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07 février 2017

Les plongeurs de Monaco

alberto ascari,paul hawkins

La Ferrari 625 n’est pas un foudre de guerre. Il le sait parfaitement. Il a cependant préféré la choisir parce qu’elle est plus sûre que les nouvelles 555 Supersqualo, dont la tenue de route n’est pas convaincante. Il ne se fait pas d’illusion : il y a de la concurrence plus que sérieuse, présumée imbattable, en l’occurrence quatre puissantes Mercedes W196 à injection directe (1) pilotées par Fangio et Moss, la crème de la crème des pilotes en cette année 1955, et par André Simon et Hans Hermann.

par Raymond Jacques


alberto ascari,paul hawkins

ALBERTO ASCARI 1918 - 1955

 

Il faut ajouter à cela quatre Lancia D50 à moteur V8, très efficaces après une difficile mise au point.  Elles sont conduites par Ascari et Castelloti, des redoutables compétiteurs, épaulés par Villoresi et Chiron. Il sait aussi qu’il faudra compter avec les Maserati 250 F, dont l’une sera conduite par Jean Behra, le pilote français qui n’a peur de rien. Il y a aussi une Vanwall britannique, peut-être encore un peu trop jeune avec son moteur à injection Bosch (2), mais pilotée par le rapide Mike Hawthorn… Le Grand Prix de Monaco de formule 1 semble joué avant même le départ… Dans tous les cas, il lui parait évident que la victoire échappera à Ferrari, que la victoire lui échappera. Maurice Trintignant, fraichement arrivé à Monaco, déballe ses valises en compagnie de son épouse, et il laisse échapper : « Ah mon smoking ! Il ne servira certainement pas cette fois ! ».

A la fin des années cinquante, j’avais trois livres de chevet : « La Piste Fauve » de George Cory Franklin, les « Contes des Mers du Sud » de Jack London, et « Pilote de Courses » de Maurice Trintignant. Ce dernier y raconte en détails, quasiment tour par tour, ce Grand Prix de Monaco 1955. Une autre partie du livre, moins importante en volume, relate sa course victorieuse aux 24 Heures du Mans 1954 avec le « Taureau de la Pampa » José Froilàn Gonzàles.

 

A Monaco, les Mercedes de Fangio et Moss s’envolent littéralement dès le départ, laissant loin derrière elles tous les autres concurrents. Mais au cinquantième tour, la voiture de Fangio avale ses soupapes et s’immobilise. Au quatre vingt unième tour, la Mercedes de Moss subit le même sort. Alberto Ascari, au volant de sa belle D50 numéro 26, passe en tête de la course. Pas pour très longtemps… A la chicane, il dérape sur l’huile répandue par la voiture de Stirling Moss, part en tête à queue, traverse les barrières et il plonge dans le port… Il réussit à s’extraire de sa monoplace et à regagner la surface à la nage, secouru par des plongeurs sauveteurs. Il n’est que légèrement blessé.

 

alberto ascari,paul hawkins

 

Maurice Trintignant gagne cette course par élimination sur sa « vieille » Ferrari numéro 44, grâce à sa régularité ainsi qu’à la intelligence et au flair de Nello Ugolini, le directeur sportif de la Scuderia qu’il évoque largement dans son livre. Finalement, il a bien fait d’emporter son smoking : il le portera pour la réception donnée au palais princier en l’honneur du vainqueur du Grand Prix…

Alberto Ascari se tuera quelques jours plus tard au volant d’une Ferrari 750 Monza sur le circuit éponyme lors d’une séance d’essais privée.

Les merveilleuses Lancia D50 seront rebaptisées Ferrari 801 en 1956.

 

alberto ascari,paul hawkins

PAUL HAWKINS 1937 – 1969

 

Ils sont dix-sept pilotes à s’être qualifiés pour le vingt-troisième Grand Prix de Monaco couru le 30 mai 1965 sur le fantastique tourniquet monégasque. Sur la grille de départ prennent place deux curiosités japonaises, les Honda RA 272 pilotées par les Américains Ronnie Bucknum et Richie Ginther. Techniquement très sophistiquées, elles sont équipées d’un moteur V12 de 1495 cc à 48 soupapes placé en position transversale arrière et utilisable jusqu’à 14000 tours minute ! L’ingénierie des motos de course de la marque a manifestement influencé leur design. Les Japonais sont là pour apprendre, et ils apprendront vite. C’est la dernière année de la F1 à moteurs 1500 cc, qui seront remplacés en 1966 par des moteurs de trois litres de cylindrée.

alberto ascari,paul hawkins

Graham Hill est en pole position sur sa BRM P261. Il part en boulet de canon, suivi comme son ombre par son coéquipier Jackie Stewart. Au dixième tour de la course, le duo possède déjà dix secondes d’avance sur ses poursuivants immédiats Bandini, Surtees et Brabham. Au vingt-cinquième tour, Graham Hill toujours en tête de la course, est obligé de prendre l’échappatoire de la chicane pour éviter de percuter la Brabham Climax de Bob Anderson, en perdition avec sa boite de vitesses défaillante. Hill s’extrait de sa monoplace, la repousse sur la piste, se glisse en voltige derrière son volant et repart le couteau entre les dents.

 

alberto ascari,paul hawkins

Au soixante-dix-neuvième tour, Paul Hawkins, qui occupe l’avant-dernière position avec sa Lotus 33 Climax privée numéro 10, emboutit les barrières de bois de la chicane, grimpe sur les bottes de paille et plonge dans les eaux du port…

alberto ascari,paul hawkins

 

Dix ans après la baignade involontaire d’Alberto Ascari, Hawkins fit le même plongeon au même endroit. Il en ressortira totalement indemne. Et Graham Hill gagnera la course malgré sa sortie « touristique » à la chicane.

Paul Hawkins fera une dernière apparition en formule 1 au Grand Prix d’Allemagne couru le 1er août 1965 sur le 22,810 km du Nürburgring. Il se spécialisera ensuite dans les courses de voitures de sport et prototypes. Il finit premier de sa catégorie (1151 – 1300 cc) aux 24 Heures du Mans 1965 et douzième au classement scratch, associé à John Rhodes aux commandes d’une Austin Healey Sprite (3) sérieusement affûtée. Il s’adjugera les 1000 km de Paris le 15 octobre 1967 en compagnie de Jacky Ickx sur Mirage Ford et les 1000 kilomètres de Monza le 25 avril 1968, associé à Davis Hobbs sur Ford GT40. Il se tuera en course au volant d’une Lola T70 MkIII B sur le circuit d’Oulton Park lors du RAC Tourist Trophy le 25 mai 1969.

 

Alberto Ascari5.jpg Paul_Hawkins.jpg

(1) Le système d’injection des W196 dérivait étroitement de celui qui équipait les moteurs d’avions DB 601 montés sur les Messerschmitt 109 monomoteurs et 110 bimoteurs. Ils furent les premiers éléments, avec le DB 600, d’une famille de moteurs aéronautiques prestigieux.

(2) Une information controversée indique que le quatre-cylindres des Vanwall aurait été dérivé des moteurs de motos Norton.

(3) Paul Hawkins commença sa carrière de pilote en 1958, chez lui, en Australie, au volant d’une Austin Healey. Il quitta rapidement son sol natal pour s’installer au Royaume Uni, où ses talents de mécanicien furent employés à la Donald Healey Motor Company Ltd.

 

 - Illustrations ©DR

Commentaires

Merci pour ce récit.
Comme quoi, quand vous êtes sur la grille de départ, tout peut arrivée.
Personne ne m'enlèvera de l'idée, que encore aujourd'hui, chaque pilote sur la grille doit se dire la même chose.
Dans ses mémoires, Enzo Ferrari dit qu'il avait convoqué Trintignant quelques jours avant le course, pour lui dire: Qu'il aimerait que durant ce week-end, qu'il pilote toutes les voitures de la Scuderia, et qu'il choisirait celle qu'il voudrait pour le Grand Prix. Nello Ugollini aurait-il eu quelques choses à voir avec ça?
Dans (presque) la même rubrique, on pourrait ajouter les "non-plongeons" dans le port, en 1967 et 68, qui un s'est terminé sinistrement, et l'autre miraculeusement.

Écrit par : Bruno | 07 février 2017

Pour Ascari, est-ce que son plongeon de Monaco a eu une influence sur son accident de Monza?
Et bonne remarque de Bruno: en évitant qu'il ne termine dans le port, le début de sécurisation du circuit a sans doute était fatal à Bandini.

Écrit par : J.P. Squadra | 07 février 2017

En effet, il y a une vague probabilité pour que la baignade forcée d'Ascari ait eu des répercussions sur sa santé en général et son aptitude à conduire vite en particulier. Je n'ai cependant trouvé aucun document pouvant en attester formellement, et la probabilité restera donc probable pour encore très longtemps...

Écrit par : Raymond Jacques | 07 février 2017

très beau document .
merci .

Écrit par : Adrien | 07 février 2017

Bonjour. Encore un article intéressant a lire.

Écrit par : Robin DANIEL | 07 février 2017

Les images du "Swimming Kangaroo" sur sa Lotus 33 à Monaco sont plutôt rares, j'ai quand même fini par en dénicher une... Beaucoup plus rares que celles du plongeon de la BRM de Pete Aron dans "Grand Prix", dont les sources d'inspiration ne sont désormais plus un mystère. Merci Raymond.
Mais nous ne nous laisserons pas abuser: Hawkins a le #10, Aron le #11.

Écrit par : Francis Rainaut | 07 février 2017

Quand Ascari est arrivée sur le circuit de Monza, quelques jours plus trad, certains des hommes qui étaient là, lui avait conseiller de ne pas conduire durant quelques jours, car il avait une blessure au nez (je crois) Et lui disait qu'au contraire, il fallait se remettre rapidement au volant.
En 1967, il n'y avait rien sur l'av de la Quarantaine, ce n'est qu'en 1968, que des rails souples ont été installer, c'est Clay Regazzoni sur sa Tecno de F3, qui le sa tester, en passant au dessous. Je me demande encore comment cela a t-il pu se faire.

http://brunodaytona67.canalblog.com/albums/j_y_etais/photos/114620733-1968_monaco_regazzoni_f3_chicane_1.html

et les cinq suivantes

Écrit par : Bruno | 09 février 2017

Effectivement "Regga" a bien failli être le troisième plongeur ! En tous cas l'image est impressionnante.......

Écrit par : Raymond Jacques | 09 février 2017

Regazzoni, avec deux "zz" et pas deux "rr" contrairement à Zorro

Écrit par : Bruno | 10 février 2017

Je vous enverrai très prochainement par porteur spécial une paire de ciseaux pour procéder à l'ablation d'un "G" surnuméraire... Avec mes excuses les plus plates aux mânes de monsieur Clay Regazzoni, et avec mes excuses ordinaires à tous les lecteurs.

Écrit par : Raymond Jacques | 10 février 2017

Bonjour,
j'apprends à l'instant une bien triste nouvelle, le disparition d'un fidèle et attachant contributeur, notre ami Michel Lovaty.
On ne t'oubliera pas, Michel, tu es un de ceux qui disait les choses en face, la langue de bois tu ne la connaissais pas, tu m'as souvent guidé dans ma démarche, tu seras toujours là quelque part dans les "memories that stand out".
Francis

Écrit par : Francis Rainaut | 10 février 2017

Une bien triste nouvelle en effet. Je crois que j'avais déjà eu le plaisir de lire les commentaires avisés de Michel LOVATY sur un autre blog disparu et il faisait ainsi partie de la tribu de ma génération. J'adresse mes pensées à ses proches et amis, certainement passionnés comme il l'était.

Écrit par : Daniel DUPASQUIER | 12 février 2017

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