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08 décembre 2021

Et chante le coq : 1000 km de Buenos Aires 1970

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 Les 1000 km de Buenos Aires marquent le lancement de la saison sport prototype en ce début janvier 1970. La course n’est pas inscrite au Championnat du Monde des Marques mais deux équipes usines y voient l’occasion de se préparer pour les futurs affrontements nord américains et européens. En l’occurrence Autodelta SpA (Alfa Romeo) et l’Equipe Matra Sports, ou plutôt exactement Matra Simca. Le gros du plateau est composé d’équipes privées.

Pour le public argentin un évènement de taille souligne cette course. La Berta LR locale va se mêler à l’affrontement des européennes. De quoi faire converger quarante mille spectateurs autour de l’autodrome de Buenos Aires.

par François Coeuret


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Les engagés, les essais

L’autodrome a subi pour l’occasion un sérieux rafraîchissement ; les pilotes emprunteront le grand tracé de 6,121km contournant le lac. Oreste Berta engage sa dernière création, un joli prototype mu par un 3L Cosworth livré depuis l’Angleterre. L’argentin est un self made man passionné de mécanique diplômé tout de même par trois universités dans son pays. Sa société Oreste Berta SA a pris part à différents projets liés aux sports mécaniques moto et auto en Argentine. Sa voiture est l’attraction de la foule locale. David Piper s’est alloué les services de Brian Redman pour partager sa Porsche 917K, la voiture la plus puissante du lot. Une brochette conséquente de Porsche 908/2 privées participe à la fête.

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On note à leur volant Rindt-Soler Roig, Van Lennep-Laine, De Cadenet-Pairetti, Juncadella-Fernandez, Dechent-Koch, Kauhsen-Schultze, Gregory-Broström, Dean-Copello. De nombreuses Lola T70 sont engagées. Parmi leurs pilotes figurent Peterson-Cupeiro, Oliver-Reutemann, Pilette- Garcia-Veiga, Jacques Rey-Berney, Craft-Attwood, Smith-Swart, Gethin-Taylor, Bonnier-Wisell, Morand-Pillon, Pascualini-Prophet. Deux Alfa 33/3 concourent aux mains de Courage-de Adamich et Galli-Stommelen. Matra engage une ancienne 630/650 pilotée par Beltoise-Pescarolo. Deux Ford GT 40 et une Serenissima MK 168 bouclent la grille.

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Les locaux sont bien sûr de la partie, rappelons Reutemann, Garcia-Veiga, Pairetti, Copello, Brea, Cupeiro, Pascualini ainsi que Di Palma et Marincovich.

Lors d’essais préliminaires un des pilotes de la Berta, Oscar Mauricio Franco sort assez fort et se blesse. Oreste doit le remplacer par Carlos Marincovich qu’il associe à Di Palma. Il a fallu reconditionner la voiture. A l’issue des qualifications Redman place la 917K Piper en pole devant une Alfa 33, celle de Adamich-Courage. La Berta est véloce, ses pilotes l’ont hissée en troisième position. Une belle performance d’autant qu’à haut régime le Cosworth cafouille obligeant les pilotes à ne pas le solliciter au maximum. Rindt et Soler Roig quatrièmes ont bien exploité les qualités de leur 908/2. Suivent Gregory-Broström(1) (Porsche 908), Stommelen-Galli (Alfa), V. Lennep-Laine (Porsche 908), Wisell-Bonnier (Lola T70). Beltoise-Pescarolo, neuvièmes n’ont pas forcé en attente de Good-year neufs bloqués en douane. Ils devancent la Lola T70 de Oliver-Reutemann. La deuxième moitié de la grille des 25 qualifiés est composée du peloton de T70, 908/2, GT 40 et de la Serenissima.

(1) Broström est sorti lors des essais, se blessant et endommageant sa voiture qui ne prendra pas le départ.

 

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La course

Une belle chaleur d’été austral baigne l’autodrome argentin lors du départ que domine la Porsche de Redman suivie des deux Alfa, de la Berta et la 908 de Rindt. Le public est ravi de voir évoluer « son auto » parmi les meilleures européennes. Malheureusement la voiture d’Oreste Berta est rapidement victime d’un problème de suspension arrière. Ce souci va stopper prématurément la belle argentine après 28 tours couverts au grand dam des spectateurs. Le festival de la Porsche 917 tourne court, elle ne va pas tenir ses performances suite à des problèmes de pneus puis de suspension. La voiture allemande abandonne au cinquante-huitième tour. A partir de ce stade l’explication entre les Alfa 33 et la Matra va concentrer l’intérêt de la course. Les Porsche 908 privées sont dominées. Elles se cantonnent derrière les italiennes et la française. Beltoise et Pescarolo chaussés de neuf sont partis prudemment mais sont montés crescendo au fil des tours.

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L’équipage français est troisième au 40e tour. Il pointe premier au tour 60 en bagarre avec Courage-Adamich. Ces derniers reprennent le dessus mais sont pris en chasse par la Matra. L’équipage anglo-italien résiste, toujours en tête à l’approche du tour 90, une minute le sépare de la voiture bleue. Rindt et Soler Roig, le duo le plus rapide au volant d’une 908, a pris maintenant la troisième position après un arrêt prolongé au stand de l’Alfa de Galli-Stommelen victime d’une rupture de suspension. C’est en évitant Beltoise parti en tête à queue sur l’huile déposée par une GT40 qu’eut lieu l’incident. L’Alfa va d’ailleurs stopper définitivement au 108e tour.

Passé le quatre-vingt dixième tour la seconde l’Alfa de tête rentre soudain au stand, soupape cassée sur un cylindre. Les pilotes poursuivent sur 7 cylindres mais la perspective d’une victoire s’envole. Côté spectateurs une partie du public a déserté l’enceinte du circuit dégoûtée par le retrait de la Berta. Les français ont donc pris le pouvoir, ils possèdent un tour d’avance sur la 908 de Rindt-Soler Roig. Il reste plus de soixante dix tours à accomplir. Les deux duettistes n’ont cependant pas de répit, il n’est pas question de se déconcentrer d’autant que la chaleur sollicite les organismes. Les 908 derrière sont prêtes à profiter de toute opportunité.

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La Matra fera résonner son V12 jusqu’au drapeau à damier. Beltoise a fourni l’une de ses plus belles courses, il est épuisé ; El Ganador a dû assurer en pilotant plus que de coutume pour compenser la méforme de Pescarolo. La plus haute marche du podium les attend. Derrière finissent deux Porsche 908 à respectivement un tour et quatre tours (Rindt-Soler Roig et Dean-Copello) tandis que Pilette-Garcia Veiga se classent au quatrième rang sur une Lola T 70. Ensuite De Cadenet-Pairetti (908) terminent cinquièmes devant l’Alfa boiteuse de Adamich-Courage à 11 tours(2). Les pilotes argentins ont fait bonne figure sur leur terre où un coq exotique a chanté.

 (2) L’équipage va prendre sa revanche le weekend suivant en remportant les 200 miles de la Temporada (Beltoise-Pescarolo 3es).

 

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Postface, par Francis Rainaut

Lorsque l’on se remémore cette course, une chose, en dehors du graphisme tellement typique des numéros de course - astucieuse mise en avant de la « Yacimientos Petroliferos Fiscales » -, une chose en fait vient immédiatement à l’esprit, c’est le brio avec laquelle la Berta LR s’est comportée, surtout s’agissant d’une auto conçue en à peine trois mois. J’ai tenté d’en savoir plus à son sujet…

 

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IKA Torino "Marathon de la Route"

 

Les Argentins de retour dans l’Eifel

Qui se souvient encore du Marathon de la Route 1969, épreuve de 84 heures disputée au mois d’août sur le circuit du Nürburgring par des voitures de tourisme « améliorées ». Peu d’entre nous je pense, ce qui n’est pas le cas des Argentins, je vais tenter de vous expliquer pourquoi.

Donc cette année-là, les Argentins décident d’engager trois IKA Torino 3,7 L - rien à voir avec celle de Clint Eastwood -, l’équipe est placée sous la responsabilité du grand Juan-Manuel Fangio.

Dans cette épreuve redoutable, trois jours et demi à tourner sans discontinuer sur la Nord et Südschleife, l’une des Torino était pilotée par l’équipage Oscar Fangio (le fils de Juan Manuel), Luis Di Palma et Carmelo Galbato. Ils affrontaient la crème des voitures de tourisme, avec notamment des BMW 2002, des Lancia Fulvia, des R8 Gordini et autres Nissan ou Datsun. Un certain Luca di Cordero Montezemolo était même engagé sur une Fiat 125.

La météo était typique de l’endroit, à savoir orages, pluie, brouillard et parfois un grand soleil. La lutte se circonscrivit assez vite entre les Lancia et les Torino, chacune de ces équipes perdant deux de leurs trois voitures. A l’arrivée ce fut la Torino rescapée qui couvrit le plus de tours, mais de sombres histoires de pénalités - déjà ! – la firent rétrograder en 4e position. Qu’importe le classement pour les Argentins, ils avaient démontré qu’ils avaient leur place parmi l’élite du sport automobile, bataillant au milieu des BMW, Porsche, Alfa Romeo, et autres Lancia.

 

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L'innattendue Berta LR

Immédiatement après cette course mythique au cœur des Argentins eut lieu une épreuve de Sports Prototypes à Mantorp Park en Suède. JM Fangio et Oreste Berta assistaient à cette course, remportée par le Finlandais Leo Kinnunen sur une Porsche 908.

« Patricio Peralta Ramos (propriétaire du grand quotidien "La Razón") et les gens du YPF Club étaient également là », a raconté Oreste lui-même dans son livre Motores, Autos y Sueños. « Alors que les 1000 km de Buenos Aires devaient se courir en janvier, la délégation argentine m'a demandé de l'aider à sélectionner du matériel pour équiper nos pilotes... »

« Lors d'une de ces nuits suédoises, Fangio et Peralta Ramos m'ont demandé de construire notre propre voiture. Je leur ai dit qu'ils étaient fous, mais Juan était déterminé et Patricio a proposé de payer le moteur que j'avais choisi et les pièces de rechange dont j'avais besoin... Il ne leur a pas fallu s'exciter longtemps ».

Ainsi, avant de retourner à Buenos Aires, Berta & co ont acheté un moteur Ford Cosworth DFV 3 litres (le roi incontesté de la Formule 1, mais personne ne croyait qu'il convenait aux sport protos) et diverses pièces pour Lola : des roues (les mêmes que celles de la F1), des freins, des porte-moyeux, etc. L'idée de Berta, le "Magicien de Alta Gracia", était claire :

« Je voulais construire un prototype avec la puissance, le poids et les pneus d'une Formule 1 ».

Dans l'avion du retour, Berta a dessiné l'esquisse de la voiture et dès l'atterrissage il s'est mis au travail avec son groupe de travail : calculs, plans, maquettes, tests de résistance. « Concernant le design de la voiture - dit Berta - l'idée générale se résumait en : très légère (châssis multitubulaire), rigide (le premier proto à utiliser le moteur comme structure, à la manière de la Lotus 49 en F1), avec une surface frontale minimale (corps monobloc en fibre de verre) et facile à monter ou à réparer en cas d'accident » (une qualité qui a été mise à l'épreuve plus d'une fois). La puissance du Cosworth, avec des retouches à l'échappement, était d'environ 406 ch et le poids, sans pilote ni carburant, de 678 kg (contre environ 650 kg et 350 ch pour la 908 et 800 kg et 416 ch pour les Alfa T33 ou les Matra, toutes avec des moteurs de 3 litres).

« Il nous a fallu moins de quatre-vingt-dix jours pour concevoir et construire la voiture », explique le magicien. De la course en Suède au premier test à Cordoue, trois mois et deux jours se sont écoulés.
« Le nom Berta LR n'a plus de secret : il est celui de La Razón, principal sponsor du projet. »

 

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Premiers revers

Le premier essai de la LR ne fut pas du tout de bon augure. « Nous avons emmené la voiture à Cabalén. Je n'avais fait que quelques tours, je descendais la longue ligne droite, où elle atteignait environ 280 km/h. Je pensais m'arrêter, j'ai levé le pied de l'accélérateur loin de la courbe (n°2) mais la voiture s'est arrêtée. Elle a traversé et je me suis écrasé violemment », raconte Oreste, qui était toujours le premier à conduire ses voitures.

Vendredi 3 janvier, l'Autodromo affichait complet. Les 1000 km avaient lieu le 10 et les voitures arrivaient déjà d'Europe. Il faisait très chaud, mais...

« Nous avons commencé à tester avec Franco au volant », raconte Berta. « Soudain, une averse s'est déclenchée. C'était une bande de pluie sur la ligne droite et elle a continué jusqu'au Curvón. "Chub" y est allé crânement, il est entré dans le secteur mouillé de la piste, a perdu le contrôle de la LR et a heurté la rambarde. Nous avons observé comment la voiture a sauté de plusieurs mètres dans les airs... Quand nous sommes arrivés, Cacho(3) était inconscient. Il n'y avait pas d'ambulance... ». Berta a bricolé un corset avec un morceau de carrosserie pour immobiliser la colonne vertébrale de Franco, ils l'ont chargé dans un camion et l'ont emmené à l'hôpital de Salaberry, où il a repris connaissance, pour plus tard être transféré dans un autre hôpital.

La voiture fut durement touchée : suspension arrière cassée, réservoir d'essence explosé et son support tordu, radiateur d'huile détruit, berceau moteur tordu, barre de direction incurvée, carrosserie inutilisable et autres dommages.

(3) Oscar Mauricio "Cacho" Franco

Après avoir travaillé dur, nuit blanche à la clef pour les mécaniciens et les amis, la LR était tout juste prête pour les premiers essais officiels des 1000 km. Il a fait la deuxième session (Carlos Marincovich a remplacé Franco) et pour ses débuts s'est qualifié troisième derrière la seule et formidable Porsche 917 de Brian Redman et David Piper (avec son moteur de 5L) et l'Alfa Romeo T33/3 officielle d'Andrea de Adamich-Piers Courage. « Je ne peux pas oublier les acclamations qui ont accueilli notre voiture », dit le magicien. C'était une vraie fête.

 

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La course, c’est toujours différent

Lors des 1000 km, la Berta LR a dû abandonner. Selon Oreste, ils n'avaient aucune information sur le calage d'injection mécanique Lucas du Cosworth et il était également difficile de déterminer les bonnes bougies d'allumage (le moteur tournait donc à environ 1500 tr/min de moins que sa vitesse maximale de 10.000 tours et avait des ratés d'allumage). De plus, les vibrations du moteur ont desserré les supports de suspension ancrés à la boîte de vitesses.

Cependant, la voiture était compétitive : « même en Grande-Bretagne, ils n'ont pas réussi à faire un proto avec le Cosworth V8, Ford a essayé en 1967, mais la voiture était très difficile. La Berta LR, en revanche, affichait un look qui avait très peu a à envier aux protos des écuries confirmées comme les Porsche 908, Alfa Romeo et Matra », a affirmé Alberto Del Priore dans Automundo.

Oreste Berta n'en restera pas là. Il construisit pour la saison 1975 rien moins qu'une formule 1, fortement inspirée par ce qui se faisait chez Brabham. Mais ceci est une autre histoire...

 

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Oreste Berta 2019

 - Illustrations ©DR

Commentaires

Encore une histoire invraisemblable , faite de passion ,de talent et capacité , mais avec les yeux d'aujourd'hui ; d'ingénuités . Je ne veux pas écrire d'inconscience , ce serait manqué de respect à l'égard d'un tel personnage , trop méconnu qu'est Oreste Berta .
Je résume ma pensée par cette phrase connue : " Ils l'ont fait parce que ils ne savaient que c'était impossible ! "

Écrit par : Albert | 09 décembre 2021

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