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19 décembre 2017

Cinquante bougies pour un V12

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Matra MS11/12 1969

Impossible de passer à coté d'un tel anniversaire. Retour sur 1967. Johnny chante « Hey Joe », les ronds rouges débarquent, les bolides bleus aussi...

Pour beaucoup de baby-boomer nourris à la elf prestigrade et aux exploits de JPB, Lagardère avait quelque chose de Kennedy, de cet homme qui s'était engagé auprès de ses concitoyens à envoyer des américains sur la Lune avant la fin de la décennie. Donc Lagardère avait promis qu’avant la fin de l’année 1967, un moteur Matra de formule 1 tournerait au banc… Et le 19 décembre de cette même année c'était chose faite.

A l'époque tout ébahis par ce MS9, on était loin de se douter qu'il nous faudrait patienter presque dix ans avant qu'un pirate nommé Laffite ne fasse triompher ce V12 en Grand Prix.

Pour se remettre dans l'ambiance de cette fin des sixties, nous publions un fac-similé du texte de Gérard Crombac paru dans le n° 73 de « Sport auto » daté de février 1968, du moins pour la partie qui concerne le V12 Matra.

C'est aussi pour nous l'occasion de rendre hommage à l'ingénieur Georges Martin, disparu à 87 ans le 29 juillet dernier.

mise en page Francis Rainaut

 - (voir également Mecanique Aviation TRAction)


georges martin,jp beltoise

  

LE MATRA DE FORMULE 1 EST

 

La promesse qu'avait faite Monsieur Lagardère en avril dernier a été tenue. « Le moteur Matra de Formule 1 tournera au banc avant Noël » avait-il dit. Or le 19 décembre, le trois litres V 12 commençait ses essais à Saclay. Il a depuis effectué plusieurs heures de rodage et le directeur de la Matra a précisé : « nous n'ignorons pas qu'il y aura des problèmes, mais nous savons aussi qu'aucun d'entre eux ne sera insurmontable ».

La promesse qu'avait faite Monsieur Lagardère en avril dernier a été tenue. « Le moteur Matra de Formule 1 tournera au banc avant Noël » avait-il dit. Or le 19 décembre, le trois litres V 12 commençait ses essais à Saclay. Il a depuis effectué plusieurs heures de rodage et le directeur de la Matra a précisé : « nous n'ignorons pas qu'il y aura des problèmes, mais nous savons aussi qu'aucun d'entre eux ne sera insurmontable ».

Il n'est pas exagéré de dire que les spécialistes du monde entier se passionnent pour ce moteur de Formule 1 français. Les conditions dans lesquelles il a pu être dessiné et construit grâce à un prêt fabuleux du gouvernement, l'ascension vertigineuse de Matra, dont la première monoplace débuta au printemps 1965 seulement, le prestige attaché à une firme dont les activités s'étendent jusqu'au domaine interplanétaire, tout cela explique pourquoi, de toute l'Europe, nos confrères spécialisés s'étaient déplacés en masse pour cette conférence de presse du 11 janvier dernier à Vélizy.

 

georges martin,jp beltoise,jean-luc lagardère

S. Floirat, J-L. Lagardère, J. Stewart

 

La question qui brûlait toutes les lèvres était naturellement : Qui a conçu ce moteur ? Personne n'ignore que Matra avait en 1966 et 1967 entrepris en commun avec BRM un programme de prototypes, ni que le constructeur français a eu toute latitude pour examiner le moteur Ford-Cosworth 4 cylindres, puisque c'est lui qui équipe ses voitures de Formule 2, et l'on considère généralement qu'il est pratiquement impossible de réussir un moteur de course du premier coup, si l'on ne dispose pas d'expérience préalable dans cette branche très spécialisée. On se demandait donc si Matra avait fait emprunt à la technique de ces deux constructeurs.

« Matra n'aime pas copier, déclara M. Lagardère, et ce moteur a été entièrement conçu, calculé et dessiné par l'équipe Matra. Nous avons fait des redécouvertes car les programmes que nous avons mis sur ordinateurs existaient certainement ailleurs. Nous avons préféré les recalculer. »

Ce moteur, il reste maintenant à le mettre au point, et c'est là que Matra a fait appel à une autre maison française, qui disposait à cet égard d'une expérience que les ordinateurs ne peuvent remplacer. La société « Le Moteur Moderne », dont il s'agit, est en effet connue pour les travaux qu'elle effectue depuis quatre ans sur les moteurs Renault destinés aux Formule 3 d'Alpine. On se souvient aussi du 1600 cc V6 qui nous avait été présenté par cette équipe il y a près d'un an et qui ne devait jamais dépasser le stade du prototype, précisément par suite de l'accord qui allait lier « Le Moteur Moderne» à Matra. M. Laqardère a précisé en ce qui concerne cette société qu'elle était arrivée trop tard pour pouvoir participer au choix du type de moteur : 
« Ils auraient voulu un V8 ou bien un V12 à prise de puissance centrale » dit-il.

podcast

georges martin,jp beltoise

 

V8 OU V12

Le premier problème qui se pose à ceux qui décident de se lancer dans la construction d'un moteur d'une cylindrée donnée, est celui du choix du nombre des cylindres. C'est M. Lagardère qui revendique personnellement la responsabilité du choix de douze cylindres pour le Matra. Les arguments qu'il avance sont les suivants :

1. Il est plus aisé d'atteindre une puissance élevée avec une faible cylindrée unitaire et en outre un douze cylindres est un moteur très bien équilibré.

2. Un moteur V8 est forcément disposé à 90° donc son bloc-moteur est large et il est difficile dans ces conditions de dessiner un châssis monocoque qui puisse le recevoir. Le douze cylindres est habituellement disposé à 60° ce qui facilite les choses.

3. Le moteur 8 cylindres est moins noble que le 12 cylindres donc moins adapté à propulser une voiture de prestige que la Matra envisage de construire pour 1971.

Le 16 cylindres en H a été considéré comme trop compliqué et trop lourd, raisons pour laquelle la prise de puissance centrale en V 12 n'a pas été retenue non plus. Il est intéressant d'opposer à ces vues celles de Keith Duckworth le créateur du moteur Ford V8 qui sera pour le V12 Matra LE moteur à battre, et qui nous déclarait, il y a quelques mois : « j'ai choisi le huit cylindres parce que je pense que c'est une configuration qui permet d'obtenir une puissance suffisante pour emporter la victoire, tout en donnant un moteur très compact. Je ne m'attache pas particulièrement à rechercher une puissance démesurée, car la consommation monte avec la puissance et je pense qu'il est tout aussi important d'avoir une voiture légère et consommant peu, donc emportant une plus faible quantité de carburant que ses rivales. 
Que m'importe de disposer d'une puissance astronomique si elle doit servir uniquement à véhiculer une charge de carburant supplémentaire durant toute la course. » Il est juste de reconnaître que Harry Weslake, dont l'expérience et la compétence ne peuvent être mises en doute, ne se déclare pas du tout d'accord avec les idées de Duckworth. « Laissez-le dire, il est en train de manger son pain blanc. Quand nous aurons fini la mise au point de notre moteur V12, nous en tirerons une puissance telle que les V8 s'essouffleront derrière nous ! »

Quelles sont les raisons pour lesquelles on admet couramment que la diminution de la cylindrée unitaire permet d'obtenir un potentiel de puissance plus élevé ?

- Il y en a principalement deux : la première est qu'en multipliant le nombre des organes en mouvement : pistons, soupapes etc., on diminue le poids de chacun d'eux, donc leur inertie et il est possible de tourner à un régime plus élevé. La seconde est qu'en multipliant le nombre des cylindres, on augmente la surface des pistons, tout en conservant la même cylindrée. Qui dit surface de pistons plus élevée dit possibilité de monter de plus grosses soupapes, donc de mieux faire respirer le moteur. On s'aperçoit ainsi en comparant les rapports course/alésage du V12 Matra et du V8 Cosworth, que pour un rapport plus élevé de 22 %, Matra obtient une surface de pistons supérieure de 31 % à celle du moteur anglais.

 

georges martin,jp beltoise

 

 georges martin,jp beltoise

 

LE V12 MATRA

Le moteur Matra de Formule 1 est donc un douze cylindres en V à 60°. Le bloc-moteur est moulé pour le moment en aluminium ; par la suite, il sera en magnésium. Ses culasses sont en aluminium. Les cotes sont très nettement super-carrées : alésage 79,7 mm, course 50 mm. Il est de tous les moteurs de Formule 1 actuels celui qui va le plus loin dans cette voie. La distribution est naturellement à double arbres à cames en tête par banc, entraînés par une cascade de 12 pignons à l'avant du moteur. Il y a quatre soupapes par cylindres : deux pour l'admission et deux pour l'échappement, formant entre elles un angle de 55°. Les poussoirs de soupapes, en forme de boisseaux, sont en acier nitruré et ils coulissent directement dans l'aluminium de leur guide. 
Il n'y a pas de joints de culasse, l'étanchéité étant assurée par des joints annulaires autour de chaque cylindre et des joints toriques pour les passages d'eau et d'huile. Les chemises humides sont centrées à leur partie inférieure mais elles sont en appui à leur sommet de façon à supprimer les effets néfastes qu'entraînerait le coefficient de dilatation très supérieur du bloc en alliage léger par rapport à celui des chemises qui seront en fonte ou en acier. 
Le vilebrequin est pris dans la masse, on n'a pas jugé nécessaire de le forger et on attend sans doute le résultat des essais pour voir s'il tiendra. Il repose naturellement sur sept paliers. Les bielles sont matricées dans un alliage de titane. Les pistons sont en alliage d'aluminium matricé. Leur segmentation n'est pas encore définitive. La lubrification est assurée par trois pompes, dont deux pour la vidange du carter. Le refroidissement est assuré par une pompe centrifuge placée à l'avant du moteur.

 

georges martin,jp beltoise

 

L'alimentation est assurée par un dispositif Lucas d'injection indirecte, qui est placé en bout d'arbre à cames à l'arrière droit du moteur. A gauche se trouvent le distributeur d'allumage et l'alternateur. Pour l'allumage également, Matra a fait appel à des solutions éprouvées et utilise le système Lucas à transistors avec pick-up sur le volant-moteur. 
A première vue, ce moteur parait très classique et même en retrait sur les réalisations les plus récentes. Le seul point sur lequel il tranche, c'est le choix d'un alésage vraiment très supérieur à la course. Mais pour le reste, on est surpris à plus d'un point.

La première chose qui frappe, c'est le fait que les échappements n'ont pas été disposés au centre du V. Il est incontestable que sur le plan aérodynamique on obtient un gain en supprimant la traînée provoquée par les échappements latéraux. Sur la Matra les conduits d'admission sont bien placés entre les arbres à cames, mais ils débouchent sur la rangée de soupapes supérieure et les gaz partent vers le bas. Outre le problème aérodynamique, on est surpris de voir que Matra a négligé la possibilité d'étoffer la partie monocoque qui entoure le moteur : il faudra l'échancrer pour laisser passage aux collecteurs d'échappement alors que l'on nous dit que l'une des raisons qui ont milité en faveur du V12 c'est précisément qu'il présente un encombrement latéral minimum. 
En outre, sachant que cette partie de la coque recevra du carburant, on se demande si des problèmes ne risquent pas de se poser lorsqu'il fera très chaud car l'échappement viendra accroître la température du carburant.

Pourquoi les échappements sont-ils donc latéraux ? Il apparaît que les ingénieurs chargés du dessin du moteur n'ont pas réussi à placer les échappements au centre, probablement à cause de l'importance de l'alésage.

 

georges martin,jp beltoise

 

Pour la même raison on n'a, semble-t-il, pas été en mesure de diminuer l'angle que les soupapes forment entre elles et qui est de 55°. On se souvient que lorsque Peugeot a lancé la chambre de combustion hémisphérique, il y a plus de cinquante ans, les soupapes formaient un angle de 90°. Mais depuis, cet angle a été progressivement refermé et si l'on excepte le moteur Honda qui procède d'une technique très particulière et dont l'angle est resté à 75°, on trouve 32° pour le moteur Cosworth-Ford, 30° pour le moteur Eagle-Weslake et 26° pour le dernier Ferrari à 48 soupapes. 
Là encore, citons Keith Duckworth : « j'emploie un angle aigu car je suis opposé au piston bombé qui est trop lourd et donne une mauvaise forme à la chambre de combustion. En outre, la surface en contact avec la flamme doit être aussi faible que possible ».

A première vue, toutes ces constatations ne semblent pas plaider en faveur du nouveau moteur Matra. Mais pourtant, l'histoire ne s'arrête pas là, car lorsque nous avons demandé aux techniciens qui ont fait ce moteur quel en est le poids des pistons, ils nous ont répondu : 330 gr or il se trouve que pour un alésage inférieur de 7 mm, les pistons du moteur Weslake ne pèsent que 2 gr de moins que ceux du Matra.

L'argument principal que l'on pouvait opposera cette disposition ne tient donc plus. En outre, on sait que Matra a construit un banc d'essai spécial pour calculer l'aérodynamisme des conduits de gaz et de la chambre de combustion et on laisse entendre que les résultats obtenus montreraient un gain appréciable sur la culasse Matra par rapport à celle de Cosworth, ce qui n'est d'ailleurs pas très surprenant car on n'ignore pas que le redressement des soupapes, s'il présente les avantages que nous avons vus plus haut, n'est pas très favorable, en revanche, au passage des gaz. Il est un autre élément à mettre à l'actif des techniciens de Matra : le poids de leur moteur. Celui-ci ressort à 173 kg soit 12 de plus seulement que le V8 Ford-Cosworth. La comparaison entre ces deux moteurs n'est d'ailleurs pas entièrement valable car il ne faut pas oublier que le Cosworth a été conçu comme un élément travaillant du châssis, son bloc est donc notablement plus lourd qu'il ne serait nécessaire au cas où l'on n'attacherait pas les suspensions au moteur. En revanche, il est intéressant de comparer le poids du Matra à celui des autres V 12 de F1 : on constate tout d'abord que Ferrari annonce pour le sien un poids qui est tout simplement ahurissant : 135 kg tout équipé, nous nous le sommes fait répéter deux fois au téléphone. Certes on sait que le constructeur italien a fait un gros effort de métallurgie pour diminuer le poids de ses voitures, et qu'il a obtenu d'excellents résultats, mais enfin ce chiffre laisse rêveur et certains prétendent que 180 kg seraient plus près de la vérité. Quant aux autres moteurs, ils sont tous deux plus lourds que le Matra : Eagle 187 kg, Honda 210 kg.

Trois moteurs ont déjà été construits : celui qui nous a été présenté à Velizy et figure sur notre couverture, un deuxième qui est au banc d'essai et un troisième qui sert de maquette d'encombrement pour la fabrication du châssis. Six autres seront assemblés dans le courant de la saison. Il est naturellement beaucoup trop tôt pour parler de puissance.

La documentation qui nous a été remise annonce une puissance prévue de 420 ch environ, alors que le régime maximal pourrait atteindre 12 000 t/m. Nous savons ce qu'il faut penser des « puissances prévues » mais en l'occurrence il semble que Matra fasse preuve de beaucoup de modestie. 
Weslake dépasse en effet déjà les 440 chevaux et Cosworth, dont le moteur est plus léger, s'en approche gaillardement. Il faut donc considérer ce chiffre de 420 ch comme un seuil limite inférieur pour quiconque espère gagner des Grands Prix en 1968. 

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Georges Martin. 1930-2017 

 

  - Photo 1 ©D.R.

  - Autres photos ©Eric della Faille - Revs Institute

Commentaires

Rappel salutaire d'un évènement plus que marquant à l'époque: Un moteur de formule 1 français ! La saison 68 de ce moteur était assez encourageante bien qu'un ton en dessous le Cosworth. Courir deux lièvres à la fois (F1-Proto) était une gageure pour Matra... Qui a tout de même atteint ses objectifs mais à 50% dirions nous en ce qui concerne la F1. Une belle épopée !

Écrit par : F.Coeuret | 21 décembre 2017

Francis , merci pour ce beau reportage que je ne connaissais pas . De tous les moteurs de F.1 que j'ai eu la chance d'entendre , je pense que le 12 cylindres
MATRA s'il n'était pas le meilleur moteur en F.1 était le moteur qui produisait le
bruit le plus fantastique de toutes ces voitures de courses .

Écrit par : Blaise François | 21 décembre 2017

Merci François, c'est toujours avec infiniment de plaisir que l'on voit revenir sur MSo quelques "grands anciens"...
Profitons de cette occasion pour adresser au nom du groupe un message de sympathie à notre ami François Libert qui se bat actuellement contre la maladie, lui dont la faconde étourdissante nous manque beaucoup.

Écrit par : Francis Rainaut | 22 décembre 2017

Merci Francis pour ton sympathique message , nous sommes d'anciens amis de
C.C et nous resterons toujours des amis passionnés de sport automobile .
Nous souhaitons à François Libert un bon moral pour lutter contre cette maudite
maladie et nous sommes de tout cœur avec lui dans ce dur combat .

Écrit par : Blaise François | 22 décembre 2017

Tous mes vœux de meilleure santé pour François Libert.
Je souhaite que nous ayons bientôt le plaisir de lire à nouveau ses commentaires.

Écrit par : JP Squadra | 23 décembre 2017

Je souhaite un joyeux Noël et le meilleur pour l'année à venir pour Francis, ses contributeurs et ses commentateurs!
Sympa la neige à Silverstone...je ne me rappelais plus que la première Arrows avait débuté la saison 78 sous les couleurs de la Varig brésilienne.

Écrit par : JP Squadra | 24 décembre 2017

Joyeux Noël à tous , Francis a mis dans le mille avec sa "flèche" sur fond de Silverstone enneigé !

Écrit par : F.Coeuret | 24 décembre 2017

Les commentaires sont fermés.