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05 mai 2020

La malédiction des graves noires

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Une fois arrivé au sommet du Puy de Dôme à quelques encablures de Clermont-Ferrand le visiteur, en plus d'admirer le remarquable panorama du site, prend conscience qu'il visionne la plus grande chaîne volcanique d'Europe. Elle culmine à 1885 mètres au sommet du Puy de Sancy. L'ensemble du domaine géologique est endormi depuis environ sept mille ans. Le Puy de Gravenoire, un des nombreux petits volcans de la chaîne, surplombe le circuit automobile de Charade. Il est composé d'un mélange trachy-basalte, roche noire ou parfois rouge issue du refroidissement qui a suivi la fin de l'activité sismique. Bien que reposant paisiblement dans cet écrin jadis chaotique ces roches n'en sont pas pour autant inoffensives.

Ceci nous amène à évoquer deux épisodes concernant le Grand Prix de France automobile de Formule 1...

François Coeuret


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Charade : La piste d’origine

Charade a souvent été comparé à un petit Nürburgring (l’ancien). Stirling Moss le considérait comme « le plus beau circuit du monde ». Ce circuit est sis à une altitude moyenne de 800 mètres, se déroule sur huit kilomètres. Il possède 51 virages et d’importants dénivelés.  Le tracé est varié, composé de secteurs rapides (lignes droites et courbes) combinés avec des virages à angles serrés. La moyenne au tour se situe autour de 160km/h pour les Formule1. Le ruban de bitume au fond du circuit auvergnat est assis sur un remblai composé bien sûr de roches volcaniques. Le secteur contournant l’ancien volcan est baptisé Gravenoire, orthographié parfois Grave Noire, nom du puy le surplombant.  Ce site fut exploité.  Une carrière vit le jour, on y extrayait la pouzzolane présente sur les lieux. Les bordures du circuit côté nord-est sont particulièrement garnies de rocaille volcanique. Notamment de cailloux souvent acérés, les « graves noires » ainsi nommées par les locaux. Ils sont à l’origine de quelques soucis rencontrés par les concurrents des courses organisées sur cette piste.

 

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5 Juillet 1970 - Grand Prix de France

Début d’après-midi, la Ferrari de Jacky Ickx mène la danse depuis le baissé du drapeau... Quinzième tour, le pilote parisien au volant de sa F1 bleue prend la tête de la course. Jusqu’alors calé dans la boîte de vitesse de la monoplace rouge il s’est débarrassé de son plus coriace adversaire victime d'un souci mécanique. Le public français jubile. Une voiture 100% française mène le Gand Prix, châssis, moteur, pilote ! Cela fait des lustres que ce n’est pas arrivé. Le staff de l’écurie balance entre le bonheur de la situation et le stress de l’attente du drapeau à damier. Il reste tout de même 23 tours du circuit de huit kilomètres à boucler. 20e tour, Jean-Pierre Beltoise roule avec seize secondes d’avance sur Jochen Rindt, ça baigne. Beaucoup commencent à y croire. Le V12 de la Matra MS120 sonne clair et JPB domine son sujet...

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Trois tours plus tard l’angoisse grandit dans le stand des bleus. Rindt remonte régulièrement jusqu’à opérer la jonction puis passer le leader dont la voiture est de plus en plus instable. Il perd beaucoup de terrain. Tour 27 :  Arrêt au stand, un pneu arrière s’est dégonflé lentement, Jean Pierre a roulé sur un de ces petits graviers acérés déposés sur la piste par les concurrents flirtant avec les bas-côtés. La malédiction enfonce le clou côté mécanique puisque après avoir changé ses deux pneus arrière Jean-Pierre Beltoise s’arrête une seconde fois. Le moteur déjauge. Les mécanos constatent qu’il reste pourtant suffisamment d’essence pour finir la course. Rindt sur la Lotus en a profité pour remporter son quatrième grand prix. La déception est grande dans le clan français après le fiasco du Mans. Le public quitte le circuit un peu abasourdi. Une belle occasion manquée.


 

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2 Juillet 1972 - Grand Prix de France

Après un passage sur le nouveau circuit provençal du Castellet en 1971, le Grand Prix de France retrouve Charade l’année suivante. La MS 120 de 1970 est maintenant devenue MS 120D. Un nouveau châssis plus rigide, plus léger muni de la dernière version du V12 maison. Matra qui vient de remporter les 24H du Mans est toujours à la recherche d’une victoire en F1 avec ce moteur. Ce n'est plus un pilote français aux commandes mais un Néo-Zélandais. Sur ses épaules l’équipe française fait peser une forte pression.  Jean-Luc Lagardère s’est fixé l’objectif suivant : victoires au Mans et au Grand Prix de France. Le premier challenge est rempli, reste le suivant. Chris Amon a réalisé le meilleur temps des essais précédant le Grand Prix. On gamberge dans le stand en fin d’après-midi la veille de la course. Chris est « briefé » façon débutant tête en l’air ! Un pilote qui compte tout de même derrière lui neuf saisons de Formule 1 et qui va courir pour la quatrième fois à Charade...

- « Méfie-toi des graviers qui s’accumulent en bordure de trajectoire ... »

Il faut dire que la crevaison de 70 est encore gravée dans l’esprit de l’équipe.

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Amon part en trombe une fois le drapeau national abaissé. Hulme puis Stewart se signalent dans ses rétros. Le Néo-Zélandais au casque tricolore s’arrache et déploie tout son art du pilotage. Il transporte beaucoup plus de carburant que ses collègues champions du monde. Le V12 Matra est plus gourmand que le Cosworth. Amon compense mais pendant les dix premiers tours la voiture bleue se trouve sous la pression des deux acolytes. Chris ne cède rien, il va même prendre un peu d’air au prix d’un gros forcing ... Au point d’oublier la consigne des graves noires...?

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20e tour : la bleue rejoint son stand pneu avant gauche crevé (*)... La malédiction a encore frappé ! Une vraie guigne... Reparti huitième Chris Amon va remonter pour accrocher la troisième marche du podium avec pour maigre consolation un meilleur tour en course. Stewart remporte la course. Il a su rester prudent et ménager ses pneus à partir de la mi-course. A moins que les très bonnes relations qu’il entretient avec Goodyear lui aient permis de toucher pour la course un train de pneus à la bande de roulement renforcée. Certaines archives abordent le sujet.   

Matra quitte la F1 à l’issue de cette saison. La malédiction des graves noires va cesser avec l'abandon de ce beau circuit par la Fédération française pour ce qui concerne les grandes courses internationales …

 

(*)  Amon ne fut pas le seul à subir une crevaison, Redman,  Depailler,  Adamich et Ickx connurent  le même sort. Helmut Marko quant à lui perdit un œil à la suite d’une projection de pierre.

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- Images ©DR

Commentaires

Sacrées Matra MS120, que de frissons ne nous ont-elles pas donné ! Si on a bien lu "Mes années Matra" de Bruno Morin (et Patrice Moinet), on n'ignore plus rien de leurs faiblesses, techniques ou humaines. En 1er lieu, un châssis disons-le "raté", ensuite une mise au point moteur pas au top, notamment en ce qui concerne le cloisonnement du carter d'huile.
Mais rêvons un peu en imaginant ce qu'aurait pu donner en 72 une équipe Matra composée d'Amon et Cevert conduisant des MS120D bien motorisées, tout était alors possible.
En attendant merci à François pour cette note qui nous emmène un peu voyager en ces temps de disette.
Like a rolling stone...

Écrit par : Francis | 06 mai 2020

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