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05 août 2023

Le comte Giovanni « Johnny » Lurani

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Carlo Felice Trossi, Gino Rovere, Giovanni Lurani et Gigi Villoresi, Maserati 4CM Crystal Palace, 1937

Dans le cénacle des amateurs de sport automobile, on se souvient de Georges « Johnny » Servoz-Gavin, aussi de John Colum Crichton-Stuart, alias « Johnny Dumfries », et de façon plus anecdotique, d'un certain Jean-Philippe Smet, plus connu sous le nom de « Johnny Hallyday ».

Mais c'est un autre « Johnny » qui nous intéresse aujourd'hui, le sémillant milanais Giovanni Lurani Cernuschi, VIIIe Comte de Calvenzano mais surtout personnage incontournable de la scène internationale des courses du XXe siècle.

Francis Rainaut, adapté d'un texte d'Alessandro Silva


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I Nerazzurri

Personnalité majeure sur la scène internationale des courses entre 1925 et 1965, le grand et longiligne comte Giovanni « Johnny » Lurani Cernuschi (1905/95) était diplômé en ingénierie de la Politecnico di Milano. C’était aussi un pilote de course amateur, un recordman sur ses propres réalisations, un écrivain et journaliste respecté, un rédacteur en chef de magazine, un directeur d’équipe, un organisateur de course et un haut responsable dans les instances dirigeantes nationales et internationales du sport automobile (y compris les motos et les bateaux à moteur).

Il commença à courir sur une Salmson en 1926, passant à un Derby avec moteur S.C.A.P. pour 1927. Il a ensuite piloté trois voitures de sport Alfa Romeo 1500 différentes de 1928 à 1932 et a connu beaucoup de succès dans sa catégorie, principalement dans les courses de côte. Il est passé à Maserati en 1933, achetant la toute première Maserati 4CS de 1,5 L. Sur une Maserati de sport neuve, il a connu ses meilleures années en 1934/35 et était pratiquement imbattable dans la catégorie 1,5 L en course de côte.

 

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La Scuderia Ambrosiana

Il participe ensuite à la seconde guerre italo-éthiopienne ou campagne d'Abyssinie, et vend sa Maserati - finalement pilotée par Marazza -. A son retour, il fonde la Scuderia Ambrosiana, avec Luigi 'Gigi' Villoresi et Franco Cortese, engageant des Maserati en catégorie Voiturette.

Le saint patron de Milan est Saint Ambroise et tout ce qui est profondément milanais est « Ambrosiana », d'où le nom de cette équipe. L'une des meilleures équipes de football en Italie à l'époque était le Club international de football Ambrosiana (plus connu aujourd'hui sous le nom d'Inter-Milan). Lurani a demandé au président du club de football, Fernandino Pozzani, d'être le président de leur Scuderia et ils ont alors adopté le bleu et le noir de l'équipe de football dans l'emblème de leur l'équipe.

Dans les courses nationales italiennes à l'époque, il y avait beaucoup d'engagés dans la catégorie 1100 cc, alors quand la Scuderia s’est préparée pour la saison 1937, Lurani a commandé une version 1100 cc de la nouvelle voiture 4 cylindres, avec bloc-cylindres et pistons de rechange, compresseur, bielles et ainsi de suite, pour la convertir en 1500 cc si nécessaire. Il s'agissait du châssis Maserati Tipo 4CM numéro 1128, fourni sous forme de 1100 cc, et comme les versions 1500 cc, avaient un empattement plus court de deux pouces que les voitures de 1936. Tout au long de 1937, Lurani a eu beaucoup de succès avec cette voiture, remportant la catégorie 1100 cc dans les courses de Turin, Milan, Gênes, Naples, Palerme et dans la course de côte de Fribourg en Allemagne. Sans surprise, ces succès lui valent le championnat d'Italie 1100 cc. À la fin de la saison, le moteur a été converti en 1500 cc et Lurani s’est déplacé en Grande-Bretagne, pour participer à l’Imperial Trophy, épreuve disputée sur le circuit de Crystal Palace. Il termine troisième de la première manche, derrière Percy Maclure et Arthur Dobson, et cinquième de la finale derrière Bira, Dobson, Goodacre et Villoresi.

 

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Il Signor Johnny

Au cours de l'hiver 1937/38, la Scuderia Ambrosiana embarque quatre Maserati en Afrique du Sud pour la saison d'hiver, Lurani prenant sa 1100, Taruffi, Villoresi et Eugenio Siena au volant des six cylindres 1500 cc. Leur première course a eu lieu sur le circuit Lord Howe près de Johannesburg, c’est une épreuve à handicap, basée sur la cylindrée du moteur. Lurani a estimé que les organisateurs étaient beaucoup trop indulgents avec sa 1100 cc et a demandé à être ré-évalué, principalement pour donner une meilleure chance à ses trois compatriotes avec les voitures 1500 cc. Le résultat étant qu'il a terminé troisième, derrière deux pilotes locaux ! Ils se sont ensuite rendus à East London; dans cette course, Lurani était en bagarre avec le pilote sud-africain ERA Norman Wilson, lorsqu’une bielle a traversé le carter de la petite Maserati.

Leur dernière course était au Cap, le carter fut donc rafistolé, le bloc-cylindres et les pistons de 1500 cc installés. La plupart des efforts furent mis dans les autres voitures de l'équipe, la 1500 de Lurani n'étant pas prise trop au sérieux, il dut donc commencer la course avec les pneus restants, tirer le mauvais rapport de pont et ainsi de suite. Il est remonté de manière inconsolable à la 6e place jusqu'à ce qu'il doive s'arrêter et faire le plein, puis se sentant un peu fatigué de tout cela, il a remis la voiture à Luigi Villoresi, dont le six cylindres avait explosé. Villoresi est revenu dans la course et a roulé très fort, se frayant un chemin jusqu'à la troisième place à l'arrivée, étant battu par Lord Howe (ERA) et Taruffi (Maserati). Parmi les engagés britanniques figurait W.G. 'Bill' Everitt qui conduisait une Maserati et lors du retour en Europe sur le paquebot P & O « Winchester Castle », Lurani et Everitt ont voyagé ensemble, étant déjà de bons amis depuis les courses précédentes.

De retour en Italie, la Maserati N° 1128 a été reconstruite en vue de la saison européenne et Lurani a fait modifier l'arrière. Une entreprise turinoise fabriquait des unités de suspension comprenant un ressort hélicoïdal dans un tube, les ressorts étant actionnés par un tirant, ces unités étaient principalement destinées à l'avant des voitures de course, pour donner une suspension avant indépendante « boulonnée ». Lurani a fait monter ces unités à l'arrière de la Maserati, pour remplacer les ressorts semi-elliptiques, conservant toujours l'essieu arrière rigide monobloc. Il estimait que les ressorts hélicoïdaux Tecnauto donneraient une meilleure conduite à l'arrière et l'empêcheraient de sautiller, ce qui s'est avéré correct. La première grande course pour la Scuderia Ambrosiana a été le Grand Prix de Tripoli, distance 517 kilomètres sur le très rapide Autodromo della Mellaha près de Tripoli. Il y avait une catégorie 1500 cc dans le Grand Prix lui-même et pour cet événement, la Maserati 1128 était en 1500 cc. Lurani était en tête de la catégorie des « petites voitures » lorsque toute la pression d'huile disparut et pensant que la pompe à huile s'était emballée, il s'est arrêté dans les stands. Après six minutes, le problème a été attribué à une jauge défectueuse et il a rejoint la course, pour terminer troisième dans le groupe 1500 cc et huitième au général.

 

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La fortuna le volti le spalle

Reconvertissant le moteur en 1100 cc pour des raisons de handicap, Lurani s'inscrit au Grand Prix de Londres à Crystal Palace en juin, mais la catastrophe va frapper. Pendant l'entraînement, il a fait une grosse glissade sur une traînée d'huile déversée par l'ERA de Norman Wilson, sort de la route et se renverse. Alors que la voiture n'était que superficiellement endommagée, le pauvre Lurani s'est cassé très gravement la hanche et bien qu'il ait été remis d’aplomb dans un hôpital de Londres et qu'il soit sorti avant la fin de la saison, la blessure mit fin à toute autre course de monoplace pour lui. Il dut se limiter à l'avenir aux voitures de sport et berlines plus « confortables ». Alors qu'il était soigné à la clinique, la Maserati fut remise sur ses roues et redressée; l'ami de Lurani, Bill Everitt, la pilota au Grand Prix de Londres, mais fut contraint à l'abandon avec des problèmes de moteur. Pendant sa convalescence, Lurani prêta la Maserati à Achile Varzi pour une petite course à Lucques, mais aucun succès ne fut remporté.

Une fois sa carrière de monoplace terminée, Lurani mit la petite Maserati en vente, plaçant une annonce illustrée dans « The Motor ».

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Lurani - Villoresi Targa Florio 1937

 

Finalement, Desmond Scannell, le secrétaire du BRDC, retrouva Lurani à Nice, et un accord fut conclu par téléphone au nom de Charlie Dobson, qui voulait la voiture en 1100 cc pour la course du British Empire Trophy 1939. Il convinrent que le mécanicien de Lurani emmènerait la voiture à Donington Park, à temps pour les essais, et que l'argent serait remis dans le paddock. Le mécanicien de Lurani était Piero Facetti, le père de Carlo Facetti qui a piloté des Alfa Romeo dans les années 1970, et après avoir installé le bloc de 1100 cc et les pistons, etc., il la charga sur leur transporteur Fiat spécial et partit pour l'Angleterre, tout seul et incapable de parler un mot d'anglais. En traversant les Alpes, il fut pris dans une forte tempête de neige et, à son insu, de l'eau resta emprisonnée dans le bloc-cylindres, même s'il l'avait drainée avant de partir, et elle avait gelé. Finalement, il est arrivé à Donington Park et a déchargé la voiture, mais quand il a fait le plein d'eau, il a découvert la fissure de givre dans le bloc. Naturellement Dobson n'était pas prêt à accepter la voiture dans cet état du fait de son sponsor, un certain José Dibos. Le pauvre Facetti était désemparé et redoutait l'idée de ramener la voiture invendue à Lurani, avec tous les frais de voyage à payer. Avec l'aide d'autres personnes dans le paddock, il fit amener le bloc-cylindres chez Rolls Royce, dans la ville voisine de Derby, et le bloc fut réparé. Travaillant toute la nuit sans s’arrêter, Facetti l’a fait remonter et fait fonctionner la voiture. Le lendemain, Dobson l'a essayée et a été ravi, l'affaire a abouti, au grand soulagement de Carlo.

Lurani était aussi un spécialiste des Mille Miglia, gagnant sa classe en 1933 dans une MG Magnette K3 d'usine avec le capitaine George Eyston, 1948 (Healey Sedan) et 1952 (Porsche). Vainqueur de classe au Mans en 1951.

 

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Era una volta in Lombardia

Après la guerre, le comte Lurani va jouer un rôle déterminant dans la renaissance des courses en Italie et à l'international, agissant comme une sorte de ministre des Affaires étrangères pour l'organisme gouvernemental italien du sport et devenant membre de la FIA. Il propose le logo et le règlement GT et organise la première course GT en 1949. Il fut également le principal « promoteur » de la Formule Junior, persuadant la FIA d'en faire une classe internationale en 1959.

En 1947/48, il a dirigé la Scuderia Ambrosiana en Formule A (*) avec Ascari et Villoresi comme pilotes, a également aidé les pilotes britanniques à contourner les restrictions sur les importations, pilotant leurs voitures sous la bannière de la Scuderia.

Il a conçu ses propres voitures de record, les Nibbio I et II, propulsées par des moteurs de moto Guzzi, qui ont battu de nombreux records de courte distance pour les catégories 350 et 500 cc entre 1935 et 1960.

 (*) - Formule de Course  Internationale A, créée en 1946, prémisse de la Formule 1

 

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Nibbio I 1935. X, X, Giovanni Lurani, Piero Facetti

 

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Auto Italiana

Il est devenu éditeur de l'illustre magazine Auto Italiana en y contribuant toute sa vie avec des articles. Il était également actif dans les courses historiques. Son livre de mémoires est encore aujourd'hui une source majeure pour l'histoire des courses dans les années 1926/1935. Il a également écrit un excellent ouvrage sur l’histoire de la voiture de course et un livre sur les Mille Miglia.

Universellement aimé et exubérant, « Johnny » Lurani, qui parlait couramment quatre langues, a toujours regardé les questions concernant le sport dans son propre pays avec un œil cosmopolite. Contrairement à la plupart des journalistes italiens, il n'était pas un habitué des réunions « food and wine » à Maranello. Il aura traversé les époques, depuis l'ère des « Titans » jusqu'au règne d'Ayrton Senna...

Sa fille Francesca « Cica » Lurani fut également une pilote de course et navigatrice talentueuse, participant à des rallyes et à des courses de voitures de tourisme dans les années 1970, avant de passer aux courses historiques.

Elle s’occupe des relations publiques au sein de la Scuderia Ambrosiana et en est toujours membre honoraire.

 

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Pour terminer, vous vous rappelez d’un certain Hugo Simon ? Je vous aide, il a quelques séquences dans le film « Grand Prix » de John Frankenheimer. On y voit même la porte de son garage, constellée d’autographes des grands de la course auto. Vous y êtes ? Hugo Simon, c’est Johnny Murani, ou peu s’en faut…

Et pour les tintinophiles, Arturo Benedetto Giovanni Giuseppe Pietro Archangelo Alfredo Cartoffoli dé Milano au volant de sa Lancia Aurelia B20 GT rouge, c'est aussi quelque part le comte Lurani.

 

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- Illustrations ©Revs Institute, ©alamy, ©DR

Commentaires

Miam miam ! Voila un personnage haut en couleurs (vert-blanc- rouge) comme je les aime ! Débutant vers la fin de l'entre-deux guerres et que l'on retrouve au début de la seconde moitié du XXème siècle. Aux 24 heures du Mans 1951, il fait équipe avec Bracco sur une Lancia Aurélia, avec qui il remporte la classe 1501 à 2000 cc.

Écrit par : Raymond Jacques | 06 août 2023

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celui qui m'a le plus marqué à l'adolescence, et encore aujourd'hui, c'est
Johnny Be Good

Écrit par : Bruno | 06 août 2023

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Intéressant parcours que celui de ce "Johnny" italien.

Écrit par : F.Coeuret | 06 août 2023

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Dans le chapitre Il Signor Johnny, vous évoquez cher Francis ses courses en Afrique du Sud. Je pense qu'entre Johannesburg et Le Cap, ce n'est pas à l'est de Londres qu'il a couru mais peut-être sur le circuit Prince George à East London.
Merci d'avoir mis en avant ce remarquable italien, finalement peu connu de ce côté des Alpes. J'ai bien noté la remarque acerbe à propos des journalistes italiens, attirés par la gastronomie modenaise. Cette remarque, est-elle de l'auteur "ombrageux" ou du traducteur malicieux ?

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 09 août 2023

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Heureusement rien ne peut échapper à l’œil vigilant de Gianpaolo, surtout lorsqu’il est question d’affaires transalpines ! East London évidemment, je suis passé un peu vite sur l'Afrique du Sud ! (Ou peut-être laissé-je exprès quelques coquilles…)
Au sujet de la gastronomie, j’ai eu un peu de mal à interpréter. La phrase originale est celle-ci : «Unlike most Italian journalists, he was not a regular at 'food and wine' gatherings in Maranello ».
Ti saluto di cuore, Gianpaolo.

Écrit par : Francis | 09 août 2023

Mon anglais ne me permet pas de la ramener, mais peut-être aurais-je traduit -gatherings- par : assemblée ou réunion. Quoi qu'il en soit la dent est dure mais probablement juste, il savait y faire en matière de communication 'il grande vecchio" !

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 09 août 2023

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Così sia... Et c'est bien le garage du comte qu'a filmé Frankenheimer (épisode Monaco), j'ai vérifié.

Écrit par : Francis | 09 août 2023

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