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01 janvier 2018

Kyalami 1/1/68 : Pas mal, Jimmy...

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Si l'on excepte les deux premières années de rodage, qui s'achevèrent au GP du Mexique sur une éclatante victoire du binôme Clark/Lotus devant les duettistes de chez Brabham (1), l'ère de la formule 1 « 3 litres » n’a en fait réellement débutée que le 1er janvier 1968 en Afrique du Sud, à Kyalami.

Cette course fût l’occasion pour le champion écossais d’affirmer sa suprématie sur la catégorie reine, battant à l’occasion quelques fameux records comme le nombre de victoires, celui des pole positions ou encore le nombre de records du tour.

Pour paraphraser l’article écrit par un grand éditorialiste du Monde deux mois plus tard, on aurait presque pu écrire : « la formule 1 s’ennuie », tant la domination qu’exerçait alors Jimmy sur son art paraissait absolue.

Et pourtant, nous le savons aujourd’hui, l’année soixante-huit fût une année éminemment  « révolutionnaire », où rien ne se déroula vraiment comme prévu.

Eh bien projetons-nous donc un demi-siècle en arrière à proximité de Johannesburg, sur le « Highveld » à 1800 m d'altitude...

 par Francis Rainaut


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Prologue

Contrairement à l’année précédente, toutes les grandes équipes sont là avec leurs pilotes de pointe, l’exception étant Bruce Mc Laren, trop occupé à l’usine par la construction de ses nouvelles monoplaces à moteur Ford-Cosworth. Ken Tyrrell a lui en revanche quelque peu forcé la main à Matra en insistant pour engager la MS9 « laboratoire », qui n’est autre qu’un châssis de MS7 F2 sommairement adapté au moteur 3L, avec des porte-moyeux de MS630 prototype. L’attelage a effectué quelques tours sur le circuit de Montlhéry et a été affrété en l’état, c'est-à-dire châssis paré d’une simple couche d’apprêt, ce qui lui donne cet aspect étrange pour ne pas dire un peu laid. Mais Oncle Ken n’en a cure, il estime que plus tôt le roulage aura lieu, meilleure sera la suite. Deux F2 Matra lestées sont également du voyage, dont une destinée à Beltoise, pour qui c'est l'occasion de parfaire sa connaissance des Grand Prix.

Le team Lotus amène ses deux 49 pour Clark et Hill, dont une toute neuve pour Jimmy, bizarrement appelée MkII.  Repco-Brabham dispose des deux BT 24 championnes du monde, l’ancienne de Hulme étant dévolue à Rindt, transfuge de chez Cooper.

La Scuderia Ferrari se déploie en force, elle a amené trois monoplaces de type 1967, avec un moteur délivrant désormais 408cv à 11.000 tr/mn. Coté pilotes, Amon reçoit le renfort de Ickx et de l'italien de Adamich.

L’écurie B.R.M. n’est pas en reste avec une H16 pour Spence et la nouvelle V12 3L dessinée par Len Terry pour son pilote vedette Pedro Rodriguez. Elle a également embarquée dans ses bagages une ancienne V16 1,5L à compresseur qui tournera en démonstration aux mains de Graham Hill.

L’équipe McLaren ne dispose que de l’ancienne V12 BRM pilotée par le champion du monde Denny Hulme, les équipes Eagle-Weslake et Honda sont là avec leurs monoplaces et pilotes habituels.

 

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Sam Tingle, L.D.S.-Repco team Gunston

 

Enfin, les Cooper-Maserati vieillissantes sont elles aussi présentes, deux officielles aux mains de Scarfiotti et de l'inattendu Brian Redman, plus celle de Rob Walker pilotée par Siffert.

S’ajoutent à ce plateau les monoplaces des « locaux », Brabham BT20 pour le « presque vainqueur » 67 John Love et pour Dave Charlton, L.D.S.-Repco pour Sam Tingle, antiques Cooper et Brabham à moteur Climax pour Basil Van Rooyen et Jackie Pretorius. On notera que la Brabham de Love et la L.D.S. de Tingle sont les premières formules 1 de l’histoire à arborer les couleurs d’un sponsor, qui plus est d’un cigarettier.

 

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 La Matra MS9 aux essais, avant qu'elle ne se fasse refaire le nez

 

28-29-30 décembre 1967 : les essais

Le premier Grand Prix de la saison va commencer le jeudi 28 décembre… 1967. Commencer, enfin avec les seuls  pilotes qui n’ont pas été retardés par le vol de la compagnie B.O.AC., seul opérateur long-courrier sur cette destination.

De Adamich, Surtees et Clark sont les premiers à fouler le tarmac, refait à l'occasion du Grand Prix. L'écossais ne tarde pas à trouver ses marques à bord de sa Lotus toute neuve, en cinq tours il est déjà en 1'27"6.

Et bien qu’il ait effectué le plus grand nombre de tours, à chaque fois il abaisse son temps d’une demi-seconde pour terminer en 1’23’’9. Phénoménal Jimmy !

Tout le monde est bien là le lendemain, la température ambiante grimpe et chacun, excepté Jim, se heurte à des problèmes de vapor lock ou encore de surchauffe moteur. Stewart ira même jusqu’à régler sa Matra F2 au cas où...

Brabham et Rindt tournent aux alentours de 1’25’’, avec l'eau du radiateur en ébullition après chaque tour, Gurney tourne en 1’25’’6, avant que la chaleur n’endommage sa pompe à essence.

Les B.R.M. souffrent, les Ferrari aussi, ne parlons pas des Cooper qui entament leur lente descente aux enfers.

Le dernier jour d'essais le samedi voit la température descendre un tout petit peu. Chacun essaie de trouver des solutions pour rafraîchir les mécaniques, Ferrari ajoute un radiateur latéral, qui ne change pas grand-chose, Matra raccourcit le nez de la MS9 et ajoute un radiateur à l’arrière de la suspension avec un résultat probant. L’équipe Brabham installe ses canalisations d’eau extérieures dans une sorte de tunnel réfrigérant, et gagne ainsi en température, permettant à Rindt et Brabham d’accrocher les 2e et 3e places sur la grille.

Les Lotus dominent leur sujet avec une pole magistrale de Clark en 1’21’’6 devançant son coéquipier d’une seconde pleine. La bonne surprise vient de Stewart qui se place à 1/10e de Hill sur sa Matra « laboratoire ». Il devra cependant composer avec un arrêt ravitaillement, mais une formidable séance d’essais s’offre à l’équipe Matra International.. Notre JPB accroche un très honorable 18e temps avec sa MS7, Charlton est le seul  local à s’immiscer au milieu des pilotes du Circus, au volant de sa L.D.S.-Repco, en réalité une copie de la Brabham .

 

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Chapman, Brabham, Clark

 

Le dimanche est mis à profit par toutes les équipes pour parfaire leur préparation, teams et pilotes n’oublient surtout pas de fêter comme il se doit le « New Year’s Day », le maitre mot est « rafraîchir », cela concerne en premier lieu les mécaniques mais il ne faudrait surtout pas oublier les hommes...

 

jim clark,lotus 49,matra f1

Chapman, Rindt, Hill, Stewart, X

 

Monday, Monday…

Le lundi s’annonce clair et ensoleillé, ce qui signifie que les températures vont encore grimper par rapport aux essais. D’ultimes modifications ont été apportées la veille, le team Eagle ira même jusqu’à réfrigérer son essence, pratique très en avance sur son temps. Petite alerte sur la Lotus du poleman, une fuite d’huile a été découverte lors du warm-up du matin, et les mécanos s’affairent encore sur la grille de départ.

Environ 100.000 spectateurs sont venus assister à la course, les parasols fleurissent un peu partout, la température frôle les 33°C à l’ombre et 54°C sur la piste.

Au baisser du drapeau, dans un nuage de gomme brûlée, Stewart et Rindt jaillissent en tête comme des diables devant Clark. Mais ce dernier repasse tout de suite l’Autrichien dans les Esses. L’ordre au 1er tour est  Stewart suivi de Clark, puis Rindt, Surtees, Brabham, Amon et enfin Hill auteur d’un départ calamiteux. Pour son premier GP de formule 1, la Matra s’est permis de boucler un tour en tête, une situation qui ne se reproduira qu’en 1977 avec  la Wolf de Jody Scheckter en Argentine.

 

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Duel d'Ecossais

Clark attaque Stewart sans répit, au 2nd tour il parvient à ses fins et tente tout de suite de prendre le large. Derrière, Hill entame sa remontée, il est revenu à hauteur des deux Brabham, emmenées par un Rindt qui effectue une prestation magnifique pour ses débuts dans sa nouvelle écurie. 

Clark enchaîne ensuite record du tour sur record du tour, il est dans une autre galaxie, un succès à Kyalami lui permettrait de battre le record de victoires de Fangio et aussi de prendre le large au championnat. Derrière, c’est plus confus, Scarfiotti s'est brûlé au bras en sortant de la route sur une tâche d’huile, Brabham a cassé son moteur, les Cooper et les B.R.M. font ce qu’elles peuvent, c'est-à-dire pas grand chose, au 17e tour s’en est fini de leurs espoirs.

Au 20e tour le grand Jimmy a creusé un écart immense de 17 secondes sur la Matra, elle-même talonnée par Hill toujours excellent finisseur.

 

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Beltoise est maintenant 11e, il effectue une course de  toute beauté, démontrant par là qu'il avait mérité sa place chez les grands. Il parviendra même à décrocher l'ultime point en lice, déclenchant chez les supporters français les espoirs les plus fous. Une curiosité, en observant bien les photos, il semble bien que sa Matra F2 ait été montée en pneus GoodYear.

Devant on assiste à la bataille entre les ex-équipiers de chez B.R.M., Stewart est plus rapide dans les virages serrés mais Hill reprend l'avantage dans les courbes rapides. Graham finira par prendre le dessus. Pour l'anecdote, le grand Surtees a du effectuer un arrêt au stand pour effectuer un changement de... lunettes !

A mi-course, les deux Ferrari d'Amon et Ickx ont réussi à revenir derrière Rindt, désormais 4e, mais leur prestation n'a rien de transcendant, la 312 du pilote néo-zélandais se révélant excessivement gourmande en carburant, ce qui lui occasionnera un arrêt ravitaillement, évènement rare à cette époque.

 

jim clark,lotus 49,matra f1

 

Oh, Jim…

Le 44e tour sonnera le glas des espoirs de la Matra V8, trahie par un ressort de soupapes de son Cosworth, avec les conséquences que l’on imagine, à savoir un trou dans le piston. Qu’importe, la prestation a été époustouflante, on pense alors qu’un écossais peut en cacher un autre, et que l’ami Jackie promet  pour la saison d’être un animateur de premier ordre sur sa « French Matra » engagée par  Oncle Ken. Mais quand même pas au point de menacer réellement son compatriote, qui a littéralement « cannibalisé » la course, réussissant  avec une apparente facilité le « hat-trick » parfait. L’écossais rejoint le podium sans fatigue apparente, la couronne de lauriers lui est passée autour des épaules, qui à l’avenir pourra bien battre ce grand champion d’à peine trente-et-un ans ?

 

jim clark,lotus 49,matra f1

 

Epilogue

Cette course symbolisa la fin d’une époque. Avant même que ne débute le Grand Prix suivant, Jim Clark, mais aussi Mike Spence allaient se tuer (2), la Lotus 49 serait repeinte aux couleurs d’un grand cigarettier, et bientôt toutes les monoplaces allaient être affublées d’ailerons divers et variés : on se préoccupait désormais davantage des forces d’appui permettant de « coller » les véhicules au sol, et gagner ainsi de la vitesse dans les courbes. Et dès le GP de Grande-Bretagne, Dan Gurney qui avait collaboré avec la firme américaine Bell inaugura le port du casque intégral en formule 1.

Débuta aussi lors de cette épreuve la domination presque absolue du Cosworth V8-DFV sur la formule 1, puisqu’il allait motoriser pas moins de douze champions du monde dans les quinze années qui suivirent la course de Kyalami.

Et comme le chantait très justement ce vieux Bob Dylan :

... For the times they are a-changin'

 Mais ce n'est pas cela qui allait nous rendre Jimmy.

 

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- (1) Jimmy ayant à cette occasion effectué toute la course sans embrayage

- (2) Ludovico Scarfiotti devait, lui, perdre la vie lors d'une course de côte la veille du GP de Belgique 1968

 

  - Photo 5 & 6 ©Photographic/REX/Shutterstock

  - Autres photos ©D.R.

Commentaires

Des temps nouveaux allaient suivre ce premier janvier...Une transition qui valait bien de relater ce Grand Prix à l'ambiance nostalgique. Un anniversaire qui n'a pas échappé à Francis pour la plus grande satisfaction de ses lecteurs.

Écrit par : F.Coeuret | 01 janvier 2018

Le "X" de la photo de réveillon pourrait bien être John Love. En face de lui - on ne le voit pas - un autre Ickx, c'est Jacky. Quelqu'un a mieux ?

Écrit par : RMs | 01 janvier 2018

Peut-être Mike Spence?...

Écrit par : F.Coeuret | 01 janvier 2018

Je saisis l'occasion de cette note pour souhaiter une belle année à Francis et aux habitués de MSo, un blog que je suis régulièrement "depuis la maison d'en face".

Écrit par : Olivier FAVRE | 08 janvier 2018

Très sympa, Olivier.
Aujourd'hui, MSo devient RMs ( avec un autre destin que le Titanic, espérons-le ... ! )
Un nom plus court, plus lisible, détaché de MdS.

Écrit par : Francis Rainaut | 10 janvier 2018

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