Une victoire de Chris Amon, la « dernière » du circuit de Solitude, l'ultime apparition en course de Jacques Maglia (1 & 2)... cela fait trois événements suffisamment rares pour qu’une note leur soit consacrée.
(librement adapté d'un article d'AUTOSPORT July 23, 1965)
Francis Rainaut
AMON VAINQUEUR SUR LOLA
Dans une course fertile en rebondissements et en épisodes tragiques, Chris Amon a conduit brillamment pour remporter dimanche dernier en Allemagne le Grand Prix de Solitude de Formule 2. Il fallait pour gagner tout l’immense talent du jeune Néo-Zélandais, parfaitement secondé par l’endurance de sa monture, une Lola-Cosworth du Midland Racing Partnership; jamais l'ensemble ne manqua de rythme.
Alan Rees et Gerhard Mitter amènent leurs Brabham-Cosworth du team Winkelmann aux deuxième et troisième place, le premier nommé réussissant le meilleur tour – nouveau record – pendant la dernière phase, une fois le difficile et sinueux circuit routier de 11,4 km réellement mis en mains.
Cependant la tragédie s'invita lors d'un premier tour mouvementé lorsque le pauvre Jacques Maglia, un jeune Français qui essayait de se faire un nom depuis déjà quelques saisons et semblait enfin sur la voie du succès, sortit de la route avec sa Lotus-Cosworth privée et subit alors de très graves blessures.Avec tout le cirque des Grand Prix parti pour Zandvoort, les équipes de F2 les plus importantes durent trouver d’autres pilotes tandis que cette ardente bande d’enthousiastes, les indépendants, dont la présence dans les différents meetings n’est pas toujours très bien appréciée - financièrement parlant - par les organisateurs, souriait davantage que d’ordinaire.
Les deux transporteurs de Ron Harris amenaient quatre Lotus : la monoplace de Jim Clark victorieuse à Rouen, qui resta dans son camion pendant tout le meeting, une autre avec moteur Cosworth pour Peter Revson (la monture habituelle de Mike Spence) et deux autres motorisées par B.R.M. pour Brian Hart et Hans Herrmann, dont c’était la première sortie F2 sur une voiture réellement compétitive. Les autres Lotus 35 étaient aux mains de l’Autrichien Alban Scheiber, des Français Jacques Maglia et Bernard Collomb et du Britannique Barrie Hart, ce dernier ayant opté pour une motorisation B.R.M., tous les autres étant en Cosworth.
Les deux Brabham du Winkelmann Racing étaient présentes comme de coutume, Jochen Rindt l'habituel coéquipier d’Alan Rees étant remplacé par le gars du coin Gerhard Mitter. Trevor Taylor amenait sa Brabham Aurora Gear par la route depuis le Yorkshire, Jo Schlesser disposait d’une voiture de l’Ecurie Ford-France, Silvio Moser un engagement au nom de Martinelli-Sonvico et Kurt Ahrens le sien en son propre nom. Les derniers entrants au programme étaient les deux Brabham du David Prophet team pour Prophet lui-même et pour le pilote de G.T. Peter Sutcliffe, dont c’était la première expérience en monoplace, et l’ex-voiture d’essai du team Normand de Mike Beckwith. Toutes les Brabham étant motorisées par Cosworth.
Le Midland Racing Partnership amenait trois Lola, une T60 à moteur B.R.M. pour Paul Hawkins, une T60 à moteur Cosworth pour Chris Amon et une Lola-Cosworth T55 de l’année dernière pour le pilote de F3 Roy Pike. Le Merlyn Racing engageait une Merlyn-Cosworth Mk. 9 pour Chris Irwin, tandis que Ian Raby engageait à son compte une monoplace identique. Le Français Eric Offenstadt avait apporté sa Cooper à moteur B.R.M. Pour compléter le plateau on trouvait la Lotus 18/21 d’Ernst Maring (avec un moteur d’1 litre de sa conception utilisant pas mal d'éléments Borgward) et une paire d’anciennes formules Junior ayant bénéficiés d’une rapide remise à niveau pour les mettre aux spécifications F2 (les Cooper Mk3 d’Otto Lux et de Rolf Scheel).
Après une parade interminable composée d’à peu près tous les types de véhicules existants, l’heure des Formule 2 sonnait enfin pour le Grosser Preis der Solitude. Les temps des essais du vendredi avaient décidé de la grille, et tous ceux qui n’avaient pas réussi un bon chrono ce jour-là, quelques soient leurs efforts effectués ce samedi détrempé, se retrouvaient en fond de grille. Revson, Amon et Rees composaient la première ligne, avec Taylor et Mitter tapis juste derrière. Beckwith était le mieux placé de la troisième ligne, devant Ahrens et Brian Hart. Les suivants dans l’ordre étaient: Maglia et Hawkins ; Irwin, Herrmann et Raby ; Barrie Hart et Prophet; Moser, Offenstadt et Pike ; Maring et Collomb ; Schlesser, Sutcliffe et Scheiber ; enfin Scheel et Lux.
Vingt-cinq paires d’yeux anxieux guettaient le starter après que les mécaniciens, les parasites, etc., aient évacués la grille. Le régime des moteurs augmenta, puis diminua après que le signal des 1 mn fut donné. Trente secs., 10 secs., et alors le régime augmenta une fois de plus jusqu’à ce que le starter abaisse le drapeau allemand. Ce fut un départ propre, avec Trevor Taylor jaillissant de la seconde ligne pour prendre la tête dans la première grande courbe à gauche en haut de la colline menant vers la courbe Hederbach, une des parties les plus lentes du tracé. Juste derrière lui suivaient Revson, Amon, Rees, Beckwith et Ahrens, avec Maglia menant le peloton suivant.
Mais ce premier tour devait être un tour fatidique. Les six premiers arrivèrent pare-choc contre pare-choc dans l’ordre Taylor – Revson – Amon – Rees – Beckwith – Ahrens. Ensuite un peu derrière venait Mitter, suivi par Brian Hart dans une Lotus-B.R.M. pas mal amochée se dirigeant tout droit vers les stands. Apparemment Jacques Maglia avait perdu le contrôle d’une manière terrible et tapé très durement, projetant une botte de paille au milieu du circuit. Mitter l’évita, mais Hart fonça droit dessus, tandis que le reste du peloton était ralenti. Maglia était sérieusement blessé, souffrant de fractures aux jambes et à un bras mais aussi d’une perforation du poumon : il fut emmené à l’hôpital où son état fut jugé critique.
La Brabham de David Prophet perdit son huile, glissa dessus et heurta une clôture ; Peter Sutcliffe voyait le moteur de sa Brabham, la seconde voiture du team Prophet , tourner sur trois pattes, mais pour son malheur le cylindre récalcitrant se remit à fonctionner à un moment critique et il sortit de la route, démolissant pratiquement sa monoplace ; Alban Scheiber perdit le contrôle de sa Lotus et endommagea la suspension arrière ; Rolf Scheel aussi abandonna lors de ce premier tour mouvementé, mais sa Cooper semblait intacte.
Pendant ce temps arrivait le peloton de furieux, réellement déchaîné. Rees avait grimpé à la seconde place après deux tours, juste derrière Taylor mais devant Amon, Beckwith, Revson, Ahrens et Mitter, ce dernier étant détaché des autres. Ensuite venaient Jo Schlesser, avec Paul Hawkins tenant à distance Silvio Moser derrière lui. Maring était dernier, une rupture d’embrayage causant finalement son abandon, bien qu’il se soit déclaré enchanté de son nouveau moteur.
Au troisième tour Rees et Amon firent le break, creusant l’écart avec Taylor, Beckwith, Revson, Mitter et Arhens, désormais dans cet ordre-là. Ce fut dans ce tour-là que Hawkins s’arrêta pour se plaindre d’une baisse de pression d’huile sur sa Lola M.R.P. ; il repartit encore mais ça n'était décidément pas son jour car sept tours plus tard un coussinet de bielle de son moteur B.R.M. décida de filer vers de nouvelles aventures.
C’était le jour de Chris Amon : dès le quatrième tour le jeune Néo-Zélandais avait creusé l’écart sur Rees, qui se contentait de défendre sa position contre les attaques du quintet derrière lui. Cependant au sixième tour ce groupe se réduisit à un quartet quand Trevor Taylor - dont la malchance colle décidément à la peau où qu'il aille - s’arrêta sans pression d’huile avec un Cosworth émettant des bruits bizarres.
Avec Amon augmentant régulièrement son avance en tête et Rees sécurisant sa seconde position, l’intérêt se concentra sur la progression de Gerhard Mitter derrière. Comme ce garçon vit à seulement quelques kilomètres du circuit, on peut affirmer sans se tromper qu’il connait très bien les virages de Solitude : en effet, au septième des 18 tours il était troisième, devant Beckwith, Revson et Ahrens, pris dans une lutte entre eux, et visiblement il remontait sur son coéquipier Rees.
Les fréquences cardiaques teutonnes grimpèrent rapidement quand Mitter commença à rattraper Rees. Au onzième tour il était dans les roues de l’anglais, puis ce furent des cris de joie lorsque le commentateur annonça que Mitter l’avait doublé dans la portion du fond pour prendre la tête du duo Winkelmann dans la 12
e boucle. Peu après Rees récupéra la seconde place, mais l’Allemand
riposta pour reprendre l’avantage au 14
e tour. Cependant, en roulant devant, Mitter dévoila sans s'en rendre compte une ou deux de ses recettes secrètes et Rees fit bon usage de ces informations pour repasser et semer son rival allemand, établissant à l'occasion un record du tour en 4 mins. 1,5 secs., soit 105,76 m.p.h.
Mais il était alors trop tard pour tenter quoi que ce soit contre un Amon « volant » qui réalisa une performance vraiment très brillante et méritait largement sa victoire. Au baissé du drapeau Mitter arriva 9,6 derrière suivi par Mitter à 3,7 secs. Peter Revson terminait lui quatrième dans une Lotus-Cosworth Ron Harris en méforme, etc… (3)
Mais que devint alors le circuit de Solitude (4) ? Il fut jugé vétuste et trop dangereux. Le Grand Prix de F2 1965 fut la dernière course internationale disputée sur ce tracé magnifique situé dans le berceau de l’automobile, là d’où provient l’ADN des Daimler-Benz et bien sûr des Porsche. C’est là, tout près de la ville industrielle de Stuttgart - le jardin de la jument - que se déroulèrent de nombreux Grand Prix Auto et Moto de 1924 à 1965. En catégorie moto, Mike « the Bike » Hailwood détient d'ailleurs le record absolu de la piste sur une MV Agusta 500cc, à une vitesse de 160km/h sous la pluie. Hans Herrmann, pilote F1 Mercedes-Benz et vainqueur du Mans en 1970 pour Porsche habite non loin du circuit à Magstadt. Pour finir, les adeptes de GPL (Grand Prix Legends) connaissent fort bien le circuit de Solitude.
- Illustrations ©D.R.
(1) Jacques Maglia fut le « protégé » du poète Jean Genet, relisons ce dernier:
« Cela me paraissait bête au début, me paraît assez grave et assez beau aujourd'hui. il y a un côté dramatique et esthétique de la course bien faite. Le coureur est seul comme Oswald [l'assassin de Kennedy]. Il risque la mort. C'est beau quand il arrive premier. Il faut des qualités d'extrême délicatesse et Maglia est un très bon coureur. Les brutes se tuent. Maglia commence à être assez connu. il deviendra célèbre. »
(2) Jean Genet qui écrivit dans Sport-Auto un billet signé J.G. pour défendre Maglia pris à partie par les policiers de Monza et cependant vainqueur du 5e G.P. de la Loterie en 1963. Voir: A Monza les Italiens n'étaient pas à la fête
(3) Résultats: V Grosser Preis der Solitude 1965
(4) Pour en savoir davantage, un site superbe: solitude-revival.org