzoni et Cevert, suivis par Andretti et Siffert. Ickx est huitième et dernier des pilotes Ferrari. Viennent ensuite Amon, Wisell, Beltoise et Peterson. Les Matra souffrent comme au Canada d'une médiocre tenue de route. Suivent Ganley, Surtees, Hailwood, Schenken, Marko.

Posey se signale par une belle dix-huitième place, devant Donohue, beaucoup moins performant qu'à Mosport.

Mario Andretti et Mark Donohue ne prendront pas le départ. Les deux champions américains s'étaient en effet inscrits à une course d'USAC à Trenton. Celle-ci a été reportée au dimanche à cause de la pluie, et donc Andretti et Donohue sont tenus de respecter leurs engagements. Ainsi David Hobbs récupère la voiture de Donohue.

En conséquence Siffert avance d’une position (6e) de même que les suivants Ickx, Amon, Wisell, Beltoise, Peterson, Ganley, Surtees, Hailwood, Schenken, Marko, Posey. De façon identique Hill part 18e, suivi de Revson, Pescarolo, Gethin, Hobbs, Galli, Cannon, Barber. Adamich, Craft, Bonnier et Lovely ferment la marche. Vingt-neuf voitures prendront donc le départ de la course.

 

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Départ imminent…

Le matin du dimanche 3 octobre, il pleut sur le circuit. Le pilote de la Tyrrell N°9 fait la moue en tirant les rideaux de sa chambre d’hôtel. Il a demandé à Derek Gardner d'augmenter le carrossage négatif à l'avant de sa 002 afin d'améliorer le parallélisme des roues et donc la tenue de route. Il va bientôt s’en féliciter une fois au volant de sa monoplace. Stewart préfère quant à lui s'en tenir à ses réglages originaux. Ickx mécontent aux essais de sa B2 décide d’utiliser l’ancienne B1 pour la course.

Van Lennep doit rester dans le garage car il donne sa voiture à Sam Posey. L'Américain a évidemment la préséance à domicile sur le Néerlandais...

Une aubaine, les nuages se dissipent et c'est sous un beau soleil que la course se déroule.

Le fantasque starter Tex Hopkins abaisse le drapeau vert. Placé à l'extérieur, Hulme prend le meilleur envol et vire en tête au premier virage devant Cevert, très bien parti, Stewart et Regazzoni. Fittipaldi a perdu des places.

Premier tour : Cevert déborde Hulme dans la ligne droite avant « The Loop » et le tasse quelque peu sur la gauche. Stewart saisit l'occasion, plonge à droite et s'empare de la première place. A la faveur d’une petite erreur de Cevert dans « Toe » Hulme passe second.

 

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A la fin de la deuxième boucle, Stewart mène devant Hulme, Cevert, Regazzoni, Siffert, Ickx, Amon, Fittipaldi, Wisell et Beltoise.

Stewart se détache légèrement tandis que Hulme et Cevert sont au coude à coude. Regazzoni un moment menaçant derrière les deux hommes va perdre du terrain. Au 7e tour Cevert passe Hulme. Le français va alors se rapprocher de son chef de file. Au 12e tour la jonction est faite. Les pneus de l’écossais qui sous-vire sont déjà usés. François reste dans le sillage du Champion du monde qui va finalement lui faire signe de passer. La jeune recrue de l’équipe Tyrrell s’échappe au volant d’une monoplace au réglage peaufiné. C’est maintenant Jacky Ickx qui poursuit Cevert. Entre 5 et 6 secondes les séparent. Mais le Belge fait le forcing. Plus à l’aise que le Parisien dans les dépassements d’attardés il va même revenir à une seconde et demi au 41e tour. La bataille fait rage, les deux duellistes battent alternativement le meilleur tour en course qui restera au crédit du belge. Le 45e tour marque le tournant du Grand Prix : Ickx perd tout à coup du terrain victime d’une fuite d’huile. Hulme va déraper sur une trainée et heurter le rail. Cevert qui arrive sur le secteur évite la Mc Laren immobilisée mais dérape aussi et frotte la glissière heureusement sans dommage. Une belle frayeur que le Français compense en lisant son panneau : 32 secondes d’avance sur Siffert. Huit tours encore avant le damier… « Ces huit tours ont duré huit siècles ! » Mais … François cueille enfin les lauriers d’une victoire amplement méritée.

 

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Celle-ci va particulièrement retentir en France ! En troisième position au Championnat du monde, François devient le porte-drapeau du sport auto dans l’hexagone, détrônant ainsi son beau frère. Treize ans qu’un français n’avait pas gagné en F1 depuis Maurice Trintignant !

Une étoile est née mais… Une étoile terriblement filante.

 

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(1) - Dont ce sera la seule et unique participation à un Grand Prix de formule 1, son engagement au Canada la même année s'étant soldé par une non-participation due à une casse moteur.


Video : François Cevert Wins the 1971 USGP

 

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- Illustrations ©DR

- Source concernant le déroulement des essais et de la course : StatsF1

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03 octobre 2022 | Lien permanent | Commentaires (4)

Giunti vs Beltoise

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 Circuit de Buenos-Aires, le 10 janvier 1971. Sur le grand tracé de « l'Autódromo 17 de Octubre » fraichement rénové se déroule la 1e course de Championnat du Monde à avoir lieu en Argentine depuis le GP de formule 1 de 1960 remporté par Bruce McLaren sur Cooper.

Cinquante ans ont passé, pas mal de choses ont été dites ou écrites sur la tragédie dont l'autodrome a été le théâtre ce jour-là.

Mon propos n'est pas de rejoindre « la meute des imbéciles et des hypocrites »[1] qui va rapidement se déchaîner contre celui qui est alors le chef de file des pilotes français[2].

Sur Ignazio Giunti en revanche la presse française ne s'était pas trop épanchée, louant ses talents de pilote de prototypes, certes, mais confondant sans doute sa classe naturelle avec une relative discrétion en piste. Nous allons voir qu'il en était tout autrement.

Francis Rainaut

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« il barone » Ignazio Giunti

Que savait-on d'Ignazio Giunti ? Pas grand-chose en réalité. Tout juste qu'il formait la seconde moitié de l’équipage Galli-Giunti qui sévissait en championnat du Monde au volant des Alfa Roméo 2 litres, ah oui, souvenez-vous la folle épopée du Mans 1968. Et aussi qu'il arborait un casque intégral au dessin aussi original qu'inspiré. Inspiré d'antiques dessins aztèques, à ce que je croyais, mais sans en connaître la raison.

Mais le pilote romain était un peu plus que tout ça.

Ignazio Giunti était né à Rome le 31 août 1941 au sein d'une famille noble ayant aussi des intérêts en Calabre dans la province de Cosenza. Comme beaucoup de jeunes dans sa situation, il commença à courir en course de côte de façon assez discrète afin de contourner l'opposition de sa famille, au volant -déjà - d'une Alfa Romeo (Giulietta Ti).

Puis il se tourna vers la piste et débuta à domicile sur le circuit de Vallelunga. 1964 le verra finir second du championnat italien des voitures de tourisme et participer à plusieurs rounds du championnat européen.

Il devient dès lors le grand spécialiste de Vallelunga, quasiment imbattable sur la piste romaine. L'année suivante le voit ferrailler au volant d'une Alfa Romeo Giulia GTA contre les spécialistes Spartaco Dini, Nanni Galli, Carlo Benelli "Riccardone", Andrea de Adamich, Luigi Rinaldi, Teodoro Zeccoli, Roberto Bussinello , Enrico Pinto, et tutti quanti.

1966 est l'année de ses débuts en monoplace sur la rétive De Sanctis formule 3 et aussi celle des premiers pas de l'équipage Galli-Giunti. En 1967 il est promu pilote officiel Autodelta, tout comme son acolyte Nanni Galli, et remporte le championnat d'Europe de la montagne catégorie tourisme.

 

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Tous les deux passent alors aux prototypes en 1968. Alfa Romeo leur confie sa nouvelle arme, la 33.2 conçue par l’inénarrable Carlo Chiti. Ils vont si bien s'en servir qu'ils finiront seconds à la Targa Florio et 4es des 24 heures du Mans. Sur la scène internationale,  Ignazio Giunti n'est plus un inconnu.

En Italie, Giunti a attiré l’attention d'Enzo Ferrari qui lui propose une place dans son équipe « Sports » qui engage des 512S en endurance pour 1970. S'en suivront une victoire aux 12 heures de Sebring, une  2e place aux 1000km de Monza, une 3e à la Targa, idem aux 6 heures de Watkins Glen. Giunti est la nouvelle étoile montante transalpine, la presse est derrière lui, Ferrari lui propose de débuter en formule 1 sur le « grand » Spa-Francorchamps, rien de moins !

 

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Acte II, I.Giunti

Des débuts en fanfare, Ignazio termine son premier Grand Prix à la  4e place, une star est née.

La suite fut moins spectaculaire. Giunti ne confirme pas totalement ses excellents débuts en F1, il faut bien avouer que le « presque italien » Clay Regazzoni lui fait pas mal d'ombre.

Pour 1971, Giunti est confirmé comme pilote leader de l'équipe Ferrari en endurance. La firme italienne a sorti un tout nouveau prototype 312 PB équipé du 12 cylindres à plat dérivé de celui utilisé en F1.  La première course a lieu à Buenos-Aires, où il aura à affronter en compagnie d'Arturo Merzario les puissantes Porsche 917 ainsi que des Ferrari 512 privées, sans oublier les « petites » Matra et autres Alfa Romeo. La mission est de s'aguerrir afin de viser le titre mondial l'année suivante.

 

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J-P.B.

A l’orée des années soixante-dix, Beltoise est arrivé quasiment au faîte de sa carrière de pilote de course.

Effectuons un bref retour arrière.

Descendants d'une longue lignée de bouchers parisiens, et animateur invétéré du fameux troquet du 1er arrondissement vite surnommé « le Stand 14 » , Beltoise n'a de passion que pour la vitesse. A ce stade il est bon d'ajouter que la vie n'a pas toujours été d'une grande tendresse avec Jean-Pierre.

Les ennuis ont commencé avec la guerre d'Algérie. Comme beaucoup de jeunes de sa classe d'âge, Jean-Pierre fut appelé pendant près de 24 mois pour s'en aller pacifier la proche colonie. Il n'en ressortira pas intact, mais en reviendra plus fort. Ce qui compte désormais, c'est la course, la course de motos d'abord, comme son idole Jean Behra.

Un peu plus tard, il encaisse de plein fouet le décès brutal de son frère ( et copain ) Jean-Claude qu'un bête accident de la route enlève à la famille Beltoise.

 

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Beltoise, qui arbore désormais le mythique écusson « Stand 14 » sur son casque, emblème représentant l'établissement que vient de créer son pote Pierre Landereau, commence à franchir une à une les marches du succès. Multiple champion de France vitesse moto, entre autres sur Moto Morini, il commence à entrer pour de bon dans le paysage sportif français.

La moto n'est pas sa seule passion. En plus d'écrire avec talent, il envisage déjà de passer à l'automobile. Il force un peu son entrée chez René Bonnet, et les résultats déjà tombent : victoire à l'indice avec Claude Bobrowski au Mans en 1963.

Mais sans doute n'a-t-il pas encore suffisamment payé son dû. Trahi par une fuite d'essence indétectable d'une voiture le précédant, il est victime en juillet 1964 d'un accident effroyable aux 12 heures de Reims sur sa René Bonnet. Les médecins veulent lui couper le bras, son équipier Gérard Laureau est là pour les en empêcher.

La suite est connue. A force de volonté et de détermination, Beltoise fait fi de son handicap et assiège l'état-major sportif de Matra afin d'obtenir un volant dans l'équipe. N'importe qui d'autre aurait échoué, JPB saura convaincre le visionnaire Jean-Luc Lagardère.

Et c'est sur ce même circuit de Reims que le glorieux tandem connaitra son premier sacre en 1965 dans l'épreuve de formule 3, évènement synonyme du réveil du sport automobile français.

Nouveau coup dur en 1966, sa femme Eliane se tue au volant d'une Matra Djet, Jean-Pierre est anéanti, l'ami Servoz-Gavin fait de son mieux pour lui redonner goût à la vie.

 

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Formule 3, formule 2, Champion d'Europe, formule 1. Pour son 1er GP au volant d'une véritable F1 3 litres, en remplacement de Stewart blessé, Beltoise manque de l'emporter ! Maudite fuite d'huile... Sous la pluie à Zandvoort sur la Matra V12, Jean-Pierre effectue un véritable récital. La victoire dans la catégorie reine n'est plus très loin, nul ne peut en douter.

On accélère le film, nous voici à la fin de l'année 1970. Aux yeux des dirigeants de Matra, bien ou mal conseillés par ces Talleyrand des temps modernes faisant et défaisant les équipes, Beltoise n'a pas ou n'a plus la stature d'un « premier pilote » . C'est un Chris Amon qu'il vous faut pour gagner. Qu'en pense ce brave Henri ?

 

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1000 km de Buenos-Aires, ou la fureur de vaincre

Beltoise aime bien l'Argentine, celle-ci le lui rend bien ; n'est pas  « el Ganador » qui veut. Lui et Matra y ont toujours brillé. Jean-Pierre a survolé la Temporada 1967, et l'année dernière, lui et son coéquipier Pescarolo y ont enlevé les 1000 km disputés hors-championnat au volant d'une Matra 650 ornée de ces curieux numéros jaune sur fond noir imposés par le sponsor local YPF. Cette année avec les Sports 5 litres, la tâche sera plus rude mais JPB ne lâchera rien, il fera tout ce qui est en son possible pour faire briller les couleurs Matra. Sa MS 660 ne vient-elle pas de remporter haut la main les 1000 km de Paris, sous les yeux d'un public comblé dont je faisais partie.

Dans le clan Ferrari, Giunti est dans les mêmes dispositions. Sa nouvelle Ferrari 312 PB est un jouet fantastique, suffisamment affûté pour viser les, ou même la première marche.

Ces deux-là sont de grands coureurs. Ils allient l'adresse, le courage, le sang-froid et aussi l'expérience. Mais surtout la fureur de vaincre, celle qui est nécessaire pour devenir un champion.

A l'issue des essais, c'est Pedro Rodriguez sur Porsche 917 Wyer qui décroche le meilleur temps juste devant... Ignazio Giunti sur sa Ferrari 312 PB. La voiture italienne et son pilote numéro un font forte impression, on peut les ranger sans équivoque parmi les candidats possibles à la victoire.

 

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Le grand Juan Manuel Fangio donne le départ. Vif comme l'éclair, Giunti bondit en tête mais Rodriguez fait bientôt parler la puissance de sa 917 et avale la Ferrari. Beltoise bien parti est maintenant 6e dans le sillage de Parkes sur Ferrari 512S.

Les Porsche 5 litres lâchent maintenant les chevaux, et Elford rejoint Rodriguez en tête de la course. Sur sa petite 3 litres, Giunti est époustouflant, à la limite partout, du grand pilotage. Mais les gros cubes doivent ravitailler plus tôt, laissant Giunti au commandement devant Beltoise et les deux Alfa Romeo. La course est passionnante et indécise, qui va l'emporter ?

La dramaturgie est désormais en place, n'y manque probablement que l'intervention du malin.

Son intervention prend la forme d'une panne d'essence affectant la Matra du pilote français. Au fait, pourquoi cette panne d'essence ? Erreur de calcul, dérèglement de l'injection, fuite à un réservoir ? Pour Beltoise, c'est catastrophique, il ne veut pas ruiner sa course pour autant, les stands sont tout proches, il commence à pousser la Matra 660.

Auparavant, cette manœuvre était courante, et même autorisée, désormais c'est aux commissaires d'éventuellement intervenir pour l'interdire, ces derniers se contentent de brandir les drapeaux jaunes signalant un danger. Giunti passe une première fois, visualise la Matra en souffrance, puis continue son sprint.

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Pour Beltoise les stands sont tout proches, il reste moins de 100 mètres à parcourir. Mais il y a aussi la piste à traverser. Il serait idiot que tout s'arrête là, un pilote professionnel est payé pour mener sa voiture le plus loin possible.

Ici s'arrête mon compte-rendu des 100 km de Buenos Aires, course que tout passionné a encore en mémoire.

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In memoriam Ignazio Giunti, Jean-Pierre Beltoise

Giunti nous a quitté le premier. C’était certainement un homme charmant, sous des aspects réservés. C'était surtout un homme qui gagnait à être connu.

Nous savons aujourd'hui que le dessin de son casque est dû à un ami architecte milanais. Il représente un aigle bicéphale parfaitement symétrique. Les deux têtes forment un  « M » majuscule, M étant la 1re lettre du prénom Mara, comme Mara Lodirio, top-modèle et petit amie officielle d'Ignazio Giunti.

Sa dernière course nous a montré un Giunti extrêmement brillant et combatif. Sa place était très certainement la formule 1, au plus haut niveau. Après l'accident de Lorenzo Bandini, l'Italie perdait encore un grand champion. Les gazettes italiennes, AutoSprint en premier[3], allaient se déchaîner contre Beltoise. Fangio montra toute sa classe, défendant le pilote français en soulignant les failles de l'organisation.

Ce dernier ne revint pas intact de Buenos-Aires. Même s'il s'en était miraculeusement sorti indemne, il fut extrêmement choqué puis cloué littéralement au pilori par sa confrérie. Les pires étant, comme de coutume, la « meute des imbéciles et des hypocrites », ainsi que les désignait si bien José Rosinski. Vous savez, ceux qui ne s'intéressent aux courses automobiles, aux courses en montagne ou même aux vrais exploits sportifs que lorsqu'ils y sentent une odeur de sang, ou de scandale, ou même des deux. Ils sont alors les premiers à dénoncer ces fous, voire ces demi-fous, enfin tous ceux pour qui le progrès est inséparable de la prise de risques, comme l'a si bien écrit Louis Lachenal, à peu de choses près[4].

Jean-Pierre Beltoise a rejoint Ignazio Giunti le 5 janvier 2015. Les voici réunis au paradis des pilotes. Leur histoire suscite une grande émotion, tant les deux ont élevé la passion au sommet de leur échelle de valeurs. Pour cela au moins ils méritent notre respect.

 

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Epilogue

L'épilogue de ce mauvais film, c'est peut-être Arturo Merzario qui l'a le mieux exprimé :

« Jean-Pierre se sentait attaqué de toutes parts, désemparé. Nous en avons parlé autrefois, même s'il a toujours hésité à aborder le sujet. Ils lui ont jeté l’opprobre qu'il ne méritait pas vraiment. À Monza, ils lui ont vraiment jeté la pierre. Il a immédiatement admis qu'il avait fait une bêtise en poussant sa Matra au milieu du circuit. Mais nous tous, je veux dire tout le monde, savions très bien qu'il y avait une règle non écrite qui devait être respectée à tout moment, sous peine de licenciement. Je ne plaisante pas : de licenciement. La règle de base voulait que nous, les pilotes, amenions la voiture aux stands, quitte à la porter sur nos épaules. Cela était vrai pour Matra, ainsi que pour Ferrari, Porsche ou Alfa Romeo. Vous deviez ramener la voiture aux stands, toujours et dans tous les cas, et alors les ingénieurs auraient décidé si et comment vous renvoyer sur la piste. Le comportement de Beltoise n'était donc pas quelque chose de "jamais vu auparavant". Bien sûr, pousser la voiture le long de la piste était interdit par la réglementation, mais les commissaires auraient dû l'arrêter. Et ce faisant, vous pouviez expliquer à votre équipe que vous aviez fait tout ce qui était possible ». 

 

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- Illustrations ©gettyimages, CahierArchive, D.R.

 

Notes et références

  1. Selon les mots de José Rosinski, revue Champion #62.
     
  2. Probablement les mêmes, ou leurs descendants, qui s'en prendront un peu plus tard au pilote franco-suisse Romain Grosjean.
     
  3. Pour ceux de nos lecteurs maitrisant la langue de Dante, en voici un extrait : AUTOSPRINT-71-03
     

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10 janvier 2021 | Lien permanent | Commentaires (15)

Kyalami 1/1/68 : Pas mal, Jimmy...

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Si l'on excepte les deux premières années de rodage, qui s'achevèrent au GP du Mexique sur une éclatante victoire du binôme Clark/Lotus devant les duettistes de chez Brabham (1), l'ère de la formule 1 « 3 litres » n’a en fait réellement débutée que le 1er janvier 1968 en Afrique du Sud, à Kyalami.

Cette course fût l’occasion pour le champion écossais d’affirmer sa suprématie sur la catégorie reine, battant à l’occasion quelques fameux records comme le nombre de victoires, celui des pole positions ou encore le nombre de records du tour.

Pour paraphraser l’article écrit par un grand éditorialiste du Monde deux mois plus tard, on aurait presque pu écrire : « la formule 1 s’ennuie », tant la domination qu’exerçait alors Jimmy sur son art paraissait absolue.

Et pourtant, nous le savons aujourd’hui, l’année soixante-huit fût une année éminemment  « révolutionnaire », où rien ne se déroula vraiment comme prévu.

Eh bien projetons-nous donc un demi-siècle en arrière à proximité de Johannesburg, sur le « Highveld » à 1800 m d'altitude...

 par Francis Rainaut

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Prologue

Contrairement à l’année précédente, toutes les grandes équipes sont là avec leurs pilotes de pointe, l’exception étant Bruce Mc Laren, trop occupé à l’usine par la construction de ses nouvelles monoplaces à moteur Ford-Cosworth. Ken Tyrrell a lui en revanche quelque peu forcé la main à Matra en insistant pour engager la MS9 « laboratoire », qui n’est autre qu’un châssis de MS7 F2 sommairement adapté au moteur 3L, avec des porte-moyeux de MS630 prototype. L’attelage a effectué quelques tours sur le circuit de Montlhéry et a été affrété en l’état, c'est-à-dire châssis paré d’une simple couche d’apprêt, ce qui lui donne cet aspect étrange pour ne pas dire un peu laid. Mais Oncle Ken n’en a cure, il estime que plus tôt le roulage aura lieu, meilleure sera la suite. Deux F2 Matra lestées sont également du voyage, dont une destinée à Beltoise, pour qui c'est l'occasion de parfaire sa connaissance des Grand Prix.

Le team Lotus amène ses deux 49 pour Clark et Hill, dont une toute neuve pour Jimmy, bizarrement appelée MkII.  Repco-Brabham dispose des deux BT 24 championnes du monde, l’ancienne de Hulme étant dévolue à Rindt, transfuge de chez Cooper.

La Scuderia Ferrari se déploie en force, elle a amené trois monoplaces de type 1967, avec un moteur délivrant désormais 408cv à 11.000 tr/mn. Coté pilotes, Amon reçoit le renfort de Ickx et de l'italien de Adamich.

L’écurie B.R.M. n’est pas en reste avec une H16 pour Spence et la nouvelle V12 3L dessinée par Len Terry pour son pilote vedette Pedro Rodriguez. Elle a également embarquée dans ses bagages une ancienne V16 1,5L à compresseur qui tournera en démonstration aux mains de Graham Hill.

L’équipe McLaren ne dispose que de l’ancienne V12 BRM pilotée par le champion du monde Denny Hulme, les équipes Eagle-Weslake et Honda sont là avec leurs monoplaces et pilotes habituels.

 

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Sam Tingle, L.D.S.-Repco team Gunston

 

Enfin, les Cooper-Maserati vieillissantes sont elles aussi présentes, deux officielles aux mains de Scarfiotti et de l'inattendu Brian Redman, plus celle de Rob Walker pilotée par Siffert.

S’ajoutent à ce plateau les monoplaces des « locaux », Brabham BT20 pour le « presque vainqueur » 67 John Love et pour Dave Charlton, L.D.S.-Repco pour Sam Tingle, antiques Cooper et Brabham à moteur Climax pour Basil Van Rooyen et Jackie Pretorius. On notera que la Brabham de Love et la L.D.S. de Tingle sont les premières formules 1 de l’histoire à arborer les couleurs d’un sponsor, qui plus est d’un cigarettier.

 

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 La Matra MS9 aux essais, avant qu'elle ne se fasse refaire le nez

 

28-29-30 décembre 1967 : les essais

Le premier Grand Prix de la saison va commencer le jeudi 28 décembre… 1967. Commencer, enfin avec les seuls  pilotes qui n’ont pas été retardés par le vol de la compagnie B.O.AC., seul opérateur long-courrier sur cette destination.

De Adamich, Surtees et Clark sont les premiers à fouler le tarmac, refait à l'occasion du Grand Prix. L'écossais ne tarde pas à trouver ses marques à bord de sa Lotus toute neuve, en cinq tours il est déjà en 1'27"6.

Et bien qu’il ait effectué le plus grand nombre de tours, à chaque fois il abaisse son temps d’une demi-seconde pour terminer en 1’23’’9. Phénoménal Jimmy !

Tout le monde est bien là le lendemain, la température ambiante grimpe et chacun, excepté Jim, se heurte à des problèmes de vapor lock ou encore de surchauffe moteur. Stewart ira même jusqu’à régler sa Matra F2 au cas où...

Brabham et Rindt tournent aux alentours de 1’25’’, avec l'eau du radiateur en ébullition après chaque tour, Gurney tourne en 1’25’’6, avant que la chaleur n’endommage sa pompe à essence.

Les B.R.M. souffrent, les Ferrari aussi, ne parlons pas des Cooper qui entament leur lente descente aux enfers.

Le dernier jour d'essais le samedi voit la température descendre un tout petit peu. Chacun essaie de trouver des solutions pour rafraîchir les mécaniques, Ferrari ajoute un radiateur latéral, qui ne change pas grand-chose, Matra raccourcit le nez de la MS9 et ajoute un radiateur à l’arrière de la suspension avec un résultat probant. L’équipe Brabham installe ses canalisations d’eau extérieures dans une sorte de tunnel réfrigérant, et gagne ainsi en température, permettant à Rindt et Brabham d’accrocher les 2e et 3e places sur la grille.

Les Lotus dominent leur sujet avec une pole magistrale de Clark en 1’21’’6 devançant son coéquipier d’une seconde pleine. La bonne surprise vient de Stewart qui se place à 1/10e de Hill sur sa Matra « laboratoire ». Il devra cependant composer avec un arrêt ravitaillement, mais une formidable séance d’essais s’offre à l’équipe Matra International.. Notre JPB accroche un très honorable 18e temps avec sa MS7, Charlton est le seul  local à s’immiscer au milieu des pilotes du Circus, au volant de sa L.D.S.-Repco, en réalité une copie de la Brabham .

 

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Chapman, Brabham, Clark

 

Le dimanche est mis à profit par toutes les équipes pour parfaire leur préparation, teams et pilotes n’oublient surtout pas de fêter comme il se doit le « New Year’s Day », le maitre mot est « rafraîchir », cela concerne en premier lieu les mécaniques mais il ne faudrait surtout pas oublier les hommes...

 

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Chapman, Rindt, Hill, Stewart, X

 

Monday, Monday…

Le lundi s’annonce clair et ensoleillé, ce qui signifie que les températures vont encore grimper par rapport aux essais. D’ultimes modifications ont été apportées la veille, le team Eagle ira même jusqu’à réfrigérer son essence, pratique très en avance sur son temps. Petite alerte sur la Lotus du poleman, une fuite d’huile a été découverte lors du warm-up du matin, et les mécanos s’affairent encore sur la grille de départ.

Environ 100.000 spectateurs sont venus assister à la course, les parasols fleurissent un peu partout, la température frôle les 33°C à l’ombre et 54°C sur la piste.

Au baisser du drapeau, dans un nuage de gomme brûlée, Stewart et Rindt jaillissent en tête comme des diables devant Clark. Mais ce dernier repasse tout de suite l’Autrichien dans les Esses. L’ordre au 1er tour est  Stewart suivi de Clark, puis Rindt, Surtees, Brabham, Amon et enfin Hill auteur d’un départ calamiteux. Pour son premier GP de formule 1, la Matra s’est permis de boucler un tour en tête, une situation qui ne se reproduira qu’en 1977 avec  la Wolf de Jody Scheckter en Argentine.

 

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Duel d'Ecossais

Clark attaque Stewart sans répit, au 2nd tour il parvient à ses fins et tente tout de suite de prendre le large. Derrière, Hill entame sa remontée, il est revenu à hauteur des deux Brabham, emmenées par un Rindt qui effectue une prestation magnifique pour ses débuts dans sa nouvelle écurie. 

Clark enchaîne ensuite record du tour sur record du tour, il est dans une autre galaxie, un succès à Kyalami lui permettrait de battre le record de victoires de Fangio et aussi de prendre le large au championnat. Derrière, c’est plus confus, Scarfiotti s'est brûlé au bras en sortant de la route sur une tâche d’huile, Brabham a cassé son moteur, les Cooper et les B.R.M. font ce qu’elles peuvent, c'est-à-dire pas grand chose, au 17e tour s’en est fini de leurs espoirs.

Au 20e tour le grand Jimmy a creusé un écart immense de 17 secondes sur la Matra, elle-même talonnée par Hill toujours excellent finisseur.

 

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Beltoise est maintenant 11e, il effectue une course de  toute beauté, démontrant par là qu'il avait mérité sa place chez les grands. Il parviendra même à décrocher l'ultime point en lice, déclenchant chez les supporters français les espoirs les plus fous. Une curiosité, en observant bien les photos, il semble bien que sa Matra F2 ait été montée en pneus GoodYear.

Devant on assiste à la bataille entre les ex-équipiers de chez B.R.M., Stewart est plus rapide dans les virages serrés mais Hill reprend l'avantage dans les courbes rapides. Graham finira par prendre le dessus. Pour l'anecdote, le grand Surtees a du effectuer un arrêt au stand pour effectuer un changement de... lunettes !

A mi-course, les deux Ferrari d'Amon et Ickx ont réussi à revenir derrière Rindt, désormais 4e, mais leur prestation n'a rien de transcendant, la 312 du pilote néo-zélandais se révélant excessivement gourmande en carburant, ce qui lui occasionnera un arrêt ravitaillement, évènement rare à cette époque.

 

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Oh, Jim…

Le 44e tour sonnera le glas des espoirs de la Matra V8, trahie par un ressort de soupapes de son Cosworth, avec les conséquences que l’on imagine, à savoir un trou dans le piston. Qu’importe, la prestation a été époustouflante, on pense alors qu’un écossais peut en cacher un autre, et que l’ami Jackie promet  pour la saison d’être un animateur de premier ordre sur sa « French Matra » engagée par  Oncle Ken. Mais quand même pas au point de menacer réellement son compatriote, qui a littéralement « cannibalisé » la course, réussissant  avec une apparente facilité le « hat-trick » parfait. L’écossais rejoint le podium sans fatigue apparente, la couronne de lauriers lui est passée autour des épaules, qui à l’avenir pourra bien battre ce grand champion d’à peine trente-et-un ans ?

 

jim clark,lotus 49,matra f1

 

Epilogue

Cette course symbolisa la fin d’une époque. Avant même que ne débute le Grand Prix suivant, Jim Clark, mais aussi Mike Spence allaient se tuer (2), la Lotus 49 serait repeinte aux couleurs d’un grand cigarettier, et bientôt toutes les monoplaces allaient être affublées d’ailerons divers et variés : on se préoccupait désormais davantage des forces d’appui permettant de « coller » les véhicules au sol, et gagner ainsi de la vitesse dans les courbes. Et dès le GP de Grande-Bretagne, Dan Gurney qui avait collaboré avec la firme américaine Bell inaugura le port du casque intégral en formule 1.

Débuta aussi lors de cette épreuve la domination presque absolue du Cosworth V8-DFV sur la formule 1, puisqu’il allait motoriser pas moins de douze champions du monde dans les quinze années qui suivirent la course de Kyalami.

Et comme le chantait très justement ce vieux Bob Dylan :

... For the times they are a-changin'

 Mais ce n'est pas cela qui allait nous rendre Jimmy.

 

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- (1) Jimmy ayant à cette occasion effectué toute la course sans embrayage

- (2) Ludovico Scarfiotti devait, lui, perdre la vie lors d'une course de côte la veille du GP de Belgique 1968

 

  - Photo 5 & 6 ©Photographic/REX/Shutterstock

  - Autres photos ©D.R.

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01 janvier 2018 | Lien permanent | Commentaires (5)

Len Bailey : Style is not enough

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A la lecture d’un bel article sur un site ami, j’ai été intrigué par deux caractéristiques singulières attachées aux créations de Léonard « Len » Bailey, ingénieur anglais ayant longtemps œuvré chez Ford.

Tout d’abord, l’élégance incontestable qui caractérise la presque totalité des voitures qu’il a dessinées.

Ensuite, et en définitive, le peu de réussite qu’elles ont connues sur les circuits, ceci pour des raisons diverses que nous tenterons ici de comprendre.

Francis Rainaut

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Le Mans 1967. ©R.W. Schlegelmilch

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Ford GT40, Mirage M1

Tout allait commencer par un mystère… Pas exactement un mystère, plutôt un mirage, et même une Mirage, la M1. Une sorte de GT40 sublimée. Mais qui avait bien pu imaginer une telle radicalisation de la Ford ?

Len Bailey, puisque c'est de l'ingénieur anglais dont il s'agit, avait déjà travaillé pour Ford aux Etats-Unis, notamment sur le programme Mustang I mais aussi sur celui des premières GT40.

Mais revenons au printemps 1967. John Wyer a racheté une étude d'évolution de la GT40 signée Bailey et avec l'aide de la Gulf Oil Company sort cette Mirage M1. Laquelle n’allait courir qu’une seule saison, du moins sous cet aspect, avec quelques victoires à la clef, entre autres aux 1000 km de Spa et aux 1000 km de Paris. L'année suivante, pour des histoires de règlement, elle allait être déguisée en « authentique » Ford GT40. L'histoire débute plutôt bien.


 

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Mario Andretti, Honker II. Bridgehampton 1967

 

Honker II Canam

La même année, Len Bailey travaille sur une autre production d’origine Ford, la Honker II Canam. Mario Andretti qualifiera plus tard la voiture mauve de « pire auto qu’il ait jamais conduite ». Il est vrai que cette Honker engagée par Holman et Moody ne brille ni par sa tenue de route, ni par ses performances. Il ne lui reste que son style de limande assez prononcé, qui ne plait pas forcément à tout le monde. Au final, ça n’était donc pas ce que l'on peut appeler une réussite.

 

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Ford F3L P68 et P69

Arrive 1968. Les Sports-prototypes sont limitées à 3L, les Sports à 5 litres. L’écurie Alan Mann Racing, qui engage traditionnellement des Ford, demande à Len Bailey de lui dessiner un prototype qui sera motorisé par un Ford Cosworth 3L. Et l’ingénieur britannique, qui ne s’appelle pas Léonard pour rien, de produire son chef d’œuvre, du moins sur le plan esthétique.

La Ford P68 rappelle inévitablement la Honker. Elle semble cependant offrir un meilleur potentiel, mais reste plutôt imprévisible, au point qu'un John Surtees et même un Jack Brabham refusent de la conduire. Son baptême de feu a lieu à Brands Hatch, où McLaren et Hulme la hissent en seconde place sur la grille. Mais en course, une transmission défaillante aura raison de la belle rouge & or.

Changement de pilotes pour le Nürburgring. Frank Gardner et Dick Attwood qualifient leur P68 en 5e position. Mais l’espoir Chris Irwin, au volant de l’autre Ford P68, subira un très violent crash à Flugplatz aux essais. Victime d’une commotion cérébrale, il ne s’en remettra jamais tout-à-fait. Sa carrière de pilote, brillante jusqu’à ce jour, s’arrêtera net. Il avait pour équipier Pedro Rodriguez, autre future victime d’un circuit allemand. Les pontes de la Fo.Mo.Co parlèrent bien d'un lièvre ayant traversé la piste, mais cette fable reste difficile à avaler. La P68 était notoirement instable, c'est une certitude.

 

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La P68 courra encore en 1969, ainsi que sa descendante la P69, sans beaucoup de succès, ni pour l’une, ni pour l’autre. On retiendra surtout la ligne époustouflante de la première.

 

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Open Sports Ford

Qu’importe le flacon… la Honker II fut un bide, Alan Mann et son acolyte Bailey vont remettre ça en 1969 avec l’Open Sports Ford Canam. Une fois encore, cette Groupe 7 porte la patte de l'ingénieur britannique, elle est donc « forcément » élégante. Elle utilise en outre beaucoup d’éléments provenant de la P68, notamment la suspension. Sur piste elle se comporte beaucoup mieux que la Honker, et accroche au moins un podium au Texas International Speedway aux mains de Jack Brabham, l’année où les McLaren boys vont truster les victoires, toutes les victoires.

 

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Lonestar « Cobra III », Ford GT70

Ouvrons une parenthèse pour signaler le travail effectué par Len Bailey en 69 sur ce qui allait rester un prototype mort-né, celui de la Cobra III, une sorte de GT40 civilisée. Impossible de ne pas y reconnaître ce style tout en rondeurs, inimitable...

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Autre dessin signé Bailey, celui de la Ford GT70. Conscient des limites de son Escort en rallye, Ford commande à « Léonard » une étude de voiture à moteur central arrière visant à contrer les Alpine, Porsche et autres Lancia sur le terrain des rallyes. Mal motorisée, la Ford GT70 ne concrétisera jamais les espoirs placés en elle. Reste un dessin et une architecture qui, aujourd’hui encore, sont très loin d’être dépassés. Un beau gâchis en définitive !

 

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Mildren-Alfa Romeo 2,5L

Venons-en au monoplaces.

Alec Mildren, patron du « Alec Mildren Racing », est aussi concessionnaire Alfa Romeo à Sidney. Il est donc tout naturel qu’il cherche à équiper ses monoplaces du V8 transalpin.

Pour la série Tasman 1969, Mildren fait appel à Alan Mann pour qu’il lui fournisse un châssis original, après avoir utilisé une Brabham BT23. C’est donc tout naturellement Len Bailey qui est en charge du projet et dessine une monoplace originale et – ça en deviendrait presque un pléonasme -, plutôt élégante.

La monoplace australienne fera plutôt bonne figure lors des séries 1969 et 1970 aux mains - rugueuses - de pilotes tels que Frank Gardner ou Kevin Bartlett. Et « bien entendu » elle a du style.

 

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Politoys FX3, Iso-Rivolta FX3B

Qui se souvient des débuts de Frank Williams en tant que constructeur ? Ne nous méprenons pas, elles ne s'appellent pas encore Williams, Frank a trop besoin de sous,... mais ce sont bien des Williams.

Le dessin est presque... conventionnel. Un petit peu de Tyrrell, un zeste de BRM, plus un cockpit de March 711 ça nous fait une Williams, pardon une Politoys. Pescarolo qui a la lourde tâche de la faire débuter à Brands Hatch en 1972 n'en garde probablement pas un excellent souvenir, la nouveauté étant victime d'une rupture de suspension au 7e tour après des ennuis de moteur aux essais.

Chris Amon lui-même la conduira un peu plus tard au John Player Challenge Trophy(1), sans beaucoup plus de succès. Elle évoluera – au gré des sponsors – en Iso FX3B l’année suivante avec une géométrie de suspension revue mais guère plus de réussite, d’ores et déjà condamnée par la nouvelle réglementation. Frank le « dealer » n’a probablement pas encore les moyens de ses ambitions.

(1) Épreuve hors-championnat remportée par Jean-Pierre Beltoise sur BRM P180

 

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Magnum 813 F3

On clôturera le chapitre monoplaces en évoquant une F3 qui avait été dessinée au départ comme F1 pour l'écurie Theodore. Nous sommes alors en 1981. A défaut de briller sur la piste, la Magnum F3 a pour elle un dessin résolument moderne et un museau très fin autorisant une surface maximale pour les ailerons avant. Elle n'a cependant pas laissé une trace indélébile dans l'histoire de la formule 3.

 

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Mirage M6-V8, Mirage M6-V12

Revenons à nos Mirage. Après les Mirage M2 et M3 plutôt disgraciées dont le dessin est dû à un autre Len, Terry celui-là, Wyer fait à nouveau appel à Bailey en 1972 pour un nouveau prototype 3 litre, la Mirage M6. La M6 est mue à l’origine par le sempiternel Ford-Cosworth V8, mais la firme américaine possède une 2e corde à son arc. Pensant l’ère des V8 toucher à sa fin, elle rachète à Weslake le dessin de son V12, et croit très fort en son avenir. Pour les 24 heures du Mans, l’épreuve phare de la saison, la M6-V8 ouverte se mue en M6-V12 fermée, et nous allons voir ce que nous allons voir…

En fait, pschitt, puis rien du tout. Outre sa mauvaise volonté tenace à vouloir démarrer, le beau proto tourne désespérément à 16 secondes des temps de la « vieille » M6-V8 ! On lui accordera cependant un 1er prix au concours d’élégance, lui qui n'est pas sans évoquer son aïeule la Ford P68...

 

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Et l'autre M6, la M6-V8 me direz-vous ? Spa-Francorchamps porte chance aux Mirage, la M6 y triomphe aux 1000 km en 1973. C'est une voiture bien née, qui aura une nombreuse descendance, à commencer par les Gulf GR7 et GR8.

Viendront ensuite les Mirage M8, M9 et M10, la seconde étant motorisée par le V6 Renault 1,6 litre turbo-compressé.

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Ford C100

On avait commencé avec Ford, on continue avec Ford. Et la Ford Motor Company continue bien sûr à faire confiance à ce « vieux » Leonard pour lui dessiner une belle auto, la Ford C100.

1981. La C100 va vite, très vite. Manfred Winkelhock et Klaus Ludwig la placent en pole dès sa 1e course à Brands Hatch. En course, des problèmes de boîte l'empêcheront de conclure. Ça ne vous rappelle rien ? Souvenez-vous de l'épopée de la Ford P68, le jour de la disparition du grand Jimmy.

Mais l'histoire d'amour entre Ford et Len Bailey est bel et bien finie. Il est proprement viré pour être remplacé par Tony Southgate qui n'est pas avare de critiques au sujet de la Ford C100.

 

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Emka C83/1, Wish you were here...

Il était une fois un groupe anglais de « progressive rock », tendance psychédélique, appelé Pink Floyd. Plusieurs membres du groupe, dont le manager Steve O'Rourke, sont mordus de sport automobile. Steve O'Rourke pilotera souvent en course, notamment aux 24H du Mans, de même que le batteur Nick Mason.

Il fonde alors son écurie EMKA, du nom de ses filles Emma et Katheryne. Pour 1983, il demande alors à l'ami Léonard de lui dessiner un Proto, lequel sera propulsé par un 5,3 litres Aston Martin.

Et alors Bailey fait du Bailey, à savoir un joli proto  qui ne marche pas trop mal. Le Mans calmera les ardeurs, la belle anglaise se qualifie en 25e position pour finir à la 17e place. Mais l'important n'est-il pas de participer ?

 

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Emka 84/1, la fin de l'histoire

Pour 1985, place à l'Emka 84/1, à effet de sol. Ce Proto n'aura pas laissé une trace indélébile dans l'histoire de la course automobile, mais il nous permet de terminer sur une note sympathique, tout comme l'était cette écurie EMKA.

 

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N. Mason, R. Wright, S. O'Rourke, D. Gilmour, R. Waters

 

Léonard « Len » Bailey s'est éteint en 1997. Il nous a laissé de forts beaux dessins, tout comme le grand Leonard de Vinci. Il ne m'est pas possible de ne pas sentir une émotion particulière lorsque je vois ses créations, notamment la Ford P68, exposée à un récent Rétromobile, elle qui pourrait concourir au titre de plus beau Proto en concurrence avec la Ferrari P4 ou autre Ford GT40. 

Mais probablement pas la Toyota TS050 Hybrid...

Steve O'Rourke, quant à lui, est parti en 2003.

 

- Illustrations ©D.R. 

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21 juillet 2020 | Lien permanent | Commentaires (5)

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