Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11 décembre 2020

L’élan brisé de Claude Storez

Reims56.jpg

 Dans un récent échange épistolaire - via internet - avec Francis Rainaut, je lui disais que la crise du (« de la », disent les initiés) Covid m’avait mis le moral dans les godasses et que je n’avais pas envie d’écrire quoi que ce soit. Et puis, j’ai pensé ensuite qu’il fallait que je me motive pour trouver un sujet de choix, issu de la lointaine époque où je pouvais raisonnablement rêver de devenir à mon tour un pilote de course, comme n’importe quel poulbot parisien. Et bien j’en ai trouvé un, bien planqué dans les tiroirs de l’oubli !

Raymond Jacques


STOREZ-PHOTO.jpg

Prélude

Claude Tonin Horace Storez nait le 7 novembre 1927 à Paris. Son père Léon Storez, un industriel producteur de carton, était aussi un pilote amateur reconnu. Claude était un garçon intelligent, sympathique et il aimait le sport. Tout naturellement, il commença la compétition automobile avec son père en 1950, et en 1951 le binôme père-fils courut le Tour de France Auto sur Simca Sport.

Dès 1953 il devint pilote officiel chez DB. Avec Marc Gignoux[1] sur une HBR, il termine 4e des 24 Heures de Spa Francorchamps. Le même équipage termine 5e de la catégorie « Sport » au Tour Auto. En octobre, il finit troisième de la Coupe de Paris à Montlhéry derrière Schlesser et De Portago.

 

claude storez,porsche zagato

Mille Miles 1954

 

En 1954, il court sur Monomill[2] et gagne le Grand Prix du Comminges à Saint Gaudens (dernière course courue sur ce circuit). Puis, avec Faure, il finit premier des moins de 750 cc aux Mille Miles sur une barquette DB HBR, et second du Tour de France Auto avec Herbert Linge sur Porsche 550.

Dans les années qui suivirent, de 1956 à 1958, associé à Robert Buchet sur Porsche 356 Carrera coupé et 356 Carrera Speedster, Claude Storez et son compère vont écumer les compétitions les plus prestigieuses et y conquérir force places d’honneur : rallye des Routes du Nord, de Touraine, d’Armagnac, Liège Rome Liège, Critérium Neige et Glace, Tour de France Automobile, etc. 

claude storez,porsche zagato

Storez et Buchet, Coupe des Alpes 1956

claude storez,porsche zagato

Bagarre aux 1000 kilomètres de Paris 1956 virage de la Ferme à Montlhéry. La Porsche 550 de Veuillet/Storez laisse sur place la Maserati 150S d’Annie Bousquet/Alejandro De Tomaso qui exécute un pas de danse, tandis que la Ferrari 500TR de « Eldé »/De Changy est allée « tutoyer le mur » !

 

Claude Storez sera sacré champion de France des rallyes en 1956 et 1957.

 

Les 24 Heures du Mans

claude storez,porsche zagato

La Porsche de 1956

claude storez,porsche zagato

Storez - Le Mans 1957

 

Claude Storez compte cinq participations et cinq abandons :

Année Voiture Co pilotes Résultat
1954 DB Renault Vidilles - Lucas Abandon 1re heure boite de vitesses
1955 DB Panhard R. Bonnet Abandon 9e heure distribution
1956 Porsche 550/4 Polenski Abandon 8e heure distribution
1957 Porsche 550 A RS Crawford Abandon 24e heure panne d'essence
1958 Porsche 718 RSK Von Frankenberg Abandon 9e heure accident

 

La Formule 1

claude storez,porsche zagato

La DB F1 de Claude Storez

 

A cette époque, le règlement technique de la F1 semble assez curieux, pour ne pas écrire « délirant ». Les voitures doivent être des monoplaces mues soit par un moteur de 2500 cc maximum à alimentation atmosphérique, soit par un moteur de 750 cc équipé d’un compresseur[3]. René Bonnet pensait qu’il pouvait construire deux ou trois voitures extrapolées de la Monomill pouvant délivrer environ 90/100 ch, la différence de puissance par rapport aux 2,5 litres étant compensée par la légèreté et la maniabilité.

Deux voitures sont engagées au Grand Prix de Pau 1955. La numéro 26 est pilotée par Paul Armagnac ( une manière de « régional »… ) et la numéro 24 par Claude Storez. La concurrence est relevée : Maserati 250 F, Lancia D50, Ferrari 500 et 625. 

Les pilotes sont aussi des « calibres » : Jean Behra, Eugenio Castellotti, Alberto Ascari, « Fon » De Portago, Louis Rosier… 

claude storez,porsche zagato

GP de Pau : Storez mène devant Armagnac

 

Nos deux « DB boys » se qualifient en avant dernière ligne pour Armagnac, en dernière ligne pour Storez. Armagnac finit en dixième position et dernier classé, Storez subit une casse mécanique à mi-course. René Bonnet comprend que son intuition était mauvaise, il ne renouvellera pas l’expérience en F1.

 

La dernière course

claude storez,porsche zagato

 

En 1957 Claude Storez acheta chez Porsche une Speedster Carrera dont il fit livrer le châssis en Italie chez Zagato pour y faire fabriquer à la main une carrosserie plus légère et plus aérodynamique. La Porsche en ressortit habillée d’aluminium avec un « museau » profilé à phares carénés genre 718 RSK, voire Fiat-Abarth 750, et deux dérives sur les ailes arrière. Elle fit ensuite un passage chez Porsche pour le remontage de la mécanique et des essais et contrôles divers et variés.

 

claude storez,porsche zagato

La Porsche Zagato au Tour Auto 1958

 

Claude Storez s’engagea sur cette voiture numéro 143 au 6e Tour de France Auto du 15 au 21 septembre 1957 accompagné du fidèle Buchet, l’équipage finissant 6e de la catégorie GT, derrière une horde de Ferrari 250 GT et une Mercedes 300 SL pilotée par Stirling Moss. Dans le Tour Auto 1958, la Porsche Zagato revêt le numéro 139 mais elle doit abandonner sur le circuit du Mans sur casse mécanique.

 

claude storez,porsche zagato

claude storez,porsche zagato

Deux clichés pris sur la ligne de départ de la course de Reims montrent que la voiture avait « tapé » à l’avant droit : traces sombres sur l’aile, bulle de phare et antibrouillard arrachés…

 

Puis vint ensuite le Rallye des Routes du Nord 1959. Cette épreuve comportait un passage sur le circuit de Reims le 7 février 1959. Storez partit en première ligne, mais l’avant droit de sa voiture portait des marques de « touchette » :

Premier tour, Storez est suivi dans la longue ligne droite de la Nationale 31 par un autre pilote de Porsche 356, Gonzague Olivier, qui témoigne : il suivait Storez et, à l’approche du virage de Thillois, les feux stop de la Porsche de tête se sont allumés et la voiture est partie brutalement sur la droite, pour décoller du sol et retomber le nez dans un fossé. Storez est éjecté de la voiture, fracture ouverte à une jambe, casque enfoncé sur le crâne. L’hélicoptère de la gendarmerie le transportera jusqu’à l’hôpital de Reims, où les médecins ne pourront que constater le décès du pilote.

 

claude storez,porsche zagato

La voiture disparut rapidement du circuit et elle ne fut jamais retrouvée ! Elle paraissait pourtant réparable, mais son précieux moteur à quatre arbres à cames en tête a dû attirer des convoitises…. On peut supposer que cette sortie de route ait été provoquée par une rupture mécanique à l’avant droit, ou par l’éclatement du pneumatique. De toute évidence, aucune expertise de l’épave ne fut possible…

Claude Storez laissa le souvenir d’un garçon sympathique, épanoui et cultivé. Il était surtout un superbe pilote, spécialiste des petites et moyennes cylindrées, que ce soit sur route ou sur piste. 

claude storez,porsche zagato

Sa courte carrière est foisonnante, d’une extraordinaire richesse, aussi j’ai décidé de n’en extraire que quelques traits marquants, plutôt que d’afficher une énumération exhaustive soporifique et finalement sans grand intérêt.

 

Une Porsche 356 Speedster Zagato neuve ?

claude storez,porsche zagato

Deux des neuf Speedster Zagato « continuation »

 

Le Zagato Classic Program a lancé ( en 2016 ? ) la (re)fabrication de 9 Speedster et de 9 coupés montés sur des plateformes de 356 authentiques au prix unitaire de 350.000 USD. Elles ont toutes été vendues… Il semblerait toutefois qu’elles n’aient pas été équipées du célèbre moteur de compétition Carrera à quatre arbres à cames en tête. Seuls de très rares spécialistes vendent des composants à des prix stratosphériques. Je n’ai pas trouvé de trace de la possibilité de commander un moteur complet chez Porsche. De plus, ces modèles sont dépourvus des dérives aérodynamiques  qui « ornaient » les ailes arrière de l’original.

 

claude storez,porsche zagato

Neuve ! Sortie d’usine…

 

L’unique voiture originelle ayant disparu sans espoir de retour, les techniciens et ingénieurs de Zagato partirent des quelques photographies en noir et blanc qu’ils purent récupérer dans les archives de l’entreprise et dans celles du musée Porsche pour construire un modèle numérique tridimensionnel. Puis, les techniques de fabrication manuelle traditionnelle furent mises en œuvre en partant de ce modèle informatique, exactement comme fut fabriquée la voiture de Claude Storez par des artistes du tas virgule et du postillon (outils du « choumac »[4] et du tôlier formeur).

 

Renaissance :


 

claude storez,porsche zagato

Notes « de bas de page »

  1. Marc Gignoux, patron de la société pharmaceutique et cosmétique Gifrer, créa en 1954 avec René Bonnet, Charles Deutsch et la SOCODEC (crédit automobile) la Société Française des Véhicules de Course pour organiser la première filière française de formation de pilotes de course. Les voitures étaient les Monomill.
     
  2. La Monomill était une monoplace dérivée du Racer 500 DB, mais équipée du flat-twin 850 cc de la Panhard Dyna Z délivrant 55 ch, en remplacement du moteur de la Dyna X réalésé à 500 cc sur le racer. DB en fabriqua entre 20 et 30 exemplaires tirés au sort par les pilotes juste avant le départ de chaque course. La première (et seule) série de courses fut remportée par Jo Schlesser. La course automobile fut interdite en France après le drame des 24 Heures du Mans 1955 et les Monomill furent revendues. Certaines furent utilisés par le Club des Mille sur l’autodrome de Montlhéry. D’autres s’aventurèrent en Formule Junior où ils furent régulièrement battus par les moteurs quatre-cylindres plus puissants.
     
  3. Il d’agissait d’un compresseur à entrainement mécanique et non d’un turbo compresseur, entrainé par une turbine mue par les gaz d’échappement. Ce dernier fut fabriqué pour la première fois à La Courneuve par l’ingénieur français Auguste Rateau pour donner du souffle aux moteurs Renault des avions d’observation et de bombardement Bréguet XIV de la guerre 1914-1918, afin de gagner en vitesse et en altitude. L’introduction du turbo compresseur en F1 sera l’œuvre de Renault en… 1977 avec la RS1. Le premier qui eut l’idée de « souffler » le mélange air essence dans un moteur thermique fut Louis Renault qui déposa un brevet en 1902.
     
  4. « Choumac », le chaudronnier aéronautique, spécialiste du formage des tôles d’aluminium.

 

claude storez,porsche zagato

- Sources : pilotos-muertos.com, panhard-racing-team.com, Porsche Club 356 France, Forums Caradisiac, Motorlegend…

- Illustrations ©D.R.

Commentaires

Belle initiative Raymond que de rouvrir les tiroirs de l'oubli... A mon avis pas mal de lecteurs vont apprendre l'existence et le parcours de Claude Storez... C'est mon cas et j'ai apprécié cette note qui sort des sentiers battus et nous change les idées !

Écrit par : F.Coeuret | 11 décembre 2020

Répondre à ce commentaire

Toujours excellent de lire ces récits d'anciens pilotes où l'on apprend des choses que l'on ne devinait pas. Merci pour ce partage.

Écrit par : Daniel Robin | 11 décembre 2020

Répondre à ce commentaire

Écrire un commentaire