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01 avril 2019

La folie des grandeurs…

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La Railton à Bonneville Salt Flat

Le 16 septembre 1947 une automobile ressemblant plus à un fer à repasser sans poignée qu’à une voiture battit le record du monde de vitesse sur Terre avec l’étonnante performance de 634,39 km/h, moyenne réalisée sur un aller et retour de la piste américaine de Bonneville Salt Flat, Utah. Ce mémorable record resta inégalé durant dix-huit ans...

par Raymond Jacques

 


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John Cobb - Railton Mobil Special

 

La « chose » s’appelait Railton Mobil Special et elle était motorisée par deux moteurs W12 Napier Lion, originellement destinés à l’aéronautique. L’aventureux qui en prit le volant s’appelait John Cobb, un pilote de course britannique habitué de Brooklands, où il récolta force lauriers au volant de Delage V12 ou de Railton Napier. J’avoue n’avoir que peu de souvenirs de cette époque, étant âgé, le jour du record, de seulement 5 mois et 18 jours.

Quant à John Cobb, il trouva la mort le 29 septembre 1952 à bord de son bateau à réaction « Crusader » alors qu’il tentait de battre le record du monde de vitesse sur l’eau sur le Loch Ness. « Crusader » se retourna sur son pilote après avoir traversé un sillage inexplicable. Certains prétendirent que Cobb avait dérangé le monstre censé habiter les eaux sombres du Loch, lequel se serait mis en devoir d’expédier l’importun ad patres...

 

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« Crusader » de John Cobb

 

Raimondo-Giacomo Bombardini émigra d’Italie vers les Etats-Unis avec sa famille au début du XXème siècle, alors qu’il n’était qu’un jeune garçon. A l’instar de beaucoup d’autres émigrés européens, la famille vécut dans la pauvreté et les parents Bombardini acceptèrent sans rechigner tous les petits boulots qu’ils trouvèrent : terrassier ou maçon pour le père, femme de chambre ou cuisinière pour la mère. Le jeune Raimondo-Giacomo intégra l’école américaine où il se révéla être un excellent élève. Il rêvait de devenir ingénieur aéronautique, mais il fut obligé, assez tôt, de gagner de l’argent pour financer ses études.

Sa mère lui avait appris les rudiments de la cuisine afin qu’il puisse se débrouiller tout seul en cas de malheur. Mais Raimondo-Giacomo s’était – en quelque sorte – pris au jeu et il avait trouvé là le moyen d’empocher des dollars en préparant la nuit des sandwiches qu’il vendait le jour à ses condisciples. Il acquit très rapidement sur le campus une telle notoriété qu’il décida d’abandonner ses études pour se lancer dans la restauration. Il créa le concept du « hot dog intégral », avec saucisse-mayo-ketchup d’un côté et barre chocolatée-confiture de l’autre côté. Le succès fut massif et rapide. Il créa alors la chaîne de restaurants « Bombadog » avec laquelle il fit fortune.

Raimondo-Giacomo Bombardini fut très impressionné par l’exploit de John Cobb, et il comprit très vite qu’il pouvait organiser une gigantesque opération de communication articulée autour d’une telle performance. Il décida donc de construire sa propre voiture de record.

 

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Le Stipa Caproni en 1932

 

Passionné par l’aviation, Raimondo-Giacomo avait été très intéressé par l’appareil créé par son compatriote Luigi Stipa, fabriqué dans les usines Caproni dans les années trente. C’était une sorte de tonneau volant dont le fuselage contenait le moteur et l’hélice. L’aéronef était pour le moins disgracieux, mais efficace.

Bombardini décida de transposer l’idée de la structure tubulaire à un véhicule terrestre pour profiter de l’effet Venturi induit par la forme cylindrique.  De plus cette configuration évitait d’avoir recours à de pesantes transmissions métalliques truffées d’arbres et de trains d’engrenages. C’était la fin des années quarante et les surplus de matériels militaires disponibles à la vente étaient énormes. Bombardini jeta son dévolu sur quatre moteurs R-1820 Wright Cyclone, soit de quoi motoriser un bombardier Boeing B 17. Il dessina lui-même une carrosserie cylindrique pour y installer ses quatre moteurs les uns derrière les autres, le pilote étant assis dans une structure profilée à l’extrême avant. Le diamètre des hélices prévues pour le moteur R-1820 étant beaucoup trop grand, Bombardini fit fabriquer des hélices de diamètre réduit et à pas fixe, le pas variable n’étant plus d’aucune utilité. La voiture fut assemblée chez un spécialiste de la construction aéronautique de Burbank, Californie. Terminée, elle fut baptisée en grande pompe du nom de « Thunder Saussage » et la marque « Bombadog » fut peinte en rouge sur ses flancs.

 

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Thunder Saussage a Bonneville

 

« Thunder Saussage » fut acheminée jusqu’à Bonneville pour essais. Bombardini fit lui-même les premiers tests, mais sa machine lui causa tant de frayeur qu’il décida d’embaucher un pilote d’essais. Un ancien officier Allemand ex-commandant de panzers du nom de Hans Hermann von Ortenberg, dit « H2O », se présenta spontanément à Raimondo-Giacomo en affirmant être capable de dompter le tonneau roulant, sans doute en rapport avec sa consommation massive de bière. « Thunder Saussage » ne serait pas plus difficile à conduire, selon lui, qu’un char Tigre ou Panther, voire qu’un Kettenrad. « H2O » fut donc rapidement embauché, car Bombardini ne trouva aucun autre candidat pilote d’essai pour emmener son bolide vers les succès mondiaux.

Le 14 juillet 1949, « H2O » s’élança sur le lac salé. Il mit toute la gomme des quatre Wright de sa monture et le véhicule s’ébroua dans les hurlements puissants de ses moteurs. « Thunder Saussage » s’avéra incapable de dépasser les 150 km/h, soit, approximativement un peu plus que la vitesse de décollage du Stipa Caproni. « H2O » s’extirpant du cockpit exigu de la machine déclara à Bombardini que son « piège » ne sera jamais capable de dépasser les 200 km/h sans modification profonde de la conception. Mais Raimondo-Giacomo avait une confiance aveugle en l’efficacité de l’invention de son compatriote Stipa…

Rien ne se passa comme prévu. Le moteur le plus éloigné de l’entrée d’air chauffait et serrait, nécessitant un remplacement fréquent. Les vibrations engendrées par l’ensemble moto propulseur étaient telles que la carrosserie se fissurait dangereusement. Les attaches des moteurs cédaient et se déformaient sous l’effet du couple des Wright, qui se mettaient alors de biais dans la veine d’air, privant la voiture de puissance.  Les hélices avaient une fâcheuse tendance à perdre des pales ou à carrément se détacher pour passer à travers la carrosserie. Des problèmes de tenue de cap apparurent dès les premières tentatives et obligèrent Bombardini à doter sa saucisse du tonnerre de dérives de plus en plus grandes. « Thunder Saussage » devait régulièrement retourner à Burbank pour y être reconstruite… Puis Raimondo-Giacomo  décida de remplacer les Wright par des Pratt and Whitney R-1830 Twin Wasp plus puissants. Ce changement se solda par l’explosion d’un des moteurs, détruisant totalement le véhicule. « H2O » en sortit complètement sonné et il donna sa démission sur le champ. Il fut hâtivement remplacé par un ancien trapéziste espagnol du cirque Barnum nommé Sanchez Y Saffal Sulcarro (*). L’homme était un piètre pilote, mais il n’avait peur de rien, ayant commencé dans la vie comme péon d’un célèbre torero. Acharné, Bombardini, commanda à son fournisseur californien pas moins de cinq nouvelles voitures.  Cette folle entreprise n’était qu’une terrible hémorragie financière et un gigantesque ratage technologique.

Raimondo-Giacomo Bombardini, bien trop préoccupé par « Thunder Saussage » ne s’occupait plus de sa chaîne de restaurants qui périclitait chaque jour un peu plus. Les résultats devenaient carrément alarmants, à cause des sommes délirantes englouties dans le rêve de records du patron. Conjointement  la chaîne  « Bombadog » subit une concurrence de plus en plus sévère, orchestrée par une autre chaîne de restauration populaire qui exploitait un concept différent : le hamburger. Les propriétaires de cette dernière firent une offre de reprise très basse à Bombardini, qui l’accepta, épuisé physiquement et moralement par sa course au record. Le « Bombadog » fut remplacé par le « Big Mac », pour la plus grande satisfaction des frères Richard et Maurice McDonald.

 

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(*) Hommage à Frédéric Dard.

 

john cobb,bombardini

Commentaires

Merci Raimondo Giacomo pour cette "thunder story"!!! :-)

Écrit par : F.Coeuret | 01 avril 2019

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