20 mars 2015
Comme un avion sans aile - 1 - P142, la BRM secrète
Vers la fin des années soixante on commença à rajouter des ailerons aux monoplaces et autres prototypes afin d’augmenter leur vitesse de passage en virage. Ces ailerons utilisaient l’air « se précipitant » sur les rapides voitures de course pour créer une force verticale d’appui permettant un meilleure adhérence des pneus sur la piste afin d’accroitre le « grip » (1).
Certains ingénieurs parmi les plus créatifs considéraient cependant les ailerons comme une solution inélégante pour arriver à ce résultat. Dès lors ils n’eurent de cesse que de vouloir inventer la F1 « sans ailerons » qui utiliserait toute sa carrosserie pour générer de l’appui et de la déportance. Le concept n'était pas complètement nouveau, il faut se souvenir que cette voie avait été défrichée, dès les années vingt !... par l’ingénieur René Prévost, également aviateur (2).
par Francis Rainaut
B.R.M. P142: Aurait-elle assuré l’avenir de l’équipe ?
Tony Rudd - l'ingénieur en chef chez BRM - fut l'un des premiers à chercher une alternative aux ailes et ailerons dont la taille n'avait cessé d'augmenter à partir de 1968 avant que la C.S.I. n'y mette le holà un an plus tard, suite à l'épisode mouvementé de Barcelone-Montjuic (3).
Peter Wright, un ingénieur récemment diplômé du Trinity College de Cambridge et qui venait de rejoindre BRM, partageait le point-de-vue de Tony. Du coup on lui demanda de travailler sur le dessin d’une voiture qui utiliserait la totalité de sa carrosserie pour générer autant de force d’appui que les ailerons « rajoutés ». Le travail démarra dans le plus grand secret dans l’entrepôt de BRM à Exeter Street. Le plan était d’avoir cette nouvelle voiture révolutionnaire prête à courir pour le Grand Prix d’Italie en septembre 1969.
Afin d'expérimenter ses idées, Wright commença par rajouter des « side pods » sur les flancs d'une BRM P126. Ces side pods avaient une forme d'aile inversée, dans le but de générer sous les pontons une dépression qui « appuierait » la monoplace au sol. Jackie Oliver essaya la BRM, mais les résultats furent décevants, même si l'ingénieur reprit plus tard la même idée pour la toute nouvelle March 701.
Le projet P142 n’était connu que d’un tout petit nombre de personnes. Même la Haute Direction de Bourne n’était pas pleinement consciente de ce qui se passait. On fit des tests en soufflerie sur des maquettes et le travail commença alors sur la nouvelle monoplace.
Mais quand l'état major de Bourne découvrit toute l’ampleur de ce qui se tramait, ils arrêtèrent tout cela immédiatement et remirent tous les moyens sur le développement de la monoplace courante.
Une autre version impute clairement à l’arrivée de John Surtees chez BRM la responsabilité de l’abandon définitif du projet P142. Quoi qu’il en soit, Rudd ou Surtees, il fallait faire un choix…
BRM P142, Imperial College Wind Tunnel
Peu de temps après Tony Rudd et Peter Wright quittèrent B.R.M. et rejoignirent Specialised Mouldings Ltd., une firme dessinant et fabriquant des éléments de carrosserie destinées aux voitures de course. C'est dans ce contexte que Robin Herd leur confia la conception de quelques évolutions pour sa March 701. Mais aucun pilote ne put jamais détecter la moindre différence de comportement de cette monoplace avec ou sans ses flancs ailés.
Et pourtant cette idée de réservoirs latéraux carrossés en aile d'avion inversée était bien la bonne... Il n'y manquait que les jupes pour rendre le travail de cette aile totalement indépendant de l'air extérieur.
Au sein de Specialised Mouldings Ltd., Wright apprit beaucoup sur l'aérodynamique et les matériaux composites puis il rejoignit TechnoCraft, une filiale de Lotus, toujours en compagnie de Tony Rudd.
Et ce ne fut que huit années plus tard que les victorieuses Lotus 78 et 79 de Formule 1 démontrèrent de manière évidente que les idées qui étaient derrière la conception de la « BRM secrète » allaient dans la bonne direction.
A ce moment là Tony Rudd et Peter Wright travaillaient tous les deux pour Lotus...
- Voir aussi Wing car's technical
(1) Dynamique des fluides, les bases :
Source: Patrick Camus, Auto-Hebdo
L'origine de la déportance, donc de l'effet de sol et son fonctionnement, sont analogues à ceux d'une aile d'avion placée à l'envers.
Extrados = dépression = déportance ; Intrados = surpression = portance.
La dépression crée une force double de celle provoquée par la surpression. Un avion est donc aspiré dans l'air et non porté.
(2) Projet de véhicule à « effet de sol » présenté par René Prévost en 1928.
(3) Synthèse rapide de l’arrivée des ailerons en F1 et monoplaces :
- 1965 & Riverside 1966 : Bruce McLaren essaie un aileron sur sa M2A (contribution Michel Lovaty).
- 1966 : L' Eisert Indy dessinée par Shawn Buckley dispose d'un becquet arrière.
- Novembre 1967, Riverside : Jim Clark pilote une Vollstedt dotée d’un aileron (photo Bob Gates).
- Janvier 1968, Tasman séries, Teretonga : à la demande de Jim, des mécaniciens Lotus montent aux essais un aileron fait à partir d’une pale de rotor d’hélicoptère sur la 49T de Clark. Ce montage n’est pas conservé pour la course, mais n’échappe pas au regard curieux du tout jeune ingénieur Ferrari, Gianni Marelli. (contribution photo Pascal Klein)
- GP de Monaco : Boycott Ferrari, les Lotus 49 - de même qu'aux essais du GP d'Espagne peu de temps auparavant - apparaissent avec un important becquet à l’arrière, ancêtre des ailerons.
- GP de Belgique : La Ferrari d’Amon et les Brabham courent avec un aileron, les Lotus avec un becquet.
- GP des Pays-Bas : début de la généralisation des ailerons.
- Mai 1969, GP d'Espagne : Accidents spectaculaires de Hill et de Rindt dûs aux ruptures de leurs - gigantesques - ailerons.
- GP de Monaco : La C.S.I. interdit les ailerons, puis ne les tolère que de dimensions restreintes.
Jordi Saillet, couleurs Luigi Mennella
In Memoriam Michel Lovaty
18:05 Publié dans aérodynamisme, c.amon, j.clark | Tags : tony rudd, peter wright, jim clark | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
Commentaires
Sujet très intéressant, Francis, bravo ! Je ne me souvenais pas du projet BRM.
Pour les carrosseries engendrant une portance, il y eût, en 71, la "Lotus 56B" à turbine. Mais Chapman était plus préoccupé par son étrange moteur que par le reste.
Côté ailerons, la paternité est souvent attribuée à Jim Hall (Chaparral). Néanmoins, il convient de se souvenir que Bruce Mc Laren expérimenta un aileron arrière, lors
de l'automne 65, sur sa M2A qui améliora ses performances.
Il dira : "le manque de suite dans les idées, de temps, d'argent nous conduisit à abandonner l'idée".
Dommage !
Écrit par : Michel Lovaty | 22 mars 2015
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