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11 janvier 2022

Au sombre héros de l'amer

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Parmi les pilotes ayant tiré leur révérence au cours de l'année écoulée, il en est un que l’on pourrait sans aucun doute considérer comme le mal-aimé. Il avait pourtant surpris tout le monde en réalisant la pole dès son premier Grand Prix. Carlos offrait alors le profil d’un futur champion du monde.

Mais lorsque les opportunités de remporter le titre furent bien réelles, il les laissa filer sans que personne ne comprenne vraiment …

Francis Rainaut


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Jakob Reutemann et sa famille

Préambule

Lorsque l'on évoque la saga de la famille Reutemann, je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement avec celle de ma propre famille maternelle, originaire elle aussi de Suisse alémanique. Qu'on en juge : d'un coté on a Jakob Reutemann, originaire de Guntalingen dans le canton de Zurich. Chassé de son pays par la pauvreté et la faim, Jakob embarque au Havre en mai 1859 avec sa femme et ses quatre enfants dans un voilier cargo en partance pour San Carlos, province de Santa Fe. Carlos le pilote est l'arrière petit-fils de Jakob. A son arrivée en Argentine, Jakob écrit ceci :

« L'administrateur nous informe que nous serons propriétaires de nos lots dans les 5 ans et pendant ce temps nous devons donner un tiers de la récolte à l'administration. Peut-être qu'ils doivent manquer beaucoup de choses et coutumes de leur vieux pays. Mais là-bas, les familles avec peu de terres ne sortent presque jamais de leurs dettes et leurs enfants doivent être employés comme ouvriers. Ici, il fait beau, il y a de l'eau à 15 mètres de profondeur. Le premier travail est de creuser un puits et puis de construire un ranch avec le matériel que l'administration leur donne. »

A peu près aux même moment, Jacob Thomann, originaire de Biberstein, canton d'Argovie, quitte son pays avec toute sa fratrie, probablement pour les mêmes raisons, la Suisse faisant en effet partie au XIXe siècle des pays pauvres, et même très pauvres. Mais lui choisit la France, un proche cousin y a déjà émigré, et il débarque donc à Puteaux pour s'occuper de l'entreprise d'impression et teinture d'indiennes créé par ce même cousin. Charles mon grand-père est le petit-fils de Jacob.

Là s'arrête les comparaisons, mais comprenez que le sujet ne manque pas de m'interpeler. Et voilà pour ceux qui s’imaginent un peu vite que Carlos Reutemann est né avec une cuillère en argent dans la bouche.

 

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Le beau ténébreux

Ouvrons notre « Grand Prix Guide 1973 », et observons ce qui est écrit au sujet du pilote argentin :

« S’il est un pilote qui durant toute la saison 1972 a été marqué par une noire malchance, c’est bien Carlos Reutemann. L’année avait pourtant bien commencé…

… En 1973 tout pourrait changer. Indiscutablement Reutemann fait partie des pilotes les plus rapides de l’heure. Il ne lui manque peut-être qu’un minimum de confiance en son propre talent. »

On ne saurait mieux dire. D'année en année, on aurait pu ressortir à chaque fois la même analyse. Et pourtant, Carlos a bien frôlé un, voire plusieurs titres mondiaux.

 

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1981 : Lauriers volés

Lorsqu'on se penche sur la saison 81, on peut estimer qu'on a vu le meilleur Carlos Reutemann, mais aussi le pire. Comme toujours. Sauf que cette fois, tous les éléments étaient en place pour un sérieux challenge au championnat : une Williams FW07C extrêmement performante, un nombre record d’arrivées dans les points et des moments de grâce de la part de l’homme dans le cockpit.

On n'avait pas eu la même sensation la saison précédente, la première de Reutemann avec l’équipe de Didcot. Carlos avait été submergé par l’hyper-agressivité et la pointe de vitesse en course d’Alan Jones, mais aussi étouffé par la consigne qui était que si les pilotes Williams se retrouvaient en positions un-et-deux, eh bien Carlos devait céder à Alan. Ainsi, un pilote qui avait besoin de se sentir aimé était moins important que ce fils de pute outrecuidant qui n’aurait pas dévié de sa position même si vous aviez conduit un char au-dessus de sa tête.

Reutemann a néanmoins remporté le GP d’Afrique du Sud en février 1981 – sauf qu’il s’agissait d’un événement hors championnat. La course de Long Beach fut donc la première course de la saison, et là Carlos a craqué sous la pression intense de Jones, qui a remporté l’épreuve. Et c’est peut-être ce qui a poussé l’Argentin à ignorer les signaux agités de plus en plus frénétiquement dans un Rio mouillé pour l’emporter juste devant son coéquipier.

« Avec le recul, nous aurions dû lever les ordres de l’équipe en 1981 », admettra plus tard Patrick Head. « Si j’avais été à la place de Carlos, j’aurais probablement fait la même chose ! Mais telles étaient les conditions et il les avait acceptées. Et donc, à partir de cette course, Alan a déclaré la guerre. »

Reutemann a magnifiquement conduit à Buenos Aires, bien qu’il ait été dominé par les Brabham qui avaient contourné la nouvelle règle de 81 concernant l’écart de 6 cm entre le dessous de la voiture et la piste. À Imola, Carlos s'est de nouveau traîné dans le sillage de Piquet, mais à partir de Zolder, Williams s’était senti obligé de suivre une voie similaire à celle de Brabham. Et là, Reutemann a pris la pole - de près d’une seconde - et a hérité de la tête lorsque la voiture de Jones a s’est écrasée dans les barrières suite à une défaillance de la boîte de vitesses. Et ce, deux jours seulement après un accident mortel dans la pit-lane au cours duquel Carlos a renversé un mécanicien Osella qui est tombé sur le chemin de sa Williams.

A Monaco, il a détruit son aileron avant sur la voiture d’un rival. À Jarama, il a raté une autre grande occasion, permettant à Villeneuve de le dépasser au deuxième tour, avant de perdre deux places dans les derniers tours. Dans les deux cas, il aurait dû exploiter le fait que la Brabham de Piquet était dans les barrières.

En France, Reutemann était cinquième lorsqu’il a été percuté par une autre voiture.

 

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C’est tout, je ne marquerai plus de points cette année...

Arrive Silverstone. La scène du neuvième tour est extrêmement importante dans cette histoire de ce qui aurait pu être. Head explique : « En premier lieu, quand Goodyear est revenu après six mois d’absence, Brabham a beaucoup mieux géré le retour des Michelin radiaux. Donc à Silverstone, notre voiture n’était pas la meilleure, mais Carlos est resté à l’abri des ennuis et a terminé deuxième. Il était alors en tête du championnat avec 17 points d’avance, et pourtant il est entré dans le camping-car, s’est assis et a déclaré, "C’est tout, je ne marquerai plus de points cette année." Et ce bien que nous ayons déployé une importante évolution aérodynamique, qui comprenait un nouveau fond plat, pour Hockenheim et qu'il soit redevenu compétitif; il est resté sombre et négatif jusqu’à la fin de la saison. »

La paire Williams aurait pu réussir un doublé en Allemagne, mais dans les deux cas, leurs moteurs les ont laissé tomber et ils ont ainsi offert la victoire à Piquet. L’Österreichring n'a pas réussi plus que cela à Reutemann, de plus en plus tourmenté. A Zandvoort, deux points ont été gaspillés à cause d’une manœuvre stupide sur Laffite. Et à Monza, tour de qualification tout à fait sensationnel mis à part, la course de Carlos fut plutôt terne, héritant de la  troisième place aux dépens de Piquet dans le dernier tour. L’avant-dernière manche à Montréal n’a rapporté aucun point, suite à un mauvais choix de gommes dans des conditions de déluge.

Tout cela ne lui laissait qu’un point d’avance sur Piquet alors qu’ils se dirigeaient vers la finale à Las Vegas.

Alors, qu’est-ce qui s’est mal passé sur le parking du Caesar’s Palace ?

« Carlos a dit qu’il avait des problèmes de boîte de vitesses », dit Head.

« Mais nos mécaniciens n’ont rien trouvé d'anormal. Il y avait peut-être un peu d’air dans le circuit d’embrayage ou quelque chose comme ça. Mais il n’y avait certainement pas de dommages aux crabots ni aucun dégat à l’intérieur de la boîte.

« Carlos avait un conseiller qui, chaque minute tout au long des essais, lui avait donné un aperçu de la situation de Piquet. Il n’arrêtait pas de dire des choses comme : "Nelson est dans une mauvaise position, il s’est esquinté le dos ; J’ai parlé à son entraîneur et il ne pourra pas faire plus de trois tours en course", etc. Donc, quand Piquet est revenu derrière lui [au 17e tour], cela a embrouillé l’esprit de Carlos car il s’était mis en tête que Nelson n’avait pas les moyens de lutter. »

Cela n’explique pas pourquoi le poleman avait l’air si effacé dans les premiers tours. Ni pourquoi, au moment où Piquet s’est effondré dans les derniers tours, Carlos était tellement loin qu'il ne put en profiter.

Reutemann méritait-il donc le titre ?

Non, pas si l'on considère qu'il n’est pas allé le chercher quand l’occasion s'est présentée. Cependant son talent  était  presque magique et l'hypothèse qu’il aurait pu délaisser cette opportunité de gloire mondiale  rend  un  personnage déjà  fascinant encore plus convaincant...

 

Mais laissons à Brenda Vernor le mot de la fin :

« Carlos Reutemann est parti à la fin de 1978, l’année où j’ai rejoint l’équipe. Il est rentré une fois dans mon bureau (je ne l’avais jamais rencontré auparavant) et je me suis immédiatement arrêté de taper ; je n’avais jamais vu un aussi bel homme ! »

 

Carlos Alberto Reutemann
né le12 avril 1942 à Santa Fe
décédé le 7 juillet 2021 à Santa Fe

 

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Carlos Reutemann, Ferrari 312 T2 ©Guy Royer

 

Carlos Reutemann, gallerie

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Lole 1966. Fiat Cordoba 1500

 

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1969 Huayra Ford F100

 

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1969 Cordoba

 

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1970 Brabham F2

 

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1972 Brabham BT34

 

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1974 Brabham BT44

 

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1976 Brabham BT45

 

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1978 Ferrari

 

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2021 Hôpital Santa Fe

 - Illustrations ©DR

Commentaires

Un de ces champions du monde potentiels qui n'ont pas réussi à forcer le destin, ça ne retire rien à son talent.

Écrit par : F.Coeuret | 12 janvier 2022

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Néanmoins Francis tu me sembles plus proche du Suisse Allémanique Protestant que du Gaucho Argentin :-) ceci dit, on est d'accord El Lole était le plus romantique et tourmenté des pilotes de F1 ... un vrai caractère !

Écrit par : Christian MAGNANOU | 12 janvier 2022

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Ah La Vernor, elle en a vu passer ...

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 18 janvier 2022

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