04 février 2021
Monza 69... en super 8
En 1969, je voulais devenir Beltoise, Jimmy Page, ou Jean-Luc Godard. Ça dépendait un peu des jours. Alors quand sonne le rendez-vous de Monza, juste avant la rentrée scolaire, je n'oublie pas de prendre avec moi ma caméra Kodak Super 8, le modèle de base M2, "Fun and easy to use".
J'avais complètement oublié ce bout de film, retrouvé par mon cousin Jo qui était avec moi en Italie. On voudrait juste qu'il dure un peu plus longtemps mais comprenez, à 15 ans la pellicule ça coûte cher, pour la GoPro il faudra attendre encore un peu.
Francis Rainaut
Avec, par ordre d'apparition à l'écran :
Pedro Rodriguez
En 69, le Mexicain ne fait pas encore vraiment partie des « top drivers ». La faute sans doute aux écuries qu’il a fréquentées jusque-là. Cooper à l’agonie pour sa 1re saison complète en 67, BRM l’année suivante. Le voilà début 69 première gâchette dans le team Parnell-BRM, pas ce que l’on pourrait appeler une promotion. Je le verrai en F2 à Reims au volant de la Matra de Pescarolo, le Mexicain est devenu au fil du temps un véritable mercenaire du Sport automobile. Pas étonnant alors de le croiser dans le paddock de Monza, prêt à effectuer une pige. On aura à nouveau rendez-vous un mois plus tard aux 1000 km de Paris, Rodriguez formant un équipage insolite avec Brian Redman.
« Y'a vingt piges le Mexicain, tout le monde l'aurait donné à cent contre un… »
Jo Siffert
Quand on parle de Pedro Rodriguez, on peut être certain que Jo Siffert n’est pas très loin. Y compris sur un petit film amateur en super 8. A l’instar du Mexicain, Jo n’a pas encore trouvé un vrai volant d’usine, et si les Lotus de Rob Walker sont encore classées premières au concours d’élégance, force est d’admettre qu’elles ne courent pas réellement dans la même catégorie que les monoplaces des top teams. Pour Jo et Pedro, heureusement, il reste encore les courses de Protos et autres voitures de Sport pour se mettre en valeur.
Ernesto « Tino » Brambilla
Where is Amon ? On attendait Chris Amon au volant d’une toute nouvelle Ferrari, à la place on a Brambilla, Tino de son prénom. Ma che cuzzo fai ? Bon Tino on l’aime bien, il s’est mis en valeur à la Temporada au volant d’une Dino F2, mais au vu de ses temps aux essais, on se pose quand même quelques questions. Ce que l’on ne sait pas, c’est que cet imbécile de Tino s’est fracturé le poignet à moto peu de temps auparavant. Ceci explique donc cela, et le Milanais n’est peut-être ici que pour calmer la déception des tifosis. D’où la présence du Mexicain en arrière-garde. Le lendemain, Pedro prendra le volant de la « vieille » Ferrari, mais avec le casque de Tino pour brouiller un peu plus les cartes. Observez bien les photos des essais, Pedro est toujours très enfoncé dans son baquet.
John Surtees
Pour l’Anglais, seul pilote titré en moto comme en auto dans les catégories reines, l’heure du crépuscule a peut-être déjà sonnée. En fait on se désole un peu de le voir ramer au volant des misérables BRM. L’ère Southgate n’a pas commencée, et le team « British Racing Motors » est bien loin de son lustre d’antan, d’année en année il régresse. Et même le grand Surtees n’y peut pas grand-chose, qu’elle est loin la victoire de 1967 au volant de la Honda.
Colin Chapman
Moustache « British » et polo beige boutonné jusqu’en haut, on est à peu près sûr qu’il s’agit du patron du Team Lotus, qui sait à Monza que son année a plutôt été foutue en l’air, ou presque. La faute sans doute à cette fichue météo et à ces courses full dry qui ont empêché sa dernière merveille la Lotus 63 4WD de se mettre en valeur. A s’il avait eu l’heur de pleuvoir la moitié du temps comme en 68 ! Mais bon, que Chapman ne se plaigne pas trop, l’année suivante ici-même ce sera terrible, on parlera alors de tragédie.
Jochen Rindt
Si Chapman peut maudire une saison gâchée, que dire de Jochen Rindt ? Comment est-il possible qu’un pilote aussi talentueux n’ait encore remporté aucun Grand Prix ? Vous me direz, Chris Amon non plus, mais Jochen est tout de même 1er pilote dans l’équipe championne du Monde en titre. Qu’importe, chaque Grand Prix est un nouveau combat, l’Autrichien figure à chaque fois dans la liste des vainqueurs possibles, la course de Monza ce week-end sera peut-être l’occasion de réparer une injustice.
Denny Hulme
Denny « the Bear » Hulme en 69 est un mec cool. Déjà nanti d’un titre de champion du Monde, il a rejoint l’année dernière son pote Bruce McLaren, et depuis tout baigne. Bruce n’est pas aussi rugueux que son ancien patron Black Jack, les McLaren ne font que progresser, et cerise sur le gâteau, il y a ces courses Canam et là c’est vraiment l’éclate ! Alors oui, Denny est heureux, et ça se voit sur son visage et dans sa démarche. Il balance négligemment son nouveau Bell Star comme le premier potache venu au sortir du bahut, il est là pour faire le job, les résultats vont bien finir par tomber. No stress at all.
Jackie Stewart
Le roi du pétrole aujourd'hui c’est lui. En 1969 la F1 est encore majoritairement britannique, ou assimilée. Stewart est alors considéré comme le successeur naturel du grand Jimmy. A ce propos, lors d’un voyage en stop effectué cet été là en Ecosse, je me souviens avoir regardé attentivement comment conduisaient les autochtones, persuadé qu’ils étaient tous des champions du monde en puissance. Jackie et son mentor Ken Tyrrell sont clairement là pour le titre, ils ont même préféré garder la MS84 initialement prévue pour Servoz-Gavin en réserve pour Jackie, au cas où…
Bruce McLaren
Difficile de regarder ces images du Néo-zélandais sans ressentir un vrai spleen. On ne sait pas pourquoi, les kiwis et leurs bolides orange papaye attiraient naturellement la sympathie. Il y avait chez eux un côté cool qui cadrait très bien avec ces années Woodstock. On ne pouvait évidemment pas prévoir à ce moment-là la fin tragique du gentil Bruce.
Jack Brabham
Restons aux antipodes avec Brabham, « l’ancêtre » du plateau, qui se remet à peine de sa blessure au pied, d’où la nécessité d’être un peu aidé au moment de grimper dans sa monoplace. Sacré « Black Jack », c’est peu dire qu’il nous intimidait, par moments je croyais retrouver mon grand-père maternel, plutôt grand et très intimidant. Sinon je trouvais la BT26 limite moche, mais bon, les goûts et les couleurs…
John Miles
Cette monoplace-là, par contre, elle nous impressionnait. On l’avait déjà vue à Charade, pas trop à son affaire, peut-être qu’à Monza le lunetteux John Miles allait en tirer meilleur parti ? On y croyait sans trop y croire, mais il est clair qu’à cette époque, on aimait bien tout ce qui pouvait remettre en cause l’ordre établi.
Graham Hill
Après la nouvelle Lotus, la vieille Lotus. Après la jeune recrue, le vieux briscard. Champion du Monde en titre, « Mr Monaco » inspirait à la fois la sympathie et le respect. Le 29 novembre 1975 restera un jour éternellement teinté de noir, je ressentis une immense tristesse le jour de la disparition de Mister Graham Hill.
Piers Courage
Dans la même tonalité que Bruce McLaren, Piers Courage, celui dont j’avais piqué les couleurs pour décorer mon 1er casque AGV. Contrairement au Team Walker, l’écurie de Franck Williams symbolisait plutôt l’avenir, peut-être à cause de la jeunesse de ses membres. Cela étant, il eut fallu être devin pour imager cette équipe tutoyer les sommets à peine une décennie plus tard.
Jacky Ickx
Jacky « X » en 69, c’est un peu l’ennemi public numéro un.
- ???
Tentons une explication. D’abord, Jacky n’est pas français, il est belge, ce qui n’est pas exactement la même chose.
Ensuite, Monsieur Ickx nous a fait l’affront d’offrir à nouveau la victoire à Ferrari, alors qu’en toute logique, cet honneur aurait dû échoir à Chris Amon. Pire encore, le pilote belge a osé quitter Ferrari pour Brabham, on se demande un peu… Enfin, last but not least, Jacky a osé résister à Beltoise pas plus tard qu’il y a deux mois à Charade, non mais des fois ! Si l'on ajoute à cela qu’il a eu la « chance » de battre sur le fil le français Larrousse au Mans, vous ne trouvez pas que cela fait un peu beaucoup ? Mais bon, Jacky, c’est un champion du Monde en puissance, c’est une évidence, on se demande juste ce qu’il fait encore chez Brabham. Mais ça, on ne se le demandera pas longtemps.
Ron Tauranac
En pleine discussion avec Jacky, on observe Ron Tauranac, le « cerveau » de l’écurie Brabham. Imaginez un peu Adrian Newey en polo beige taillant la causette à un Hamilton dépourvu de toutes ses breloques. Non, je rêve, ce temps-là est révolu. Quant à Monsieur Ickx, on a appris au fil du temps à l’apprécier et à l’estimer. Peut-être bien l’année suivante, quand il a affirmé être très heureux de ne pas avoir remporté le titre…
Jean-Pierre Beltoise
Levons tout de suite une ambiguïté. On est venu à Monza pour voir gagner Beltoise, ça au moins c’est clair. Après l’exploit de Charade, suivi de la mauvaise pioche de Brands Hatch puis de la méforme des Matra au Nürburgring, ce serait bien le diable si « Beltoise » n’en remporte pas une cette année. Toutes les planètes semblent alignées, Jean-Pierre a montré être capable des plus grands exploits sur les pistes rapides, donc on va mettre une pièce sur la victoire du Français.
… qui ne passera pas très loin de l’exploit, mais ceci est une autre histoire.
Post-scriptum
Pour réaliser ces images sans laissez-passer officiels, il nous fallait être un tout petit peu filous, ou malins, selon le point-de-vue où l’on se place. Je ne sais pas si c’est moi que l’on voit à gauche de cette photo parue dans AutoCourse 1969, mais c’est presque mon sosie. En tous cas, je peux l’avouer aujourd’hui - il y a certainement prescription - nous usions des mêmes stratagèmes. Ce qui nous vaut aujourd’hui le plaisir de visionner ces quelques images de cinéaste amateur utilisant une caméra super 8 d’entrée de gamme, cette même caméra qui me sera subtilisée un an plus tard dans ce beau parc de Monza alors que nous dormions à la belle au soir du terrible Grand Prix de 1970.
Les lecteurs avertis auront remarqué que deux pilotes ayant disputé cette course ne figurent pas sur ces images. Je donne un indice pour l’un des deux, qui saura donner en premier la bonne réponse ?
Et pour quelques images de plus ...
- Photo 5 ©alamy stock photo
- Autres illustrations ©Francis Rainaut
22:11 Publié dans j.rindt, j.stewart, jp.beltoise, p.rodriguez | Tags : jackie stewart, matra ms80 | Lien permanent | Commentaires (13) | Facebook | |
Commentaires
Écrit par : Manu Lacherie | 04 février 2021
Répondre à ce commentaireÉcrit par : Francis | 11 février 2021
https://les-auteurs-numeriques.com/bd/author.php?ref=289
Écrit par : Manu Lacherie | 12 février 2021
Écrit par : Manu Lacherie | 12 février 2021
Écrit par : Francis | 12 février 2021
en tout cas vous pouvez me suivre sur FB ou Instagram en cherchant ManuheaDessine
Écrit par : Manu Lacherie | 12 février 2021
Écrit par : F.Coeuret | 05 février 2021
Répondre à ce commentaire" Ma che cAzzo fai ! " Expression pas très élégante , mais souvent employée , et qui en France peut correspondre à " Mai quesque tu fout ! "
Écrit par : Albert | 05 février 2021
Répondre à ce commentaireÉcrit par : Raymond Jacques | 06 février 2021
Répondre à ce commentaireÉcrit par : Jean-Marc Spinosa | 06 février 2021
Répondre à ce commentaireÉcrit par : Orjebin Jean-Paul | 16 février 2021
Répondre à ce commentaireQuelles belles images si bien filmées avec un modeste matériel ; je connais moins cette saison 1969 que celles à partir de 1970 mais bien sûr j'ai reconnu tous les personnages présents. Bravo et merci encore pour ce bon moment visuel agrémenté d'une musique agréable et bienvenue !
Bien sportivement ! Philippe Vogel
Écrit par : Philippe VOGEL | 17 février 2021
Répondre à ce commentairemerci pour cette magnifique video.
Ickx et Ferrari s'étaient séparés à l'amiable fin 1968, car Enzo n'avait pas un programme complet en Sport et Jacky voulait le faire, de plus Ferrari avait prévu d'engager une seule F1.
Mais ils s'étaient mis d'accord pour se retrouver en 1970, avec un double programme.
Écrit par : Bruno | 26 juillet 2021
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