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09 janvier 2023

PILOTE D'USINE, par Johnny Servoz-Gavin (fin)

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Fin de saison chargée pour Johnny. Le Grenoblois, simple réserviste en début d'année, est désormais partout : en Prototypes, en formule 2, en formule 1. C'est le pilote qui monte.

Ce qui va lui manquer, c'est un bon volant en F1 pour 1969. Alors on peut rêver ... Coéquipier de Chris Amon chez Ferrari, de Jackie Stewart chez Matra International, de Graham Hill chez Lotus ? Rien de tout cela. JSG redoublera « sagement » en formule 2.

Et on se demandera longtemps si cela aussi ne l'a finalement pas démotivé. Le fait est qu'on ne retrouvera jamais le Servoz-Gavin cuvée 68...

Francis Rainaut

(Fac-similé d'un article de la revue Sport Auto, décembre 1968)


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"Après les 24 Heures du Mans, le nom de Matra était au pinacle et je me suis aperçu de l'impression que nous avions faite sur l'opinion publique lors de la visite du Général de Gaulle au Salon de l'Auto. Il était parfaitement au courant de ce qui nous était arrivé : « Cette crevaison à deux heures de la fin, quel dommage ! Heureusement, l'année prochaine, vous serez en nombre ».
Nous étions bien décidés à prendre notre revanche aux 1000 Kilomètres de Paris où je partageais la 630 avec Jean-Pierre Beltoise. Les mécaniciens avaient travaillé dur pour qu'elle soit prête pour la première séance d'essais du vendredi.
Le moteur paraissait parfait et nous avions l'autorisation de monter les régimes à 10 500 t/m, au-lieu de 9 500 comme aux 24 Heures, gagnant ainsi une cinquantaine de chevaux. C'était le vrai moteur de F1, exactement comme dans la MS11.

 

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En revanche, nous avions des problèmes avec la tenue de route de la voiture. Elle ne gardait pas son cap parfaitement à grande vitesse et louvoyait un peu dans les courbes. Cette première journée fut donc surtout consacrée aux réglages. Les mécaniciens ont passé presque toute la nuit mais cela marchait beaucoup mieux le samedi, même si cela n'était pas encore parfait. En outre, nous nous sommes rendu compte que si notre moteur donnait beaucoup de chevaux au banc, sa plage d'utilisation était très réduite et nous aurions souhaité avoir plus de rapports dans la boîte pour ne jamais avoir à descendre en dessous de 9 000 t/m. Ce problème était aggravé par le dessin du circuit de Montlhéry ou les virages sont plus serrés qu'au Mans et qui compte trois chicanes. Jean-Pierre et moi avons effectué de nouveaux réglages, en particulier sur la hauteur du becquet et j'ai réussi alors le quatrième temps en 2'48", mais j'étais loin de la Ferrari de Piper dont la cylindrée était plus forte que la notre.
Je pense que nous ne perdions pas tellement sur lui dans les lignes droites, mais plutôt en sortie des virages, où nous mettions longtemps à retrouver notre régime de puissance.
Pour réaliser ce temps, j'ai dû me faire une ou deux chaleurs au passage des bosses de Couard, là où l'on fait la différence entre un bon et un mauvais chrono. On débouche de la ligne droite à près de 270 km/h, on freine très fort au panneau 150 m et l'on rentre une vitesse avant le sommet de la bosse où on lâche le pied pour délester la voiture qui décolle des quatre roues sur une trentaine de mètres environ.
Immédiatement, il faut freiner à nouveau et rétrograder pour la deuxième bosse qui est moins rapide mais plus difficile car elle se combine avec un virage : lorsque la voiture a décollé, elle traverse la route en l'air et il faut faire très attention à sa trajectoire d'entrée pour ne pas atterrir dans l'herbe.
En outre, on se reçoit en travers de la piste et il faut immédiatement accélérer pour se remettre en ligne pour le virage à gauche qui suit. On freine et rentre à nouveau une vitesse avant ce virage à gauche qui se prend donc en seconde. A partir de ce moment, le plus dur est fait car l'enchaînement des Esses ne pose pas de problème particulier. En revanche, la courbe Ascari est difficile car le revêtement en est très bosselé elle se prend quand même à 250 km/h sur la 5e. Les freins souffrent beaucoup sur ce circuit et particulièrement du virage de la Ferme jusqu'à la chicane des tribunes. Il faut en effet ralentir cinq fois à intervalles rapprochés pour les trois chicanes, la Ferme et le Faye et ils n'ont pas le temps de refroidir.
J'avais décidé d'aller coucher chez un ami qui possède une propriété près de Montlhéry où je vais souvent faire du sport pour me tenir en forme. Je ne voulais pas renouveler mon arrivée de la dernière minute l'an passé, lorsque j'avais été pris dans un embouteillage.Le samedi soir, je n'ai pas pu me reposer tout de suite et j'ai maudit les lecteurs de Sport-Auto, car j'ai passé partie de la soirée à rédiger mon article qui est paru dans le dernier numéro. Le lendemain, réveil à huit heures et cette fois-ci je n'étais pas en retard.

 

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Piper-Attwood  / Hermann-Stommelen
Elford-Lins / Beltoise-Servoz ©gettyimages

 

C'est moi qui prenais le départ. Tour de chauffage, le circuit se révèle glissant au passage de Couard, à cause de l'humidité. Le drapeau s'abaisse et au bout de la ligne droite je suis troisième derrière les Porsche de Hermann et Elford. Piper ne vas pas tarder à me doubler puis à prendre la tête et j'ai du mal à garder le contact avec les Porsche qui me lâchent, comme prévu, en sorties de virages. Malheureusement, la course ne va pas durer longtemps pour nous car après quelques tours je remarque une pression d'huile inquiétante : elle baisse progressivement. La piste est de plus en plus glissante, surtout dans les grandes courbes et je maudis l'animal qui l'arrose d'huile, sans me rendre compte que c'est moi le coupable ! Lorsque la pression tombe à 4 kg/cm2, au lieu de 5 kg comme d'habitude, au minimum, je stoppe aux stands où l'on constate qu'une canalisation d'huile sur le carter moteur s'est dessoudée par suite de vibrations. Après un quart d'heure de travail on s'est rendu compte que la réparation aurait duré trop longtemps et nous avons dû ainsi abandonner pour la plus grande déception de tous nos supporters qui étaient arrivés en masse avec des banderoles Matra.

 

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La semaine suivante, j'allais courir le G.P. d'Albi en Formule 2 pour Matra International, mais entre temps. j'ai fait un saut en Italie où j'ai eu l'occasion d'essayer une Lamborghini Espada, elle m'a fait rêver ! De retour à Paris, je pars le vendredi matin et je retrouve dans l'avion Rindt et mon coéquipier Stewart. Arrivés à Toulouse, nous avions tous les trois loué une voiture et nous en avons profité pour faire une course privée, en lever de rideau, sur le parcours Toulouse-Albi. Il y avait deux 204 et une R16 qui a donné la victoire à Jackie Stewart.
Première séance d'essais par un temps splendide, mais les résultats ne sont pas brillants pour moi : le moteur ne tire pas. Il n'y en a qu'un seul de rechange et il faut le conserver au cas où Stewart voudrait changer le sien samedi soir.
J'ai essayé les ailerons qui donnaient plus de stabilité en courbe mais ralentissaient trop en ligne droite. Nous avons donc décidé Jackie et moi, comme la plupart de nos concurrents, de les démonter. Le lendemain, je ne réussis qu'à faire le dixième chrono avec 1'14"1 et Stewart était également mécontent de son moteur de sorte qu'en définitive on décida de ne rien changer car il était certain que le moteur de rechange n'irait pas mieux que les nôtres. En Formule 2 actuellement, comme Cosworth hésite à augmenter la puissance de ses moteurs craignant d'en diminuer la longévité et d'embouteiller ses ateliers d'entretien, beaucoup d'écuries font préparer leurs moteurs ailleurs, chez Brian Hart dans la plupart des cas. Matra a même fait des bielles en titane pour les siens, qui coûtent une petite fortune mais permettent en toute sécurité de tirer 9 500 t/m au lieu de 9 000 t/m pour nous, car Ken Tyrrell, en effet, monte des moteurs Cosworth strictement de série. Le soir, dîner dans le ravissant village médiéval de Cordes à une vingtaine de kilomètres avec Jean-Marie Balestre, le secrétaire général de la FFSA et toute son équipe de l'Auto-Journal.
Le dimanche, je n'étais pas très enthousiaste, Stewart non plus.
Effectivement, dès les premiers tours je me suis vite rendu compte que même avec l'aspiration des voitures me précédant j'allais avoir beaucoup de mal à suivre. J'ai donc dû me cantonner dans une course d'attente, roulant en peloton avec Ahrens et Siffert. Joseph disposait d'une BMW avec le tout nouveau moteur 16 soupapes qui semble marcher très fort mais en revanche la tenue de route de sa voiture est loin d'être au point. Quand ses réservoirs se sont allégés cela marchait un peu mieux et il m'a lâché. J'en ai fait de même avec Ahrens qui avait des ennuis de levier de vitesses.

J'ai roulé tout seul jusqu'au bout, déçu de ne pouvoir faire mieux, mais bien décidé à finir quand même. J'étais heureux de la victoire de mon copain Henri, qui se voyait enfin débarrassé du surnom de « Poulidor » que lui valaient ses éternelles secondes places. Sans même quitter ma combinaison, j'ai sauté dans ma voiture de location destination Toulouse, puis Paris car le lendemain matin je prenais l'avion pour Los Angeles où la course Canam de Riverside allait se dérouler.

 

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Les deux montagnards savoyards et la
Star de Hollywood : Jean-Claude Killy,
Johnny Servoz et Jean Seberg.

 

Je suis très tenté par la Canam : ces grosses voitures avec des chevaux en pagaille doivent procurer des sensations merveilleuses. Bernard Cahier avait pris contact de ma part avec son ami Carroll Shelby qui avait promis de faire l'impossible pour moi. Il possède deux voitures, mais malheureusement il a, en ce moment, de gros problèmes de moteur et juste assez de tous ses mécaniciens pour en faire marcher une seule, de sorte que je n'ai même pas pu l'essayer.
Notre vol a duré onze heures. Arrivée à Los Angeles à sept heures du soir, compte-tenu des huit heures de décalage avec la Californie. A l'atterrissage, nous avons eu de la chance car il n'y avait pas de « Smog » ce soir-là, mais presque toute la semaine, les avions qui devaient atterrir en fin d'après-midi étaient détournés par suite de cet effroyable brouillard qui pique les yeux, causé par le climat particulier de cette région qui se combine avec les résidus des industries qui sont très denses - il y a des puits de pétrole de chaque côté de l'autoroute par endroits - et surtout aux millions de voitures qui roulent là-bas. Bernard Cahier, sa femme et moi étions descendus au Beverly Hills, l'hôtel des vedettes de cinéma, un petit havre de civilisation au milieu de cette ville gigantesque et combien surprenante pour un Européen. Nous y avons retrouvé Jean-Claude Killy qui tournait dans les studios des films publicitaires pour la General Motors. C'est maintenant une super-vedette aux U.S.A et il connaît Hollywood comme sa poche. Nous étions deux montagnards bien loin de leurs pâturages, mais bien contents d'être là. Nous sommes allés chez Phil Hill qui possède, à Santa Monica, une merveilleuse maison de style espagnol meublée avec un goût exquis. Son garage abrite une fantastique collection de voitures anciennes qu'il restaure de ses propres mains. Son autre passion, ce sont les boîtes à musique et les pianos mécaniques : il en a autant que de voitures et ce n'est pas peu dire. Riverside est une petite ville à une centaine de kilomètres du centre de Los Angeles, mais la Califotnie du sud est tellement peuplée que l'autoroute ne quitte pratiquement pas l'agglomération. Nous habitions un hôtel ahurissant : le Mission Inn, copie de Caravanserail espagnol avec donjons et église. C'est tellement vaste et compliqué que tous les jours, à midi, un guide fait visiter l'hôtel et tous ses recoins.
Le circuit est très beau, aux confins du désert du Mojave, c'est très sec, chaud et poussiéreux. Les bas-côtés de la piste sont complètement dégagés pour assurer une marge de sécurité en cas de sortie de route. Pendant tout ce week-end, j'ai dû me contenter de regarder le folklore américain, particulièrement évolué en Californie, berceau du mouvement hippy. Les filles sont habillées super-court et on ne sait pas où donner du regard.
A part la Canam, il y avait plusieurs petites courses SCCA avec des voitures incroyables aux carrosseries peintes de façon stupéfiante. J'ai vu dans le paddock quelques Dune-Buggies, la grande mode là-bas, dont certaines avec des carosseries de « Jalopies » avec un immense pare-brise vertical. Jean-Claude Killy nous avait quittés pour rentrer à Los Angeles, Gérard Crombac était venu partager ma chambre à sa place, mais Jean-Claude devait revenir pour la course, en grande style, avec un avion privé et à son bras une star de cinéma, vive la vie aux U.S.A. !

La course elle-même ne présenta pas un très grand intérêt, je fus assez déçu. Retour sur « L.A. » le lundi, Jean-Claude a passé la journée avec nous avant de rentrer le soir-même pour la France. Le mercredi, Crombac est revenu de Salt Lake City où Thompson attaquait le record du monde vitesse, et nous sommes allés ensemble, avec Bill Gavin, le journaliste néo-zélandais, voir John Frankenheimer, le metteur en scène du film « Grand Prix ». II était en train de finir le tournage de « Gipsy Moth », un film consacré au parachutisme avec Burt Lancaster qu'il nous a présenté entre deux prises de vues dans ie cockpit d'un avion qui pendait du toit d'un hangar, secoué par une machine, alors qu'un projecteur faisait passer un fond de ciel avec des nuages derrière les vitres du cockpit. On met les projecteurs en place pendant vingt minutes, on répète quatre fois et on filme une scène muette de vingt secondes ! Le soir, un ami français m'a emmené dans une boîte démente pleine de hippies drogués à mort qui dansaient ensemble pratiquement nus.
Le jeudi, départ pour le Mexique avec Crombac, Cahier et ses quelques tonnes de bagages. Trois heures de vol en compagnie de Dan Gurney et nous arrivons à Mexico City dans les embouteillages du soir. Cocktail au club de la Roda, et là les choses sérieuses recommencent. J'étais venu sans être sûr de pouvoir courir : la fortune sourit aux audacieux.

 

Provisoirement ou volant d'une
Cooper, Johnny apprend le circuit
de Mexico, profitant de ce qu'Elford
n'est pas arrivé pour les essais
du vendredi.

jsg-mexique3.JPGIl était prévu, à l'origine, que deux Matra seulement participeraient au Grand Prix du Mexique : la MS10 de Jackie Stewart et la MS11 de Jean-Pierre Beltoise. Après Albi, Claude Leguezec était parvenu, par téléphone, à obtenir des organisateurs qu'ils acceptent l'engagement d'Henri Pescarolo en remplacement de Bobby Unser qui avait fait forfait avec sa BRM. Il avait donc décidé de confier la MS11 à Henri et d'emprunter la seconde MS10 à Tyrrell pour Jean-Pierre Beltoise. Mais les propositions qu'il fit à Tyrrell pour l'usage de sa voiture ne recueillirent pas son accord et lorsque je le vis à ce cocktail, il me chuchota : « Il y a une bonne chance pour que tu conduises demain, amène ton casque pour les essais. » Jean-Pierre avait donc repris sa 12 cylindres, quant à Henri, il avait un engagement ferme mais un châssis nu, d'une part, un moteur dans une caisse, de l'autre. Les mécaniciens de Matra allaient se mettre en demeure de réunir le tout pour qu'il dispose d'une voiture, mais il n'allait pas pouvoir tourner le lendemain. Le soir, dîner dans un restaurant mexicain qui appartient à Freddy van Beuren, l'un des meilleurs coureurs mexicains. Nous étions les hôtes de Jean Jaime, un Français d'origine, président de la Commission Sportive de l'Automobile Club du Mexique. Nous avons pu assister au duel qui opposa Gurney à Crombac : il s'agissait de voir celui qui parviendrait à avaler le plus de sauce au piment vert sur son tacos. Il y a eu match nul sur un score de deux louches à soupe partout mais Crombac pleurait comme si Graham Hill avait perdu le Championnat du Monde et Gurney était rouge comme une Ferrari. Le lendemain, première séance d'essais. Les organisateurs étaient intraitables pour la deuxième voiture de Tyrrell qui n'était pas officiellement engagée, mais heureusement pour moi, Elford n'était pas encore arrivé, il reconnaissait le Tour de Corse, et comme Cooper voulait faire tourner sa voiture pour la mettre au point, elle m'a été confiée, ce qui m'a permis d'apprendre le circuit. Le soir, fastueuse réception chez M. O'Farill, le Président du Comité d'Organisation qui possède plusieurs quotidiens et une station de télévision.

C'est lui que le lendemain matin Ken Tyrrell et Bernard Cahier sont parvenus à convaincre de sorte que j'ai pu m'installer dans la deuxième Matra-Ford. Il n'y avait pourtant encore que peu de chances pour que je puisse prendre le départ. Je n'ai d'ailleurs pas pu tourner très longtemps car Jackie Stewart a cassé un cardan et endommagé sa propre voiture, il a donc repris la mienne et ne me l'a rendue que peu avant la fin fin des essais. Cette voiture avait un gros problème de tenue de route : elle partait de l'arrière et nous ne sommes pas parvenus à y remédier complètement. Le climat n'était pas à l'optimisme chez Tyrrell car même avec l'autre voiture, qu'il fit réparer pour le lendemain, Stewart était loin des meilleurs temps. Sur ce circuit de Mexico, très large et délimité dans les virages par un petit rebord de ciment de 3 cm de hauteur environ, je me suis vite rendu compte, en suivant deux ou trois concurrents, que si on voulait faire un temps, il ne fallait pas hésiter à franchir ces bordures dans les virages serrés pour couper à la corde.Ce qui était très amusant, c'est qu'à la fin des essais, on ne pouvait même plus passer sur la trajectoire normale car elle était recouverte de gravier. Je pense que le fait d'ignorer ainsi ces bordures faisait gagner plus d'une seconde au tour, mais, en revanche, cette manœuvre présentait un danger certain pour les suspensions. Nous avons essayé les nouveaux pneus Dunlop très lisses, qui, à mon avis, faisaient gagner une seconde au tour. Ils ont été conçus en hâte après le succès des Goodyear à Saint-Jovite, de sorte qu'une petite quantité seulement en était arrivée par avion et, pour la course, seul Stewart allait pouvoir les employer sur ses quatre roues. Mais, sur ce circuit, il semble bien que les Firestone aient donné un avantage à ceux qui les utilisaient.
Comme j'avais tourné avec le numéro de Stewart et un T à côté, les chronométreurs s'étaient empêtrés dans leurs chronos et ne m'ont pas crédité de mon meilleur tour. J'allais passer la soirée sur des charbons ardents, ignorant si j'allais pouvoir partir le lendemain. Nous avons dîné avec Jean Trévoux, l'ancien coureur français, qui est maintenant établi au Mexique.

Craignant les embouteillages, Bernard Cahier nous a fait lever aux aurores le dimanche et nous sommes arrivés vingt minutes plus tard sur le circuit encore livré aux balayeurs ! Ce ne fut quand même pas en vain, car la matinée se passa en négociations et, grâce à l'aide des dirigeants d'Elf, alertés par téléphone par François-Xavier Deshaye, nous eûmes enfin le feu vert pour aligner ma voiture au départ. Il fallait l'accord de tous les concurrents et Tyrrell se mua en sirène pour aller les charmer l'un après l'autre, ouf !

Enfin rassuré, j'ai pu assister aux courses de voitures de Tourisme. La piste est très large, mais pourtant, lorsque le peloton passait, il y en avait toujours un ou deux sur la bande de gazon. Tyrrell était content d'avoir ses deux voitures en course, car il jouait une grosse partie : le Championnat du Monde. Il était essentiel que Stewart marque un maximum de points et que l'on empêche Graham Hill d'augmenter son score. Donc, si près de la fin de la course je me trouvais devant Stewart pour une raison ou pour une autre et que ma présence l'empêchait de marquer suffisamment de points, on avait prévu de me signaler « Slow » ou même « Stop », un arrêt impératif.

 

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Mexico 1968 ©DPPI

 

Enfin le départ. J'étais placé plus loin sur la grille que je ne le méritais, mais j'étais content d'être là quand même. J'ai pris un bon départ et tout de suite remonté ce handicap. En tête, Hill et Stewart s'expliquaient. Siffert, mal parti, les remontait progressivement et j'étais dans le peloton suivant, derrière Gurney, Amon, Hulme et Brabham, devant McLaren. Hulme a été éliminé par une rupture de suspension, Amon bouillait, mais j'ai eu une crampe dans l'épaule gauche et j'avais de la peine à contrôler ma voiture dans les courbes à droite, McLaren en a profité pour me doubler et me distancer. Je tournais régulièrement, remontant au classement général par suite des ennuis de Siffert et Gurney, puis de Stewart, qui eut des difficultés d'alimentation et se mit à perdre cinq secondes par tour. Lorsque je l'ai doublé, j'étais quatrième et sa position était tellement compromise que Tyrrell ne m'a même pas fait ralentir. Siffert, qui s'était arrêté à son stand, était reparti pour faire un temps et il allait y parvenir de façon ahurissante, il avait deux tours de retard sur nous et m'en a repris un. J'ai pu alors le voir en plein effort et j'étais affolé en le voyant franchir les bordures, plus seulement dans les virages lents, mais même dans toutes les grandes courbes, il était vraiment déchaîné.

C'est alors, à six tours de la fin, que d'un seul coup mon moteur a serré et j'ai dû abandonner sur le circuit. Je pensais ne plus avoir d'huile, car nous avions un problème avec ce moteur et pour le résoudre nous avions branché une pompe électrique pour remettre en circuit l'huile qui s'accumulait dans la boîte de récupération que je devais mettre en marche sur un signal des mécaniciens. Ce n'était pourtant pas la cause de mon abandon, il restait de l'huile dans le réservoir et l'on estime que le volant s'est probablement détaché du vilebrequin.
C'est d'autant plus dommage que Brabham devait casser avant la fin, j'aurais donc terminé troisième sans cet ennui. J'étais sur le bas-côté de la piste à la sortie de la glande courbe, au bout de la ligne droite, et les organisateurs avaient eu beau dresser de hautes barrières grillagées recouvertes de fil de fer barbelé, ma voiture fut immédiatement entourée d'une nuée de spectateurs qui allaient envahir presque toute la piste, ils étaient absolument déchaînés car leur héros, Pedro Rodriguez, était en pleine bagarre avec Jackie Oliver qu'il venait de doubler pour prendre la troisième place. Graham Hill, ayant une large avance, avait ralenti pour ne pas se mêler à cette bagarre, mais il n'empêche qu'à ce moment, Pedro, perdant tout contrôle, manqua de causer devant moi une collision qui les aurait éliminés tous les trois : Oliver, Graham et lui.

 

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Ma saison est maintenant terminée, mais je vais passer les mois prochains à mettre au point le prototype Matra avec lequel j'espère que nous aurons plus de chance au Mans l'an prochain que cette année."

 


Janvier 1983: le retour "manqué" de Servoz-Gavin

 

- Illustrations ©DR

Commentaires

La description de la conduite sur le circuit de Montlhery est sublime, on s’y voit
Quelle époque ..et quel emploi du temps ..fin de course à Albi, le lendemain vol pour les USA ..
Ça me rappelle le rythme qu’il avait la même année quand il finit second a Monza : il rentrait le soir même à Paris en avion avec Beltoise et le lendemain Lagardère lui avait demandé d’être au Mans dans la matinée pour des essais en proto.

Écrit par : Emmanuel De L'avre | 09 janvier 2023

Formidable merci
On les imagine tous les 3 au volant de leurs 204 et la R16 a fond pour aller de Toulouse à Albi.

Écrit par : Emmanuel De L'avre | 09 janvier 2023

un regal ces lectures

Écrit par : philippe pasco | 09 janvier 2023

Vraiment top ! Merci

Écrit par : Marc Ostermann | 10 janvier 2023

Quel dommage ! Cette pente ascendante qui stagne en 69 malgré le titre européen F2. L'organigramme Matra F1 qui l'exclut comme les autres écuries anglaises qui le boudent... Et le retour en 70 au volant de cette mauvaise March ... En tout cas une belle trilogie de notes...

Écrit par : F.Coeuret | 10 janvier 2023

Encore merci pour ce partage

Écrit par : Jean-Claude Albert | 10 janvier 2023

Est-ce un article écrit par JSG ?
La plupart des pilotes-chroniqueurs, sur la base de notes vite expediées, confiaient la redaction de leurs articles à un journaliste. L'humour à propos de Crombac et le ton de cette extraordinaire chronique pourrait en l'occurence faire penser à José Rosinski .

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 16 janvier 2023

Je crois avoir une piste (!...), Gianpaolo. Ne serait-ce pas tout bonnement Jacques Rausse, l'auteur de ces délectables chroniques ?

Écrit par : Francis Rainaut | 16 janvier 2023

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