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24 février 2020

George, Rikky, Brett et les autres ...

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Mon premier est canadien, descendant d'immigrants écossais. Son arrière grand-père a fondé la chaîne de grands magasins Eaton's. Mon second vient officiellement du Liechtenstein mais c'est en Allemagne que sa famille a créé la firme automobile Opel, avant de la céder à General Motors. Mon troisième, lui, est d'ascendance française, sa mère est née Dupont de Nemours, de ces Huguenots partis chercher fortune au Nouveau Monde.

Outre la particularité de n'avoir que fort peu de soucis financiers, ces trois-là ont en commun d'avoir garni les plateaux de formule 1 à une époque où ces derniers laissaient encore un petit peu de place aux « privés ».

Francis Rainaut


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George Ross Eaton

Sous sa crinière blonde et son casque blanc, on aurait pu le confondre avec un autre Georges, grenoblois celui-là. Les pilotes venus du nouveau continent gardaient leur mystère, G.R. Eaton n’échappait pas à la règle. On savait peu de choses sur lui, sinon que sa famille était fortunée, et qu’il avait un bon coup de volant.

Il faut savoir que la chaîne de magasin Eaton’s était un peu une institution au Canada. Elle avait été fondée par Timothy Eaton, l’arrière grand-père de George, et allait devenir un empire dans le commerce de détail, empire employant pas moins de 70.000 personnes à son apogée avec comme devise, « satisfait ou remboursé ».

Piqué par le virus du sport automobile le jeune Eaton se lance donc dans la série Canam en achetant en 1968 une McLaren M1C grâce aux subsides de sa famille.

Laquelle McLaren est remplacée l’année suivante par une M12 pour la Canam et une M10 pour la formule A. George y fait mieux que figurer, il commence à se faire un nom dans le milieu. Une particularité, les montures de George ne portent pratiquement pas de noms de sponsors sur leurs flancs ; probablement pas nécessaire… George se fait remarquer dans les deux séries en obtenant des résultats probants. Alors, pourquoi ne pas viser plus haut, quoi de plus classe que la formule 1, surtout sur le Glen avec sa cohorte de hippies accros au bruit et à la fumée, c’était ça après tout  la fin des sixties !

 

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USA 1969. Eaton, BRM P138

 

En 69, rappelons-le, le plateau F1 était squelettique. Par contre le système Rent-a-drive marchait à fond, surtout sur le continent américain. En ce qui concerne les Canadiens, on retrouvait ainsi sur les grilles les deux acolytes Bill Brack et Al Pease, ce dernier étant le seul et unique pilote de F1 à avoir été disqualifié pour lenteur excessive… Or donc George Eaton est engagé au Grand Prix des USA 1969 sur une monture que l’on qualifiera gentiment de second choix, à savoir une BRM P138. George fait ce qu’il peut avec, le moteur casse au Glen et la boîte de vitesses au Mexique.

On s’étonne alors un peu de l’engagement à plein temps du pilote canadien pour toute la saison 70. « Big Lou » Stanley avait probablement besoin de quelques subsides, mais George Ross Eaton tarde à montrer son talent. Son 8e temps aux essais de « son » Grand Prix à Saint-Jovite représentant le seul fait d’arme de toute sa saison, saison effectuée sur la BRM P153 qui a par ailleurs montré toutes ses qualités aux mains de Pedro Rodriguez. Encore un engagement au Canada sur BRM l’année suivante, et s’en sera terminé du parcours de George en formule 1.

 

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George Eaton, BRM P154

 

En Canam ce sera un peu plus brillant, Eaton se faisant remarquer en 70 au volant de la splendide mais terrifiante BRM P154. En 72, George prends sa retraite après les six heures de Daytona pour réintégrer le business familial. Mais là encore, les résultats ne furent pas vraiment à la hauteur. Resté dix ans à la présidence du groupe Eaton’s, George réussira tout simplement à couler l’entreprise !

 

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Rikky von Opel

Dans la famille Opel, devenue von Opel, on connaissait l’ancêtre, Adam Opel, fondateur de la firme automobile éponyme. On connaissait aussi sans doute son petit-fils Fritz von Opel, surnommé « Rocket Fritz » à cause de ses démonstrations effectuées au volant d’engins propulsés par des fusées. Et puis pendant les seventies on va entendre parler des enfants de Fritz : de Christina, qui fait la une des faits divers avec son entourage de blousons dorés plus ou moins fréquentables et à coup sûr trop enfumés aux yeux de ces braves gendarmes de Saint-Tropez.

Et puis également de son frère Frederick, dit « Rikky », peut-être bien avant Christina, mais peu importe. Allemand – officiellement liechtensteinois - par son père, colombien par sa mère, Rikky semble avoir hérité d’un tempérament de feu. Passant sa jeunesse entre Saint-Moritz et les collèges anglais, Rikky s’éclate en bobsleigh avec ses « riches » copains puis effectue dès ses vingt ans passés ses débuts en Formule Ford. Rikky ? Non, Antonio Bronco. Car il tient à une certaine discrétion et ne veut pas offusquer sa très riche famille. Car si la firme a été vendue depuis des lustres, l’argent, lui, coule à flots chez les von Opel.

 

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Forts de débuts somme toutes honorables, Rikky franchît le pas et s’engage en formule 3 sous son propre nom. Après une première année correcte, il rejoint en 72 le team Ensign de Morris Nunn. 72 est sa grande année, il remporte le championnat Lombard et termine second du Forward Trust derrière Roger Williamson !

Convaincu de son talent et pourvu d’arguments financiers disons, solides, von Opel va alors faire une proposition diabolique au patron d’Ensign, une proposition que personne, surtout pas « Mo » Nunn, ne peut refuser. En bref, il s'agit de financer la construction d’une formule 1 dont Rikky serait le pilote attitré.

 

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Et c’est comme ça qu’en 1973 sur le circuit du Castellet on voit apparaître pour la 1re fois une Ensign de formule 1 avec à son volant, Rikky von Opel. Les débuts sont juste corrects, Rikky termine à trois tours des hommes de tête. La suite ne vaut guère mieux. A Silverstone, von Opel laisse huit pilotes derrière lui en qualifications, mais finit à six tours. Ça commence à jaser dans le paddock, beaucoup pensent que l’héritier von Opel passe trop de temps dans les soirées glamour ou encore à s’occuper de son portefeuille d’affaires. En dépit de promesses faites à Nunn de considérer son activité de pilote un peu plus au sérieux, la saison ne se termine pas mieux qu’elle n’avait commencée. Rikky assistera en outre en spectateur aux disparitions horribles de Roger Williamson à Zandvoort et de François Cevert à Watkins-Glen.

Et rebelote en 1974, avec une Ensign N174 redessinée. Mais l’affaire tourne vite au désastre, et le team retire la voiture en Argentine. Von Opel réalise soudain que le team Ensign ne deviendra jamais un top team, et quitte alors l’équipe, emportant avec lui tous ses millions.

 

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L’affaire aurait pu en rester là. Mais il va encore croiser sur son chemin un fieffé renard nommé Bernie Ecclestone. Ce dernier est habile à flairer les bons plans, et s’en va dare-dare proposer le second volant Brabham à notre joyeux playboy. Cette fois-ci, la voiture est dans le coup ! Mais pas notre Rikky, qui touchera le fond à Monaco en échouant lors des qualifications, là où son coéquipier Reutemann décroche le 8e temps. Idem au Castellet… Cette fois Bernie a compris. En dépit des millions que lui amène l’héritier von Opel, il le vire de son équipe pour prendre à sa place le prometteur Carlos Pace qui lui amènera podiums et victoire avant que la saison ne se termine.

Pour le pilote du Liechtenstein, la course auto c’est terminé ; il vient tout juste de fêter ses 27 ans.

Depuis, les bruits les plus mystérieux circulent sur le compte de Rikky. Certains le croient en Thaïlande, dirigeant ses affaires à distance. D’autres pensent qu’il gère la fortune familiale depuis son bureau de New-York. D’autres encore sont certains que converti au bouddhisme il est devenu moine et qu’il distribue sa fortune pour vivre en accord avec ses convictions religieuses.

 

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Le casque, au dessin un peu  ésotérique, de Rikky von Opel

 

Quant à sa sœur Christina, elle disparut tragiquement en 2006, noyée à l'arrière de sa voiture emportée par une rivière en crue. Pauvre petite fille riche, aurait commenté Valéry, à moins que ce ne fût le fantôme de Cloclo...

 

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'Captain' Brett Lunger

Il est l’homme qui a sorti Niki Lauda de l'épave de sa Ferrari en feu, a combattu au Vietnam et pilote maintenant des vols humanitaires pour des enfants gravement malades. Pas mal pour un foutu « gosse de riche » !

Regardez bien la photo de la 312 T2 de Niki en flammes au Nürburgring. Non loin de sa Surtees accidentée, on y voit le pilote américain avec son casque blanc penché sur la Ferrari pour en extraire son pilote. Ce que l’on ne savait pas, c’est que le père de Brett était mort la veille de l’accident.

Mais un aussi chic type que Brett aurait certainement préféré faire la une des médias par ses performances en course.

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- Brett Lunger ? Connais pas trop.

- DuPont de Nemours, pour vous ça vous évoque quoi ?

Fabricant à l’origine de la poudre à canons, la firme américaine est aujourd’hui l’un des plus grands groupes industriels spécialisé dans la chimie. La firme a été fondée par un descendant de huguenots français et a bâti sa prospérité grâce à la révolution des « matières plastiques », avec la découverte du nylon et le développement du Néoprène, du Teflon, du Kevlar et autres Lycra. Or il se trouve que la mère de Brett est née Dupont de Nemours.

Brett a 20 ans quand il est mordu par le virus du sport automobile. Il débute sur Corvette, puis s’engage rapidement en Canam sur une Lola. Il part ensuite combattre treize mois au Vietnam dans les corps des Marines, assurant notamment des missions de reconnaissance en terrain Viet-Cong.

A ce propos, la légende voudrait qu’il ait sauvé au Vietnam un congénère de la famille des dirigeants de Liggett & Myers, ce qui lui aurait assuré le soutien financier des marques de cigarettes du groupe, L&M et Chesterfield pour ne pas les nommer. Légende invérifiable, comme tout conte et légende...

Revenu du bout de l’enfer, il va disputer une partie de la saison US 1971 de formule 5000, terminant plusieurs fois sur le podium et remportant sa 1ère victoire. Il attire ainsi l'attention de Rod Campbell, le Public Relation de L&M qui le soutiendra plus tard dans sa carrière. Direction l’Europe l’année suivante où il s’essaie en formule 2 sur une March de Bob Sparshott, sans trop de succès.

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Retour à la formule 5000 en 1973, où il est présent à la fois aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, avec une moisson de podiums et même deux victoires, à Snetterton puis à Mallory Park. Il se cantonne aux épreuves américaines en 1974, puis ce sont les débuts en formule 1 fin 1975, en tant que lieutenant de James Hunt dans l’écurie Hesketh. Des débuts plus discrets que les frasques de l'équipe Hesketh, il faut bien l'admettre.

Pour 1976, Campbell et son frère David se sont démenés pour lui trouver des budgets. Brett est ainsi titularisé dans l’équipe Surtees, mais les résultats restent assez mitigés. Une équipe Surtees qu’il quitte en fin d’année pour s’engager dans des teams privés, Chesterfield Racing puis B&S Fabrications de Bob Sparshott, avec respectivement une March puis une McLaren. Cependant les places sont chères et Brett ne réussira qu’à frôler la porte des points à Zolder en 1978. Ce dont personne ne lui tiendra rigueur, tant le personnage est sympathique. Ce que l’on sait moins, c’est que Brett n’a pu disposer d’une partie de la fortune familiale qu’à l’âge de 55 ans.

 

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S’en sera alors fini de la formule 1, mais pas du sport en général. Brett disputera encore quelques épreuves de voitures de sport avant de plaquer le sport automobile. Il s’occupera alors de la firme DuPont, tout en participant à des marathons ainsi qu’à des épreuves cyclistes.

Il s’est ensuite trouvé une nouvelle passion dans le pilotage d’avions de tourisme, passion partagée avec sa femme Caroline. Mais il ne s’agit pas seulement d’un loisir pour gens fortunés. Caroline lui a suggéré de voler pour le réseau « Angel Flight » et aujourd’hui, Brett a déjà effectué pas moins de deux cents vols humanitaires financés sur ses propres fonds. Il véhicule ainsi des enfants gravement malades qui ont besoin d’interventions urgentes ou encore des vétérans en sale état de leur domicile jusqu’aux hôpitaux appropriés.

Brett Lunger est par ailleurs l’initiateur du projet « I am Responsible » visant à promouvoir l’initiative individuelle et la responsabilité de chaque individu. http://iamresponsiblebook.com/

 

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« Captain » Lunger n’a peut-être pas atteint tous ses objectifs, mais si on se retourne sur son parcours, on peut estimer qu’il est tout sauf ordinaire et qu'il inspire rien moins que le respect.

 

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Nürburgring 76. Harald Ertl, Brett Lunger, Guy Edwards

 

- Images ©DR

Commentaires

Bonjour !

Que voici un beau sujet très bien traité et fourni que j'apprécie de lire ! Bravo !

Après que Mike Beuttler ait quitté la Formule 1 fin 1973, je me suis intéressé à Brett Lunger dès 1977 ; je l'ai vu courir en 1976 et 1978 à Zolder. Il m'a apporté son témoignage pour "Privé de gloire" - mon livre sur Beuttler et ai évoqué sa période avec Bob Sparshott (B.S. fabrications) qui s'occupait de ses March et McLaren privées.

Bien sportivement ! Philippe Vogel

Écrit par : Philippe Vogel | 24 février 2020

Re-bonjour !

Par contre, je ne considère pas qu'Eaton et von Opel soient des pilotes privés car l'un et l'autre étaient engagées directement par des équipes d'usine ; quant à Lunger, il était effectivement un pilote privé à partir de 1977.

Bien à vous ! Philippe Vogel

Écrit par : Philippe Vogel | 24 février 2020

... "Privés de gloire" en tous cas, Philippe. Je les vois plus comme des pilotes privés que comme des pilotes d'usine, mais qu'importe, ce sont avant tout des "artistes de complément", comme on disait dans les vieux films.
Et c'est bien ce qui les rend extrêmement intéressants, car très humains, avec plein de défauts, de travers et d'erreurs de parcours.
Tout sauf "Hamiltoniens", en quelque sorte...

Écrit par : RMs | 24 février 2020

Ah qu'ils me sont sympathiques ces pilotes, des hommes certes "bien nés" mais ils sont bien plus intéressants que les "joueurs de joy-sticks" actuels, insipides, se réfugiant derrières des propos lénifiants ("on a bien travaillé...", "on a bien débriefé" ...), aux charismes d'huitres !à part Raikonnen et Ricciardo (qui semblent normaux) ils n'interpellent guère notre attention, pas même Hamilton avec ses côtés bling bling désespérants ...

Écrit par : Christian MAGNANOU | 24 février 2020

Un trio dissimulé dans l'ombre et qui retrouve lumière sur R'M...C'est tant mieux! Quelle bonne idée Francis!

Écrit par : F.Coeuret | 24 février 2020

Chaque fois je découvre des infos sur une période que je croyais très bien connaître. J’avais en mémoire Merzario pour l’accident de Lauda. Je rejoins Christian pour son avis sur les pilotes actuels.

Écrit par : Jean-Claude Albert | 30 mars 2020

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