19 octobre 2024
Peter Briggs : l'homme qui fabriquait les champions (Part 1)
Tout est parti d’un double malentendu. Mélangeant un peu mes photos de course des sixties, j’avais interverti les Lotus F2 de Rindt et de Hill - amenées sur la pit-lane de Reims par leurs mécanos - au moment de les faire signer par Jochen et par Graham.
Quelques décennies plus tard, j’ai cru reconnaitre Peter Briggs au volant de la Lotus #2.
Peter Briggs m’a alors gentiment corrigé, précisant qu’il s’agissait plutôt de Terry Day. J’ai alors cherché qui était Peter Briggs, et il ne m’a pas fallu très longtemps pour tomber sur un article de « Motorsport News » que je me suis efforcé d’adapter en français.
Les anecdotes de Peter nous replongent dans cette formidable époque, avant que les computers n'occupent la presque totalité des stands...
Francis Rainaut
« ... La liste des champions de course automobile avec laquelle Peter Briggs a travaillé est l'une des plus impressionnantes de ce sport. De Jochen Rindt, Graham Hill et John Surtees à Niki Lauda, James Hunt et Alan Jones, Briggs a côtoyé le monde de la course automobile à des époques très différentes.
Après avoir débuté en tant qu’apprenti mécanicien puis avoir été le grouillot de l'équipe March à l'orée des années 70, le patron de l'équipe basé dans le Kent a ensuite dirigé sa propre équipe de monoplaces avec succès et remporté le titre de champion britannique de Formule 3 en 1995.
Briggs a été un pilier de l'équipe Surtees tout au long des années 1970 avant qu'un coup de téléphone fortuit (ou deux) ne le conduise à voler de ses propres ailes au début des années 1990 avec Edenbridge Racing, une équipe qui s'est finalement retrouvée dans le British Touring Car Championship.
Il a maintenant pris du recul après avoir joué un rôle actif dans le sport automobile, mais il le suit toujours dans les moindres détails - comme on peut s'y attendre pour un homme avec une histoire aussi colorée que variée dans tout ce qui tourne à essence.
Ici, il passe en revue certains des moments forts de cinq décennies à l'avant-garde du sport, et c'est une histoire fascinante.
Roy Winkelmann, Pete Kerr, Terry Day, Alan Rees, Alan McCall & Peter Briggs
James Hilton (e-mail) : Qu'est-ce qui a suscité chez vous l'intérêt pour la course automobile quand vous étiez enfant ? Où cela a-t-il commencé ?
Peter Briggs : Mon père tenait une grande blanchisserie à Slough, et derrière elle il y avait un concessionnaire Ford. Je ne savais pas vraiment quoi faire de ma vie, alors j'y suis allé en tant qu'apprenti. Je n'étais pas un très bon mécanicien mais j'étais bien. Après environ un an là-bas, ils m'ont transféré au service de la réception.
Mon frère avait converti des voitures blindées pour un gars qui s'appelait Roy Winkelmann(1), ils se connaissaient depuis l'école. L'entreprise a été créée en Amérique, elle est venue en Angleterre et le travail de mon frère était de remorquer les camions. Roy a ensuite acheté une Lola de Formule Junior pour courir et j'avais l'habitude d'aller avec mon frère le voir tourner.
Donc, quand je travaillais dans le garage Ford, Winkelmann Racing courait aussi et j'ai appris à bien les connaître. En fait, ma petite amie avait aussi commencé à travailler chez Winkelmann, sous la direction d'Alan Rees. Ils avaient alors décidé qu'ils voulaient une personne supplémentaire dans l'équipe. À l'époque, même si des pilotes de Formule 1 comme Jochen Rindt courraient sur des monoplaces de Formule 2, il n'y avait qu'un seul mécanicien sur la voiture. Ils gagnaient tout et il y avait deux autres mécaniciens quand je suis arrivé.
Quand j'ai commencé en 1968, nous alignions Alan Rees et Jochen Rindt sur les Brabham BT23C de Formule 2. J'aidais, je m'occupais de toute la paperasse et je portais toutes les pièces de rechange Brabham pour les autres équipes. J'étais responsable du remplissage de carburant dans les voitures : c'était un boulot de chien.
Cela a continué en 1969, alors nous utilisions les voitures Lotus d'usine en tant que telles, même si elles n'étaient pas particulièrement bonnes. Nous avons beaucoup couru avec Rindt et Graham Hill, et nous avions John Miles dans la voiture et d'autres pilotes aussi. Alan Rees avait arrêté de conduire à ce moment-là et s'impliquait de plus en plus dans la gestion.
Mais ce qui s'est passé en arrière-plan, c'est que March Engineering avait été formé et que j'ai rejoint l'équipe en septembre de la même année – j'étais l'un des premiers employés et nous n'étions que six environ. La plupart des gens venaient de Winkelmann Racing, ce qui a vraiment signé la fin de cette affaire. »
Motorsport News : Qu'est-ce que ça fait d'être en bas de l’échelle chez March ?
PB : Ce fut la période la plus excitante de ma vie. Au départ, nous avons construit la 693, une voiture de Formule 3. C'était le premier projet, il a en fait été construit dans le jardin arrière de Graham Coaker (pilote amateur et ingénieur). Je ne me souviens pas dans quel sens c’était monté, mais il utilisait des montants Brabham à l'avant et des montants Lotus à l'arrière, ou quelque chose comme ça. Je leur ai fourni le matériel Lotus parce que nous nous occupions des pièces de rechange chez Winkelmann.
MN : March était une équipe assez ambitieuse dès le départ, n'est-ce pas ?
PB : Eh bien, nous avons tout fait ! Formule 1, Formule 2, Formule 3, Formule Ford et Can-Am. Nous allions là où se trouvait le marché, vraiment. Mon travail, étant la dernière personne à franchir la porte, était de conduire la camionnette. J'allais dans toute l'Angleterre, je faisais un moulage ici et là, j'allais à l'atelier d'usinage, je collectais des rose joints(*). Dès que la personne suivante était embauchée, elle récupérait le job, à mon grand soulagement. J'avais fait trop d’heures absurdes.
March avait une usine sur Murdoch Road à Bicester, ensuite je me rappelle avoir trouvé une seconde unité juste en haut de la route et je me suis alors précipité pour approvisionner ce nouvel endroit avec de tout, des rouleaux de papier toilette de toutes sortes. Ensuite, nous avons eu une troisième unité et tout recommençait. Le nombre de personnes que nous employions augmentait chaque semaine. Il le fallait : nous avons commencé en septembre, mais en janvier, nous avions un tas de voitures sur la grille de départ en l'Afrique du Sud pour le Grand Prix. Nous faisions tellement de courses dans tellement de formules.
Cette année-là, en 1970, ils m'ont confié la direction de l'équipe de F2, et les pilotes étaient Ronnie Peterson et Malcolm Guthrie. Malcolm l'a financé, il a fourni le camion et a essentiellement payé sa voiture, et une partie de cet argent a également été utilisée pour financer Peterson. Malheureusement, le châssis était épouvantable, c'était un véritable char d’assaut. Mais Ronnie étant Ronnie, il était tout simplement exceptionnel et a pu sortir des résultats du sac. C'était une saison intéressante et une véritable aventure. Ce fut une année chargée, mais nous n'avons jamais vraiment eu de grand succès.
Nous avons passé beaucoup de temps pendant l'hiver à préparer la nouvelle voiture de Formule 2 pour 1971. C'était le châssis de la 712 et nous l'avons testé constamment. Je pense que nous avons usé Silverstone en tournant et tournant encore en rond. Cette voiture a eu beaucoup de succès et Ronnie a remporté le championnat.
(*) embouts de biellettes de direction, Ndt
"March était un endroit vraiment formidable pour travailler"
Peter Briggs
Cette année-là, sous ma direction, nous avions une équipe de cinq voitures composée de Ronnie, Niki Lauda, Jean-Pierre Jaussaud, Jean-Pierre Jarier et Mike Beuttler. Nous avons aussi fait rouler la sixième voiture de temps en temps pour James Hunt et des gens comme ça. Nous avions un mécanicien par voiture et nous avions de vieux transporteurs rudimentaires. Nous avions une remorque française pour les deux conducteurs français, nous avions une autre vieille remorque que j'ai achetée à Jim Russell qui transportait très mal trois voitures et nous avions une camionnette et une remorque. Nous avions l'air d'une bande de bohémiens qui faisaient le tour de l'endroit. Mais nous avons réussi.
MN : C'était plutôt amusant ?
PB : C'était très amusant parce que c'était simple, et nous sommes allés dans de beaux endroits. Il y avait des documents douaniers à trier partout et c'était une bataille de chignons, mais toujours très amusante. Je me souviens que l'un des mécaniciens qui s'occupait de la voiture de Niki s'appelait Nigel Stroud. Il nous avait rejoints et il travaillait à la production, mais il a été recruté dans l'équipe de course. Il a ensuite conçu des voitures de Formule 1 Lotus, donc c'est assez incroyable où ces gens sont allés depuis ces débuts.
À la fin de l'année, nous sommes allés en Amérique du Sud pour participer à la Temporada, qui représentait quatre courses en quatre week-ends. En 1971, tout se passait au Brésil. Quelle aventure.
Gary Jennings (e-mail) : Comment se fait-il que vous ayez rejoint l'équipe Surtees en Formule 2 ?
PB : Alan Rees avait quitté March pour créer une entreprise appelée Deals Inc. J'avais déjà été affecté à l'équipe de Formule 2 pour l'avenir, qui allait être menée par Ronnie Peterson et Niki Lauda.
Alan voulait que je l'accompagne chez Deals Inc. Ce devait être une organisation qui fournissait des voitures de course, tout ce que la personne aurait à faire était de se présenter et de conduire. De la Formule Ford à la Formule 1, et c'était très inventif à l'époque.
J'ai donc quitté March pour aller chez Alan Rees. Au départ, je pensais que cela ferait partie de March, mais ce n'est pas le cas. Quand je suis arrivé là-bas, j'ai réalisé qu'il ne se passait rien vraiment. Il n'y avait pas de locaux, et cela a duré environ sept semaines, alors je me suis finalement tourné vers Alan et lui ai demandé ce qui se passait. Je suis allé voir Max Mosley et je lui ai dit que je devenais un peu inquiet, et il a dit qu'il l'était aussi ! Il m'a demandé si je voulais revenir à March et je l'ai fait. J'avais tout organisé, tous les hôtels, les vols, même les couleurs des voitures.
Max m'a ensuite appelé et m'a dit qu'ils avaient un problème car ils avaient perdu un sponsor majeur et que toute l'équipe devait réduire ses activités. Parce que j'avais été le dernier à entrer, j'étais le premier à sortir quand les restrictions de budget sont arrivées.
C'était tout, et c'était vers février 1972 à ce moment-là et je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire. Puis j'ai reçu un appel d'un gars chez Surtees qui m'a dit qu'ils montaient une équipe de F2 et qu'il voulait que j'aille le rencontrer. Je suis allé à Edenbridge, où Surtees était basé, et ils m'ont proposé de diriger le programme de F2 avec Mike Hailwood au volant et le parrainage de Matchbox. J'ai saisi ma chance.
Quand je suis arrivé là-bas, c'était assez basique à l'époque. Tout était fait sur place. Il y a eu un changement de moteur cette année-là. Nous sommes entrés dans la nouvelle catégorie et la plupart des gens ont utilisé un moteur basé sur Ford. Je n'étais pas content du moteur que nous utilisions parce que John Surtees avait passé un accord avec deux ou trois personnes et qu'il ne fonctionnait pas vraiment, et j'ai toujours été un fan de Brian Hart.
Après environ deux ou trois courses, j'ai dit à John que nous devions passer au moteur Hart, je l'ai convaincu, et à partir de ce moment-là, nous avons eu du succès et Mike a remporté le championnat, ce qui était une bonne chose. À la fin de l'année, nous sommes revenus à la série Temporada et nous y avons fait courir Hailwood et Carlos Pace.
Puis j'ai reçu un appel de mon cher vieil ami Max au mois de mars, qui m'a demandé d'aller le voir à mon retour d'Amérique du Sud. Je suis allé à une réunion à Londres, et il s'est retourné et m'a dit qu'il voulait gagner le championnat du monde de Formule 1. Il m'a dit qu'il voulait avoir une équipe d'une seule voiture, il a dit que Chris Amon serait le pilote. Max a dit que ce serait un effort complet et qu'il aurait le meilleur de tout, et ils voulaient que je le dirige.
J'ai dit oui, mais je voulais 3750 £. Il s'est retourné et m'a dit que j'étais trop cher. J'ai argumenté mon point de vue et je lui ai dit que s'il voulait le meilleur - et il m'avait déjà dit que j'étais le meilleur - alors ce serait le niveau de salaire. Il a cédé. Je suis retourné voir Surtees et j'ai dit à John qu'on m'avait offert ce poste chez March pour 1973. J'ai dit que je ne voulais pas y aller parce que j'étais vraiment, vraiment heureux à Surtees. Je lui ai dit qu'il ne pourrait jamais égaler ce qu'ils m'offraient, mais que si John voulait m'offrir un peu plus, je serais resté. C'est ce que je lui ai dit. Il a refusé, et j'ai donc dû y aller.
"Max m'a demandé de revenir pour contrarier ce que Surtees faisait"
Peter Briggs
Quand je suis revenu en mars, environ deux semaines plus tard, Max m'a appelé pour me dire qu'il y avait eu un problème. L'accord avec Chris Amon était tombé à l'eau et ils n'allaient plus le faire courir, c'était finalement Jean-Pierre Jarier dans la voiture. Je pense que Max voulait - et je suis loin de m'en féliciter - voulait surtout perturber l'empire Surtees parce qu'ils vendaient alors beaucoup de voitures de course à la suite de notre victoire au championnat en 1972 avec Hailwood. La production de March avait chuté, et la façon de penser de Max était que cela avait peut-être quelque chose à voir avec moi.
Nous avons couru avec Jarier, nous avons couru avec Henri Pescarolo pour une course, et nous avons couru avec Roger Williamson lors de ce terrible week-end au Grand Prix des Pays-Bas à Zandvoort [où Williamson a été mortellement blessé]. C'était affreux. Nous étions dans les stands - Max était là aussi - avec toute la famille de Roger et j'ai vu l'accident sur le petit écran que nous avions à l'arrière de notre garage. J'ai dû aller dire à son père ce qui s'était passé.
Vers 19h00, Max s'est retourné et a dit qu'il devait partir. Ce qui me laissait toute la situation à régler, et je n'avais que 26 ans. C'était très dur. J'ai dû faire face à la police et j'ai dû retourner dans la chambre d'hôtel de Roger et emballer tous ses vêtements.
C'était difficile et j'ai arrêté de courir à peu près après ça. Je n'ai jamais participé à une autre course avec March. C'en était trop. Ce qui est triste, c'est que tout le monde avait dit à l'époque qu'il avait été tué par une défaillance de la suspension, mais ce n'était pas le cas, c'était une crevaison... »
A Suivre...
- Une aura de mystère entoure le personnage de Roy Winkelmann, dont il est rare de trouver une photo. "Criminal Investigator" dans l'U.S. Air Force dans les années cinquante, il a ensuite travaillé pour une organisation qu'il appelait "the Company" que beaucoup de gens semblaient croire être la CIA (Central Intelligence Agency).
C'était à l'époque de la guerre froide, lorsque la principale menace était considérée comme venant de l'Union soviétique.
Il n'est donc pas surprenant que Winkelmann se soit trouvé à Londres, où il y a une activité constante dans le monde de l'espionnage et du contre-espionnage. A ne pas confondre avec Félix Leiter...
Son entreprise de sécurité faisait une grande variété de choses différentes, y compris le transport de lingots dans des fourgons de sécurité blindés, la fourniture de matériel et de services de surveillance (et anti-surveillance) et, comme on dit, la fourniture de « gros bras » lorsque cela était nécessaire. Il possédait également un certain nombre de pistes et de clubs de bowling, notamment Burnham Lanes à Slough et The King of Clubs à Wokingham. Il a finalement vendu l'entreprise pour un bénéfice considérable et a investi dans le développement de dispositifs électroniques anti-écoute.
Pour ce qui nous concerne, on retiendra le rôle non négligeable qu'il a joué dans l'éclosion du talent d'un certain... Jochen Rindt
- Illustrations ©DR
22:35 Publié dans g.hill, j.rindt, jp.jarier, r.peterson | Tags : roy winkelmann, max mosley | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook | |
Commentaires
Tout y est : l'époque, les voitures, les hommes, les filouteries etc... je suis fan !
Écrit par : Christian MAGNANOU | 20 octobre 2024
Répondre à ce commentairePassionnante page d'histoire. Un personnage, une époque sans chichi, simple mais authentique, des moments parfois terribles... Fan aussi, j'attends la deuxième page avec impatience.
Écrit par : F.Coeuret | 20 octobre 2024
Répondre à ce commentaireje ne connaissais pas cet homme.
Écrit par : Bruno | 23 octobre 2024
Répondre à ce commentaireÉcrire un commentaire