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29 août 2017

Le talent d'Achille

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Je me rappelle cette vieille histoire au sujet d’un copain motard tout juste sorti de l’hôpital après un grave accident. Il avait assez bien récupéré, et savait la chance qu’il avait d’être toujours en vie, mais pendant un certain temps la douleur avait été si intense qu’on lui avait administré de la morphine.

« Si cela devait se reproduire, » racontait-il, « j’essaierais de m’en sortir sans ce truc. La douleur n’était rien comparativement à l’état de manque dans lequel je me suis retrouvé lorsqu'ils ont arrêté la morphine. Les anglais ont un nom pour qualifier cet état, ils l’appellent je crois, “cold turkey”. Et pendant tout ce temps tu sais pertinemment qu’il te suffit d’un seul shoot pour te sentir bien, au moins pour un moment… » Voilà qui nous amène tout naturellement à parler d'Achille Varzi.

 

par Francis Rainaut,

adapté d'un texte de Nigel Roebuck, MotorSport


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Le bouillant Achille

  « L'homme d'exception, dira Enzo Ferrari au début des années ’30, était Nuvolari, mais il trouva sur son chemin un digne adversaire en la personne de Varzi, qui le surpassait pas son style propre, pour tout dire parfait… »

  Sur le plan du caractère, les deux hommes auraient difficilement être plus différents. Là où Nuvolari représentait un simple héros du peuple, son rival était un être de mystère, peu communicatif et distant. Ils provoquaient tellement de passion chez leurs compatriotes que les fans italiens se séparèrent  entre les « Nuvolariani » et les « Varziani ».

  Sur la piste ils n’avaient comme seul point commun que la vitesse. Nuvolari était le grand improvisateur, comptant sur son intuition et ses réflexes, un homme émotif que l’on a souvent vu frapper le flanc du cockpit de ses voitures, pas toujours les plus compétitives. Par contraste, Varzi était un homme plutôt froid, aux trajectoires pures, l’artiste classique, implacable dans la poursuite, provoquant des erreurs chez ses adversaires, lui-même n’en commettant aucune.

  « Son style, » du point de vue de Ferrari, « reflétait sa personnalité : intelligent, calculateur, féroce dans l’art d’exploiter les faiblesses de ses adversaires. J'ai dit un jour qu’il était impitoyable. » Le grand Caracciola l’exprimait simplement comme ça : « Lorsque vous aperceviez Varzi derrière vous, vous pouviez trembler… »

 

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  Né dans une riche famille milanaise, Varzi débarqua dans le monde de la course automobile sans trop d’efforts. Après une brillante carrière en course motocycliste, il acheta simplement une Alfa Romeo P2 à titre privé en 1928, ce qui lui procura un volant d’usine – et de nombreuses victoires en Grand Prix – pour les deux années suivantes.

  Pour 1931, alors que Nuvolari continuait avec Alfa, Varzi partit chez Bugatti, une décision aux allures de trahison pour de nombreux italiens, réaction qui le laissa complètement indifférent. La seule exigence d’Achille concernant sa voiture était sa compétitivité, et à ses yeux la française était l’une des meilleures. Après trois saisons victorieuses il retourna chez Alfa Romeo, un choix à nouveau purement pragmatique.

 

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Coppa Ciano 1930. Tazio Nuvolari, Achille Varzi

 

  Ce furent les grandes années de sa rivalité avec Nuvolari, du pain béni pour les journalistes. Tazio était la personnification de l’héroïsme extraverti, le véritable italien qui parle avec les mains et adore les enfants. Achille, en revanche, était plutôt sec et distant, apparemment irrésistible auprès des femmes. Toujours à la pointe de l’élégance, ne fréquentant que les meilleurs hôtels, n’embrassant pas les bambins. Comme beaucoup d’autres pilotes de course, il vivait pour lui-même, mais ce que beaucoup trouvaient impardonnable, c’est qu’il ne faisait rien pour s'en cacher.

  En dépit de  leurs différences de caractère, les deux hommes  s’entendaient bien, et éprouvaient un profond respect mutuel. Effectivement, dès lors que Nuvolari n’étaient pas dans les parages pour l’entendre, Varzi le désignait invariablement comme le « Maestro ».

  Un jour quelqu’un proposa une confrontation sur une course, une tentative en quelque sorte de régler la question de supériorité une bonne fois pour toutes. « Si je perds, » dit Nuvolari, «  je ne pourrais plus jamais être en paix. Et si tu perds, je me sentirais désolé pour toi. Quoiqu’il arrive, cela risque fort d’entacher notre amitié. Si tu le souhaites, nous le ferons, mais je ne pense pas que cela en vaille la peine. » Ils se serrèrent la main, et le sujet ne fut plus jamais évoqué.

 

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GP Monaco 1933

 

Run Run Run

  Lors des Mille Miles 1930 – à l’époque une épreuve de plus de 16 heures, se terminant dans la pénombre – ils se livrèrent la bataille attendue, aucune autre voiture se trouvant à moins d’une heure de leurs Alfas. Dans la phase finale, Varzi commença à croire que l’affaire était perdue, à l'instant où il reconnut dans ses rétroviseurs le modèle de phares de l’auto de Nuvolari - et Tazio était en avance au temps de dix minutes -. Peu après, cependant, il se remit à espérer, car les phares derrières avaient disparu. Nuvolari était-il sorti ?

  Mais ça n’était pas le cas. A environ 30 miles de l’arrivée, Varzi fut soudain « réveillé » par des flashs de lumière et le son d’un avertisseur. Nuvolari était resté pendant des miles tapi derrière lui, tous feux éteints. S'il ne pouvait y avoir aucune saveur dans la défaite, Varzi pouvait par contre se consoler en partie avec le compliment implicite qui lui avait été fait : il faut en effet beaucoup de confiance pour se reposer entièrement sur quelqu’un d’autre, afin qu’il vous guide la nuit à travers les montagnes.

 

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GP France 1934. Varzi, Chiron & Guy Moll - Scuderia Ferrari

 

  En 1934, toujours sur Alfa, ce fut Varzi premier et Nuvolari second, mais les victoires en Grand Prix devinrent plus difficiles, et chacun savait que l’ère de la domination germanique venait de commencer. Tandis que Tazio s’engageait finalement dans la Scuderia Ferrari, équipe disposant d’Alfa Romeo pour 1935, Achille accepta une offre d’Auto Union. Et fut cette décision, apparemment si logique et réfléchie, qui en définitive aboutit au chaos dans sa vie.

  Cela démarra pourtant bien. Avec tout le talent qui était le sien, Varzi s’adapta sans problème à la puissance et au maniement capricieux de ces monoplaces à moteur arrière, et fut victorieux à Tunis et à Pescara. De l’avis général , il était au sommet de son art.

  Plus tôt en 1935, cependant, lors de tests effectués à Monza, Achille avait rencontré Ilse, la femme de Paul Pietsch, le jeune pilote de réserve d’Auto Union. Leur liaison débuta presque immédiatement, et rapidement  ils devinrent inséparables.

 

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Femme Fatale

  Varzi resta chez Auto Union pour 1936, avec comme coéquipiers Hans Stuck et le météore Bernd Rosemeyer, et tout se passa très bien jusqu’à Tripoli.

  Tripoli, c’était le circuit favori  d’Achille, un tracé rapide et exigeant, où la précision était primordiale. Il avait déjà remporté cette course à deux reprises, et désormais il comptait un troisième succès, deux longueurs devant Stuck, qu’il avait dépassé dans le dernier rush vers la ligne d’arrivée. Il avait bouclé le dernier tour à près de 230 km/h de moyenne, et était après coup un homme heureux, ce jusqu’au banquet du soir, au cours duquel le Gouverneur de Tripoli leva son verre et proposa un toast au vainqueur… Hans Stuck !

  Il y eut un silence atroce. Après tout, c’était Varzi qui avait remporté la course, et non Stuck. Pourtant le Gouverneur n’n démordit pas : Varzi pouvait bien avoir terminé premier, le réel vainqueur était Stuck...

 

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  Et peu à peu la vérité émergea. On était l’époque de l’axe Rome-Berlin, et le Général von Ribbentrop avait décidé que, dans la mesure du possible, les pilotes italiens devaient remporter les courses italiennes, à condition qu’ils soient au volant de bolides germaniques, bien entendu. Dans les derniers moments de la course, Stuck avait été ralenti par son stand, permettant ainsi à Varzi de le passer. En bref, la course avait été une démonstration politique. Une épreuve truquée.

  Varzi n’avait rien su de tout cela, il pensait avoir gagné sur son mérite. Son honneur publiquement mis en cause, il quitta la salle. L’esprit troublé, il ne parvenait pas à trouver le sommeil, jusqu’au moment où Ilse lui tendit une seringue. Ils étaient ensemble depuis un an, mais c’était la première fois qu’il était mis en face de son addiction qui avait commencé - dit-elle - à l’hôpital, suite à une opération mineure. N’arrivant toujours pas à trouver le sommeil, Achille tendit alors son bras vers la seringue.

 

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White Light/White Heat

  Se serait-il agi de quelqu’un de négligé, de volubile ou d’indiscipliné, le changement qui s’opérait sur Varzi aurait à peine été perceptible. Mais sur un homme tel que lui, la transformation commença à devenir visible.

  Son pilotage aussi avait changé. Ce week-end là, il subit le premier accident sérieux de sa carrière, l’Auto Union sortant de la route à très haute vitesse, mais il s'en sortit en quelque sorte sans dégâts, trop choqué de prime abord pour pouvoir ne serait-ce que tenir son omniprésente cigarette.

  Suivirent deux courses complètement anonymes, puis Varzi disparut de la circulation. Ses parents eux-mêmes ne savaient pas où il était, mais le management d’Auto Union finit par le retrouver dans une villa à Rome où il s’abreuvait - ainsi que le découvrit le docteur de l’équipe – de champagne, de café et de cigarettes. Il se trouvait à présent sous l’emprise totale de la morphine et avait complètement déconnecté de la réalité. Il avait à 32 ans l’apparence d’un vieil homme. Et c’est sans surprise aucune qu’Auto Union se prononça contre le renouvellement de son contrat pour 1937.

 

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Ilse Pietsch

 

  On n’eut plus aucune nouvelle de Varzi tout au long de la saison. Il se terrait désormais dans un hôtel à Milan, sans amis et sans aucuns soins. Seule Ilse était restée, mais leur relation était pratiquement terminée, et en définitive Achille y mit fin.

  Au Grand Prix de San Remo, cependant, il courut sur sa propre Maserati, et gagna face à une opposition insignifiante. Son enthousiasme à nouveau ravivé, il s’entraina alors en vue du Grand Prix d’Italie à Livourne, suppliant Auto Union de lui accorder une ultime chance. Il avait suivi un traitement, disait-il, et était désintoxiqué. Il reçut le soutien de Rosemeyer, et Varzi fut repris à l’essai pour les trois dernières courses de la saison.

  Lors des essais à Livourne, ce fut comme si rien ne s’était passé : au volant de l’Auto Union, il ne fut battu que par la Mercedes de Caracciola. La course, par contre, fut une autre histoire. Si le génie restait le même, sa résistance, elle, s’en était allée : dès la mi-course il rejoignit les stands, épuisé et dégoulinant de sueur. Ce fut donc sans surprise qu’Auto Union lui annonça qu’il n’avait pas besoin de se déranger pour tourner à Donington.

  Tout au début de l’année suivante, Rosemeyer se tua dans une tentative de record de vitesse, et en conséquence Auto Union avait désespérément besoin d’un pilote de premier plan. A nouveau ils pensèrent brièvement à Varzi, mais ça n’était raisonnablement pas possible ; il s’était remis avec Ilse, irrémédiablement perdue dans le piège de la morphine, et ce fut, ironiquement, vers Nuvolari qu’Auto Union se tourna.

 

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It's all over now

  Varzi disparut des circuits durant les années 1938-39, mais fut de retour après-guerre lorsque les courses reprirent, membre à nouveau de l’équipe Alfa Romeo. Que dire d’autre, sinon qu’il était redevenu lui-même, libéré de son addiction après de longs mois à domicile, et était désormais marié à une femme qu’il avait connue avant ses folles années de tribulation. Avec le grand Jean-Pierre Wimille comme coéquipier, Alfa domina les premières années de l’après-guerre.

 

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  Le premier Grand Prix de l’année 1948 était celui de Suisse à Bremgarten. Le début de soirée commençait à peine au moment où Varzi prit la piste pour la première journée d’essais. Le temps était humide et sombre, la piste grasse et glissante. Alors que Louis Chiron le suivait, l’Alfa partit en glissade au milieu du S  rapide de la Jordenrampe, heurta ensuite une barrière en bois pour enfin se retourner, éjectant Varzi sur la piste.

  Chiron s’arrêta immédiatement, mais il n’y avait plus rien à faire. Varzi, qui portait comme à son habitude un serre-tête en lin (1), avait été tué instantanément (2). Norma Varzi réagit avec un courage remarquable, en insistant sur le fait qu’elle ne souhaitait pas qu’Alfa Romeo se retire de la course : au contraire, l’équipe devait honorer le nom de Varzi en remportant la course pour l’Italie. Et le dimanche, ce fût la voiture de Felice Trossi qui triompha comme prévu.

 

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  Personne n’eut  plus de chagrin que Fangio, alors totalement inconnu en dehors des frontières de l’Amérique du Sud.  Fangio avait rencontré Varzi en Argentine, où Achille avait gagné, et ils étaient devenus amis. Le pays avait tellement fasciné Varzi qu’il parlait se s’y retirer pour y ouvrir une école de pilotage. Et quand Juan Manuel vint en Europe un an après, son équipe, basée à Galliate, courut sous le nom de Squadra Achille Varzi.

 

(1)   Ce qui était somme toute assez naturel de la part de quelqu’un issu d’une famille d’industriels du textile.

(2)   Suite à l'accident fatal du champion italien, la FIA imposa dans la foulée l'obligation du port du casque pour tous les pilotes.

 


 

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Commentaires

La course automobile est avant tout un spectacle. Mais que retiennent les spectateurs ? La vitesse, le vacarme, les couleurs, les voitures financièrement inabordables, les pilotes, sorte d’idoles modernes, dont certains génèrent un culte quasi-religieux. Derrière cette façade, il y a une arrière boutique faite des aléas de la vie, des compromis, et des arrangements plus ou moins puants. Amateurs de paradis artificiels, alcooliques, psychopathes divers et variés ont revêtu le costume de l’idole des circuits. Voici une bien belle note qui raconte une histoire parmi toutes ces histoires…………………

Écrit par : Raymond Jacques | 29 août 2017

j'ai entendu parler de ce pilote , mais sans plus .
ce document est magnifique .
merci à vous .

Adrien

Écrit par : Adrien Legros | 29 août 2017

Je pense, cher Francis que lorsque vous évoquez le GP d'Italie 1937 qui se serait disputé à Leghorn, vous vouliez dire Livorno ( Livourne).

Écrit par : Orjebin Jean-Paul | 11 février 2021

Mio Gianpaolo,
Sono rosso dalla confusione trasuire,
io sono tuo amico.
Francesco

Écrit par : Francis | 11 février 2021

Grazie mille Francesco

Écrit par : Orjebin Jean-Paul | 12 février 2021

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