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28 février 2017

ALPINE M 63 ou les débuts d'une aventure automobile française

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Essais du Mans, avril 1963. A gauche M.Hubert, à droite J.Rosinski

 

« C’est au mois de novembre 1962 que tout a commencé. C'était donc il n'y a pas si longtemps, et pourtant, en ces quelques mois, que de choses ne sont pas déjà arrivées... Espoirs, déceptions, joies et tragédies se sont succédé à la vitesse incroyable qu’imprime à toute activité qui s'y lie, le sport automobile. »

 

C'est ainsi que débute l'article de José Rosinski, paru en août 1962 dans le #19 de Sport-auto. On n’a pas si souvent l’occasion de rendre hommage à cette grande figure du  journalisme sportif automobile, croisé une dernière fois à Reims il y a dix ans lors d’un « week-end de l’excellence ».

Voici donc dans son intégralité un fac-similé de cet article, texte écrit comme il se doit avec beaucoup de style, mais de cela personne ne peut sérieusement douter...


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Février 1963. Marcel Hubert devant le master de la M63

 

  Tout a commencé dans le cerveau de Jean Redelé, le constructeur des Alpines qui s'illustrent depuis quelques années dans les rallyes. Dès l’apparition du moteur Renault double arbre à cames en tête dessiné et réalisé par Amédée Gordini, l'ancien coureur devenu constructeur sentit le démon de la compétition, qu’ il entretenait du reste soigneusement en lui, le taquiner fortement. Muni d'idées simples et saines, Il entreprit donc de constituer une équipe capable de construire une nouvelle voiture bleue de compétition.

  La conception et la réalisation du châssis furent confiées à deux jeunes amis, Richard Bouleau et Bernard Boyer, l'ex-champion de France Juniors, qui avaient déjà collaboré ensemble pour construire la Sirmac, monoplace junior au volant de laquelle le dernier nommé se fit connaître en 1960. C’est à l’ingénieur aérodynamicien Marcel Hubert, qu'incomba l'étude de la carrosserie. Cette petite équipe fut installée à Dieppe, dans un coin de l'usine où sont fabriquées les Alpines de série. Je fus moi-même contacté par Redelé pour m'occuper du service des courses naissant, piloter et recruter les autres pilotes nécessaires.

  Ainsi la course contre la montre avait commencé. L'atelier dieppois fonctionnait sans répit, jour et nuit, car la première voiture devait être prête pour la journée d'essais du Mans le 7 avril, et construire une voiture de course en quatre mois, c'est presque une gageure.

  Cependant, la voiture fut terminée... le 6 avril au soir, mise sur un camion et amenée sur la piste au jour dit ! Mon émotion fut grande lorsque je pris pour la première fois le volant, car une création, c’est à la fois mystérieux et attirant, plein de promesses et de surprises. A part le tour hâtif du garage normand, la M 63 (abréviation de Le Mans 1963) n’avait jamais roulé et c'est sans doute une sensation extraordinaire que de découvrir le premier la personnalité d’une nouvelle voiture de course. Techniciens, mécaniciens, tous ceux qui avaient travaillé d'arrache-pied  un trop court hiver, regardaient avec fierté, mais aussi anxiété, leur œuvre partir à la conquête du chronomètre.

 

 

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27 avril 1963. Tests aérodynamiques à Montlhéry

 

Record au Mans

  Les premiers tours de roues, ainsi que l'on pouvait s'y attendre, furent quelque peu laborieux. Nous nous trouvâmes aux prises avec une sélection de vitesses rétive, une tenue de route fantaisiste et autres maladies de jeunesse plus ou moins escomptées. Pourtant, la base nous apparut saine, et, dès le second jour, la récompense apparut sous la forme d'un tour en 4'40" juste, soit un nouveau record de la catégorie. On ne pouvait souhaiter meilleur encouragement. La carrosserie en particulier se révélait une réussite, puisque je pus atteindre la vitesse de 220 km/h dans la ligne droite des Hunaudières, c'est-à-dire exactement le résultat prédit par l'ingénieur Hubert ! Le maitre-couple semblait pourtant très important, et la voiture paraissait très massive et trapue cependant, l‘exceptionnelle efficacité de la forme était prouvée sans discussion.

 Restait à parfaire la mise au point, courir les Mille kilomètres de Nürburgring et... construire deux autres voitures pour les 24 Heures du Mans, deux mois plus tard.

 

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1000 km Nürburgring 1963

 

Première course

  Bien que les temps réalisés sur le circuit du Mans nous aient donné confiance, ce n’est pas sans appréhension que nous nous rendîmes au Nürburgring, le plus difficile des circuits du monde, révélateur impitoyable qui ne pardonne par le moindre défaut. Nous avions décidé afin de mettre tous les atouts de notre côté, d'engager pour partager le volant avec moi le pilote américain Lucky Cassner, grand spécialiste du circuit de l'Eifel. La catégorie prototype allait jusqu'à 1300 cc, et, en plus de nos adversaires naturelles, les René-Bonnet, il nous fallait compter avec un redoutable spyder Abarth 1300, voiture puissante et ramassée qui semblait devoir s'accommoder mieux que notre encombrante berlinette des diaboliques tourniquets du Nürburgring.

  Mais la chance allait nous favoriser : l'Abarth se révéla rapide, mais difficile là conduire et fragile : à mi-course, elle allait au cimetière et nous laissait le champ libre pour la victoire. Un tour en 10'32" soit à 129 km/h de moyenne nous rassurait sur les possibilités de la M 63 qui tourna comme une horloge. Le moteur Gordini, souple et puissant, paraissait incassable, la boîte de vitesses à cinq rapports Volkswagen-Hewland était merveilleuse et la tenue de route, quoique ne nous donnant pas encore entière satisfaction, était en progrès. Tout se présentait donc pour le mieux en vue des prochaines 24 Heures du Mans, épreuve-phare de notre première saison.

 

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Tragédie

  Ayant trois voitures engagées au Mans, nous avions décidé d'en faire concourir deux au classement à l'indice de performance et une à l'indice énergétique. Pour cette dernière, nous disposions d'un spécialiste en la personne de Bernard Boyer, qui avait déjà tenté cet objectif l'année précédente avec une des Panhard CD. Nous lui adjoignîmes tout naturellement son co-équipier de 62 Guy Verrier. Un second équipage fut composé avec René Richard et mon ami italien Piero Frescobaldi, gentilhomme florentin plein de classe dans la vie et au volant.

 Enfin, je partageais la troisième voiture avec Christian Heins, ancien pilote de Porsche et maintenant mon homologue au Brésil, où il s'occupait du service compétitions de l'usine Interlagos qui fabrique les Alpines sous licence.

  Et samedi à 16 heures, sous un beau soleil, le drapeau s'abaissa nous nous étions fixé un tableau de marche d'environ 4'40". La voiture de Frescobaldi-Richard devait être plus ménagée et se tenir aux environs de 4'50" tandis que cella de Boyer et Verrier, pour les besoins de la cause, devait se limiter aux alentours des cinq minutes.

  L'indice de performance, cette année, semblait favoriser les grosses cylindrées, et nos espoirs pour ce classement étaient mitigés. Il nous paraissait en tous cas certain que pendant l'habituel « Grand Prix » des premières heures, nous serions loin d'être « dans le coup », Mais les possibilités de la M 63 devaient nous surprendre nous-mêmes : le nouveau moteur d'Amédée Gordini paraissait faire voler la voiture, et un rapide calcul m'apprit bientôt que j'atteignais les 230 km/h dans la ligne droite, ce qui est phénoménal pour une 1000 cc ! Dans ces conditions, il était possible de tourner en-dessous des 4'45" prévus avec régularité et facilité. Et du coup, nous tenions dès le début le haut du pavé du classement là l'indice, ce qui nous paraissait de bon augure pour la suite des opérations ...

 

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Le Mans 1963. Alpine #48, B.Heins/J.Rosinski

 

  Tour après tour, je roulais de conserve avec les deux litres Porsche Carreras GT, ce qui était pour le moins inattendu. C'est ainsi que, peu avant 19 heures, Christian Heins prit la voiture en troisième position à l'indice, et, tournant dès son troisième tour avec le plein d'essence dans les mêmes temps que moi à la fin de mon relais, il ne tarda pas à l'amener à la première à la faveur du ravitaillement des grosses ! La voiture de Boyer-Verrier s'en tenait avec régularité au tableau de marche prévu. Mais déjà, Frescobaldi semblait aux prises avec une voiture capricieuse et prenait du retard. Richard n'allait le relayer que pour constater que son embrayage patinait. Les mécaniciens tentèrent le maximum pour réparer, mais le mécanisme finit par céder complètement, et la voiture dut être retirée.

  Entre temps, le drame s'était joué : l'Aston Martin conduite par McLaren perdait son huile dans la courbe des Hunaudières : plusieurs voitures dérapaient, l'une prenait feu : c'était la mienne, et notre camarade Bino Heins, un garçon charmant et courtois, magnifique pilote de surcroît, perdait la vie sur cet affreux coup du sort qui allait jeter la consternation dans notre équipe.

  Ainsi, alors que la nuit n’était pas encore tombée, la situation si encourageante s'était brutalement retournée : un accident mortel nous endeuillait déjà, un accident mécanique avait éliminé notre second équipage.

  Au cours de cette nuit interminable, il me restait à guider notre troisième voiture, qui continuait sa ronde sans histoire.

  Puis vint le matin, et je pouvais suivre sur les feuilles de classement la remontée là l'indice de performance de Boyer et Verrier, tandis que le classement à l'énergétique semblait leur apanage. Tel un métronome, la n° 50 tournait, bien en dedans de ses possibilités, ménagée, nursée, pouponnée littéralement par ses pilotes. Et soudain, l'imprévu: Verrier s'arrête au stand, descend, nous prévient que le moteur ne tourne plus rond. On le met en route : il émet un bruit affreux, stupéfiant, de bielle coulée... Un moment abasourdi par l‘ampleur d'un désastre si inattendu, nous nous concertons et décidons d'essayer de réparer l'irréparable. Les mécaniciens se jettent sous la voiture, démontent le coussinet abimé, le remplacent en un temps record : Boyer repart. Nous ne le reverrons qu'une heure plus tard, son casque sous le bras, amer et désabusé.

  Trois voitures au départ, zéro à l'arrivée : ce bilan sec et sans appel, et la tragédie qui nous a frappés, augmentent notre lassitude. L'apprentissage est dur, et la course sans pitié. Une modification du carter d'huile, conseillée par Amédée Gordini et qu'il ne nous avait pas semblé indispensable de faire sur cette voiture destinée à être conduite avec modération, avait jeté bas notre dernier espoir. Erreur de jeunesse...

 

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Le Mans 1963. Aston Martin DP214, B.McLaren/I.Ireland

 

Revanche à Reims

  Pourtant à Dieppe, dès le lendemain, la fièvre est remontée. Il faut construire une autre voiture pour remplacer celle qui a été détruite, et la décision est prise de produire cette fois une barquette sport avec en vue Clermont-Ferrand et les courses de côte. La mécanique et la base de la carrosserie seront exactement semblables à la berlinette, mais nous pensons faire un gain en poids et en agrément de conduite, ce qui se révèlera exact.

   A Reims, sur le rapide circuit de Gueux, nous engageons les deux berlinettes. Henry Grandsire conduit l'une, tandis que j'ai le volant de la seconde. La course se résumera en un duel avec les René-Bonnet, qui disposent des mêmes moteurs que nous, puisque Abarth est absent comme au Mans. Ma voiture, ne me donnant aucun souci, gagnera facilement : encore une fois, la carrosserie et le moteur font merveille.

  La tenue de route nous donne encore quelques soucis, car la voiture est délicate il inscrire dans les courbes rapides et à maintenir au freinage. Henri Grandsire, en seconde position, a des ennuis d'allumage et doit laisser passer Gérard Laureau : il finira troisième malgré son moteur détaillant.

 

josé rosinski,marcel hubert,henri grandsire
Charade 1963. Rosinski le « motard »

 

Une défaite encourageante

  A Clermont, le splendide circuit de montagne d'Auvergne déploie les fastes de ses innombrables virages. Notre nouvelle barquette, bien que fort ventrue, est assez réussie et surtout agréable à conduire. Henri Grandsire a cette fois la berlinette que j'utilisais à Reims. Mais Abarth a amené sa légère barquette sport au volant de laquelle Mauro Bianchi va réussir une très belle course et me battra sans appel, malgré un accident dans le dernier tour. Grandsire finira troisième, avec sa berlinette plus lourde que mon spyder.

  Nos voitures, ayant été surtout conçues pour Le Mans, se montrèrent pourtant très à l'aise dans les successions des virages des monts d'Auvergne, et leur tenue de route se révéla en nets progrès.

 

Cent fois sur le métier

  Maintenant vient l'époque des courses de côte. Puis, au mois d'octobre, les Mille kilomètres de Paris clôtureront la saison internationale des prototypes. Et déjà, il faut penser à l'année prochaine. Dans l'ensemble, je crois pouvoir dire que notre première année de compétitions aura été encourageante. La M 63, avec sa carrosserie merveilleusement profilée, son moteur à haut rendement, sa boîte de vitesses parfaite, a répondu aux espoirs mis en elle. Notre petite équipe s'est enrichie d'une saison d'expérience, et cela compte à un point inimaginable. En effet, dans ce métier, on commet bien des erreurs, et on en commettra toujours : l'essentiel est que ce ne soient pas les mêmes, et que celles que l'on a commises ne se reproduisent plus.

 

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- Illustrations ©DR

mise en page Francis Rainaut

Commentaires

José Rosinski: la classe, l'élégance et la maîtrise aussi bien volant que stylo en mains.
Toute ma jeunesse j'ai essayé à travers lui les autos qui me faisaient rêver.
Merci Francis d'avoir retrouvé pour nous ce témoignage si précis.
Petite erreur de frappe sans doute mais le numéro 19 de Sport-auto devrait être daté de juillet 63 ( numéro 1 en janvier 62)

Écrit par : J.P. Squadra | 28 février 2017

Le numéro de Sport Auto dont cet article est extrait est bien le 19 (août 1963). Le numéro 1 est bien daté de janvier 1962, mais au cours de cette première année, les datations mensuelles des numéros ont été diverses et variées, notamment façon "Champion" quelques temps plus tard, soit du 15 au 15 du mois suivant. Est-ce pour cette raison que, bien que retombée sur ses pieds en janvier 1963 (numéro 13), la numérotation s'est accordée une dernière fantaisie ? Pas de numéro daté du mois de mars ! Soit le numéro 14 pour février et 15 pour avril qui nous amène au décalage que vous constatez.

Écrit par : Emile Danlepan | 06 mars 2017

Merci pour ces précisions.

Écrit par : J.P. Squadra | 07 mars 2017

Encore une belle histoire a lire .

Écrit par : Robin Daniel | 28 février 2017

Les commentaires sont fermés.