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05 septembre 2014

Autodromo Nazionale di Monza

monza 1970,jochen rindt

Des Houches – entrée de la vallée de Chamonix - à Monza, il n’y a jamais que 261km, ceci depuis que le Tunnel du Mont Blanc a récemment été terminé. C’est nettement moins que la distance du Grand Prix d’Italie 1970, qui lui en totalise 391. C’est la fin des vacances, Monza c’est notre ultime récré avant la rentrée au « bahut », départ le 4 septembre.

par Francis Rainaut

- Voir aussi: Monza, septembre 1970


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L'année dernière on a levé le pouce pour se rendre dans le parc de la Villa Reale. Mais cette année j'irai avec le cousin Jo au guidon d'une vénérable DKW Rt250, on a  rendez-vous avec les autres venus en stop devant le paddock. La décavée, ancêtre de toutes les japonaises 2 temps, a été relookée orange papaye et noir mat, ce qui bien évidemment change tout ! A se demander d'où nous est venue cette inspiration... Et puis DKW c'est aussi Auto-Union, la marque aux anneaux, il est vrai qu'à cette époque on s'en fiche un tout petit peu.

Question permis, je me suis inscrit à la licence moto pour la rentrée, mon pécule gagné cet été à la Saviem a été réinvesti dans une Moto Morini, en attendant je peaufine mon expérience sur les routes italiennes, E basta con carabinieri !

Mes cousins et moi on va à Monza en espérant surtout voir gagner une Matra. On ne sait pas encore que le châssis MS120 est loin d’être à la hauteur du MS80, on imagine encore que ça n’est qu’une histoire de moteur qui peut toujours progresser en puissance et en fiabilité.

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Après tout, les BRM étaient bien à l’agonie il y a quelques mois. Puis tout s’est mis en place : nouvel ingénieur, nouvelle livrée « classe » et pour finir victoire éclatante sur le juge de paix qu’est le circuit de Spa, le vrai, celui de quatorze et quelques kilomètres, celui qui « différencie les hommes des petits garçons » enfin d'après Dan Gurney. Quant au boxer Ferrari, il ne fait que monter en puissance, comme ses pilotes, l'ancien et les deux italiens (ou peu s'en faut), quatrièmes tous les deux dès leur premier Grand Prix. Les douze cylindres sont bien là, on parle en coulisse d'un futur V12 Ford Weslake, les jours du V8 sont comptés.

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Alors ça pourrait bien être le jour de l'équipe Matra-Elf, c'est peut-être bien pour un futur podium, ou bien encore parce qu'il fait vraiment très chaud que JPB se fait rafraîchir la coupe à l'intérieur du paddock, celui avec les pavés rouges et les portes vert olive. Et nul besoin de tirer un rideau de fer, « notre » Beltoise n'a rien à cacher, Bernie n'est encore « que » le manager d'un pilote largement en tête du championnat du monde, il ne gère pas encore les accréditations et encore moins les « Hospitality », un mot qui de toutes façons n'existe pas encore dans l'univers de la Formule 1, encore moins chez les amateurs de sport.

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Le paddock pour le moment, on en fait notre affaire. Deux méthodes au moins: escalader le grillage, ou encore distraire l'attention de l'un des deux cerbères - ou plus exactement gardiens, le paddock est tout sauf l'enfer - postés à l'entrée principale, c'est la deuxième qui a notre préférence. Pour la tribune au-dessus des stands, c'est la méthode italienne, génie et inventivité : un même billet attaché à un fil peut ainsi donner l'accès à une vingtaine au moins de tifosis dont nous faisons partie, évidemment.

"Le soir tombe sur cette route
En passant vous souriez
Vous vous amusez sans doute
De ce que je suis à pieds..."

Mon frère arrivé plus tôt assiste aux essais du jeudi, ceux où les Formule 1 n'ont pas encore oté leurs ailerons. La DKW nous joue en effet un tour à sa façon en serrant peu avant d’arriver sur Milan. Qu’à cela ne tienne, nous sommes au paradis de la mécanique et le patron jovial d’un petit atelier nous assure qu’il aura le nouveau piston en début de semaine, qu’il se charge de le remonter après avoir réalésé, il nous promet aussi que nous pourrons repartir en France sans trop de retard, rentrée oblige ! Prendi la cosi... D'ici là la vieille dame sera bien au chaud. Première séance loupée, donc.

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Il fait beau ce samedi 5 septembre, cela promet d'être une belle journée. Première étape, le paddock : t'as vu, Jean-Pierre, il ne veut pas avoir les cheveux aussi longs que Johnny (Servoz). A l'époque, la longueur de cheveux, c'est un sujet sérieux avec lequel on ne blague pas. D’un garage à l’autre, on touche de très très près notre passion. C'est normal, nous sommes dans le temple de la vitesse. Tiens, regardes, Regazzoni n’est pas encore passé à l’intégral.

Un peu plus tard: alors tu l'as vue la Tyrrell ? C'est vrai qu'elle ressemble à la MS80 ? Et Fittipaldi, qu'est-ce qui lui est-il arrivé ? La F1 c'est pas la F3, même si Ronnie...

Ensuite on est monté sur la terrasse au-dessus des boxes, pour voir la deuxième séance d’essais « in situ ». Les Ferrari, à l’inverse des Matra, paraissent très en forme, oubliée la débâcle de 1969. Certains pilotes ne sont pas sûrs de se qualifier, elle n'est pourtant pas vilaine cette M7D Alfa...

monza 1970,jochen rindt

Et puis soudain, le volubile commentateur italien se mit à parler d’une voix plus solennelle, mezzo forte,  nul besoin de parler italien pour comprendre qu’il venait de se passer quelque chose de très grave. On devina les mots Rindt, Lotus, grave incidente, Parabolica…

Alors en très peu de temps une chape de plomb s’abattit sur le circuit. Je ne me souviens plus comment, mais rapidement la nouvelle du décès de Jochen Rindt a circulé dans le Parc de Monza. A la fin de l’après-midi, l’information était devenue officielle. Nous étions choqués et même atterrés d'apprendre qu’un champion qu’on était tranquillement en train de filmer quelques heures avant venait de perdre brutalement la vie.

monza 1970,jochen rindt

Lentement les qualifications reprennent… On retrouve cinq V12 dans les trois premières lignes, mais aucun qui puisse nous faire entendre le chant du coq, chez les gaulois seul le « débutant » François Cevert s’en sort à peu près bien avec sa rustique March 701, après une grosse frayeur lors des premiers essais. Ne parlons pas d'Amon, quelle folie d'avoir lâché Ferrari !

Le dimanche est comme on le sait un autre jour, nous étions venu voir un Grand Prix de Formule 1, lo spettacolo deve continuare...

Le quasi italiano (1) Gian Claudio « Clay » Regazzoni saisit crânement sa chance, un peu à la manière d’un Daniel Ricciardo en 2014. Une nouvelle fois Beltoise tira le maximum de sa MS120 pour accrocher le podium. Cette victoire arrangea tout le monde, les tifosis fêtèrent comme il se doit la victoire Ferrari (2), Jochen lui gardait toutes ses chances d’être sacré champion du monde, du moins à titre posthume. Champion du monde il l’était incontestablement, il avait ébloui la saison de toute sa classe. On était loin des débuts turbulents du blouson doré de Graz, s’en rappeler nous avait rendu le personnage d’autant plus sympathique, pas vraiment conforme aux standards de la profession. Pas une pop star, mais presque. On n'oublia pas de se joindre à la marée humaine qui déboula sur le tarmac, pour fêter les héros du jour. Au sein d'un temple, il est important de communier.

 

©Motor Racing Diary Vol10

En quittant Monza le lendemain, on avait tous vieilli de quelques années en un seul week-end. La faucheuse cette fois, on l’avait vue à l’œuvre presqu’en face de nous, elle n’avait plus la forme d’un communiqué abstrait lu dans les potins de Sport-auto ou entendu à la radio. Peu de temps après le grand Jimi tira sa révérence, s’en fut alors bien fini de l’enfance et de son innocence.

On récupéra la DKW réparée avec un peu de retard, Ma scusi !, on occupa le temps en flirtant un peu avec la fille du mécano, et dans l’affaire j'arrivais en retard pour la rentrée scolaire.

Mais quelle importance cela pouvait-il bien avoir, à coté tout ce que l’on avait vécu en quelques jours...

"Oh, a storm is threat'ning
My very life today
If I don't get some shelter
Oh yeah, I'm gonna fade away

War, children, it's just a shot away
It's just a shot away..."

monza 1970,jochen rindt

 

Epilogue:

monza 1970,jochen rindtLors d'un récent voyage touristique à Milan, j’ai tenu - en plus de la célèbre Scala - à rendre visite à ce cher « Autodrome Nazionale », même en l’absence de toute manifestation sportive. Sitôt arrivés nous nous sommes dirigés vers l’ancien paddock afin de retrouver le décor et un peu de cette ambiance des 60’. Exercice difficile, pour autant les garages sont toujours là, même si leurs portes ont troqué la couleur vert olive contre un plastique blanc nettement plus vulgaire. Au sol toujours les mêmes pavés rouges, il ne leur manque que la parole pour nous raconter toutes ces histoires de 12 cylindres Ferrari, de Surtees, de Pedro, de Jackie, de Niki et de tous les autres bien sûr, parmi lesquels figurera toujours en bonne place l’autrichien Jochen Rindt (3).

 

Cela ne dérangerait probablement ni les joggeurs, ni les familles, encore moins les calmes promeneurs arpentant les allées majestueuses du Parco Di Monza.

monza 1970,jochen rindt

 

monza 1970,jochen rindt

 

(1) Originaire du Tessin, seul canton suisse exclusivement italophone.

(2) Après quatre années d'abstinence.

(3) Revoir Nina Rindt l'année dernière à Montlhéry, accompagnée d'Helen & Jackie Stewart, fut un autre grand moment d'émotion.

 

monza 1970,jochen rindt

- Photo 9 ©D.R..

- Autres photos ©Rainaut Frères

Commentaires

Bravo et merci Francis pour cette évocation de Monza ( et tous les articles précédents).
Ces photos ont le charme de l'authenticité et le gout de l'exclusivité.
Mais sais-tu ce qu'a Beltoise sur la poitrine? un pansement?

Écrit par : JP Squadra | 10 septembre 2014

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Merci Jean-Philippe, il ne m'a fallu que 44 ans pour redécouvrir ces 22 diapos prises par mon frère lors de notre week-end italien. L'authenticité, sinon la résolution est bien "HD". Moi j'officiais à la caméra super8,... que l'on n'a hélas plus revue après la dernière nuit à la belle dans le Parco di Monza.
Je pense que Jean-Pierre porte sur la poitrine les stigmates de son accident de Reims, je les ai déjà vus sur d'autres photos. Dans nos souvenirs nous pensions que c'était Jacqueline qui coupait les cheveux de Beltoise, nous ne savions plus si c'était en 69 ou en 70, la diapo a permis de clarifier tout cela.

Écrit par : RMs | 10 septembre 2014

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Merci francis cher cousin pour cette commémoration d une semaine a monza tous les 2 avec cette vieille DKW250 qui nous a valu tant de soucis mecaniques....
Que d emotions avec l annonce de la la mort de jochen rindt...
on a meme 1 othographe de Fangio...jackie ickx....beltoise et autres....
Souvenirs souvenirs
jo....le cousin

Écrit par : willm joel | 14 septembre 2014

(le frère) ... NB : le tessinois, c'est la langue, le Tessin, c'est le canton suisse en pointe dans l'Italie des lacs : lac Majeur, Lugano, Locarno, Côme, Ascona, Riva San Vitale ( patrie de Mario BOTTA ) à partir de 20 k au nord de ... Monza.

En fait c'était la 2ème fois qu'on faisait le gp avec Jo, et Yoyo, et qu'on faisait des virées en stop, comme Antoine et sa chanson : ( ... je suis ... très bien ... partout ...) , on avait entre 15 & 18 ans, voir les voitures et les pilotes en vrai, l'ambiance de Monza, quelle aventure !

Écrit par : philard | 16 septembre 2014

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Merci philard, j'avais juste semé un piège :-) pour voir si tu lirais bien toute la note. En tout cas tes photos ont bien trouvé leur place sur le site...

Écrit par : RMs | 16 septembre 2014

Quel plaisir de lire vos souvenirs nostalgiques des Grands Prix...

Écrit par : linas27 | 20 septembre 2014

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Des commentaires rares, mais en Haute Définition ! Cela réchauffe le cœur...

Écrit par : RMs | 20 septembre 2014

Quel GP.
Ma première Joie Terrible!

Écrit par : Bruno | 15 octobre 2014

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Une autre Joie Terrible est de t'accueillir sur ce forum, Bruno.
Sei sempre il benvenuto !

Écrit par : RMs | 15 octobre 2014

Superbe article dans le fond et dans la forme ! MSo, digne successeur de MdS !

Écrit par : Marc Ostermann | 19 octobre 2015

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Merci à Francis pour ce témoignage alliant Passion et Emotion tant par son partage de son escapade transalpine pour se rendre dans un des temples de la Course Automobile, que l'émotion suscitée par la disparition d'un grand champion ( le seul à titre posthume dans le championnat du monde de F1). Une formidable époque avec un grand prix de légende où se côtoient dans une ambiance de convivialité, les plus grands Pilotes de cette génération. Les photos sont belles, le texte alterne la ferveur sincère d'un passionné et la tristesse sincère d'être le témoin ( hélas !! ) privilégié d'avoir vu vivant Jochen Rindt dans ses dernières heures. Une grande drôlerie s'échappe du cliché de Jean Pierre Beltoise s'apprêtant à se faire couper les cheveux. Le tout agrémenté par une belle vidéo,je m'associe au commentaire de Marc Osterman. Une pensée au frère de Francis qui est associé à l'aventure de ce grand prix de Monza 1970.

Écrit par : patricelafilé | 20 octobre 2015

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