03 février 2022
24H de Daytona 1973, la revanche des GT
Ainsi pourrait être résumé le déroulement de la course américaine en 1973. Un titre trompeur car si de nombreuses voitures participèrent à l’épreuve dans les différentes catégories GT, deux d’entre elles masquaient leur appartenance de classe tout du moins pour la majorité des spectateurs.
François Coeuret
Le constructeur Porsche très impliqué sur le marché américain avait en 1972 confié des 917/10 à des écuries US notamment à l’équipe Penske pour la série CanAm. Soucieux de consolider l’image sportive des évolutions de la 911 aux US, le constructeur allemand souhaitait faire bonne figure à Daytona et Sebring. Le récent modèle 911 RS en ce début 1973 n’a pas encore satisfait à l’homologation GT pour la compétition, la FIA fait traîner l’affaire. L’usine allemande y voit une opportunité, celle de viser la victoire à la distance lors des courses d’endurance se déroulant en Floride début février et fin mars(*). La faible participation des protos 3L en l’absence de la Scuderia Ferrari rend l’affaire envisageable.
Les engagés
La catégorie Sport 3L n’est que faiblement représentée. Mirage engage deux M6 Cosworth, elles sont pilotées par Bell-Ganley et Hailwood-Watson. Matra a acheminé la 670 victorieuse au Mans 72 sur le speedway, les pilotes maison Cevert-Beltoise-Pescarolo sont aux commandes. Lola participe aux 24 H par l’intermédiaire de l’écurie Filipinetti avec la récente T282 aux mains de Wisell-Lafosse-de Fierlant. Reinhold Joest engage une Porsche 908/3 qu’il partage avec Casoni et Blancpain. Viennent s’ajouter à la liste les deux Porsche RSR des équipes Sunoco Penske (Donohue-Follmer) et Brumos (Gregg-Haywood) car non homologuées en catégorie GT +2L. L’usine allemande en a profité pour optimiser l’ensemble de la voiture qui peut ainsi recevoir des éléments étrangers au modèle RS de série produit dans un premier temps à 500 exemplaires. Ainsi les suspensions sont modifiées, les freins montés sur les deux RSR sont issus de la 917 tandis que le train arrière surdimensionné est équipé comme à l’avant de pneus racing. La puissance moteur du 2,8L est portée à 310 CV. Porsche a délégué des membres de son équipe pour épauler les deux teams américains. Robert Singer a fait le déplacement en compagnie de mécaniciens. De sorte les deux 911 RSR en provenance directe d’Allemagne peuvent être considérées comme des machines d’usine. Porsche compte sur les deux organisations américaines bien rodées aux contraintes du circuit ainsi que sur des pilotes connaissant parfaitement le terrain.
Le plateau GT est pléthorique selon l’habitude. Parmi les autos les plus performantes en GT +2L on note les Ferrari 365 GTB4 du NART au nombre de quatre pilotées par Migault-Minter, Chinetti jr-Grossman-Shaw jr, Merzario-Jarier, Ballot Léna-Andruet. On relève également une brochette de Chevrolet Corvette. Parmi elles les Greenwood à la préparation jugée optimale (Greenwood-Grable), (Yenco-Johnson) ainsi qu’un nombre abondant de Porsche 911S (2L et +2L).
A noter trois Chevron 2L (B21-B19-B16) catégorie Sport et un peloton de Chevrolet Camaro Z28 en catégorie Tourisme Special. Pour terminer une Ford Mustang, deux Escort, une Porsche 910, une 908/2, une 914/6, une Pontiac Firebird et une Lotus 23.
Les essais, la course
Les Sport 3L dominent bien sûr les essais. Les deux journées furent fortement perturbées par la pluie. L’organisation a mis sur pied une séance le samedi matin sur une piste enfin sèche. La première ligne est occupée par la Mirage de Bell-Ganley et la Matra 670 suivies de la seconde Mirage au côté de la Lola Filipinetti. La RSR la plus rapide est la Brumos en huitième position, la Penske est douzième. Les Mirage dont la partie avant de la carrosserie s’affaissait sur le banking lors des essais ont subi un renforcement pour la course. Le bon vieux Ford Cosworth les propulse. L’objectif est de ménager cette mécanique qui peut manquer de fiabilité sur 24 heures. Un test d’utilisation du V12 Weslake fut lancé en janvier mais des soucis mécaniques ont dissuadé John Wyer qui se replie sur le Cosworth.
Au départ les Mirage prennent la tête tandis que la Matra se positionne en embuscade. Les protos 3L doivent tenir la distance, une gageure pour ces autos mais Matra a prouvé lors des dernières 24 Heures dans la Sarthe que la performance est réalisable. Il faut rappeler qu’en 1972 la course de Daytona remportée par la Ferrari 312PB a été disputée sur 6 heures. Les Mirage, Matra et Lola doivent supporter l’effort des deux tours d’horloge sur cette piste mixte avec un tronçon routier couplé au speedway et son banking qui impose des contraintes spécifiques. Les Mirage sont rapidement en proie à des soucis mécaniques. Bell abandonne vite la première place à cause d’un alternateur desserré. Un problème de bougie puis ensuite d’embrayage ralentit considérablement l’auto. Cette voiture abandonnera finalement sur une seconde casse d’embrayage. Hailwood-Watson sont en tête alors que le soleil tombe sur le speedway. La Porsche de Joest est provisoirement troisième devant la Porsche Brumos de Gregg-Haywood et celle de Penske. Vers 19H la seconde Mirage s’arrête sur un problème d’embrayage. La Matra 670 qui roulait à distance prend la première position aux mains de pilotes rompus à cette épreuve d’endurance. L’équipe française va-t-elle rééditer son exploit du Mans ?
La situation semble favorable, la Matra roule un ton au dessus des RSR à un rythme de croisière modéré compte tenu de ses possibilités. Au fil de chaque tour les observateurs néophytes n’ont pas besoin de regarder la piste pour savoir que la voiture française va passer. Ils n’oublieront pas de si tôt la mélodie de son V12. La Matra tient sa position toute la nuit. Au petit matin, elle poursuit son « petit bonhomme de chemin ». L’espoir monte dans le clan français mais un coup de tonnerre retentit à 12H30 lorsque le V12 rend l’âme brutalement alors que Cevert au volant tirait 9500 tours maxi. Les protos sont décimés alors que les ennuis ont poursuivi la Porsche Joest et la Lola Filipinetti. Seule la Mirage rescapée mais retardée peut espérer des défaillances sur les Porsche de tête. Hailwood et Watson la cravachent pour remonter.
Epilogue
La voie est cependant libre pour les RSR. Les aléas des arrêts aux stands ont porté la Penske en tête avec deux tours d’avance sur la Brumos qui a perdu du temps lors de changements de plaquettes et d’un pare-brise. Deux Ferrari 365 GTB4 suivent mais à distance car sensiblement moins rapides, celles de Merzario-Jarier devant Minter-Migault. Elles devancent la Corvette de Heinz-McClure-English. Alors que la Porsche Penske semble se diriger vers la victoire une fumée suspecte annonce un gros souci moteur. Un piston a lâché. L’écurie Penske laisse le champ libre à l’équipe Brumos. John Wyer prie alors pour que la Brumos subisse le même sort mais c’est sa voiture qui abandonne sur un bris de suspension. Gregg-Haywood triomphent à l’issue des deux tours d’horloge. La Ferrari de Merzario-Jarier a abandonné en panne d’embrayage, celle de Minter-Migault termine deuxième devant la Chevrolet Corvette de Heinz.
Aléas
Une petite négligence peut avoir de lourdes conséquences. Aux cours des essais l’équipe Brumos avait remarqué que les boulons de fixation du volant moteur du Flat 6 étaient desserrés lors d’un changement de moteur. Jouant franc jeu l’équipe avait averti Penske qui ne tint pas compte du signalement pensant à une stratégie d’ « intox » de la part du concurrent adverse. Il s’est avéré que cette négligence fut la cause de la casse moteur survenue sur la Porsche 911 RSR bleue nuit. L’équipe Brumos eut une alerte sérieuse dimanche matin lorsque sur le banking Haywood heurte une mouette qui détruit en partie son pare-brise. Ne disposant pas de rechange l’écurie se mit en quête d’un pare brise dans le paddock après une annonce par haut parleur. La Porsche va couvrir dix tours le temps que des mécanos trouvent et démontent un pare-brise de Porsche 911 contre une compensation financière. Par chance le pare-brise heurté n’était pas suffisamment détruit pour que les commissaires voient un danger concernant la sécurité et passent le drapeau noir obligeant un arrêt prolongé au stand. Arrêt qui aurait réduit l’avance de la Porsche blanche aux liserés rouges et bleus.
(*) La course de Sebring en 1973 va entrer dans le cadre du nouveau championnat américain IMSA qui s’écarte du championnat mondial des marques. La Porsche RSR (victorieuse) retrouve un aspect plus conforme à la série dans sa catégorie GTO.
- Illustrations ©DR
16:47 Publié dans h.haywood, jp.beltoise, p.gregg | Tags : gregg, haywood, porsche rsr | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook | |
Commentaires
Belle épopée fort bien racontée, François.
Phénomène plutôt rare dans le milieu des sports mécaniques, Hurley Haywood, cinq fois vainqueur à Daytona, trois fois au Mans et deux fois à Sebring - entre autres -, a fait son coming out en 2018, déclarant notamment ceci :
"La seule chose qu'ils regardaient, c'était combien de temps je gardais le pied sur l'accélérateur. Et tant que je gagnais des courses, les gens n'avaient pas de problème avec [mon homosexualité]. Je laisse parler mon pied droit."
Lui en tout cas ne fut pas "Privé de gloire"...
Écrit par : Francis | 04 février 2022
Répondre à ce commentaireFrancis, bonsoir et merci pour ce rafraîchissement historique relatif aux 24 heures de Daytona et leur nuit bien plus longue qu'en Sarthe. Merci également pour ce clin d'oeil livresque... Bien sportivement ! Philippe Vogel
Écrit par : Philippe VOGEL | 04 février 2022
Répondre à ce commentaireFrancis et François, bonsoir... bien sûr !
Écrit par : Philippe VOGEL | 04 février 2022
Répondre à ce commentaireMa mémoire a des trous, aucun souvenir de cette course .... Merci pour vos articles
Écrit par : Jean-Claude | 15 février 2022
Répondre à ce commentaireÉcrire un commentaire