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07 janvier 2015

Beltoise el Ganador (1)

jean-pierre beltoise,matra

J’aurais pu bien sûr, vous raconter son triomphe au grand prix de Monaco 1972.

J’aurais pu aussi vous parler de ses onze titres de champion de France moto, de sa victoire à Reims en 65, qui sonna le réveil du sport automobile français, de ce jour de 66 - c'était en formule 2 - où le grand Jimmy lui signifia qu’il était désormais admis chez les plus grands,

de ses débuts fracassants en Espagne en 68 sur une (vraie) formule 1, où il frôla la victoire, de ses exploits sur la Matra V12 sous la pluie de Zandvoort où il termina « seulement » deuxième,

de Charade 69 où je n’ai presque vu que lui, de Monza la même année, des 1000 km de Paris 69 où il a fait tout ce qu’il fallait pour faire gagner « sa » Matra, de Charade 70 où on est passé tout prêt du rêve, de Monza 70,...

de toutes les vocations qu'il a suscité, de tous les petits Francis qui rêvaient en allant le voir courir de devenir pilote de course ...

Aujourd'hui ça fait mal, et je pense surtout à Jacqueline et à toute la famille Beltoise.

Francis Rainaut

(1) le gagnant


jean-pierre beltoise,matra

J’avais en préparation pour le 22 janvier un article paru initialement dans la revue Champion. Interviewé par Jean-Pierre Zachariasen, JPB s’y exprime sur la Temporada argentine 67, qu’il a littéralement survolée. Toujours pressé, il ne m'a pas laissé le temps de le peaufiner, mais ça n'était sans doute pas nécessaire.

Car Jean-Pierre Beltoise était aussi une très belle plume, rappelez-vous ses articles dans Moto-Revue ou Champion. Justement, écoutons-le nous raconter sa Temporada...

 

Jean-Pierre, tu viens de gagner la Temporada argentine en remportant la totalité des courses. C’est un résultat extraordinaire. Peux-tu nous dire si ces quatre victoires ont été dures, ou t’ont posé des problèmes ?

La première course était Buenos Aires. Là, il n’y a pas eu trop de problèmes. J’étais parti avec des pneus Goodyear excellents, et les seuls à disposer des mêmes pneus n’étaient pas ce que je pourrais appeler des adversaires dangereux, mis à part Johny Servoz qui a eu des ennuis de carburation. Jaussaud pourtant avait aussi des Goodyear, mais je ne sais pour quelle raison, il les a gardé pour le cas où il pleuvrait. Or, il n’a pas plu.
 
 
jean-pierre beltoise,matra Par contre, à la deuxième course, Mar-del-Plata, j’ai eu de gros problèmes, et la victoire n’a pas été facile. Ma couronne d’embrayage a commencé à casser aux essais. J’ai donc pris un moteur de rechange pour l’essayer. Il n’allait pas du tout, et j’ai dû pour me qualifier en seconde position prendre de très gros risques. A cause de mon bras raide, j’avais du mal à me récupérer. J’étais tout le temps en catastrophe, et je me suis fait peur. Deux fois, j’ai vraiment cru que je sortais. En plus, là-bas, il y a des trottoirs et des poteaux partout… Enfin, le principal, c’est que j’ai pu gagner. Et à Cordoba, la troisième épreuve, j’étais totalement décontracté. Je savais très bien que je n’avais plus qu’à assurer des places d’honneur pour remporter facilement cette Temporada. Johnny disposait d’un moteur un peu plus puissant que le mien, et je pensais surtout à l’éventualité d’une victoire de ce dernier.  Tu sais, à la Matra, on ne nous donne pas d’ordres. Alors, copain ou pas copain, on court chacun pour soi, et pour gagner. Pour éviter une fatigue supplémentaire aux mécaniciens, j’avais décidé de faire les premiers tours d’essai avec les mêmes rapports de boîte que sur le précédent circuit. Bien m’en prit, car finalement, les rapports en question étaient les meilleurs. Ce qui m’a permis de faire les meilleurs temps aux essais. Le circuit était assez difficile, et me plaisait bien. Le lendemain, on a quand même tous revu nos rapports. Puis j’ai refait trois ou quatre tours pour essayer de nouveaux Firestone, et faire la différence avec les Dunlop dont je disposais cette fois. Les Firestone s’avérant plus rapides, je me suis arrêté pour ne pas user la voiture, et je me suis allé voir tourner les autres. Johnny fit le meilleur temps, mais ça ne m’inquiétait pas trop. Je n’étais qu’à 3/10e derrière, et me sentais encore de sérieuses ressources.
 
Je suis parti seul dans ma manche, que j’ai remporté facilement. Dans l’autre manche, Jaussaud fit successivement un, puis deux, puis trois, puis quatre tête à queue, et c’est Johnny qui a caracolé en tête. Eric Offenstadt roulait moins fort, parce qu’il était parti avec de mauvais pneus, gardant les bons pour la finale. Une finale qui s’annonçait très chère. Johnny était toujours l’homme à battre. Eric avait ses bons pneus. Il fallait aussi compter avec Jaussaud. Et puis il y avait tout de même Rollinson et Dubler, qui sont dangereux. Le circuit est constitué par une piste d’aviation, très large, où on peut arriver facile à vingt ensemble au premier freinage. Moi, j’ai pris le risque de prendre la bonne trajectoire, quitte à être gêné par ceux qui se trouvaient à l’intérieur. En fait, je suis passé, et ressorti très vite. Les autres, derrière, se sont tous gênés, et au bout d’un tour, je jubilais, car j’avais déjà 3’’ d’avance. Cela se transforma en 7’’ au quatrième tour. Je n’en revenais pas, et me demandais ce qui pouvait bien se passer. Johnny, peu après, cassa son moteur, ce qui porta mon avance sur le second, Rollinson, à 12’’. A mi-course, Offenstadt et Rollinson avaient cassé tous les deux. J’avais 18’’ d’avance sur Jaussaud. Puis ma troisième s’est mise à sauter. Je devais donc prendre un grand Sjean-pierre beltoise,matra très rapide du bras gauche seulement, ma main droite étant occupée à maintenir le levier de vitesses. Jaussaud s’est alors mis à me remonter. Puis j’ai trouvé un système pour passer ce S en quatrième, et j’ai pu conserver jusqu’au bout 15’’ d’avance suffisantes pour m’assurer la sécurité en cas de tête à queue. Il ne restait plus que Buenos Aires, encore et déjà. Le nouveau moteur de Johnny n’était plus supérieur aux nôtres en puissance. Ce qui n’empêche que Eric et lui restaient mes deux plus dangereux concurrents. Pour cette course, Eric eut malheureusement de nouveaux ennuis de pneus, et j’ai remporté l’épreuve en marchant à une cadence très proche de la limite. On avait décidé que, au cas où on serait tous les trois en tête, le premier ralentirait pour attendre les deux suivants, et passer la ligne à trois ex aequo.  Mais comme j’avais 40’’ d’avance sur Jaussaud, qui lui en avait huit sur Eric et Rollinson qui bagarraient derrière lui, ça a posé quelques problèmes. En fin de compte, on a quand même passé la ligne tous les trois ensemble, devant les spectateurs ébahis… J’étais comblé de joie pas ces quatre victoires, comme tu peux l’imaginer…
 

On a dit que l’ordre, l’organisation et la discipline ne sont pas le fort des circuits argentins. Qu’en penses-tu ?

 

jean-pierre beltoise,matra Buenos Aires, à tous points de vue, est bien orchestré. Les organisateurs donnent des boxes fermant à clé pour chaque écurie ou concurrent. Il y a 100 000 places dans les tribunes, en face des stands et dans les courbes, d’où l’on peut suivre pratiquement tout le circuit. En plus, il y a des grillages partout devant les spectateurs, et pour les pilotes, la sécurité est vraiment extraordinaire. Le circuit de Buenos Aires est un magnifique exemple de ce que devrait être l’aménagement d’une piste permanente. Cordoba, c’est un aérodrome. Assez insignifiant. L’ensemble n’est pas extraordinaire. En plus il y faisait une telle chaleur qu’on était tous complètement abrutis, et qu’on avait plutôt envie d’aller à la piscine que de courir.
 
 
Mar del Plata, c’est comique, et tragique à la fois. Du grand guignol. Ceux qui aiment l’humour noir en auront pour leur argent. D’abord, on ne ferme la route que quelques minutes avant l’heure officielle des essais… Si bien que quand on part, il y a encore des voitures et des vélos plein la piste. Moi, je suis parti bien après tout le monde, justement pour ne pas heurter un promeneur attardé. Le dimanche, à 4 heures et demi, heure du départ, juste après les grosses chaleurs, aucun pilote n’était encore habillé, car les organisateurs avaient décidé en dernière minute jean-pierre beltoise,matra de rajouter dix tours à la finale. Finalement, on a cédé, mais la course a commencé avec ¾ d’heure de retard. A peine le départ était-il donné que la piste était déjà bondée de spectateurs, tranquillement assis sur les trottoirs bordant la route. Dans les virages,  on leur passait au ras des pieds, sans qu’ils paraissent trouver cela anormal. Les échappatoires sont noires de monde. Dès les premiers accidents, on a eu droit au festival des ambulances et voitures de pompier circulant dans n’importe quel sens sur le circuit.
 
jean-pierre beltoise,matra On était obligé de slalomer au travers. Quand Rosadelle Facetti est sortie dans la foule, certains ont dû penser qu’il valait mieux arrêter la course. Alors des tas de gens se sont précipités, tentant de nous barrer le passage. Des agents, des spectateurs, des commissaires. Ça courait partout, une véritable panique. Nous on continuait, car nous n’avions pas reçu d’ordres officiels. Et les gens, voyant qu’on ne s’arrêtait pas, se sont mis à nous lancer des bottes de paille, juste quand on passait… Finalement, la course s’est achevée dans la plus grande pagaïe. Dans la ligne droite, les gens se resserraient de plus en plus vers le milieu de la piste pour mieux nous voir passer. A la fin, le passage était à peine plus large que la voiture. Et on fendait tout ça à deux cents à l’heure… On a été quatre à pouvoir passer. Les autres ont tout bonnement été coincés. Le pire de tout, c’est que tout le monde s’est mis à leur taper dessus, avec des bâtons, des matraques, des cailloux. Tout le monde, police et spectateurs compris. Le soir, il devait y avoir une remise de prix. A 10 heures et demi. Nous, on arrive à l’heure. On nous dit qu’en raison des événements de cet après-midi, il vaut mieux que cette remise n’ait pas lieu. On remet ça au lendemain midi, dans l’hacienda du directeur de course. 25 000 hectares à 40 km de la ville. Tous, on est arrivés entre midi et une heure. L’hacienda était vide. Finalement, après avoir circulé au hasard dans cette immense propriété, nous avons rencontré le frère de l’hôte, au volant de sa voiture. Il nous a dit que s’il n’y avait personne, c’était que ça avait dû être annulé. C’est tout. Et on est tous rentrés, couverts de poussière écrasés de chaleur. La remise des prix n’eut en fin de compte jamais lieu…

 

Les Argentins semblent donc bien décontractés. On m’a beaucoup parlé de la circulation dans ce pays. As-tu quelques anecdotes à raconter à ce sujet ?

La conduite en Argentine, c’est le délire total ! Le premier matin, à Buenos Aires, en sortant de l’hôtel, quelle ne fut pas ma surprise en voyant une file de dix voitures  garées le long du trottoir se déplacer toutes seules, les unes contre les autres. Et tout d’un coup, je m’aperçois que c’était une Chevrolet qui était tout simplement en train de se garer dans une place à peine large pour une Isetta. En fait, c’est la coutume. On se gare en poussant les autres voitures qui sont garées les unes contre les autres, au point mort, frein à main desserré. Le tout, c’est de ne pas se garer dans un coin, car on a vite fait de se retrouver au milieu de la chaussée. Les voitures sont également assez délirantes. Environ 50 % de tacots genre Peugeot 201, Ford T, voitures à roues en bois. Beaucoup d’entre elles roulent sans immatriculation, et personne n’en prend ombrage. Les carrosseries sont rouillées, sans phares, sans portes, et il n’est pas rare de voir des gars circuler à bord de châssis nus...
 
Les camions et les cars sont dans un état de total délabrement, mais même les plus répugnants ont toujours une calandre de radiateur méticuleusement briquée, et souvent de très luxueux enjoliveurs de roues. Buenos Aires est une ville dont les rues sont faites de gros pavés. On y a conservé les rails de tramways, et tout le monde roule dessus parce que ça secoue moins. La règle générale de circulation est la suivante : la priorité n’existe pas. C’est le plus gros et le plus rapide qui passe, sans problème, qu’il vienne de la gauche ou de la droite. Un camion déboulant à 100 à l’heure dans la ville passe tous les carrefours sans ralentir. Le plus drôle, c’est qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’accidents. Un des seuls que j’ai vu : deux camions qui s’étaient rentrés dedans, de face, sur une large  route droite ! Sinon, on passe les carrefours debout sur son avertisseur, avec un coup d’œil absolument infaillible. Malheur à vous si vous ne démarrez pas dans le dixième de seconde qui suit le moment où un feu devient vert. Car déjà, à cet instant, tout le monde klaxonne à mort, et si vraiment vous ne partez pas, on vous pousse. Mais pas par vengeance. Pour aider, carjean-pierre beltoise,matra on croit que vous êtes en panne. Du reste, quand on tombe en panne, on s’arrête au milieu de la chaussée, et on répare sur place.
 
Sur la route, c’est assez extraordinaire aussi. Les bandes jaunes ne servent effectivement qu’en cas d’accident. Sinon, si rien ne se passe, que vous doublez en quatrième position dans un virage sans visibilité avec double bande jaune, sans accrocher personne, alors c’est que vous avez eu raison, et même un motard ne dira rien. Les routes à double voie sont bordées de chaque coté d’une sorte de chemin de terre. On double invariablement à droite sur la terre, ou à gauche, ça n’a pas d’importance. Il arrive que des cars ou des camions qui se connaissent, et se croisent, s’arrêtent au milieu de la route, à hauteur de portières, pour discuter cinq minutes. Les routes à simple voie, c’est quelque chose de terrible. Car pour croiser, il faut descendre dans le bas-côté. Et là encore, c’est le plus gonflé qui reste sur la route. Une des plus belles histoires que j’ai à raconter est la suivante. On roulait sur une route goudronnée, à double voie. On arrivait en haut d’une côte, et il y avait un camion. Je me suis rabattu derrière les voitures qui suivaient ce camion, pour attendre. Une voiture arrivait derrière à toute allure. Elle a doublé toute la file complètement en haut de la côte, à 120 à l’heure. Comme je l’avais prévu, une voiture arrivait en face, à la même allure. Personne n’a bronché. Pas de coups de klaxon, pas d’appels de phares rageurs, pas de coups de volant intempestifs. Le gars qui roulait dans le même sens que nous est passé complètement de l’autre coté, à gauche, et sur la droite du type qui venait en face…

Le plus drôle de tout, c’est que jamais il n’y a de ces disputes d’automobilistes, si fréquentes chez nous. Si vraiment vous faites la grosse bourde, on ne vous insulte pas, on vous méprise. C’est tout. Mais je t’assure que moi, qui conduis vite, très vite dans Paris, eh bien là-bas j’étais assez perdu…

 

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Interview recueillie par Jean-Pierre Zachariasen, mise en page Francis Rainaut

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