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08 décembre 2023

Les Coulisses de ce qui ne fut pas l'exploit

mille milles.JPG
François Libert, pilote d'Elina

Ils m'avaient dit : « 9 heures au grand café de la Porte d'Orléans, celui qui est juste à côté du salon de coiffure ». Il était déjà 10 heures et demie et je pensais à la chanson du Monsieur qui attendait au café du palais devant un Dubonnet. Ici les mouches ne volaient pas, mais l'horloge tournait, tournait... La chanson, c'étaient eux qui allaient l'avoir.
Je guettais le Combi VW bleu, blanc, rouge des Mille Milles, mais comme Sœur Anne, je ne voyais rien venir.

par O. de La Garoullaye

(Fac-similé d'un article de la revue Champion, juillet-août 1968)


elina,formule france

Ils n'arrivèrent qu'à 11 heures, les mains noires de cambouis, l’œil allumé, la mèche en bataille : ils revenaient d'une joyeuse partie de mécanique. Ils, c'étaient Pom promu au rang de chef mécanicien metteur au point, Jean-Clair contremaître, premier ouvrier et dernier arpette tout à la fois et Jean-Pierre, le pilote. Ils revenaient de Montlhéry où ils avaient terminé de monter un peu plus tard que prévu l'Elina que Jean-Pierre devait conduire deux jours plus tard à La Châtre. Le temps d'aller chercher leurs bagages chez eux, d'harponner un ami photographe et sa petite amie beaucoup moins passionnée de voitures que nos lascars, de retourner aux Mille Milles, samedi était déjà bien entamé. J'eus droit à un morceau de banquette combinesque, Pom étant installé aux commandes, Jean-Clair à sa gauche entre nous deux. Jean-Pierre devant soigner sa forme pour le lendemain, s'était étendu sur un matelas de pellicules photographiques, à l'arrière de la voiture de Daniel qui prit la route juste derrière nous.
Il ne faisait pas chaud, mais pas trop froid non plus, et de toute façon, même s'il avait fait moins trente, nous n'aurions rien senti. Dans le VW nous chantions à tue-tête contents de vivre dans l'attente de la course, désireux de couvrir le bruit très Formule Vée de ce Combi de course qui flirtait avec le cent à l'heure avec une désinvolture frisant l'insolence.
C'est drôle ces espèces de camionnettes avec un volant plat et le levier au plancher, mais ça marche bien, très bien même. Cependant, les phares ne sont pas leur point fort et au premier arrêt essence, la voiture suiveuse devint pilote... Après les machines, c'est (*) des hommes qu'il fallut s'occuper et un routier devant lequel une multitude de « bahuts » stationnait (gage de la valeur des lieux) nous ouvrit ses portes. Le temps de boire un pot, ou plusieurs pour Pom véritable tonneau des Danaïdes, de parler de la course du lendemain et de vérifier l'amarrage de l'Elina, c'était reparti. C'est amusant de voir qu'une course se déroulant le dimanche meuble les conversations de toute la semaine.
Les mardi et mercredi, clés anglaises en mains, on parle préparation et réglages. Les jeudi et vendredi font la joie des pronostiqueurs. Le samedi étant réservé aux essais, le dimanche à la course proprement dite, il ne reste que le lundi pour disséquer les résultats...

(*) "ce sont" dans le texte original

Rien pour régler
le train avant
si ce n'est
un morceau de ficelle
et un boulon

elina,formule france

Cette course, nous y pensions tous en arrivant à La Châtre, sauf Jean-Pierre qui, dormant sur sa banquette devait y rêver. Mais allez trouver un hôtel ouvert dans une petite ville de province sur le coup de quatre heures du matin !
Ce pourrait être le gage d'un jeu radiophonique ou télévisé, jeu auquel notre petit groupe ne brillerait assurément pas puisqu'après avoir frappé à toutes les portes, sillonné toute la ville endormie et réveillé une bonne partie des habitants sensibles à un échappement défaillant, nous nous décidâmes de faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Puisque les hôteliers avaient, cette nuit-là, le sommeil lourd et profond, nous n'aurions pour tout lit que le baquet de l'Elina, le siège et le plancher du Combi. Qu’on me permette une petite appréciation personnelle, le temps de reprocher aux techniciens allemands le confort par trop spartiate que procurent les pédales et le changement de vitesse lorsqu'on cherche à se lover par terre. La plume et même le crin ont vraiment plus de moelleux...
A peine le temps de s'endormir que déjà le jour naissait, chassant les velléités de sommeil que notre installation précaire nous avait laissé. Et nous voilà repartis en quête de chambres pour le soir. Nous arrachons les deux dernières de l'Hôtel du Lion-d'Or où nous petit-déjeunons avant de nous rendre au parc. Je n'étais jamais allé à La Châtre, mais je connaissais le tracé du circuit par ouï-dire. Je savais que ce n'était pas Spa ou Monza, d'accord. Pourtant, je ne me l'imaginais pas comme cela tout de même. Une route ultra étroite, minuscule serpentin d'asphalte entouré, cerné de gros arbres : un joli site oui, mais un circuit... De toute façon, la course se jouerait toute entière en accélération et au freinage et là nous étions parés.
D'ailleurs, la monoplace à peine descendue, Jean-Pierre partit roder ses plaquettes sur la nationale où déjà Dayan réglait la toute nouvelle et fort jolie Pygmée. A cause des grèves, Denis n'avait pu obtenir les plaquettes adéquates et à chaque passage, debout sur ses freins, il le regrettait amèrement. Jean-Pierre fit quelques aller et retour au milieu de cantonniers balayant la piste et de voitures de tourisme éberluées de se faire dépasser par une fusée jaune évoluant au ras du sol. Elle freinait bien notre Elina, preuve en fut faite après quelques arrêts devant nous au grand dam d'une ligne blanche toute neuve qu'un peintre traçait sur le bord du circuit. Le barbouilleur, bon enfant jusqu'à un certain point, s'en vint pinceau vengeur en main réclamer des comptes à notre champion en herbe qui, au milieu de la rigolade générale, dut s'exécuter. A quatre pattes par terre, il fallait le voir barbouiller. Le peintre ne tarda pas à mettre un terme au massacre craignant probablement qu'on mette sur son compte les bavures dues au « tachiste » Jarier ! Les appétits s'aiguisent, au grand air, et le retour à l'hôtel pour un substantiel déjeuner s'avéra le bienvenu. Dans la cour du Lion-d'Or, ça arrivait de partout et outre la Pygmée de Dayan il y avait les voitures de Nogues et Boitier. Si mes souvenirs sont exacts, je crois qu'à table nous parlâmes voitures, courses, monoplaces, pneus, freins, ou sujets du même genre : c'est curieux la propension qu'on a à parler de ces choses-là, n'est-ce pas ?

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Coupes du Salon. JPJ en 1ère ligne ©Adolphe Conrath

L'après-midi, les choses sérieuses commençaient et nous attendions, gonflés d'espoir, confiants en les talents d'acrobate en épingle de Jean-Pierre, certains que sur un tel circuit l'Elina vaudrait les GRAC et que d'ailleurs il allait tous les taper... Jean-Pierre nous avait dit qu'il tournerait à sa main, mais tout de suite, il se mit à se bagarrer et à attaquer partout. Et les glissades commencèrent. Pourtant, Max olympien de calme et Dayan appliqué à l'extrême faisaient de meilleurs temps. Tiens, c'est la deuxième fois qu'ils passent et Jean-Pierre n'est plus là, il ne repasse plus. Il a du tomber en panne, à moins que... « On demande la dépanneuse au virage du bas. » Le speaker, on le boufferait s'il était à côté de nous. On se regarde, on est déçu, on se sent tous concernés, surtout Pom qui, jurant, retrousse déjà ses manches, lâchant désabusé : « Si vous vouliez visiter les environs ce soir, c'est raté, faudra revenir l'année prochaine. »
C'est un GMC qui nous ramène l'enfant, lequel souffre du parallélisme. Une roue joue au billard, l'autre compte les points. Jean-Pierre, abattu, explique : « J'arrive en bas, je descends les vitesses, je tourne, je passe le virage et tout droit, le volant inerte dans mes mains, direction le rail. » Le docteur Pom à plat-ventre dans l'herbe contemple les dégâts, ausculte la malade et sans se départir de son flegme, annonce : « Et voilà les fautifs, deux boulons voyageurs, la direction se débranche et ça fait boum. C'est réparable, mais il y a du pain sur la planche... Bon. Au boulot, et poussez pas, il y en aura pour tout le monde. »

 

Une roue
joue au billard,
l'autre compte
les points

elina,formule france

Et nous voilà au beau milieu du chemin, là où le GMC a laissé l'Elina, qui démontons. C'est une épave et demain il faut que ce soit La voiture. La crémaillère de direction est en deux morceaux, le triangle inférieur avant-gauche est bien plié, le supérieur est irrécupérable. Pour ce dernier, ce n'est pas grave, on en a pris un de rechange. Mais pour la crémaillère... Ce n'est pas le genre de pièce qu'on emporte comme sa brosse à dents !
Pom et Jean-Clair descendirent au garage Renault et ensemble, à l'aide d'une presse hydraulique, ils se mirent en devoir de rendre au triangle inférieur la géométrie prévue par le constructeur. Quelques efforts, et la plaque du pont élévateur débarrassée au chiffon de sa pellicule de graisse, voilà un marbre parfait pour vérifier la rectitude du tube redressé. La crémaillère, bien sûr, ce fut plus délicat à réparer. Mais grâce à une bonne technique du chalumeau, les dégâts ne furent plus bientôt que vieux souvenirs. Pendant ce temps, limant les étriers de freins, opération rendue nécessaire par le montage de nouvelles jantes, je pensais à la devise « Faites du neuf avec de l'occasion ». Une fois le tout remonté, il fallut songer à régler, et l'opération tourna au folklore.
L'équipe que nous étions n'avait aucun appareil pour le réglage du train avant, mais Pom réussit quand même à l'aide d'un engin prêté par le garagiste local à faire le pincement. Pour le carrossage, les choses furent plus compliquées. Nous savions qu'il fallait un degré et demi de négatif, mais nous ignorions la concordance entre les degrés et les centimètres. Appel fut fait à de vieux rudiments fanés de maths, résidus de terminales pas si brillantes que ça et, crayonnant le sol du bout d'un tournevis, traquant en vain une racine carrée qui s'en moquait, nous n'avions pas l'air spécialement doué. Puis, nos recherches s'avérant enfin fructueuses, un boulon fut attaché au bout d'un morceau de ficelle qui traînait et nantis de ce fil à plomb nouvelle formule, nous nous mîmes en devoir de terminer le réglage. Crozier qui juste à côté de nous travaillait sur sa GRAC semblait étonné de ce travail quelque peu artisanal mais... Ce sont les résultats qui comptent !

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Un réveil à 5 h 30 est déjà dur lorsqu'on s'est couché de bonne heure mais, lorsqu'on ne dort que depuis trois heures, c'est plus que pénible. Jean-Pierre était pressé, déjà tendu, Pom se frottait les yeux, je bâillais et tous trois tentions vainement de secouer Jean-Clair qui paraissait loin, très loin. Il lâchait quelques borborygmes. quand on le secouait, tournait la tête, soupirait et repartait pour le pays des songes. À croire que c'était pour lui seul que le marchand de sable avait vidé son sac. A peine le temps d'engloutir un café que déjà la course reprenait le dessus. Le problème était de roder les pneus avant et Pom, prenant le taureau par les cornes, mit fin à ce dilemme : au volant de l'Elina, il prit tout simplement la nationale en direction de Châteauroux au milieu de ces bons gendarmes hésitant à avaler leur sifflet ou à sortir crayon et carnet à papillons. Quelques kilomètres pour user la gomme pendant que Jean-Pierre faisait les essais de la Coupe Gordini et immédiatement, les essais F.F. L'enthousiasme renaquit vraiment avec le chrono : 39", meilleur temps devant les GRAC officielles. Pour un peu nous aurions pavoisé !

« Pourvu que pendant sa manche il se tienne tranquille et ne force pas son talent », lança Daniel, alors qu'il mitraillait l'Elina rentrant au parc... La course, nous l'attendions tous, nous ne pensions qu'à cela, de Jean-Pierre en train d'effectuer un tour d'honneur après sa victoire en Gordini, à Pom au volant de la monoplace pour l'amener sur la ligne de départ. Pour franchir la butte de terre et la barrière séparant le parc de la piste, le pauvre se trouvait devant une alternative cornélienne : soit trop de gaz et les roues arrière de patiner, projetant de la terre sur les autres concurrents, soit pas assez et calage. De quoi être la risée... Tout se passa bien, Pom sortit avec les autres et s'en vint, très attentionné, ranger la voiture sur la ligne, tout à la corde. ll la mit trop sur la droite de la piste du reste, et lorsque Jean-Pierre s'installa dans le baquet, il jura à cause du sable et du gravier sur lesquels ses roues droites reposaient.

 

On ne badine pas avec les organes vitaux,
pour la direction ce fut plus délicat

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Au départ, Mieusset et Guerre-Berthelot s'envolèrent, la roue arrière droite de l'Elina, cirant, mais à l'épingle Jean-Pierre réussit quand même à doubler Guerre-Berthelot légèrement en travers tandis que l'autre GRAC prenait le large. Le large, Jean-Pierre voulut le combler sans attendre, et de raccourcir ses zones de freinage... Il semblait reprendre quelques mètres avant les deux virages lorsque, d'un seul coup, il voulut reprendre ses quelque vingt mètres de retard en une seule pression de pédale. Évidemment il ne put s'arrêter seul, l'Elina s'en venant taper du museau contre la boîte de vitesses de la GRAC d'un Mieusset en colère, et on le comprend. Notre Jarier, dépité et confus, fit encore un petit tour pendant lequel sa pression d'huile défaillante tomba à zéro. C'était l'arrêt définitif, le retour au parc. Les badauds regardaient la voiture au museau abîmé, à l'arrière couvert d'huile, qui gisait inerte dans l'herbe. A côté d'elle, Jean-Pierre réfléchissait à tous ces gens qui le traitaient de fondu, pensait à Pom qui n'avait cessé de le réprimander répétant pour la n-ième fois qu'il ne servait à rien d'attaquer comme une bête si on ne sait trouver ses limites et que... Ce n'est pas drôle de faire une faute idiote, on se sent bête, on passe du rouge au blanc selon les arguments employés, on n'ose piper mot. Et d'ailleurs, que répondre à des garçons qui travaillent sur votre auto, qui sont déçus et qui vous suggèrent gentiment de changer votre style de conduite, qui comptent sur vous...
Allez, qu'à cela ne tienne, on fera attention à la prochaine et ça bardera ! Les GRAC et les autres n'auront qu'à bien se tenir...

 

elina,formule france

Postface

De tous les pilotes ayant couru en Formule France, ils ne sont en définitive que deux - trois si l'on compte François Migault - à avoir fait carrière en formule 1, Jean-Pierre Jarier et Jacques Laffite. Et on se réjouit qu'ils soient encore là pour nous raconter leurs aventures plutôt picaresques, tel Jean-Pierre, en quête de couchage pour préparer le Mans avec la Daytona...

Cette savoureuse histoire écrite par Olivier de la Garoullaye nous replonge plus de cinquante ans  en arrière à une époque où l'on rodait  encore les freins de sa monoplace sur les routes nationales... On y retrouve cette odeur de cambouis qui évoque instantanément  Les Princes du tumulte, enfin toutes ces choses bien de notre époque.

mise en page F. Rainaut

 

- Illustrations ©DR

Commentaires

Encore de bons souvenirs ! Je me souviens de cet article dans Champion et en particulier du réglage du train avant, j’avais oublié le reste ! Merci pour vos articles

Écrit par : Jean-Claude Albert | 08 décembre 2023

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"C'est des hommes qu'il fallut s'occuper", et non pas "ce sont", merci. On dit "C"est avec eux", et non pas "ce sont avec eux"...

Écrit par : collignon | 08 décembre 2023

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C'est tout à fait exact ! Je me suis efforcé de publier le texte "tel quel", ne m'autorisant qu'à ôter l'accent sur le "E" de Elina. Mais je vais quand même corriger.
Au moins avons-nous ici affaire à des lecteurs attentifs qui ne transigent pas avec les fautes de français.
Et cela ne peut être qu'une excellente nouvelle.

Écrit par : Francis Rainaut | 08 décembre 2023

Savoureuse note en effet tout comme cette époque semblait l'être aussi. Une belle bouffée d'oxygène dans l'asphyxie des moments présents.

Écrit par : F.Coeuret | 08 décembre 2023

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Je découvre avec plaisir cet article, mais au fait quelqu’un a-t-il des nouvelles de François Libert en photo au début de l’article ? Lui qui était si disert, voire même prolixe…

Écrit par : JP Squadra | 09 décembre 2023

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Non, aucune nouvelle de François, le pire est à craindre.
Lors de nos derniers contacts, il se faisait soigner dans un établissement pour trois cancers... Sa voix était très fatiguée.
Plus de téléphone, plus de nouvelle, rien.

Écrit par : Francis Rainaut | 09 décembre 2023

Cette affaire Libert me désole, je n'arrive pas à admettre que ce personnage qui faisait partie de notre paysage amical disparaisse des radars sans que aucun de nous n'ait de details, d'explications, d'indices. C'est bien triste.

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 15 décembre 2023

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