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17 février 2017

De la Grande Roue aux roues de la mort : Annie Bousquet

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La Grande Roue de Vienne en Autriche, érigée dans le parc du Prater, fut à son époque et pendant soixante cinq ans, la plus haute du monde. C’est dans cette ville que se déroule l’action du film « Le Troisième homme », tourné en 1948 dans les scories fumantes de la Deuxième Guerre Mondiale, en partie au pied de cette colossale Grande Roue qui en est l’une des vedettes. L’ambiance pesante, les décors lugubres, les personnages inquiétants et la musique lancinante de la cithare d’Anton Karas ont fait de ce film un chef-d’oeuvre.

Mais Vienne, c’est aussi la ville de la musique de Johann Strauss, de la pâtisserie appelée « viennoiserie », celle où l’on créa le croissant de nos petits déjeuners pour célébrer la victoire sur les attaquants Turcs en 1683. C’est là que naît en 1921 (1) Ann Schaffer, qui fut plus connue en France sous le nom d’Annie Bousquet. Une manière de Jean Behra au féminin...

par Raymond Jacques


annie bousquet,gilberte thirion

 Août 1955, Montlhéry. Records de vitesse, Porsche 550 Spyder

 

Ann Schaffer se marie à la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec Pierre Bousquet, un Français pilote de courses amateur qu’elle a rencontré en Autriche alors qu’il y était prisonnier de guerre. Elle commence sa carrière en 1953 au Rallye de San Remo sur une Renault 1063 et gagne sa catégorie ! Elle s’aligne la même année, toujours sur 1063, aux Mille Miglia avec Simone de Forest. Puis, elle partage le volant d’une Fiat 1100 avec la Belge Gilberte Thirion aux 24 Heures de Spa-Francorchamps, où elles s’attribuent la Coupe des Dames. Plus tard, sur le circuit d’Agen, Annie Bousquet sort de la route avec un Racer 500 DB qui se retourne sur elle. Elle restera plus d’un mois à l’hôpital.

En 1954, elle court à Nîmes, Agadir et Dakar sur une Gordini T16S, s’adjuge une nouvelle Coupe des Dames avec Gilberte Thirion aux Mille Miglia sur une Gordini T15S. Au Tour Auto, elle étrenne l’un des premiers spiders Porsche 550, probablement le numéro 05 (2). Elle finit huitième au classement général et seconde de la Coupe des Dames, associée à Marie-Claire Beaulieu.

 

annie bousquet,gilberte thirion
Agadir 1955. Porsche 550

 

En janvier 1955, elle quitte la route sur le circuit d’Agadir au volant de sa Porsche 550 numéro 40, alors qu’elle est en quatrième position à la mi-course. Elle s’en tire avec une jambe cassée : nouveau séjour à l’hôpital. Puis, elle court le Grand Prix de Paris (ex-Bol d’Or) comme copilote du spider Porsche appartenant à Josef Jaser. Sur les 24 heures de course, Annie Bousquet n’assurera que quatre heures de relai, tétanisée par un accident dans lequel un pilote s’est fait arracher une jambe… Néanmoins, elle rachète la Porsche 550 du Tour Auto 1954 et se lance à la conquête de records de vitesse sur l’anneau de Montlhéry. Elle bat ceux des 50 kilomètres et des 50 miles le 16 août à plus de 223 kilomètres à l’heure. Deux jours plus tard, alors qu’elle tente de les améliorer, la Porsche sort de la piste et prend feu. Les deux jambes et un bras fracturés, Annie Bousquet fera deux mois d’hôpital. Après l’accident, la voiture sera reconstruite et modifiée à Zuffenhausen, avec un saute vent enveloppant et une nouvelle peinture bleue.

 

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Le 2 janvier 1956, la voiture de Pierre Bousquet dérape sur le verglas pas très loin de Saulieu, quitte la route et son conducteur perd la vie dans l’accident. C’est un drame pour Annie Bousquet et pour sa fille Heidi. Mais, battante, elle prend le départ des Mille Miglia au mois de mai suivant, sur une Triumph TR2 qu’elle pilote seule et qu’elle amène à la quatre vingt quinzième place. Le 10 juin, elle participe aux 1000 kilomètres de Paris, les premiers du nom, sur une Maserati 1500S, associée à Alejandro de Tomaso. Ils ne termineront pas l’épreuve, leur moteur ayant déclaré forfait avant la fin de la course. Le 30 juin, Annie Bousquet s’aligne aux 12 Heures de Reims avec son beau spider bleu qu’elle partagera avec Elizabeth Haskell, madame de Tomaso. Deux jours avant la course, elle l’a amené chez Porsche en Allemagne par la route pour une révision. Beaucoup de kilomètres, beaucoup de fatigue physique et psychologique vont s’accumuler...

 

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Le circuit de Reims est typique de ceux qui étaient aménagés temporairement sur des routes ordinairement ouvertes à la circulation. On prend deux axes à grande circulation partant d’un même point et reliés entre eux par une troisième voie moins fréquentée : Le Mans, Les Essarts, Cadours, Dieppe et beaucoup d’autres présentent ce shéma triangulaire. C’est sur la partie située après la ligne droite des tribunes et des stands que l’accident d’Annie Bousquet aura lieu. C’est la jonction entre deux les routes principales, la départementale 26, portion du circuit mal plate - comme disent les cyclistes - et quelque peu sinueuse qui comporte deux courbes à droite et une à gauche. Annie Bousquet aborde la seconde courbe à droite un peu trop vite, la Porsche numéro 32 s’envole et la pilote est éjectée de sa voiture. Elle sera relevée une quinzaine de mètres plus loin, le crâne et les vertèbres cervicales fracturés. A l’hôpital de Reims où elle a été transportée, les médecins ne pouront que constater son décès. La courbe fatale portera son nom…

annie bousquet,gilberte thirion

Choqués par la mort accidentelle d’Annie Bousquet, les dirigeants de l’Automobile Club de l’Ouest décidèrent de ne plus accepter de femmes pilotes aux 24 Heures du Mans. Ils ne reviendront sur cette décision qu’en 1971. Gilberte Thirion, profondément affectée par le décès de son amie et coéquipière, arrêtera la compétition automobile dès 1957.

 

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A.Bousquet/G.Thirion, Mille Miles 1954, départ 3h49  ©R.Mailander

 

Cette départementale 26 verra aussi l’accident mortel d’Herbert Mackay-Fraser en 1957 et celui de Luigi Musso en 1958. Jean-Pierre Beltoise sortira de  la route dans le virage Annie Bousquet le 5 juillet 1964, avec les conséquences que l’on sait. Le 4 juillet 1965, Gérald Langlois von Ophem sort de la piste dans la dernière courbe à gauche avec sa Ferrari LM numéro 11. Le pilote s’en tire indemne, mais deux commissaires de piste sont tués.

J’ai vainement tenté de trouver une trace d’Heidi, la fille d’Annie Bousquet. Si, par un hasard miraculeux, elle lit ces quelques lignes, elle verra que sa mère n’a pas encore été totalement oubliée… (3)

 

(1) Certaines sources indiquent 1923 comme année de naissance.

(2) à moins que ce soit le numéro 7.

(3) Annie Bousquet repose aux cotés de son mari, au cimetière de Marnes-la-Coquette. (note de MSo)

 

annie bousquet,gilberte thirion

 - Illustrations ©DR

Commentaires

Belle note, merci. Je ne savais pas qu'elle était Autrichienne.
Je ne savais pas non plus, qu'Au Mans les femmes étaient interdite.

Écrit par : Bruno | 17 février 2017

Belle note Francis, merci !

Écrit par : Marc Ostermann | 17 février 2017

Merci Marc, c'est surtout Raymond qu'il faut remercier, il a fait tout le travail...

Écrit par : Francis Rainaut | 18 février 2017

J'avais zappé cette période sans femmes au Mans. Cette décision de l'ACO parait incroyable aujourd'hui.
C'est Marie Claude Beaumont qui sera la première femme de nouveau autorisée à participer.

Écrit par : Orjebin | 20 février 2017

Les commentaires sont fermés.