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11 janvier 2020

Servoz-Gavin coté obscur ...

françois guiter,servoz-gavin

Janvier 1970, dimanche 11 janvier soyons précis. Pour Johnny Servoz-Gavin, les planètes s'alignent enfin. Récent champion d'Europe de F2, Johnny a trouvé sa place dans le gotha de la F1. Pilote officiel Tyrrell aux cotés du nouveau champion du monde Jackie Stewart, ça ouvre des perspectives pour la décennie qui commence à peine.

Des amis le branchent (!) sur le rallye Infernal, dont c'est la seconde édition. D'autres « pistards », à l'instar de François Mazet ont répondu présent, notons pour l'anecdote un équipage inédit composé de Pierre Landereau et son pote Jacques Dutronc...

En somme un simple divertissement d'intersaison, cet « Infernal » disputé en région parisienne ...

par Francis Rainaut


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Flash Back 66'

La 1e fois que j'entendis parler de Servoz-Gavin, c'était je crois vers 1966. C'était le pilote génial, anticonformiste, qui vivait dans une caravane et se nourrissait de sandwichs. Antoine venait de tout bousculer avec ses « Elucubrations », alors un Brian Jones pilotant une Matra ça m'allait pas mal...

Servoz avait une « gueule », semblait posséder un talent inné, et était déjà connu pour être un bon vivant. Tout en gardant aussi sa part de mystère... Il n’eut aucun mal à remporter le titre de champion de France de formule 3 un an après ses débuts dans la discipline.

 

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Volant Shell Zolder 1964

Un blanc limé

Ce que l'on savait de lui ? En fait, pas grand chose. Des Servoz-Gavin, ça court les rues dans le Dauphiné. On apprend qu'il vient de Grenoble, que ses parents tiennent un café, et que Georges-Francis a manifesté très jeune une forte attirance pour le sexe féminin. Il s'est lancé au culot dans des rallyes régionaux, et fut tout sauf ridicule. René Trautmann qui règne en France sur la discipline lui conseille alors de s'orienter vers la piste. Ce que Johnny fait sans attendre, filant tenter sa chance à Zolder pour le Volant Shell belge. Sur place il nous fait du « Johnny », éblouissant question chrono, mais suffisemment rebelle pour effrayer le jury.

Cependant le Grenoblois a d'autres talents. Seulement (!) deuxième du Volant, il sait y faire avec les femmes. Une certaine Véronique, épouse d'un notable belge, se propose de lui financer l'achat d'une Brabham F3 initialement prévue pour Tico Martini. C'est que Johnny et sa belle campent désormais à Magny-Cours, qui est encore une vraie campagne. Un épisode du feuilleton « Michel Vaillant » est tourné sur le circuit Jean Behra, Johnny y prête sa belle gueule, c'est l'âge d'or du renouveau français en sport automobile.

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Servoz, Grandsire, Weber ©Gérard Gamand

 

Pepsi-Cola, Chivas Regal

1967 fut l’année Pescarolo, « Pepsi-Cola » comme disent les britishs. Johnny se fait plus remarquer pour ses frasques dans les boîtes de nuit à la mode que pour ses résultats sur les circuits. Normal, quand on aime autant les femmes… Mais qui est diversement apprécié par le staff Matra, Lagardère en tête.

1967 c'est aussi l'année du premier vrai coup dur, la disparition de son pote Roby Weber lors des premiers essais du nouveau proto MS630. C'est encore l'époque des réglages aéro empiriques, l'auto a décollé, Roby y est peut-être allé un peu fort, mais la perte de l'espoir lorrain est cruelle, Johnny encaisse.

En F2, où il a rejoint Beltoise, ses résultats sont juste corrects. Seules quelques piges en F1 avec une F2 lestée sauvent quelque peu la mise. Certains « journalistes » toujours en première ligne commencent déjà à parler de Johnny au passé. André Simon l'a prévenu, ne lit jamais, jamais les journaux !

 

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Le « Pacha »

 

Mai 68, les évènements

Arrive 1968 qui allait tout bousculer, le vieux monde comme les valeurs établies. Servoz-Gavin est clairement au purgatoire, après ses « frasques » de l'année précédente. Johnny parvient cependant à sauver son contrat, mais il sera cantonné à effectuer des essais, beaucoup d'essais, en proto, en F1 avec Matra-Ford, en F1 avec Matra-Matra. Plus quelques engagements F2 si opportunité.

F2, vous avez dit F2 ? Il doit y avoir une fée là-haut pour les équilibristes. Lors d'une épreuve à Jarama - remportée par Jean-Pierre Beltoise -, Stewart se fracture le scaphoïde du poignet droit aux essais. Au GP d'Espagne de F1, c'est Beltoise qui récupère - avec brio - le volant, la F1 française n'étant pas terminée. Arrive Monaco. Le pilote écossais est toujours indisponible, François Guiter propose alors Servoz-Gavin.

Et voici comment naissent les légendes. Arrivé en Principauté, Johnny le fêtard, Servoz le dilletante est métamorphosé. Concentré et appliqué à suivre les conseil d'Uncle Ken, il claque le 2e temps au essais. Je ne sais pas si vous réalisez l'effet que cela peut produire sur un minot de quatorze ans tout récent fan de sport auto.

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Premier Grand Prix au volant d'une « vraie » F1, à Monaco qui est truffé de pièges, là où Bandini a péri carbonisé l'année d'avant, 2e temps au essais, juste derrière « Mister Monaco », Graham Hill en personne, il y a là de quoi rêver ! Les mômes sont éblouis, le milieu est ébloui, les britanniques - qui règnent alors sur le sport automobile - sont éblouis. Les journaux titrent : « Servoz se rachète ! ».

Cette course, je ne vais pas la raconter, tous les gamins des fifties s'en souviennent. Ce que je crois, c'est que Johnny était mentalement prêt pour remporter l'épreuve, on ne saura jamais si c'est la suspension qui a lâchée ou si c'est Johnny qui l'a martyrisée, à la limite peu importe.

Johnny se rattrapera à Monza où à l'issue d'une course sage, il accède à son 1er podium dans la catégorie reine. Prochaine étape, la victoire !

Un mois plus tard eut lieu le premier GP de France (ex GP de l'A.C.F.) sur le circuit de Rouen-les-Essarts. Servoz hérite d'un volant Cooper, écurie sur le déclin, et assiste aux premières loges à l'accident fatal de Schlesser. C'est un deuxième coup dur qui va le marquer, surtout que lui aussi sort violemment de la route sur cette piste dévenue sous le déluge un vrai piège.

 

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Le Mans septembre 1968 ©gettyimages

 

En 2e position, la Matra n° 24...

Comme si cela ne suffisait pas, au mois de septembre Johnny se signale aux yeux de tous les fans en participant à la chevauchée fantastique de la MS630 #24 que personne ne voyait à pareille fête !

Certes, on le sait tous, c'est Henri « le brave » qui a endossé cette nuit-là le costume du héros, mais Servoz une fois requinqué a plus qu'assuré sa partie, claquant des temps au tour toujours plus vite, avec en ligne de mire rien moins que la victoire. Bon, il y eut le passage sur les débris de l'Alpine 3L qui gâcha un peu la fête, mais que d'émotions nous ont donné ces deux-là, cinquante ans n'ont rien effacé...

 

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Olga Georges-Picot, JSG ©Tony Triolo gettyimages

 

69, année hédonique ?

Pour Servoz-Gavin, 69 sera l'année de la sagesse. Johnny vit alors une relation pimentée avec l'actrice Olga Georges-Picot mais coté piste aucun volant F1 n'est alors disponible. Qu'à cela ne tienne, le français va s'appliquer à disputer sérieusement la saison de F2 qui le verra succéder à JPB pour le titre de Champion d'Europe. Je vais le croiser dans le paddock de Reims où il est engagé sur une Matra par l'écurie John Coombs. Mais ça n'est visiblement pas son jour, c'est un autre espoir français au sourire radieux qui émerge à la lumière. Prémonitoire ?

Johnny servira aussi de test-driver au volant de la lourde F1 MS84 4WD, accomplira sa tâche avec abnégation, et récoltera même le seul et unique point d'un pilote au volant d'une quatre roues motrices en Grand Prix.

Qu'importe, sa réputation est établie, c'est désormais un pilote mûr sur lequel une écurie peut compter. JSG s'est par ailleurs signalé au volant des protos Matra, MS630/650 puis MS650, tant en Championnat du Monde que dans quelques épreuves CanAm.

Fait notable, il abandonne - sur injonction de François Guiter ? - sa déco de casque blanc pour des couleurs plus cocardières.

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Monaco 1970

Fais-toi mal, Johnny Johnny...

La saison 70 se dessine. On parle - forcément - de Servoz-Gavin pour un volant à plein-temps en formule 1. Il est question de l'engagement d'une McLaren privée par John Coombs, grace à l'appui de Elf. Finalement Johnny signe chez Tyrrell qui, fidèle à Ford, se lance dans l'aventure avec March.

Servoz sera donc aussi bien servi que les Stewart, Amon, Siffert ou Andretti. Le contrat étant finalisé, Johnny, tout comme Jabouille, Ballot-Lena, Guichet ou Todt, peut partir s'éclater en tout-terrain au volant d'une Land Rover...

Il faudra encore quelques années avant que les pistards ne s'intéressent à un Paris-Dakar encore en gestation.

 

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Goodwood 2002 ©Thierry Lesparre

En guise d'épilogue

Monaco 1970, fin de la dernière séance d'essais. « La course automobile ne m'intéresse plus »... Je ne sais pas, vous, mais moi je n'ai jamais vraiment cru à cette histoire. D'évidence, Johnny n'était alors pas au top. Mais ce serait négliger l'impact qu'a pu avoir cette ridicule petite brindille qui lui ai rentrée dans l'œil au Rallye Infernal, où la visière de son intégral était probablement ouverte. Et puis Servoz a sans doute traîné avant d'aller à l'hosto, sinon il ne s'appelerait pas Servoz. Cette stupide petite brindille qui va lui coûter cinq ou six semaines d'hôpital où il restera dans l'obscurité, gavé d'antibiotiques et seul, désespéremment seul. Sa relation avec Olga est alors terminée et sa situation présente n'intéresse plus ceux qui prétendaient être ses « amis ».

« Il faut toujours casser ses jouets, car c'est au fond le seul moyen d'en avoir des neufs ». Johnny cesse brutalement toute relation avec la course auto, il achète un catamaran de 37 mètres et envisage un tour du monde à la barre de son nouveau joujou. Mais Johnny, c'est le désordre personnifié, et il réussira quand même à se faire sauter une bonbonne de gaz à la figure. Hosto à nouveau, cette fois-ci il est sévèrement brûlé, l'addition est lourde.

A court de ressources en 1983, il est sollicité - Beltoise aidant - pour effectuer un retour en courses de « Production » sur Peugeot 505 et en courses sur glace sur Matra Murena. Mais Johnny souffre aussi de graves problèmes cardiaques, et ses médecins s'opposent à son retour derrière un volant.

 

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Le Mans 1969 ©Bernard Cahier gettyimages

 

Servoz-Gavin disparaît alors à nouveau de la circulation. C'est à Goodwood en 2002 qu'il resurgit tel un fantôme. Et puis le temps passe et un beau (?) jour on apprend via Memoire des Stands la disparition du Grenoblois à l'âge de 64 ans. Son fils Thierry disparaît à son tour en 2014 à l'âge de 51 ans, on ne sait rien de lui.

J'ai finalement peu choses à ajouter ou à oter à mon courrier de 2006 adressé à Auto-Hebdo peu de temps après l'annonce du décès du grenoblois Georges-Francis Servoz-Gavin, Johnny pour les dames.

RESPECT Johnny, RIP.

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- Images ©DR

 

Addendum

- Le compte-rendu du rallye Infernal publié dans Virage auto de février 1970

 

Commentaires

Merci de rappeler cette date du 11 janvier 70, quand la mauvaise fée (ou la bonne c'est selon) déclenche les hostilités et dévie le parcours du flamboyant, de l' attachant Johnny.

Écrit par : F.Coeuret | 11 janvier 2020

Ma copine d’enfance F.P. était devenue, en grandissant, une « grid girl », voire pire... Elle connaissait presque tous les pilotes des années 60/70. Un jour, elle me dit que Servoz Gavin était connu de ces demoiselles sous le surnom explicite de "Sert–vos-vagins"… Elle me dit aussi que le beau Johnny allait abandonner la compétition automobile à cause d’une certaine Olga. Je sus plus tard qu’il s’agissait de la comédienne Olga Georges Picot, qui se suicida en 1997.

Écrit par : Raymond Jacques | 11 janvier 2020

Dans le courrier à AUTOhebdo, j'aime beaucoup le second degré : Remerciements à Gitanes et Marlboro pour leur contribution.

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 12 janvier 2020

Je me suis procuré - il vient juste d'arriver - un exemplaire de Virage auto de février 1970 qui relate cet Infernal Rallye (mais pas que)...
On peut consulter l'article en question via un lien en fin de note, ce qui nous donne l'occasion de savourer la plume de Jean Thieffry et de Daniel Hendrickx. Mes maîtres.

Écrit par : RMs | 13 janvier 2020

Les commentaires sont fermés.