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27 avril 2017

La Domenica Nera della Monza

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10 settembre 1933...

Ce dimanche 10 septembre - année XI de l'ère fasciste - restera à jamais dans les mémoires comme un jour noir de l’histoire du sport automobile, mais aussi comme le jour où la perception qu’avait Enzo Ferrari des pilotes de course allait changer de façon irrévocable.

 par Francis Rainaut


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GP Italia 1933 - Parade des pilotes ©DR

 

Il avait plu sur Milan presque toute la nuit et l’Autodromo Nazionale di Monza était très humide lorsque le plateau s’aligna pour le Grand Prix d’Italie 1933, une course de 50 tours utilisant le tracé combiné circuit routier/anneau de vitesse de Monza, soit 10 km (5,750 plus 4,250 km).

C’était le tracé préféré des fans qui pouvaient ainsi voir les bolides non pas une, mais deux fois à chaque tour, la première lorsqu’ils passaient devant les stands pour s’éclipser vers le virage relevé de la Courbe Nord de l’anneau, la deuxième lorsqu’ils émergeaient de la Courbe Sud pour passer la tribune avant de plonger dans les bois en direction de la Curva Grande.

 

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Ça devait être un jour très particulier pour les fans italiens, car le Reale Automobile Club Italia avait imaginé de faire disputer non pas une, mais deux grandes courses le même jour dans l’intention d’amener sur le circuit un public le plus nombreux possible.

Le Grand Prix d’Italie aurait lieu le matin sur le tracé combiné, et le Monza Grand Prix – comportant trois manches et une finale – se disputerait l’après-midi sur l’ovale.

Les courses étaient annoncées comme un match revanche entre Maserati et les Alfas de la Scuderia Ferrari. Entre ces deux équipes, la tension était palpable, tension qui remontait au début de l’année lorsque Alfa Romeo, contre toute attente, se retira de la compétition. Ce qui laissa Enzo Ferrari avec tout un lot de vieilles Alfa Monza 8C, mais immobilisa les merveilleuses P3 qui avaient dominé la saison 1932 (1).

 

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Maserati 8C 3000 ©DR

 

En conséquence, les pilotes Ferrari durent lutter pour rester compétitifs face aux équipes Bugatti et Maserati. Tout ceci atteignit son paroxysme juste avant le GP de Belgique en juillet quand le pilote phare de Ferrari Tazio Nuvolari et son meilleur ami Baconin Borzacchini  partirent rejoindre Maserati.

 

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Indianapolis 1930. Borzacchini sur Maserati ©DR

 

Ferrari était furieux et chercha à se venger. Il débaucha son vieil ami Giuseppe Campari qui venait tout juste de remporter le GP de France pour Maserati. Et il ajouta à sa liste un deuxième pilote Maserati, Luigi Fagioli. Il signa enfin le monégasque Louis Chiron, sans volant depuis la dissolution de la Scuderia CC (2), suite à l’accident de Rudi Carraciola, lequel s'était grièvement blessé à la cuisse droite.

Pour Ferrari l’étape suivante fut de convaincre la firme Alfa Romeo qu’ils avaient fait une erreur, afin qu'ils l'autorisent à faire courir les P3. Alfa acquiesça. Le 20 août Fagioli courut sur une Alfa P3 Ferrari à Pescara et remporta l’épreuve en battant la Maserati de Nuvolari. Une semaine plus tard Fagioli courait en France au circuit du Comminges et remporta une nouvelle victoire devant un bataillon d’Alfa 8C. Le 3 septembre, Chiron opposa son Alfa P3 à la Maserati de Nuvolari à Miramas. Nuvolari domina mais dut abandonner et Ferrari récolta une autre victoire.

 

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 Tazio Nuvolari sur Alfa P3 ©DR

 

Monza allait être le prochain bras de fer. Un engouement supplémentaire venait du fait que cela devait être l’ultime course de Campari, puisqu’à 41 ans, ce dernier avait décidé de se retirer pour entamer une nouvelle carrière de chanteur d’opéra.

Campari était réellement un personnage hors du commun. Sensiblement du même âge que Nuvolari, il fut reconnu comme un pilote de pointe après sa quatrième place à la Targa Florio de 1914. En 1920 sur le circuit du Mugello, il offrit à Alfa Romeo sa première victoire en course automobile. Il avait par ailleurs remporté deux fois les Mille Miglia et le GP d’Italie et a gagné trois fois la Coupe Acerbo à Pescara.

 

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Guiseppe Campari ©DR

 

Sa renommée n’avait d’égale que sa notoriété et ses exploits en course furent au moins autant célébrés que ses singularités. Comme tout bon chanteur d’opéra qui se respecte, il faisait son bon quintal. Il avait chanté professionnellement au théâtre Donizetti de Bergame et avouait trois grandes passions dans la vie : courir, chanter et faire la cuisine.

Mais avant que ne tombe le rideau final pour Campari, il y aurait le GP d’Italie, une bataille grandiose entre Fagioli, Nuvolari, Piero Taruffi (au volant d’une autre Alfa Ferrari) et Chiron.

Après beaucoup d’effervescence, ce fut Fagioli qui émergea comme vainqueur après que Nuvolari se soit arrêté pour ravitailler dans les derniers moments de la course de trois heures.

Après le repas, avec de la bruine dans l’air, la première manche du GP de Monza fut remportée par le comte Stanislas Czaykowski, riche aristocrate polonais basé à Paris, conduisant une Bugatti Type 54 engagée à titre privé. Il était suivi de près par le Franco-Algérien Guy Moll, qui établit un record du tour à 196,6 km/h. Ce fut Moll qui signala aux organisateurs qu’il y avait une grosse flaque d’huile dans la courbe Sud, laissée dit-on par la Duesenberg de la Scuderia Ferrari, conduite le comte Carlo Trossi, par ailleurs président de la Scuderia. La voiture américaine avait été achetée par Ferrari dans sa quête désespérée d’une auto capable de battre les Maserati. On tint compte des remarques de Moll et la courbe Sud fut balayée pendant que les voitures attendaient sur la grille pour la seconde manche.

 

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Baconin Borzacchini, Alfa P3 ©DR

 

Ça s’annonçait comme une belle confrontation entre l’Alfa P3 de Campari et la Maserati 8C 3000 de Borzacchini.

Borzacchini était une autre figure très populaire. Agé de trente-quatre ans et ami intime de Nuvolari, il était issu d’un milieu simple et avait gravi son chemin vers les sommets. Il fut prénommé Baconin en hommage à l’anarchiste révolutionnaire russe Mikhaïl Bakounine et il rencontra un problème bien particulier lorsque les fascistes de Mussolini prirent le pouvoir. Un prénom russe ne convenait pas à l’idéal fasciste du héros pilote de course, ainsi Baconin Borzacchini fut forcé à devenir Mario Umberto Borzacchini.

 

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 Guiseppe Campari, Baconin Borzacchini ©DR

 

La confrontation Campari-Borzacchini débuta par un dramatique départ arrêté alors que le groupe de concurrents s’engageait vers la Courbe Nord. Aucun pilote n’en revint. Fonçant dans la Courbe Sud, ils étaient roue dans roue lorsqu’ils rencontrèrent l’huile. Borzacchini perdit le contrôle et tournoya partit violemment en tête à queue sur l’eau huileuse. Campari fit une embardée pour l’éviter, et sauta par-dessus le banking dans les arbres. Au même moment la Maserati de Borzacchini se retournait. Derrière eux Ferdinando Barbieri et le comte Luigi Castelbarco sortirent à leur tour de la route mais réussirent tous les deux à s’arrêter (3).

Campari était mort, et pour Borzacchini il restait peu d’espoir, il mourut le jour-même à l’hôpital de Monza. Ce fut un coup terrible pour Enzo Ferrari. La Scuderia Ferrari n’était opérationnelle que depuis quatre ans et la disparition de Campari était la première d'un pilote au volant d'une Ferrari. Ce jour-là Enzo Ferrari durcit son attitude envers ses pilotes. Ce fut aussi un coup dur pour Nuvolari qui avait perdu son meilleur ami, par ailleurs coéquipier et rival de tant d’années. Il passa la plus grande partie de la nuit à l’hôpital de Monza, en compagnie des familles en deuil.
 

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Maserati #26-Borzacchini, Alfa P3-Campari ©DR

 

Malgré l’accident, le spectacle devait continuer. Une réunion des pilotes eut lieu avant la troisième manche et la courbe Sud fut nettoyée un plus efficacement. Le « Franco-Algérien » Marcel Lehoux remporta la manche et se mêla à la bataille agitée entre Moll et Czaykowski lors de la finale.

Mais ce jour sinistre n’était pas encore terminé. Au huitième des 14 tours, le moteur de Czaykowski explosa, une durite d’essence se rompit et du carburant enflammé aspergea le pilote. Incapable de voir devant lui, il sortit de la route – à l’endroit même où Campari et Borzacchini avaient rencontré leur destin – et le comte polonais fut mortellement brûlé  dans l’accident qui suivit.

 

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Le comte et la comtesse Czaykowski ©DR

 

Le monde de la course automobile fut assommé. Il venait de perdre trois pilotes de pointe en une après-midi.

Aujourd’hui, les historiens de la course automobile estiment que les événements de Monza 1933 marquèrent un grand tournant, notamment pour Enzo Ferrari. Ce fut la fin de la période joyeuse de la course et le début d’une ère beaucoup plus cruelle...

 

(1) L'Alfa Romeo P3 peut être considérée comme la 1re véritable monoplace de Grand Prix.

(2) CC, comme Carraciola-Chiron, bien entendu.

(3) Sur une Alfa Romeo Monza engagée à titre privé, Hellé Nice devait terminer 3e de cette manche funeste.

 

 

Librement adapté d'un article de Joe Saward

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Commentaires

Merci de rappeler ici le nom d'Hellé Nice, injustement précipitée dans l'opprobre puis dans l'oubli par le sinistre Chiron.

Écrit par : Raymond Jacques | 27 avril 2017

Quelle époque impressionnante vraiment! Et un an plus tard Guy Moll disparaissait à Pescara...Marcel Lehoux avait aidé le jeune Moll à ses débuts, étant tous deux originaires d'Algérie. Mais pourquoi préciser "franco-algérien"? Ils étaient tout simplement français.

Écrit par : J.P. Squadra | 27 avril 2017

Remarque très pertinente, Jean-Philippe... Je me suis contenté en fait de reprendre les termes utilisés dans l'article original, tout en ajoutant des guillemets pour Marcel Lehoux, puisqu'il s'agissait d'un français de métropole venu faire des affaires en Algérie. S'agissant de Guy Moll, au destin tragique, il aurait sans doute été plus approprié de parler de français d'Algérie, puisqu'il été né et a vécu là-bas.
Je suis d'autant plus sensible à la question que je suis né à Rabat au temps du protectorat français. J'aurais en effet trouvé curieux que l'on me qualifie de "Franco-Marocain", et les marocains sans doute encore plus...

Écrit par : Francis Rainaut | 27 avril 2017

Même librement adapté, c'est passionnant ! J'ai découvert Campari, Nuvolari et Guy Moll au début des années soixante en lisant Mes Joies Terribles d'Enzo Ferrari, livre que l'on avait offert à mon Grand-père. Il n'était pas passionné de voitures de course mais amateur quand même des belles automobiles. Une grande partie de notre famille habitant dans les Hautes Pyrénées, mon grand-père a souvent emmené ses enfants, dont ma mère, au circuit du Comminges et à Pau. Ma mère s'en souvenait bien et en me racontant ses souvenirs de course, elle n'a fait qu'exacerber ma propre passion pour le sport automobile. Une bonne éducation en quelque sorte !

Écrit par : Daniel DUPASQUIER | 28 avril 2017

Toute considération "Hellé Nistique" mise à part, voici une très belle note, avec un joli travail de recherche historique. Et je sais le temps nécessaire à ces recherches, mais, quand on aime, on ne compte pas... les heures ! ! !

Écrit par : Raymond Jacques | 01 mai 2017

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