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27 avril 2021

Jim Redman : Tears of Blood

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 Voilà cinq ou six ans, je me trouvais à Montlhéry pour une manifestation historique. La journée se terminait et je me préparais à récupérer ma Yamaha afin de rentrer chez moi. Je tombe alors sur un van où était marqué « Jim Redman ». Intrigué, je me suis rapproché... et c’est comme cela que l’on rencontre des légendes vivantes.

J’ai parlé un long moment avec Jim et sa femme Kwezy (la photo est d'elle). Jim était heureux de raconter ses histoires en anglais à un petit « frenchie », moi j'étais comme envouté, ce fut un de ces moments magiques qui arrivent de temps en temps dans la vie et à coté desquels il ne faut pas passer. Cette rencontre m’a incité à faire mieux connaissance avec un sextuple champion du monde de Moto, un homme souvent associé aux mythiques Honda 6 cylindres. Je me suis alors procuré sa biographie, - of course in english -. Je vais m'efforcer de vous en livrer les meilleurs extraits, avec un montage sous forme de flashbacks comme au cinéma. Nous voici plongés dans le chapitre 8.

Francis Rainaut

( Tears of blood : des larmes de sang )


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Tom Phillis, Alan Shepherd, Jim Redman

 

la Dream Team Honda

"En 1962, notre équipe s’était étoffée avec l’arrivée de Bob McIntyre en tant que membre du team à part entière, et Honda avait sorti un plus gros moteur afin que nous puissions aussi concourir dans la classe 350. Honda avait également produit une nouvelle moto pour la catégorie 50cc. En concertation avec Honda, nous avons décidé que notre stratégie pour l’année serait que Tom Phillis devait remporter le titre mondial dans la catégorie 50cc, que Kunimitsu Takahashi, avec mon aide et celle de Luigi Taveri, gagnerait la 125cc, que je gagnerais la 250cc avec le soutien de Bob McIntyre, qu’enfin Bob gagnerait la 350cc avec moi derrière en soutien. Bien sûr, tout pourrait changer en fonction de nos résultats au fil de la saison. Néanmoins, notre plan était de monter en puissance et de gagner quatre Championnats du monde cette année-là - dont deux auxquels nous n’avions jamais participé auparavant - et nous pensions avoir de bonnes chances de le faire.

Honda souhaitait ardemment qu’un pilote japonais remporte un Championnat du Monde pour la première fois, qui plus est sur une Honda. Parmi les deux ou trois pilotes japonais qui courraient avec nous, Kunimitsu Takahashi fut choisi comme le plus talentueux et le plus capable d’y parvenir. Gardez à l’esprit que la courbe d’apprentissage était difficile pour tous les coureurs japonais, car ils n’avaient pas de passé dans la course et avaient à apprendre les circuits que la plupart d’entre nous connaissait bien des années précédentes. Honda nous a demandé à tous si nous pouvions aider Tak San à remporter le Championnat 125 et bien sûr, nous étions trop heureux de le faire. Nous aimions tous Tak San et le souhait de Honda n'était pas discutable, malgré le fait qu'Honda nous ait toujours demandé d’aider plutôt que de donner des consignes, ce qui au final a généré un bon esprit d’équipe.

Tout le monde n’a pas apprécié nos plans et à cause d’un petit incident qui s’est produit lors du premier GP au Parc Montjuich à Barcelone, notre équipe a été sévèrement critiquée par la presse. Pendant une grande partie de la course, Luigi et moi étions devant, bataillant ferme pour battre les coureurs d’une autre équipe - je pense que c’était MZ - et Tak San était un peu plus loin en arrière. Vers la fin de la course, l’opposition a lâché prise. Luigi et moi avions alors une bonne avance sur Takahashi, donc nous avons ralenti et l’avons laissé nous passer pour gagner. Luigi et moi avons essayé de finir ensemble pour la 2de place, mais ils me l’ont attribué. Honda était ravi, nous a chaleureusement remerciés, nous étions heureux pour Tak San, qui était au septième ciel. Notre stratégie d’équipe fonctionnait ! Néanmoins, la presse ne nous a pas loupé, leurs titres claironnaient « S’il vous plaît M. Honda, laissez les gagnants gagner. »

 

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Jim Redman, Luigi Taveri, Kunimitsu Takahashi

Tak San

Ce fut donc un vrai soulagement de voir dès le GP suivant à Clermont-Ferrand un scénario totalement différent. Il pleuvait pour le départ de la course 125 et Tak San nous a tous passés de façon imparable pour s'échapper en tête, surfant brillamment sous la pluie et remportant la course avec plus d’une demi-minute d'avance. Aucun d’entre nous n’aurait rien pu faire pour l’arrêter, même si nous l’avions voulu. C’était satisfaisant que Takahashi ait pris sa revanche sur la presse, et en plus avec la manière. Malheureusement pour lui, lors du TT sur l’île de Man, Takahashi est tombé à Union Mills, à quelques kilomètres du premier tour, et s’est blessé si sévèrement qu’il a dû arrêter la course pour le reste de la saison. En réalité il a eu énormément de chance de survivre.

Cela signifiait que Luigi, qui avait remporté le TT a la régulière, fut choisi comme notre principal pilote pour gagner le Championnat du Monde 125, une décision qui nous satisfaisait tous car Luigi était un membre très apprécié de notre équipe. Le TT, soit dit en passant, a toujours été traité différemment des autres épreuves du Championnat du Monde. Il n’y avait pas de consignes d’équipe, c’était chacun pour soi, et que le meilleur gagne. La raison de cette politique était le prestige associé à la victoire du TT, une course si difficile et si dangereuse. Les espoirs de Honda ont donc été tournés sur Luigi Taveri pour remporter le titre, à commencer par le GP d’Assen en Hollande. Luigi a plus que justifié la confiance de Honda car il a gagné non seulement cette course, mais aussi le titre cette année-là.

 

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Au TT, j’étais supposé couvrir Bob McIntyre sur la 350, mais Tom Phillis m’a demandé de lui laisser ma machine puisqu’il n’y avait que deux 350 disponibles, et il savait que je n’aimais pas le TT autant que lui. Ce n’était pas la classe que je visais et comme j’avais l’intention de remporter le titre 250 et n’être qu’un soutien pour Bob dans les 350, les points n’avaient pas d’importance et j’étais heureux de laisser ma place à Tom qui le souhaitait ardemment.

Je n’ai jamais oublié l’importance des relations humaines ni la force de l’amitié. Sur une épreuve, chacun court pour lui-même, mais une fois la ligne passée, nous aimions nous détendre autour d'une bière les rares fois où notre horaire serré le permettait. Tom et moi sommes devenus de très bons amis, ce qui l’a aidé à me faire une place dans l’équipe Honda ; c’était un gars en or.

Un jour, un coureur est là, le lendemain peut-être pas. La mort d’un jeune homme en bonne santé est toujours un terrible gâchis, mais quand elle touche un proche, cette injustice devient presque insupportable. Pour cette raison, 1962 a été l’une des meilleures années de toute ma vie parce que j’ai remporté les 250 et 350 titres, et l’une des pires à d’autres égards. Trois de mes meilleurs amis sont morts cette année-là.

 

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Tom Phillis

Tout d’abord, ce fut Tom Phillis, l’un des meilleurs coureurs du monde. C’était aussi un de mes meilleurs amis et, en ce qui concerne l’équipe, l’un des gars les plus faciles à côtoyer et le meilleur coéquipier qu’un coureur puisse avoir. Je ne me souviens pas avoir jamais entendu une mauvaise chose racontée à son sujet. Malgré son attitude décontractée typiquement australienne, son sens particulier de l’humour et sa façon très lente de mener sa barque, tout le monde l’aimait, l’admirait et le respectait. Cependant dès qu’il enfourchait sa moto, il devenait une personne différente : d’abord et avant tout un grand champion très difficile à battre.

Il avait une soif incroyable de gagner, mais un trait chez lui m’inquiétait ; il montait au-delà de sa capacité naturelle si quelqu’un le passait. J’ai essayé de lui dire d’être plus prudent, mais son attitude était : plus forte était l’opposition, plus il aimait ça. Tom et moi étions très proches et nous avons souvent partagé une chambre d’hôtel sans nos femmes. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, en compétition les uns contre les autres dans de nombreuses courses, mais au cours de cette année le destin a décidé que le sport qui nous avait réunis nous déchirerait violemment. Quand Tom a été tué dans l’île de Man TT, le choc a été si terrible que j’ai sérieusement pensé à arrêter la course. J’avais le cœur brisé et j'étais complètement perdu. À la mort de Tom, j’ai pleuré : moi, surnommé « L’Homme de fer » moi, que beaucoup d’entre eux diraient incapable d’émotion ; moi, le soi-disant calculateur, intéressé seulement par l’argent et les honneurs.

Dans le microcosme des sports mécaniques de l’époque, le fait est que la mort subite faisait partie du boulot : nous le savions et avions essayé de nous y préparer. Chaque fois que l’un de nous est tombé, les autres ont essayé de ne pas montrer leurs sentiments et, surtout, de ne pas trop en parler. Nous savions que l’épée pendait juste au-dessus de nos propres têtes.

Curieusement, en ce jour sinistre, en fait Tom n’aurait pas dû courir. Bob McIntyre et moi avions été choisis pour piloter les nouvelles 285cc, mais Tom m’a supplié de lui laisser la mienne. Nous étions là pour battre les MVs italiennes pilotées par Mike Hailwood et Gary Hocking ( qui avaient remporté cette course quatre années consécutives ). Tom, comme d’habitude, était prêt à relever le défi et, même si nous avions tous les deux dû participer aux courses de 125 et 250, il voulait avoir une chance de battre les MVs. J’étais d’accord car je savais que Tom aimait le TT alors que je le détestais et qu’il connaissait le circuit aussi, ou mieux, que n’importe qui d’entre nous, alors il a pris ma position sur la grille de départ. Je suis allé voir le début de la course avec la femme de Tom, Betty, et son jeune fils Brad. La fille de Tom, Debbie, était à l’école maternelle avec mon fils Jimmy. Après le départ, nous avons laissé Betty près de la ligne d’arrivée et Marlene et moi sommes allés regarder la course depuis le bas de Bray Hill.

 

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Gary Hocking, Mike Hailwood

 

Dès le départ, ce fut une course serrée. Gary Hocking a pris la tête, suivi par Mike Hailwood et Tom. Après le premier tour, les trois étaient encore très proches, collés l’un derrière l’autre, mais j’ai pu voir que Tom roulait trop fort contre deux des meilleurs coureurs que le monde n’ait jamais vus. Il semblait impossible qu’il puisse suivre un tel rythme, mais il a réussi à les suivre en prenant plus de risques. Au bas de Bray Hill, les MVs sont passées avec aisance avec Tom juste derrière, sautant et se tortillant sur la Honda.

Environ au tiers du deuxième tour ( la course comprenait 6 tours de plus de 37 miles ), nous avons cessé d’entendre le nom de Tom dans les commentaires des haut-parleurs. C’était très mauvais signe, et je le savais. Habituellement, si un coureur abandonne pour une raison quelconque, pour rassurer la foule, le commentateur annonce quelque chose comme « Le coureur vient de se retirer de la course en raison d’un problème technique » ou bien « Le coureur a eu un incident, mais il va bien. » Mais pour Tom il n’y avait rien ... Mon cœur a commencé à battre très rapidement parce que, d’une façon ou d’une autre, je savais juste qu’il s’était écrasé et qu’il était mort. J’ai attendu, priant pour entendre un mot sur Tom, tout en sachant, au fond de moi-même, que c’était sans espoir.

J’ai dit à Marlene, sans mentionner mes craintes : « Maintenant que Tom est sorti, allons chercher Debbie et Jimmy à l’école maternelle et retournons aux stands. » Nous avons recueilli les enfants et en regardant la jeune Debbie, je pensais qu’elle n’allait pas vraiment connaître son père. Cette certitude que j’avais que Tom était mort était la chose la plus étrange, et la première fois quelque chose comme ça m’arrivait : je savais, mais j'ignorais pour quelle raison je savais.

On est entrés dans le paddock. Un des garçons des pneus Avon s’est arrêté vers moi pendant que j’arrêtais la voiture et avant qu’il ne puisse parler, j’ai dit : « Il est mort, n’est-ce pas ? » et il hocha la tête. Je suis allé tout de suite voir notre team manager, Reg Armstrong, qui m’a dit que, essayant de suivre Hocking et Hailwood, Tom s’était écrasé dans le mur de Laurel Bank, l’une des parties les plus délicates et les plus dangereuses du circuit. Il n’avait que 28 ans.

La nouvelle m’a assommé. Betty, la femme de Tom, ne s’est jamais remis de sa mort, mais elle savait que Tom n’aurait jamais cessé de courir parce que c’était sa vie et, comme lui, elle a accepté les joies et les risques. Tom n’était pas ce qu’on appellerait un diable, mais il aimait pousser sa machine à la limite. Combien de fois l’avais-je vu prendre les courbes si larges et inclinées avec un angle incroyable que je pensais qu’il ne serait jamais en mesure de se relever à nouveau, mais chaque fois il l’a fait.

 

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En 1961, Tom avait participé à des courses phénoménales avec la moto d’Ernst Degner dans les courses classiques de 125. La MZ d’Ernst était beaucoup plus rapide que la Honda et Tom semblait être collé à elle. À l’époque, je me souviens avoir suggéré qu’il devrait ralentir, ou du moins être plus prudent. Sa seule réponse a été : « Plus mes rivaux vont vite, plus j’aime la course. Je préfère de loin arrêter la course plutôt que de ralentir... » C’est comme ça qu’il était ; un être humain exceptionnel avec un désir incroyable de gagner.

Après la mort de Tom, Honda a veillé à ce que Betty ne souffre pas financièrement, les mécaniciens avaient même fait une collecte pour l’aider. Par la suite, des gens du monde entier ont fait un don à une fondation mise en place pour aider financièrement les familles endeuillées de cette façon. J’ai été brisé et, pendant un certain temps, ne pouvait pas supporter le monde de la course de motos avec sa tension continue et cette concurrence absurde. J’étais cynique et dur envers les autres, ne parlait pratiquement plus à personne et devenait morose.

C’est alors que Bob McIntyre m’a pris sous son aile et a fait de son mieux pour me remonter le moral. Cet Écossais fort et sérieux était franc et direct dans ses discussions et n’était pas du genre à perdre son temps dans des subtilités. C’était un homme entier, dur et intransigeant. Bob avait rejoint l’équipe Honda en 1962 et avant cela, même si je ne le connaissais pas très bien, je connaissais ses exploits incroyables. « L’Écossais volant », comme Bob fut affectueusement surnommé, avait été l’un des meilleurs pilotes TT jamais vu, et était connu comme étant le meilleur coureur à n’avoir jamais remporté un Championnat du Monde. Nous avions désormais appris à mieux nous connaître et à nous apprécier, et j’ai découvert que ce qui se cachait derrière ce masque impassible était un individu très prévenant, chaleureux et plein d’humour qui gagnait à être connu. La mort de Tom nous a rapproché et a renforcé notre amitié. Quand je voulais tout abandonner, il n’arrêtait pas de me dire que, quoi que je pense ou que je fasse, rien ne ramènerait Tom. Donc, pour l’amour de Tom, Bob m’a dit de me ressaisir et de continuer ma carrière et, petit à petit, j’ai trouvé le courage de faire ce qu’il a dit.

 

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Gary Hocking

Gary Hocking était décidé à mener une action plus décisive car il disait que c’était de la folie d’aller si vite sur des pistes aussi dangereuses sans pratiquement aucune mesure de sécurité. Cela le contrariait que même si nous étions tous de si bons amis, tant d’entre nous se fassent tuer à cause de la façon dont nous nous poussions les uns les autres, essayant toujours un peu plus. Il a dit que si nous devions continuer comme ça, il n’y aurait plus aucun d’entre nous, alors il a emballé les motos après la TT et est retourné directement à l’usine MV. Là, dans une interview avec le comte Dominique Augusta, Gary a demandé à être libéré de son contrat. Le comte respecta le point de vue de Gary et le laissa pour que Gary puisse prendre sa retraite et rentrer chez lui en Rhodésie. Je sais que c’était une décision très difficile pour Gary, d’autant plus qu’il venait d’atteindre le sommet. Il a déclaré à un journaliste dans une interview qu’il en avait assez de voir de jeunes coureurs tués sur les circuits de course, et le fait que certains d’entre eux étaient des amis proches lui avait fait réaliser à quel point il risquait sa propre vie. Le monde de la course moto était encore fabuleux et le danger faisait partie du jeu, mais il ne pouvait plus le gérer. Gary était à la fois un grand coureur et un perfectionniste. Je me souviens quand il a commencé la course, il ne courrait pas jusqu’à ce qu’il ait réglé son Tiger 110 à la perfection car il était déterminé à gagner sa toute première course. Il l’aurait fait aussi, sans un petit problème technique.

Gary avait tellement confiance en lui que quand il a découvert que j’étais deuxième à mon premier meeting à Brands Hatch, il a immédiatement vendu tout ce qu’il possédait pour sauter dans le premier avion au départ pour l’Angleterre. Il pensait qu’il pouvait faire beaucoup mieux que moi, même s’il n’avait même pas de moto. Gary - dont le surnom était « Sox », même si je ne sais pas pourquoi, même si c’était peut-être parce qu’il ne les portait presque jamais - était un mélange de douceur, de réserve et de ténacité et aimait la vie plus que tout. Il était aussi très religieux, lisant un passage de la Bible tous les soirs avant d’aller se coucher. Il a dit qu’il s’était mis entre les mains du Seigneur. Quand il a commencé la course automobile, il était tellement doué que les champions de l’époque ont prédit qu’il aurait une carrière exceptionnelle.

 

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1962 - Gary Hocking, Lotus 18/21

 

Malheureusement pour Gary, il n’a jamais eu le temps de faire toutes les grandes et merveilleuses choses prévues pour lui. Il s’est tué sur le circuit de Westmead près de Durban, au volant d’un Lotus Climax V8 que Stirling Moss était censé avoir conduit. Moss avait dû se retirer de la course à la suite d’un accident qu’il avait eu à Goodwood. La mort de Gary a été un autre coup dur d’autant plus qu’il m’avait dit, le week-end même où il a été tué, que la course automobile était tellement plus facile que la course de motos ; en fait, disait-il, le vrai danger était que c’était si facile que vous étiez bercé par un faux sentiment de sécurité.

 

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Bob McIntyre

En attendant, Bob, moi et les autres avons enchaîné après le TT de Man le Dutch TT d’Assen où j’ai gagné ma course 250 avec Bob deuxième, puis j’ai gagné la course des 350 où Bob a eu des problèmes. C’était la première fois que j’avais un vrai duel roue dans roue avec Bob sur mon circuit préféré, et j’étais très fier de découvrir que je pouvais battre assez confortablement le grand Écossais ! Bob a remporté la course des 250 la semaine suivante à Francorchamps en Belgique, avec moi échouant à la seconde place en raison d’un problème mécanique dans le dernier tour. Je menais quand nous sommes passés au virage très rapide de Stavelot en bas de la piste, et là mon moteur a serré. J’ai réussi à débrayer et à corriger le travers ; alors que je redressais ma machine, Bob est venu à côté et m’a regardé avec interrogation, alors je lui ai fait signe de gagner ( rappelez-vous, c’était la course 250 et mon boulot était de l’emporter ). Au moment où Bob s’est éloigné, je me suis dit, je me demande si cette moto va redémarrer et me faire terminer deuxième ? Je me suis levé haut sur les pieds et j’ai cogné sur le siège, lâchant simultanément l’embrayage pour démarrer le moteur. La roue arrière a dérapé, mais j’allais encore très vite et tout à coup le moteur a recommencé à tourner lentement sur trois cylindres. Alors que je roulais lentement, je pouvais sentir des morceaux de moteur frapper ma jambe gauche au fur et à mesure que le moteur rendait l’âme, mais il a tenu. Ceux qui ont le sens de la mécanique sauront que ce petit moteur était un véritable chef d’œuvre d’ingénierie pour avoir résisté de cette manière. Comme je me trainais jusqu’à l’épingle de la Source, dernier virage avant l’arrivée, Luigi réussit à me rattraper. Nous avions cependant un tel esprit d’équipe qu’il a freiné avec énergie et m’a suivi dans le virage et sur la ligne pour me laisser récupérer les points la deuxième place. Je l’ai bien sûr chaleureusement car, à ce stade, chaque point comptait pour mon titre.

J’ai disputé une course internationale sur le continent et Bob est retourné en Angleterre pour une course à Oulton Park. Sa Norton a dérapé et il est sorti de la piste, heurtant un pont ou des arbres alors qu’il roulait à grande vitesse, et Bob a été éjecté de sa machine comme une poupée de chiffon. Pendant neuf jours, il s’est accroché à la vie, avec sa femme, Joyce - qui neuf jours auparavant avait donné naissance à leur premier enfant - pour le soutenir. Puis son cœur a abandonné le combat et ce véritable lion, qui avait semblé indestructible, est mort. Je n’arrivais pas à croire que cela se soit produit ; en un clin d’œil, un autre d’entre nous était parti et cette fois c’était Bob, lui qui semblait invincible. D’abord Tom et maintenant Bob - l’homme qui m’avait aidé à se remettre de la mort de Tom - était mort lui-même seulement deux mois plus tard. Comme avant, je me sentais totalement écrasé, mais la saison n’était pas encore terminée et donc le spectacle a dû continuer.

 

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Curieusement, malgré le choc horrible causé par la mort de Bob, je n’avais aucun désir d’arrêter la course : s’arrêter maintenant aurait été comme prendre la fuite. Avec l’aide de Bob, j’avais accepté la mort de Tom, d’une manière étrange les paroles de Bob m’ont aidé à accepter sa propre mort.

Malgré tout, j’avais toujours cette forte conviction que je survivrai, que je ne mourrai pas, que quoi qu’il arrive, je survivrai. Comme toujours, mon appétit pour la vie m’a permis de traverser cette période très difficile.

Quand je pense maintenant aux nombreux amis qui sont morts violemment à un âge précoce - des gens comme Tom, Bob, Gary, Bob Brown, Dave Chadwick, Harry Hinton, John Hartle, Keith Campbell, Des Woolf, Richard Fay, Bob Anderson, Ralph Rensen, Dickie Dale, Bill Ivy, Alistair King, Peter Ferbache, Florian Camathias, Fritz Scheidegger et bien d’autres - je me considère incroyablement chanceux d’être encore en vie aujourd’hui. En même temps, je me sens souvent très nostalgique de cette époque. En 1962, nous avons commencé la saison avec nous cinq ( Tom, Mike Hailwood, Bob, Gary et moi-même ) en course pour le Championnat du Monde 350 ; à la fin de l’année, j’avais gagné - avec Mike deuxième - mais les trois autres étaient morts. Les jeunes gens, tous dans la vingtaine, ont disparu dans la fleur de l’âge. Comparez cela à la course d’aujourd’hui où les mesures de sécurité sont bien meilleures. Vous pouvez imaginer mes sentiments quand, après avoir survécu à tous ces accidents de moto et de course automobile - 16 en un an a été son meilleur score - Mike Hailwood a été tué dans un stupide accident de la route.

Je suis très fier d’être l’un des derniers survivants de cette période, même si je ne parviens qu’à garder vivante la mémoire de ces grands pilotes qui couraient dans ce qui s’est avéré être la plus grande époque de l’histoire du sport..."

Jim Redman, traduit par Francis Rainaut

 

Jim Redman - Six Times World Motorcycle Champion. The Autobiography
©Veloce Publishing PLC 1998

Commentaires

bonne idée, merci pour cette traduction !! que de drames :(

Écrit par : Manu Lacherie | 27 avril 2021

Gros travail de traduction qui nous permet de découvrir Jim Redman. Merci Francis de nous livrer (sur un plateau) ces tranches de vies souvent tragiques mais captivantes.

Écrit par : F.Coeuret | 27 avril 2021

Super boulot en effet avec ces morceaux choisis ! Merci !

Écrit par : Marc Ostermann | 29 avril 2021

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gary_Hocking
Avec un bon résumé de sa très courte carrière auto

Écrit par : Hervé Smagghe | 29 avril 2021

Beaucoup moins connu: Jim Redman lui aussi a frôlé les portes de la F1.
A suivre bientôt sur Racing' Memories...

Écrit par : RMs | 29 avril 2021

Les commentaires sont fermés.