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13 juin 2015

« 24 Heures démentes »

24h du mans,john woolfe

« Lancés à plus de 300 km/h, les pilotes flirteront sans cesse avec la mort. » (1)

Tel est le titre d'un quotidien paru un 11 juin, dont on peut dire qu'il ne s'embarrasse pas de données techniques ni de description des forces en présence; on y retrouve cependant tous les clichés éculés concernant ces trompe-la-mort, ces risque-tout, ces fous-du-volant, bref ces pilotes.

Vu le style employé, il doit probablement s'agir d'un journal « à fort tirage » qui doit dater de la fin des années soixante, quand les images de l'accident de 1955 étaient encore bien présentes dans les esprits, et que les sport-prototypes commençaient à faire tomber tous les records de vitesse...


24h du mans,john woolfe

Et bien vous n'y êtes pas. Ce quotidien - gratuit - est sorti ce jeudi 11 juin, il fait même l'objet d'une « 21e Minute », l'article est écrit par un journaliste sportif.

D’hier ou d’aujourd’hui, ces propos nous interpellent. Ainsi ce serait cela, la course automobile ? Une sorte de roulette russe où le pilote dispose malgré tout de quelques cartes pour s’en sortir. Mais pas toutes, sinon à quoi bon assister à des courses d'autos...

24h du mans,john woolfe

 

« Vingt-quatre heures contre la mort »

« Lorsqu’il s’agit d’évoquer les dangers du sport automobile, les pilotes ne sont pas très loquaces. Pourtant, une centaine de personnes, dont 22 pilotes, sont morts en 82 éditions de cette épreuve mythique. Une course jamais interrompue, même quand une voiture a foncé dans le public, en 1955, fauchant 84 vies. » …

Donc il y a très exactement soixante ans, ce « pauvre » Pierre Eugène Alfred Bouillin, dit Pierre Levegh a carrément foncé dans le public; l'Austin-Healey n'existe pas, le muret non plus, l’enchainement fatal de circonstances encore moins, c’est le pilote - très certainement un dingue – qui a foncé dans le public.

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« La mort, Loïc Duval l’a vue de près en 2014 lors des essais qualificatifs. Lancé à plus de 200 km/h, le vainqueur de l’édition 2013 a fracassé son Audi contre un rail de sécurité à la sortie des virages Porsche. Un an après, il ne se souvient toujours pas de l’accident. » …

« en 2011, moins d’une heure après le départ, Allan McNish, au volant de l’Audi n°2, fracasse sa voiture. » …

Voilà ce qu’il faut raconter aux lecteurs, en prenant de préférence l’accent marseillais. A n’importe quel moment, y compris en tout début de course, un pilote expérimenté est susceptible d’aller « fracasser » sa voiture dans les fascines, on vous a bien prévenu, il pourrait y avoir du spectacle.

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Allons un peu plus loin. Aujourd’hui les courses de Formule 1 ne sont plus recette, c’est la faute à Lewis, c’est la faute à Bernie, c’est la faute à Mercedes, c’est la faute à Pirelli. Certes… mais c'est aussi parce que le danger est devenu très virtuel, même si personne - absolument personne - n'a envie de revoir des images d'une Marussia se « fracassant » contre une grue.

Même si sa vision de la course mancelle est un peu caricaturale, le journaliste sportif du jeudi n’a pas entièrement tort. Parmi les ingrédients constitutifs de la magie du Mans figurent en bonne place un circuit encore « viril », des conditions de course changeantes, un mélange des forces et des niveaux propice à des accrochages. Mais aussi cette manière aujourd'hui un peu désuète de s'enfiler des morceaux de nationales à plus de 300 km/h. Débat sans fin.

Oui le danger et le risque font bien partie de la magie du Mans. Mais ils font aussi partie de la traversée de l'Atlantique à la voile et de la plupart des expéditions en montagne. On peut aussi apprécier un match de rubgy, sans pour autant guetter le moment où le sang giclera.

Bien sûr,... mais au fond, c'est le « journaliste » qui a doit avoir raison. Pour stimuler l'intérêt du public pour la course automobile, il faut du sensationnel, il faut du « trash ». Alors oui, course contre la mort, pas de risque zéro, c'est la recette pour relancer le cirque, et bien Bernie, tu dors ?

Mais ce week-end, qu'il nous soit permis d'assister à de belles joutes entre ces magnifiques protos, sans oublier de saluer respectueusement Marius Mestivier, Pierre Levegh, « Bino » Heins, Roby Weber, Lucien Bianchi, John Woolfe, Jo Bonnier, Jo Gartner, Sébastien Enjolras, Allan Simonsen et tous ceux qui ont laissé leur vie sur ce circuit, dont presque une centaine de spectateurs le 11 juin 1955.

 (1) Toutes citations extraites du quotidien « 20 minutes », #2851.

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par Francis Rainaut

- Images ©DR


 

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Commentaires

Les sports mécaniques, sur deux roues, quatre roues, sur l’eau ou dans les airs sont indubitablement dangereux. C’est une des raisons pour lesquelles certains se saignent pour acheter la moto, la voiture, le bateau ou l’avion de leurs rêves. J’ai des noms et vous en avez certainement aussi. Rien ne peut remplacer la montée d’adrénaline qui précède ce qui est désigné parfois comme étant « la vraie vie ».

En 1955, la guerre et son terrible cortège n’étaient distants que de presque quelques jours, et les rivalités, les haines, les rancœurs étaient toujours à vif. Mike Hawthorn, amateur de filles et de bière, avait un compte à régler avec l’Allemagne, ennemi honni qui avait torturé son pays, et qui devait être impérativement terrassé. Le rapport à la mort, à cette époque, était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui : on avait pu la rencontrer quotidiennement pendant six ans, que l’on soit civil ou militaire. J’ai entendu l’un de ces anciens soldats dire : « voir les cadavres des hommes ne me faisait plus rien. Mais je ne pouvais pas supporter de voir ceux des femmes et des enfants ». Après les violents trépas de la guerre, on mourait dans son lit, chez soi, entouré de sa famille. Je le sais : j’en ai été le témoin.

Quant aux pilotes, une bonne douzaine d’entre eux se tuait en course chaque année. Evoquant un jour la sécurité pour le moins aléatoire du circuit de Monaco, Jackie Stewart provoqua la répartie suivante de Louis Chiron : « Alors quoi ! ! ! Les pilotes ne savent plus mourir, de nos jours ! ! ! ». Quant aux spectateurs, les risques qu’ils prenaient étaient parfois considérables : Pierre Levegh, Fons de Portago, Wolfgang Von Trips et bien d’autres encore ont entrainé avec eux des dizaines de passionnés dans la mort.

On venait aussi sur le circuit pour voir le lion bouffer le dompteur : les sorties extérieures des virages étaient noires de monde. Je me souviens de la première fois où je suis allé aux 24 heures du Mans : c’était en 1964. Dépourvu de permis de conduire parce que trop jeune d’encore un an, j’avais pris le train, puis un autocar jusqu’au circuit, où j’étais entré au niveau des esses du Tertre Rouge. J’avais été surpris par la densité de la foule qui se pressait au bord de la piste, juste là ou il pouvait se produire un accident. J’avais déjà remarqué ça à Montlhéry, en particulier à la sortie du virage de la Ferme.

Maintenant, il est devenu hors de question de risquer sa peau pour regarder passer des bolides hurlants. La mort doit être occultée, pour laisser la place à des manières de super héros, qui finissent par être – tout au moins pour moi – aussi bidons que ceux des bandes dessinées. Mais imaginons un seul instant les réactions du public d’aujourd’hui après un accident comme celui du Mans de 1955…

Écrit par : Raymond Jacques | 13 juin 2015

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