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18 septembre 2012

A quelques mètres près...

jean behra

 

1958 - 1959 - Dans la cour de récré, il y a un terrain de basket. Ses lignes blanches, peintes au sol, sont aussi un circuit pour courses de voitures. Je pilote la Talbot-Lago bleue numéro quatre. Et je suis plutôt bon pilote. Le pouce sur le capot, une pichenette, et ma Talbot-Lago s’élance… Toute la difficulté réside à ne pas sortir de la ligne blanche. Si on en sort, on revient au point de départ. Mon plus féroce adversaire est Michel M. Il pilote une méchante Auto-Union de record vert pâle avec des roues rouges. J’ai beau préparer très soigneusement ma Talbot, bien graisser les essieux au savon, Michel M. arrive souvent en tête, avec sa voiture profilée à la fantastique tenue de route. Il a lui-même décidé qu’il était « Fangio » ! Moi, je m’en fiche : je suis « Jean Behra » ! ! !

 

jean behraAoût 1959 - C’est le magazine qui propose à ses lecteurs « le choc des photos et le poids des mots ». Dans ce numéro, il montre une photo floue, en noir et blanc, représentant l’accident de Jean Behra sur le banking de l’Avus, le 1er aout 1959. Une vague silhouette humaine, qui semble exécuter un vol plané en plein ciel, y est signalée par un cercle. C’est le corps du pilote français, éjecté de sa voiture, qui effectue là sa dernière cabriole… Quand je découvre cette page, je suis figé d’horreur : « je » suis mort………

La grande trouille des pilotes de cette époque était de capoter, de se retrouver prisonniers dans leurs voitures retournées, et d’y mourir brûlés vifs dans l’incendie qui n’aurait pas manqué de se déclarer ! Jean Behra avait donc mis au point une technique très personnelle qui lui permettait de se faire volontairement éjecter de sa voiture en cas de violente sortie de route. Il y avait laissé – pour le moins - une oreille (la droite, avantageusement remplacée par une prothèse*) et un morceau de son nez, mais il s’en était toujours sorti vivant. Rapiécé, suturé, brûlé, fracturé, recousu mais vivant.

 

jean behraL’Avus ne doit pas son nom à quelque empereur romain (très) en avance sur son temps, mais c’est le sigle acronyme correspondant à Automobil Verkehr und Ubung Strasse, soit, approximativement, « route d’exercice et de circulation automobile ». En fait, il s’agissait d’une portion d’autoroute publique toute aussi droite que le mètre étalon du pavillon de Breteuil. D’une longueur totale d’un peu plus de huit kilomètres, le circuit empruntait alternativement chacune des deux chaussées de l’autoroute. Il était terminé d’un côté par une sorte d’épingle à cheveux qui reliait ces deux chaussées, et de l’autre par un virage relevé, très en vogue dans l’entre deux guerres, la Nordkurve. Surnommé « le Mur de la Mort », ce banking était, selon la rumeur de l’époque, le plus incliné et le plus large du monde. C’était surtout une piste de briques à peu près plate, contrairement à celles de Montlhéry ou de Monza qui sont incurvées. Elle était extrêmement cassante pour les mécaniques, et elle se transformait en terrible patinoire à la moindre pluie. Conçu au départ pour battre des records de vitesse, l’Avus était quelque peu inadapté aux courses classiques.

 

jean behra

En ce pluvieux 1er août 1959, deux pilotes firent le même terrible valdingue dans le banking de la Nordkurve. Jean Behra y laissa la vie, parce que sa Porsche RSK numéro 21 vint heurter de plein fouet et en marche arrière un socle de béton qui avait servi de support à une batterie de DCA pendant la guerre. Pour tout arranger, les organisateurs avaient dressé des mâts supportant des drapeaux – sans doute ceux des pays compétiteurs - au sommet de l’anneau de vitesse, et dont l’un d’entre eux fut abattu dans l’accident. Lorsqu’un spectateur (???) prit la photo du vol plané du pilote français publiée dans « Paris-Match », Jean Behra avait probablement déjà été tué, écrasé par le moteur de sa Porsche et par l’extrême violence du choc. Carel Godin de Beaufort eut, lui, rendez-vous ce jour-là avec la chance : la sortie de piste de son spyder Porsche dans la Nordkurve fut amortie par des arbres et la voiture retomba sur ses roues comme un chat retombe sur ses pattes… Carel contourna le virage relevé par l’extérieur et reprit la course ! ! ! Mais il fut rapidement arrêté par les commissaires… Contrairement à Montlhéry, où une sortie de l’anneau de vitesse ne pouvait se solder que par un drame (comme le malheureux Benoit Musy et sa Maserati 200 S, le 7 octobre 1956), le virage relevé de l’Avus ne finissait pas en manière de falaise abrupte comme celui du circuit français, mais il était doté d’une sorte de contre-pente. On comprend alors comment ce miracle a pu se produire. De Beaufort décida de poser au sommet du banking, pour une photo qui explique tout…

jean behra

Ce jour-là, le pauvre Behra n’avait vraiment pas de joker dans son jeu… Il aurait pu s’en sortir s’il n’avait pas percuté ce maudit socle de béton. A quelques mètres près……………

* L’histoire raconte que Behra adorait enlever sa prothèse dans les moments les plus inopportuns. Ce qui devait, j’imagine, lui procurer une grande jubilation intérieure !

 

Raymond JACQUES, alias JaC, peintre épisodique, provincial et banlieusard à la fois.

 

1. Crash JeanBehra by JaC©JaC

3. JeanBehra by JaC©JaC

 

En définitive, ce ne sont pas deux, mais bien trois pilotes qui sortirent du banking ce jour là.

MsO

jean behra

11:30 Publié dans j.behra | Tags : jean behra | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |

Commentaires

Article émouvant sur la mort de Jean Behra que j'ai bien connu.
Je vous adresse une photo en couleur que j'ai prise au G.P. F1 d'Allemagne sur le Nürburgring en 1957 avec Jean Behra.
Une photo à la couse de côte du Gaisbergrennen 1958.
Une photo l'aéroport du ôsterreichischen Zeltweg 1958.
Amités sportives.
François Blaise ( commissaire inter. 61- 91 historien amateur)

Écrit par : François Blaise | 23 septembre 2012

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