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20 novembre 2019

Le Mans 66 : une histoire à la gomme ?

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Plein de choses ont été dites ou écrites sur le déroulement des 24 heures du Mans 1966, à commencer par les notes de Rene Fiévet sur Classic Courses, à lire et à relire sans modération.

Nous ne reviendrons donc pas sur cette dramaturgie du vainqueur déchu par Beebe et ses cols blancs, si ce n'est pour souligner l'extrême justesse de ton présente tout au long du film qui sort en ce moment.

Après l'émerveillement au cinéma, replongeons-nous dans Virage auto en 1966 et savourons ce compte-rendu qui complète utilement les à-côtés du duel Ford-Ferrari, avec comme seconds rôles des noms comme Chaparral, Porsche, Matra ou encore Alpine.

un texte de Jean Thieffry, mis en page par Francis Rainaut


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Prologue

Regardons attentivement cette photo illustrant la couverture de Virage auto de juin 1966. L'épilogue d'un, voire de deux drames en suspens y figure déjà (1). Le premier indice est inscrit sur le blouson d'un mécanicien Ford. Le second indice, c'est le type même de la Ford, une J-car avec laquelle Ken Miles "Teddy Teabag" allait se tuer deux mois tout juste après la fin des Vingt-Quatre Heures (2).

Récemment sorti en salle, Le Mans 66 n'est ni tendre ni très vraisemblable envers l' « Ingeniere ». Pour se racheter, il n'oublie pas de citer Lance Reventlow (3) ni de faire la part belle à Phil Remington, ingénieur en chef chez Shelby après avoir œuvré sur les Scarab.

C'est de mon point de vue un grand film, qui raconte des histoires d'« hommes » à des spectateurs et spectatrices pas seulement venu(e)s entendre parler de boulons-rondelles, d'injection électronique ni même de flaps, de T-wings ou pire encore de D.R.S.

 

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Le top gagnant: blousons GoodYear sur combis Firestone ©Getty Images

 

« La plus belle course du monde : les 24 H. du Mans

De la peine à la joie

Sur le plus glorieux podium du monde, un Américain de 48 ans, cheveux gris, les traits émaciés et tirés par la fatigue, respire le parfum d'un œillet de la gerbe qui vient de lui échapper ; la gerbe du vainqueur.
Cet Américain aux yeux tristes, c'est Ken Miles. Mc Laren venait d'être proclamé vainqueur des 24 Heures 1966. A quelques centaines de kilomètres du Mans, un vieil Italien célèbre a fermé quelques heures plus tôt la télévision. Pour lui, la course est terminée, le dernier de ses prototypes venait d'abandonner. Cet Italien illustre aux cheveux d'argent, c'est Enzo Ferrari.
Les Vingt-Quatre Heures 1966 firent deux victimes morales. Pas d'accident grave et pourtant, on pouvait s'attendre au pire, mais deux hommes sont meurtris. Ken Miles, sa carrière se termine et ce succès au Mans lui aurait été comme une entrée à l'académie pour un homme de lettres déjà comblé. Ferrari... c'est plus terrible, c'est la dixième victoire qui lui échappe, celle à laquelle il ne croyait plus, mais qu'il espérait encore. Avec lui, dans son esprit, un style a été détruit, une idée anéantie, l'Europe atteinte et déshonorée.
Loin, très loin de ces deux hommes tristes, il y avait la joie des vainqueurs. Henry Ford rassuré, n'avait pas investi en vain, il allait enfin pouvoir connaître les honneurs dus aux succès sportifs et la publicité extraordinaire qui en découle. Von Hanstein souriait à son éclatante réussite. Porsche avait anéanti tous ses adversaires en ne perdant que deux voitures sur sept. Chez Jean Redelé, le bonheur était plus intime, plus discret, il était à l'image d'une performance pleinement française de 4 petites voitures bleues, dont la préparation avait été méticuleuse.
Entre ces extrêmes, il y avait des satisfactions... celle de Marnat, qui terminait les Vingt-Quatre Heures sur la seule Marcos qui fut au départ. Il y avait des désenchantements : Matra et Bizzarrini et surtout Chaparral. Les Texans y croyaient sans doute beaucoup plus que les deux autres. Et puis, ils ne furent éliminés que sur panne de batterie. Il leur reste un goût amer d'insatisfaction, leur expérience est loin d'être concluante. Ils ne se sentent pas battus.
Et chacun envisage l'année qui se prépare, les Vingt-Quatre Heures 1967, mais peut-on sérieusement y penser déjà. Quels seront les nouveaux règlements ? Quand saura-t-on si oui ou non une participation est possible ? Tout dépend de la rapidité que mettront les pouvoirs sportifs internationaux à examiner les propositions de l'Automobile Club de l'Ouest. Faites vite, Messieurs, pour que des voitures aussi parfaites que celles que nous avons vues cette année soient au départ le 6 juin 1967 et que la foule puisse encore vibrer comme cette année au seul spectacle de la technique extraordinaire des machines et des hommes.

 

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Début de course, Ford, Ferrari, Matra, Dino-Ferrari ©Getty Images

 

Une certitude à la douzième heure

Jusque là, rien n'était dit, rien n'était fait. Le départ avait déçu les spectateurs. Etait-ce la subtilité de certains pilotes, comme Graham Hill qui, sur sa lancée d'Indianapolis, avait réussi à démarrer le premier, ou la sagesse des autres ? Le départ en tout cas fut échelonné et déjà au premier passage, une question semblait résolue : les Ford étaient les plus rapides. Les P3 et la Chaparral avaient été dominées aux essais, mais n'y avait-il pas des réserves cachées ? Non, au premier passage, quatre Ford précédaient la première Ferrari, celle de Rodriquez, suivie de la Chaparral et de la Ferrari de Scarfiotti.
La course en tête allait se dérouler pendant les premiers tours dans cet ordre. L'écart se creusait vite entre la première Ford conduite par Dan Gurney et le groupe Ferrari-Chaparral. Au 4e tour, il dépassait une minute et demie. Ken Miles, déjà lui, battait le record du tour, après un bref arrêt au stand, il rejoignait ses coéquipiers en tête. A ce moment, la puissance des Ford 7 litres s'était exprimée complètement. Connaissant Rodriguez, on savait qu'il faisait rendre à sa voiture le maximum, tirant sur les derniers chevaux, montant aux limites des tours-minute autorisés, et pourtant, il ne pouvait suivre le train d'enfer mené par les Ford. Le spectacle était de toute beauté. Déjà, on avait assisté à l'élimînation des trois Ferrari-Dino, dont aucune n'aurait pu inquiéter Jo Siffert et sa Porsche, qui se mêlait aux Ford GT40 et dominait de très loin la classe 2 litres.

 

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Le problème des pneus s'était posé à tous les concurrents, dans la demi-heure qui précédait le départ. En réalité, jusqu'à l'arrivée qui se déroula sous une pluie battante, seules des ondées de courtes durées, mais présentant la dangereuse particularité d'être locales, mouillèrent la piste par endroits. La Chaparral fut l'une des seules voitures qui changèrent de roues à la première alerte. L'opération fut longue, et si la voiture victorieuse au Nürburgring n'avait pas été contrainte à l'abandon, les 4 minutes perdues auraient sans doute pesé sur son classement final. Car le rythme imposé par les Ford se maintînt jusqu'au moment où elles n'eurent plus d'adversaires et elles auraient sans doute pu le tenir jusqu'au bout. A la 7e heure, Rodriguez-Ginther, à la faveur des ravitaillements et d'une très belle contre-attaque, s'étaient portés à la seconde place derrière Miles-Hulme qui avaient pris la tête. Mais après 8 heures de course, deux minutes séparaient à nouveau Miles et Gurney en tête de la Ferrari de Rodriguez-Ginther.

Les positions étaient les suivantes : Ford 1, Ford 3, à 2 minutes Ferrari 27, puis la Ford des futurs vainqueurs Mc Laren-Amon à un tour, suivie elle-même de trois Ferrari, celle de Parkes-Scarfiotti, à 3 tours, celle de Mairesse-Müller en 6e position à 4 tours et celle de Bandini-Guichet à 5 tours. On le voit, les positions étaient fermement établies, si Ford était nettement détaché, rien n'était fait. Des hommes aussi habiles et expérimentés que Parkes, Mairesse, Guichet et leurs coéquipiers étaient tous bien placés et prêts à profiter de la moindre défaillance des Ford. Rodriguez menaçait-il vraiment les deux Ford de tête ? Tout est là. Ce sont celles qui terminèrent la course dans un état de fraîcheur remarquable, aux deux premières places. Il semble donc certain qu'elles n'étaient pas à la limite de leurs possibilités et qu'elles auraient pu améliorer encore le record du tour.
Nous n'avons rien dit des Ford GT40. Eliminées par la suite, elles étaient à la 23e heure en excellente position, Scott-Revson en 8e position et Ickx-Neerpasch en 9e, à 6 tours seulement des voitures de tête.

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Une triplette de Matra venues en observation. JLL derrière la #41

 

Les ennuis des Matra avaient commencé, celle de Jaussaud-Pescarolo avait été contrainte à l'abandon, en raison d'une fuite d'huile. Schlesser fut victime de l'un des deux accidents qui survinrent et Beltoise-Servoz cassèrent leur boîte après avoir été privés d'embrayage.
Deux accidents : le premier dans les Hunaudières, à 20 heures 30, une fumée s'était élevée, nous nous trouvions à Mulsanne à ce moment. On pouvait craindre le pire. Heureusement, des débris de la CD conduite par Ogier et de l'ASA de Pasquier, on pouvait dégager rapidement Ogier, qui souffre de fractures aux bras. Pasquier est indemne. C'est un peu après l'abandon de la Chaparral que les feux oranges s'allumèrent au bout des stands. Le journal des 24 Heures annonça plus tard : « 23 h 46, télescopage dans les « S » du tertre rouge, les voitures 20 - 43 - 56, les pilotes sont indemnes », La Ferrari n° 20 était pilotée par Scarfiotti. C'était la voiture que devait conduire John Surtees, l'un des deux P3 de la SEFAC. Un coup dur pour Ferrari.

Lorsque la P3 de Rodriguez-Ginther abandonna, boîte de vitesses cassée, le suspense était terminé, la course était jouée. Ford ne pouvait plus perdre. En deux litres, Porsche restait seul en course avec toutes ses voitures et Alpine dominait la troisième partie du classement.

 

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La fin des Ferrari et de la course

Restaient en piste, sur les 13 Ferrari engagées, les deux GT qui se classèrent 8e et 10e, la dernière P3 de Bandini-Guichet, la P2 de Mairesse-Müller, celle de Beurlys-Dumay et enfin la LM de Gosselin-de Keyn.
Les deux dernières avaient accumulé les arrêts au stand depuis le début de la course. Accablée par la malchance, l'écurie belge avait perdu le moral et le matin, les deux voitures jaunes devaient abandonner. Bandini-Guichet quittèrent la course presqu'en même temps que Mairesse-Müller, qui étaient très bien classés au moment de leur abandon. Pour la Ferrari P2 de l'écurie Filipinetti, la 3e vitesse restait calée. Décidément, ce sont les boîtes de vitesses qui auront décimé les Ferrari.
Les voitures italiennes disparues, que restait-il à attendre de la course ? Rien sur le plan du combat.
Nous admirions les magnifiques vainqueurs, satisfaits d'avoir réalisé un bon tiercé dans notre numéro de juin, mais regrettant l'abandon trop rapide de la Chaparral et l'échec si lourd des Ferrari. Quel intérêt la course n'aurait-elle pas eu jusqu'au bout si, entre les Ford, on avait trouvé des P3. Elles pouvaient inquiéter leurs rivales, mais il aurait fallu que trois conditions soient réalisées : qu'il y en ait eu quatre bien préparées, soutenues par 4 P2 tout aussi vaillantes, que Ferrari n'ait pas dispersé ses efforts en engageant trois Dino et que John Surtees soit resté dans la course et avec lui un esprit d'équipe et un moral qui ne semblait pas des meilleurs chez Ferrari.
Surtees vainqueur à Monza, à Syracuse et à Spa a été heurté par la décision de M. Dragoni d'adjoindre à son équipage un pilote de réserve. Est-ce une raison suffisante ? Les divergences de vues entre Surtees et Ferrari n'ont-elles pas une origine plus lointaine ? Si le champion anglais quitte l'équipe italienne, celle-ci perdra un de ses meilleurs atouts.

 

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Faisons le point

En revoyant l'ensemble des courses de prototypes de cette saison :

-          Le Mans devient en quelque sorte un championnat du monde, une course qu'il faut gagner, quitte à s'abstenir ailleurs.

-          Ford a gagné quand il le voulait : Daytona, Sebring et Le Mans.

-          Ferrari a profité de l'absence des Ford à Monza et à Francorchamps.

-          La Chaparral reste une extraordinaire voiture, capable de vaincre, elle l'a prouvé eu Nürburgring, mais que pouvait-elle au Mans en solitaire ?

-          La bataille est finie... l'avenir est à l'Automobile Club de l'Ouest. Quelle lourde responsabilité !

Henri Ford II disposait de la puissance financière et de moyens techniques extraordinaires. Carroll Shelby, ancien vainqueur des 24 Heures avait la passion de la course. La rencontre de ces deux hommes a provoqué la victoire du deuxième constructeur mondial dans la plus grande course du monde.
Pour le sport automobile, c'est une nouvelle ère qui s'ouvre. Déjà sacré le plus populaire des U.S.A., il prend aux yeux du public européen une importance particulière.
C'est un constructeur de voitures de série qui s'impose, ce n'est plus un mystérieux homme illustre et inaccessible, dont les voitures ne peuvent être acquises qu'à prix d'or. Ferrari, c'était l'automobile, sport d'une élite. Ford, c'est une sociologie nouvelle.


Tous les records ont été battus :

Ford à la distance : 4.843 km 160.
                 contre : 4.695 km 310.
Ford sur un tour par Gurney : 230,102 km/h.


Après la 12e heure, le suspense était terminé. Ferrari ne pouvait plus gagner. Premières de bout en bout, les Ford n'ont jamais été sérieusement inquiétées par les prototypes P3 et P2 de Ferrari. »

Jean Thieffry.

 

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Epilogue

Le 17 août 1966, sur le circuit de Riverside, Ken Miles allait se tuer en essayant la dernière évolution de la Ford J, celle qui deviendra la Ford Mk IV.

Après une ultime tentative en 1967, on ne reverra plus de Chaparral en championnat du monde.

Après son triomphe de 66 au Mans, Ford allait récidiver en 67 avec cette fois un équipage 100% U.S. S'en suivront deux victoires « bonus » en 68 et 69 des GT40 « Wyer ». Ferrari, elle, n'allait plus jamais goûter la saveur du champagne dans la Sarthe.

Chris Amon aura l'occasion de conduire sur ce circuit des prototypes Ferrari et Matra. Mais il n'aura plus jamais la « vista » au Mans, ne dépassant pas le 1er tour en 69 sur la Ferrari 312P.

Sa maladie de cœur a eu raison de Caroll Shelby. Il nous a quitté en mai 2012.

 

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(1) - L'équipage McLaren - Amon était sous contrat avec Firestone (rappelez-vous du casque de Chris). Ils ont été considérablement ralentis en début de course en raison de leur monte pneumatique. Ils décidèrent ensuite de chausser des Goodyear et de foncer comme des damnés. Si les "administratifs" de la Ford Motor Company s'en étaient mêlés, s'en étaient finies des chances des Kiwis,... ou comment réécrire l'histoire.

(2) - Un autre pilote de développement Ford, Walt Hangsen, s'est également tué en 1966 au volant d'une MkII, au mois d'avril.

(3) - Tout comme Phil Remington mais dans une moindre mesure, Ken Miles a participé à l'aventure Scarab. Anglais d'origine, Miles a débarqué en Californie au début des années 50' avec sa jeune famille après avoir conduit des chars britanniques pendant la guerre. Après avoir fait ses armes sur des MG et de Porsche, il devient "test driver" chez Sunbeam, avant de rejoindre Lance Reventlow ses Scarab. Le même Reventlow qui cédera ses locaux à Caroll Shelby au moment où il changera d'activités.

 

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- Images ©DR

Commentaires

Superbe article ! Bravo !

Écrit par : Yves Perron | 21 novembre 2019

J'ai omis de signaler une présence importante dans le film, celle de Lee Iacocca. Ce qui nous renvoie à la note de Raymond Jacques sur "Mustang Man".
Comme quoi dans l'univers de Racing' Memories tout se rejoint...

Écrit par : RMs | 21 novembre 2019

La patte subtile, décalée de Jean Thieffry.

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 21 novembre 2019

Après la sortie du film, un article dont l'analyse efficace complète parfaitement les excellentes notes de R.Fiévet (Classic Courses) axées sur le destin de Ken Miles. Bref... Racing' Memories est aussi un site incontournable !

Écrit par : F.Coeuret | 21 novembre 2019

Superbe article qui me fait découvrir ce qu'a été cette course dont je ne connaissais que les grandes lignes.

Mais je souhaite aussi dire combien j'aimais la revue "Virage Auto", disparue en 1974 parmi tant d'autres comme "Champion", qui mêlait sport auto et sport moto.
J'ai encore le dernier "Virage auto" avec la double casquette "Virage Auto / Sport Auto"

Écrit par : Gérard Maury | 22 novembre 2019

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