23 juin 2015
Scarabs, Let It Be (Part 2)
par Francis Rainaut
Comme ses voitures de sport ne sont plus autorisées à courir en championnat du Monde, Lance décide d’affronter les Européens sur les courses de Formule 1. Mais ce faisant, il commet là d’une énorme erreur de jugement...
Voir également :
- Rich Man, Poor Man... (Part 1)
Personne dans l’équipe n’a la moindre expérience des Grand Prix, et Reventlow a insisté pour que les monoplaces aient des composants 100% américains, ce qui signifie qu’ils doivent développer certaines pièces à partir de zéro. Des firmes expérimentées comme Ferrari et Aston Martin ont traîné à prendre le virage du moteur arrière initié par Cooper, en conservant le moteur avant sur leurs monoplaces... Les Scarab prennent exemple sur elles, avec des résultats malheureusement prévisibles.
Au crédit de l’ingénieur Offenhauser Leo Goosen figure une longue liste d’excellents moteurs de compétition. Il dessine pour l’occasion un tout nouveau quatre-cylindres. Ce moteur dispose d’un dessin surbaissé, il est doté de deux bougies par cylindre et surtout d’une distribution desmodromique utilisant des cames secondaires à la place des ressorts pour la fermeture des soupapes. Goosen était plutôt contre le setup desmodromique lors du développement, mais Reventlow insista... Le moteur ne délivrera jamais une puissance compétitive et se révéla par-dessus le marché d'une fiabilité désastreuse.
Le châssis est d’une architecture conventionnelle à moteur avant; son dessin est dû à un jeune ingénieur de 23 ans nommé Marshall Whitfeld, qui n’a auparavant jamais dessiné de voiture de course… La monoplace ressemble un peu à un roadster d’Indianapolis en réduction, elle utilise une transmission Halibrand rattachée à une boite de vitesse spéciale utilisant des pièces de Corvette. Le différentiel est positionné à gauche du pilote et possède un simple frein refroidi par eau sur le demi-arbre droit. A l’avant, les freins à tambour sont placés à l’extérieur... Le dictat original du « tout-américain » n’a pas permis l’utilisation de freins à disque anglais, mais lorsque les freins fait maison révélèrent leur manque de puissance, des freins à disque Girling leur furent substitués.
Le châssis fut terminé bien avant que le moteur ne soit prêt, si bien qu’on installa pour les tests un vieil Offy provenant du chassis 003. Ces test démontrèrent que tout allait de travers, en commençant par les freins jusqu’aux nouveaux pneus Goodyear, dont c’était la première apparition en F1... Finalement, tous ces retards obligèrent l’équipe à manquer la saison 1959 tout entière.
Les vraies mauvaises nouvelles arrivent en 1960, lors des débuts du Team Scarab au Grand Prix de Monaco. Ils découvrent très vite qu’ils sont plus lents que les Formule Junior qui courent en ouverture. Le moteur Goosen rend environ 50 chevaux au Coventry-Climax FPF, et le freinage est abominable... Aucune des monoplaces ne se qualifie pour la course, en dépit de l'aide ponctuelle de Stirling Moss sollicité pour évaluer le potentiel de la F1 américaine.
Arrive Zandvoort. Chuck Daigh se qualifie 15e, mais lorsque les temps de qualification sont publiés, Reventlow pique une colère et laisse le team sur place. Une troisième monoplace est construite comme châssis de réserve.
A Spa, Daigh et Reventlow se qualifient, mais ne sont pas du tout dans le rythme et abandonnent tous les deux. Arrivé à ce stade, Reventlow est passablement découragé et décide de laisser son propre volant au pilote d’essais Ferrari Richie Ginther (1).
Le prochain Grand Prix a lieu à Reims, mais les Scarab cassent toutes leurs moteurs aux essais et le Team se replie à domicile.
Le dernier Grand Prix de la saison se déroule à Riverside, aussi le Team escompte une sorte d’avantage du fait de courir à domicile. Ils décident de n’engager qu’une seule voiture pour Daigh, qu’ils essaient d’alléger autant que faire se peut. Daigh se qualifie 18e sur 23 engagés et termine à une méritoire 10e place pour ce qui sera la toute dernière course d’une Scarab F1.
En effet malgré l'opposition de la plupart des équipes britanniques, la CSI bouleverse les règles de la Formule 1, dans le but de réduire la puissance. A partir de 1961, la cylindrée est fixée à 1,5 litre, les Scarab devront trouver un nouveau terrain de jeu. L'opposition s'organise, la Formule Intercontinentale est créée, qui autorise les anciennes motorisations, les Scarab y figureront plus qu'honorablement (2).
L’épilogue de cette saga eut lieu bien des années plus tard. En 1988, Chuck Daigh se donna comme challenge de perfectionner le système de distribution desmodromique de la Scarab F1. Il découvrit alors que le dessin original spécifiait un jeu aux soupapes de 0,05 mm. Cependant lors de la mise au point du moteur, cette valeur avait été portée à 0,3 mm, très certainement pour compenser la dilatation des matériaux due à la chaleur.
Daigh essaya alors le jeu préconisé lors de la conception, et gagna instantanément 20 pour cent de puissance moteur. Quel aurait été en 1960 le destin d'une Scarab F1 disposant de tous ses chevaux ?
« The answer, my friend, is blowin' in the wind,…»
L’histoire des Scarab est terriblement attachante, à cause ou en dépit de son manque de succès. Lance était sans doute le dernier des romantiques, de ces hommes qui se lançaient dans des projets un peu fous à priori impossibles. Alors finalement peu importe qu’il ait échoué, l'épopée du Team va malgré tout laisser des traces dans l'ADN des constructeurs américains, parmi lesquels Chaparral ou encore Caroll Shelby (3).
L’époque n’était pas aux business plans aux stratégies blindées, les dealers de cigarettes n’avaient pas encore infesté le milieu, les vendeurs de boissons « énergisantes » encore moins. Défendre les couleurs de son pays avait encore un sens, les monoplaces arboraient alors les couleurs nationales, exactement comme dans nos Circuit 24. C'était l'époque où on rêvait tous d'être Michel Vaillant, à ce propos lorsqu'on observe la Vaillante F1 1961, il est impossible ne pas penser à une Scarab.
Et depuis, c'est toujours un vrai bonheur de retrouver dans les plateaux de courses historiques une monoplace Scarab, comme c'était le cas au Grand Prix de l'Age d'Or 2015.
(1) Après ce funeste week-end de Spa qui vit le grave accident de Stirling Moss et surtout les deux accidents mortels d’Alan Stacey et Chris Bristow, Barbara Hutton, la mère de Lance, exigea que son fils cesse de s’aligner en grand prix comme pilote. Comme elle détenait les cordons de la bourse, son fils lui en fit la promesse. C’est pourquoi Ritchie Ginther s’aligna à sa place aux essais du Grand Prix de l’ACF.
(2) Ce point fera probablement l'objet d'une troisième partie.
(3) Pour paraphraser ce qu’Elliott Murphy a écrit à propos du groupe new-yorkais « Velvet Underground », on peut dire que Scarab en tant que tel n’a eu qu’un succès très limité, mais que tous ceux qui ont participé à cette aventure deviendront célèbres… ou laisseront une trace durable dans la course automobile.
« 1 000 personnes seulement ont acheté le premier album du Velvet Underground, mais chacune d’entre elles a monté un groupe après ça »
- Photo 1 : © TheCahierArchive
- Photo 7 : Age d'Or 2015 © Gérard Gaud
- Autres photos © DR
13:37 Publié dans c.daigh, l.reventlow, s.moss | Tags : lance reventlow, scarab f1, leo goosen, caroll shelby | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
Commentaires
Hispano Suiza avait développé dans l’entre-deux guerres un moteur aéronautique à 12 cylindres en V qui équipa nombre d’avions, dont le magnifique chasseur Dewoitine D-520. Le moteur 12 Y était puissant pour son époque – de la classe des 1000 chevaux – mais il était aussi notoirement fragile et il avait la réputation de serrer facilement. La Russie acheta une licence de fabrication de ce moteur, qui devint le Klimov M 100. Les tolérances de fabrication du moteur 12 Y étaient assez serrées et, pour des raisons de facilité de production, les Russes décidèrent de les élargir. Et le Klimov, lui, était incassable ! En mécanique, pas assez de jeu, ça serre, trop de jeu, ça casse (oui, je simplifie…). Mais monsieur Reventlow et son équipe ne connaissaient sans doute pas l’histoire du 12 Y… Dommage, car le bleu et blanc aurait pu venir troubler la suprématie du rouge et du vert !
Écrit par : Raymond Jacques | 23 juin 2015
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