09 juin 2023
Montjuic 1969 : la malédicti(Am)on !
Mai 1969, un dimanche matin; une tornade nommée « Led Zeppelin » vient à peine de débouler, le Printemps de Prague est désormais enterré, l’ORTF nous fait la faveur de diffuser des images du Grand Prix d’Espagne disputé en fin de matinée sur le merveilleux tracé du Parc Montjuic à Barcelone.
Cette course va me marquer pour plusieurs raisons : la prolifération des ailerons gigantesques, les accidents qui en découleront, la prise du pouvoir par l’écurie Matra - International - mais surtout la guigne indéfectible de Chris Amon.
Francis Rainaut
La piste
Le circuit de Montjuic (ou Montjuïc), qui domine le centre de Barcelone, a été utilisé une première fois pour la course en 1933. Il est long de 3,8 km.
Il a fallu attendre 1966 pour y revoir des épreuves, d’abord en formule 2 puis en Sports. Afin d’accueillir les formule 1, la piste est re-surfacée et équipée de barrières Armco, mesure qui allait s’avérer prémonitoire.
Le parc de Montjuic (1) se situe sur le flanc d'une colline. C’est une attraction touristique majeure. Du haut du parc, qui a lui-même été rénové, on peut voir Barcelone s'étendre en contrebas, c'est un spectacle assez magnifique.
Les pilotes, les engagés, les professionnel et la Presse furent unanimes dans leur appréciation de cette nouvelle étape du Championnat du Monde. Le seul problème semble être les douaniers espagnols qui rendent encore très difficile l'introduction d'une voiture de course dans le pays ainsi que la police plutôt stupide pour gérer les accréditations dans des stands. Personne n’oublie qui est encore à la tête du pays, un certain Francisco Franco…
- (1) Littéralement, le Mont des Juifs, ainsi nommé en raison de la présence à cet endroit d'un cimetière israélite
Les engagés
L'Espagne n'est que le deuxième Grand Prix de l'année, mais tout le monde attend des 4 roues motrices. En vain, seule l'écurie Matra International, gérée par Ken Tyrrell engage des modèles 1969. L'équipe est venue avec deux MS80, dont une neuve destinée à Beltoise, plus une MS10 en réserve. Les MS80 se présentent avec un capot avant plus plat; un aileron avant et des flaps élargis seront testés aux essais.
Le Gold-Leaf Team Lotus a amené deux 49B de 1968 et une 49 Tasman en réserve. L'essentiel des évolutions concerne la largeur des ailerons, ce sur quoi va travailler le Team pendant tous les essais...
La Scuderia Ferrari a décidé de se concentrer sur une seule monoplace sur laquelle de multiples améliorations, notamment moteur ont été apportées. Amon, bien aidé par les pneus Firestone, semble enfin disposer d'une bonne arme, comme on va vite s'en rendre compte lors des essais. La première victoire du pilote néo-zélandais en formule 1 ne devrait plus tarder.
L’Owen Racing Organisation qui a connu des problèmes de jeunesse avec son nouveau moteur V12 BRM à 48 soupapes a désormais le sourire. Pour la première fois, les deux monoplaces sont équipées de ce nouveau moteur, seul le malheureux Pedro Rodriguez engagé par le team Parnell doit se contenter du V12 à 24 soupapes un peu poussif. Pas comme Pedro.
Pas grand-chose de neuf chez McLaren Racing. Seul Bruce dispose du modèle intérimaire M7C pourvu d’un auvent travaillant.
Côtés pneumatiques, les Matra ainsi que les BRM et la Brabham de Courage sont en Dunlop, les CR84. Firestone équipe les trois Lotus et la Ferrari avec son ZB11. Le reste du plateau est monté en Goodyear, qui sort un nouveau dessin.
Les essais
Les premiers essais débutent le jeudi en fin d’après-midi. Et c’est Chris Amon, au volant d’une Ferrari revigorée, qui claque un meilleur temps - 1’27’’6 contre 1’33’’3 pour les F2 - devant le Champion du monde en titre, Graham Hill. On attendait l’autre Lotus, mais un chien s’est malencontreusement trouvé sur la trajectoire de Jochen Rindt, et le train avant a souffert, mais pas autant que le pauvre animal. Jackie Stewart est à une demi-seconde, Jacky Ickx lui, casse son injection. Piers Courage n’a même pas pris la piste, Williams a des problèmes avec les douaniers espagnols peu coopératifs.
Le lendemain Hill égalise le temps d’Amon, et Rindt, plutôt mécontent de sa monoplace, claque tout de même un 3e temps.
La troisième séance se déroule le samedi. Un amortisseur a été changé sur la Lotus de Rindt qui réalise avec brio le meilleur temps. Son aile arrière a encore été élargie, et cela se voit au chronomètre. De son coté, Amon se démène pour contenir Hill. Ce qui nous donne trois monoplaces « Firestone » en 1e ligne, derrière elles Brabham et Stewart sauvent les meubles, mais clairement ils ne partent pas favoris.
Le scénario est parfait. Deux pilotes de talent sont donc favoris pour remporter leur première victoire en formule 1, bien aidés par leur monte pneumatique. Et les Matra vont devoir puiser dans leurs ressources pour rester dans la course en tête.
Ce pourrait-il enfin être le jour de de Chris Amon ?
La course
En fin de matinée et par un temps splendide, le départ de la course va pouvoir être donné. Il est précédé d’un défilé de jolies filles porteuses de drapeaux nationaux; le public est venu en masse, tout est prêt pour la fiesta. Mais si fête il doit y avoir, les carabiniers ne vont pas manquer de tout faire pour la gâcher.
En pré-grille, les mécaniciens de BRM découvrent soudain une fuite d’huile, on l'apprendra une durite s'est fendue, sous la monoplace du pauvre Oliver. Un mécano essaie alors de prévenir le pilote, mais un policier le bloque et Jackie s’élance, arrosant d’huile sans s’en rendre compte une bonne partie du circuit. Pagaille sur la grille de départ, les organisateurs tentent d’étancher la flaque d’huile avec du ciment, et un second tour de reconnaissance est lancé. Oliver pendant ce temps rejoint les stands pour faire changer la durite. On s’agite également autour de la Matra de Stewart, dont le moteur cafouille. On finira par lui changer les bougies ainsi que le boitier d’allumage. C’est maintenant Piers Courage qui ne peut démarrer, mais l’on empêche ses mécaniciens d’intervenir. Le public hurle, les matraques volent…
En définitive, le salut viendra du Directeur de Course, le comte Villapaderna, qui s’interpose et laisse les mécanos Williams pousser la Brabham pour la démarrer, sous les vivats du public. Ollé !...
Derrière mon écran N&b, j’ignore évidemment tout de ces péripéties. Rivé au poste, je suis avec attention le départ, où Rindt s’envole comme prévu, suivi comme son ombre par un Amon déchaîné lui-même talonné par Siffert pas en reste. La course est lancée !
Hill suit derrière, on a bien les quatre monoplaces « Firestone » devant, comme on s'y attendait. Rindt et Amon se détachent, enfin du neuf sur les Grand Prix ! Cependant au 8e tour, et sans que l’on s’en rende vraiment compte derrière le poste, le moteur de la Ferrari émet des bruits inquiétants, le chat noir serait-il déjà de retour ? On apprendra plus tard qu’il s’agit d’un injecteur bouché.
Plus d’inquiétude au tour suivant, qui voit Graham Hill sortir de la route, sans mal fort heureusement mais de façon spectaculaire. Il s’agit manifestement d’un incident mécanique.
La course continue, il ne se passe pas grand-chose hormis quelques ennuis pour les BRM. Rindt vient d’entamer son 20e tour lorsque les drapeaux jaunes s’agitent à nouveau. Grosse panique dans le stand Lotus, où l’on a cru voir l’aileron se détacher sur la monoplace de l’Autrichien.
Effet du hasard, Rindt à plus de 220 km/h est effectivement violemment sorti de la piste à l’endroit même où Hill s’est arrêté et est venu écraser sa monoplace sur les rails Armco. Jochen est prestement évacué vers l’hôpital, sans blessure grave en apparence.
Ce qui nous met maintenant en tête Chris Amon la malchance, qui va évidemment tout faire pour enfin remporter enfin un Grand Prix. Il possède alors une marge de 25’’ sur l’ultime Lotus encore en course, celle du vaillant « Seppi ».
Paradoxalement la course devient un peu monotone, Siffert abandonne sur casse moteur, il manque déjà cinq monoplaces, nous n’en sommes qu’au tiers de l’épreuve.
Amon a désormais une large avance, on a oublié ses ennuis d’injection. La course de Jack Brabham s’arrête là, une bielle a traversé le carter. Beltoise s’arrête plusieurs fois à son stand pour faire régler sa timonerie de boîte de vitesses.
56e tour : et puis soudain, les évènements se précipitent. Amon passe au ralenti devant les tribunes, de son moteur s’échappe un panache de fumée, le V12 émet un bruit affreux. Le Néo-zélandais stoppe sa Ferrari et rentre à pied à son stand. En manque de pression d’huile, il a dû se résoudre à couper le contact (2).
Et le beau rêve de s’arrêter là. Amon est décidément maudit, on commence sérieusement à douter qu’il puisse un jour en gagner une. Collé à mon poste de TV, j’en aurais pleuré !
Le beau Grand Prix se transforme alors en défilé des rescapés.
Certes cela replace les Matra devant, mais on préférerait des victoires acquises avec plus de panache. Le podium accueille le tiercé Stewart / McLaren / Beltoise.
- (2) en début de course, un injecteur s'est bouché sur le V12 Ferrari, avec comme conséquence de « laver » un cylindre, ce qui a probablement entrainé une usure de la segmentation. D'où la consommation d'huile excessive.
Le passage des injecteurs dans une « bête » cuve à ultrasons aurait peut-être pu éviter ces ennuis, mais avec des si... A noter que sur ce coup-là le Kiwi n'y est pour rien.
Epilogue
Au moment d’écrire la conclusion, me vient l’ombre d'un doute. Ce Grand Prix d’Espagne a-t-il vraiment été diffusé à la TV française ? J’ai cherché des traces, en particulier sur le site de l’INA, je n’ai rien trouvé. Ces images seraient-elles le fruit de mon imagination ? J’en appelle à vos souvenirs. Quoi qu’il en soit, cela ne change pas grand-chose rien à mon récit, cette course existe bel et bien dans mon esprit.
L’affaire des ailerons laissa elle des traces. Rindt écrira à Colin Chapman une lettre (3) lui faisant part de ses doutes quant à la sécurité des Lotus. Il semble également qu’il ait été plus sérieusement touché que prévu par son accident. Dès Monaco deux semaines plus tard, la C.S.I. sonnera le glas des grands ailerons.
Le couple Amon-Ferrari commença à prendre l’eau de toute part. Il y eut un sursaut à Monaco, suivi d’une lente descente dans la hiérarchie. Dégouté, Chris lâchera l’affaire à Monza juste au moment de la sortie - problématique - de la 312B. Erreur funeste, ce fut la Ferrari du renouveau.
Le casque « scaphandre » Bell Star s’imposera rapidement parmi les pilotes, sans doute échaudés par les accidents ayant touchés les pilotes Lotus.
Je continuerai longtemps à guetter une victoire F1 de Chris Amon, me contentant de me réjouir qu'il ait pu échapper au pire, à l'inverse de nombre de ses compagnons de grille présents à Barcelone en cette belle matinée de 1969.
Quant à moi, je retrouverai quasiment le même plateau, moins les BRM, à Charade deux mois plus tard. Le Championnat du monde était désormais devenu l'affaire de Matra, et Chris Amon dut se contenter de participer.
- (3) [lettre du 9 mai 1969 de Jochen Rindt à Colin Chapman]
Je terminerai en rendant hommage à David Phipps, cet immense photographe à qui j'ai emprunté la plupart des photos qui illustrent cette note.
David Phipps, X, Jochen Rindt
- Illustrations ©David Phipps, ©Filmoteca Española, ©DR
09:04 Publié dans c.amon, j.rindt, j.stewart | Tags : chris amon, ferrari 312 | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook | |
Commentaires
Quel GP! Drame(s) évités de justesse avec ces ailerons géants qui endommageaient l'esthétique des F1 de l'époque, aux lignes si simples et si pures à la fois. Ouf! Elles retrouvent à Monaco des appendices fixes plus discrets qui leur donnaient finalement encore plus de gueule! Merci Francis pour ton remarquable récit plus que clairvoyant.
Écrit par : F.Coeuret | 09 juin 2023
Répondre à ce commentaireOuf ! en effet, même si je crois me souvenir que Matra pour la course suivante, à Monaco donc , était contraire à la suppression de ces ailerons, prétendant que leurs châssis ayant été conçus en fonction de cette " aérodynamique " , leur saison s'en trouverait très compromise . On connaît la suite !
Écrit par : Albert | 21 juin 2023
Edifié par le comportement de la police Espagnole, il est vrai sous dictature. Vous avez une encyclopédie entre les oreilles cher Monsieur.
Écrit par : Dagniesse | 09 juin 2023
Répondre à ce commentaireFrancis, ce GP (en partit coupé, comme à l'époque) je l'ai vu sur la TSR.
donc, si vous étiez dans la zone de diffusion, je suppose que vous l'avez vu sur la TV Suisse.
c'était un de mes premiers Grand Prix, et moi aussi j'en ai pleuré.
à l'époque le GP d'Espagne débutait à 12h, pour laisser la place aux pauvres Taureaux.
c'est pourquoi j'ai manqué le départ, j'avais du prendre au tiers de la course.
EssereFerrari
Écrit par : Bruno | 10 juin 2023
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