06 juin 2020
24 Heures d’endurance du Mans 1923
Paris 1922. Georges Durand, président de l’ACO, Charles Faroux, journaliste à La vie automobile et Émile Coquille, directeur pour la France des roues métalliques Rudge-Whitworth, se réunissent en vue de finaliser un projet de nouvelle course, différente des « Grands Prix » de vitesse. Les trois hommes élaborent le concept d’une épreuve disputée sur 24 Heures. Le but d’une telle compétition est d’éprouver l’endurance des organes automobiles, l’ensemble de la mécanique, les phares pour la partie nocturne ainsi que les capotes qui devront être abaissées durant vingt tours en début de course.
François Coeuret
Présentation de l’épreuve
Le circuit est le même que lors de l’organisation du Grand Prix de l’ACF 1921. Il se déroule sur 17,26 km. La course est ouverte aux voitures inscrites sur catalogue constructeur, aucune modification mécanique n’est admise. L'enjeu est d’atteindre une distance en kilomètres dépendant de la cylindrée du véhicule. Ainsi, les Excelsior Albert 1er, de 5.343 cm3 de cylindrée, devaient effectuer 1.558 kilomètres au minimum en 24 heures pour continuer à disputer la Coupe Rudge-Whitworth 1923-1924 lors de l'édition suivante.
Cette règle a eu une conséquence importante sur cette première édition. Certains équipages ont ralenti la cadence dès que leur distance minimum avait été franchie, afin de ménager leur véhicule pour leur permettre de rallier l'arrivée. Elle a néanmoins permis d'obtenir le taux d'abandon le plus faible de l'histoire des 24 Heures du Mans. Après 24 heures de course, 30 véhicules seront à l’arrivée sur 33 au départ. Le règlement ne prévoit pas de classement mais les officiels publieront un palmarès tenant compte du nombre de tours réels parcourus par les concurrents. Ce que la presse relaiera le lendemain.
Le grand prix d'Endurance de 24 Heures de 1923 est la première manche de la coupe Rudge-Whitworth. Cette coupe existait en 2 formats : biennale (meilleure performance sur 2 grands prix d'endurance) et triennale (meilleure performance sur 3 grands prix d'endurance).
Rolland-Pilain 1923
Les engagés
Dix-sept constructeurs vont prendre part à la course, la firme Voisin ayant déclaré forfait. Ce contingent est hétéroclite. De la voiture de sport à la pure voiture de série voire au modèle commercial, il y en a pour tous les goûts. Les constructeurs souhaitent mettre à l’épreuve leur création et tirer parti des prestations réalisées lors de cette épreuve hors du commun. Les retombées publicitaires sont importantes et déjà d’actualité. Pour certains l’aspect endurance prime, pour d’autres il est lié à celui des performances. C’est le cas des créateurs de modèles « sport ». La partie nocturne sera l’occasion de développer et d’améliorer l’efficacité de l’éclairage. Un constructeur, Georges Irat, a prévu de faire connaître précisément sa consommation moyenne de carburant aux cent kilomètres (contrôle officiel). Les modèles Bignan vont tester le ressort de suspension à flexibilité variable breveté « Fram-Vermot ». Chez Rolland Pilain, parmi les quatre modèles de série faisant partie du catalogue, une des voitures appartient à un client qui l’utilise depuis un an.
Nombreuses sont les voitures françaises, parmi les plus célèbres on relève des Bugatti, Lorraine-Dietrich, Chenard et Walcker, Brasier, Delage, Berliet, Rolland-Pilain, Amilcar, Salmson, Bignan. Moins prestigieuses : les SARA, Georges Irat, Corre La Licorne, Vinot-Deguingand et une Montier Spéciale sur base Ford T engagée par Charles Montier. Trois voitures étrangères, deux Excelsior belges, une Bentley 3L Sport. Trois couleurs sur les carrosseries : le bleu pour la France, jaune pour la Belgique, vert pour la Grande Bretagne. Parmi les pilotes cinquante-neuf Français, quatre Belges, un Britannique, un Canadien et un Suisse.
Bugatti #29, Bugatti #28, Montier Special
Les essais
Les essais se sont déroulés le vendredi 25 mai 1923. Ils n'étaient pas qualificatifs, la validation du pesage suffisait à la qualification d'office. La grille de départ s'établit en fonction de la cylindrée des véhicules par ordre décroissant (elle reprend ainsi l'ordre des numéros). Les Excelsior Albert 1er de 5,4 l ayant la cylindrée la plus importante s'élanceront en tête. Le départ s'effectue en ligne selon l'ordre suivant :
- 1re ligne : Excelsior Albert 1er n° 1 et n° 2
- 2e ligne : Lorraine-Dietrich B3-6 n° 5 et n° 6
- 3e ligne : Lorraine-Dietrich B3-6 n° 7 et Bentley 3L n° 8
- 4e ligne : Chenard et Walcker Sport n° 9 et n° 10
- 5e ligne : Chenard et Walcker Sport n° 11 et Berliet VH n° 12...
Excelsior, Salmson
La course (samedi 26 mai)
Le Grand Prix d’endurance du Mans n’est donc pas à proprement parlé une épreuve de vitesse. L’objectif est d’abord de parcourir la distance minimum imposée par catégorie de cylindrée. Elle est qualificative pour concourir à la Coupe Rudge-Witworth.
Les pilotes sont en grande majorité des amateurs, les professionnels n’ont peu ou pas répondu à l’appel de cette « course » si tant est qu’il y en eut un. Cette épreuve à l’époque apparaissait comme un défi dans sa nouveauté et les difficultés que comportait ce parcours de deux tours d’horloge. En consultant la liste des pilotes j’avoue que peu de noms me parlent. Cependant mes connaissances ont des limites. Robert Benoist sur Salmson est le seul nom familier. Les Belges André Dills et Nicolas Caërels sont pilotes usine Excelsior.
Pour suivre la course un grand tableau d’affichage régulièrement actualisé par des « coursiers » est consultable près des stands. Sur la bande centrale les numéros des voitures, au-dessus le nombre de tours minimum à couvrir, en dessous le nombre de tours effectués ainsi que la distance parcourue. Deux passerelles ont été construites et un camion « de propagande parlée » est installé pour l’information du public. Certains secteurs du circuit ont été goudronnés. Les virages sont éclairés la nuit. Des clairons près des zones d’habitation signalent l’arrivée de concurrents !
La météo est perturbée par un orage au moment du départ. Les concurrents s’élancent à 16h sous la pluie battante. Les voitures évoluent dans certains secteurs sur une piste de terre boueuse très glissante. Côté vitesse les grosses cylindrées prennent naturellement le dessus. Les Excelsior, Chenard et Walker, la Bentley, les Bignan et Lorraine-Dietrich se détachent alors que la Bugatti Brescia 1500 n°29 fait bonne figure.
Les conditions atmosphériques s’améliorent petit à petit et des équipages se piquent au jeu de la vélocité. Si l’endurance est l’objectif de cette épreuve, la vitesse pure est cependant restée une motivation importante pour certains. Pour preuve, le record du tour en course de la Bentley 3L n°8 (classée 4e) en 9mn 39sec a été établi lors de la dernière heure de course, alors que cette voiture avait déjà dépassé son objectif kilométrique.
Chenard & Walker, Lagache / Leonard
Les Chenard et Walker s’imposent au fil des heures. Lagache-Leonard les « vainqueurs » ont parcouru 128 tours soit 2209,5 km à une moyenne de 92 km/h, meilleur tour en 9mn 59sec. André Lagache est ingénieur chez Chenard et Walker, René Léonard chef essayeur de la firme. La seconde voiture du constructeur assure le doublé devant une Bignan et une encombrante Excelsior belge.
La Georges Irat 4 A3 (moteur 1086cm3) classée 15e a consommé 8,6l/100 sur l’ensemble de l’épreuve, a effectué 93 tours et roulé à 66,88 km/h de moyenne.
Ces premières 24 Heures ont reçu un vif succès populaire. L’idée du « village » avait déjà germé, il était situé derrière les tribunes des Raineries. Ecran cinéma, orchestre, kiosques boissons et restauration étaient installés à proximité de la piste. Rendez-vous est pris pour l’année suivante !
Affichage après 17h de course
Classement de la presse : les dix premiers (plus de cent tours accomplis)
Pos |
N° |
Voiture |
Moteur / Plaque |
Pilotes |
Trs : Distance |
01 |
9 |
2978 S4 (Plaq.: 61720E5) |
128 trs (2209,536 km) |
||
02 |
10 |
2978 S4 (Plaq.: 6?4I2) |
124 trs (2140,488 km) |
||
03 |
23 |
1979 S4 |
120 trs (2071,440 km) |
||
04 |
2 |
5343 S6 (Plaq.: 29?) |
112 trs (1933,344 km) |
||
04Bis |
8 |
2996 S4 (Plaq.: XM6761) |
112 trs (1933,344 km) |
||
04Ter |
24 |
1979 S4 |
112 trs (1933,344 km) |
||
07 |
11 |
2978 S4 (Plaq.: 7902I2) |
110 trs (1898,82 km) |
||
08 |
7 |
3445 S6 (Plaq.: 2848WI) |
108 trs (1864,296 km) |
||
09 |
1 |
5343 S6 (Plaq.: 6051I2) |
106 trs (1829,820 km) |
||
10 |
29 |
1496 S4 (Plaq.: 422WI) |
104 trs (1795,248 km) |
- Images ©DR
13:15 | Tags : 24h du mans 1923, chenard&walker | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook | |
Commentaires
Je dois ici vous faire une navrante confidence : je suis un type imbuvable. Voire même rigoureusement immangeable. Je suis un sectaire borné qui ne connait de la course automobile que la seconde moitié des années cinquante et les années soixante. Mes idoles du volant sont Fangio, Moss et Behra. Mes voitures de rêve sont les Maserati 300S et 250F, les Vanwall, les requins Ferrari 156 et les fantastiques Lotus XI. Imbuvable, je vous dis ! Mais ! Mais… voici une ode à l’une des plus légendaires compétitions automobiles de tous les temps, parmi les trois principales : le Grand Prix de Monaco, les 500 Miles d’Indianapolis et… et… LES 24 HEURES. Celles du Mans, bien sûr. Entre les sauterelles des années 20, sautillant sur leurs pneus étroits et au volant desquelles les équipages risquaient leurs peaux et les tourniquets modernes, aseptisés et – pour moi – terriblement soporifiques, je choisis la première offre. Merci, François, un grand, un énorme merci de rappeler qu’il y a un siècle, des fanatiques commençaient une aventure qui perdure aujourd’hui.
Écrit par : Raymond Jacques | 06 juin 2020
Répondre à ce commentaireOh non ! Vous n'êtes pas imbuvable Raymond, les pilotes que vous citez de même que les autos sont des monuments...Aucun passionné n'est en mesure de vous contredire sur ce "coup". Par contre en ce début de 21ème siècle que de choses de plus en plus imbuvables ont vu le jour sans parler particulièrement de la course automobile...Mais je dérive... Pour revenir aux pneus puisque Raymond nous en parle je réalise (un peu tard concernant ma note!) qu'en 1923 les vainqueurs roulaient sur des gommes Michelin comme leurs collègues sur la Toyota qui a remporté les 24H 2019. Un pont de près de cent ans...
Écrit par : F.Coeuret | 06 juin 2020
Répondre à ce commentaireMichelin est, en quelque sorte, un "cas". A la fois entreprise familiale et multi nationale, elle semble incassable, inébranlable, prête à affronter les siècles à venir... Alors que beaucoup d'autres colosses de l'industrie contemporains ont disparu, Michelin dure et perdure. Un reproche, néanmoins : le "Guide", le célèbre bouquin rouge, dû à la base aux géographes des fameuses cartes qui sillonnaient la France. Ce monument touristique et gastronomique est récemment tombé entre les mains d'abrutis, de crétins majuscules. Ils ont voulu se rendre intéressants en massacrant des chefs mythiques et des établissements légendaires. Pathétique.
Écrit par : Raymond Jacques | 07 juin 2020
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