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05 juin 2017

Les 24 Heures du Mans… au mazout !

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Le Mans 1950. Healey, Ferrari 166MM (P.Rubirosa), MAP Diesel (Lacour/Veyron)

Les 24 Heures du Mans ont souvent été utilisées par les constructeurs automobiles pour tester leurs innovations et par les Ponts et Chaussées pour tester des améliorations de la sécurité routière. Ainsi, Jaguar y prouva l’efficacité et l’endurance des freins à disques et les bandes latérales blanches, peintes sur nos routes et si utiles pour la conduite de nuit, ont été utilisées pour la première fois sur le circuit manceau.

A l’extrême fin des années quarante, il fallait être sacrément gonflé pour oser le moteur Diesel en course automobile. Ces précurseurs pensèrent sans doute qu’ils pouvaient compenser le manque de puissance par le couple et la fiabilité. Bien avant Audi et Peugeot, ils s’engagèrent dans l’aventure avec parfois des moyens limités et un sens aigu de l’improvisation. Voici leurs histoires.

par Raymond Jacques


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Le Mans 1950. La Delettrez Diesel des frères Delettrez.

   

La DELETTREZ :

 

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe n’est qu’un monceau de ruines fumantes. Tout manque, surtout les biens de première nécessité tels que la nourriture et les boissons, le textile, les médicaments, le logement. En France, l’automobile redémarre lentement, soutenue par le plan Pons, du nom de Paul Marie Pons, polytechnicien et haut fonctionnaire, chargé de réorganiser cette production. Dans le même temps, l’Armée Française lance des consultations auprès des constructeurs pour reconstituer son parc automobile anéanti. Bien sûr, les Alliés ont abandonné sur le territoire des dizaines de milliers de véhicules, majoritairement américains, laissés sur place au titre de l’un des chapitres du plan Marshall. Ils seront utilisés par l’armée, par les pompiers, par l’administration territoriale et par tous les services publics, ainsi que par nombre d’entreprises privées. Mais les véhicules américains devant impérativement et avant tout gagner la guerre, leurs concepteurs n’ont pas été sensibles à un quelconque souci de frugalité. Ainsi, le moteur 6 cylindres GMC 270 monté sur les célèbres camions CCKW ingurgite une quarantaine de litres d’essence aux cent kilomètres. Le gouvernement de l’époque a donc fait spécifier dans les cahiers des charges concernant ses futurs véhicules militaires qu’ils devraient être équipés de moteurs Diesel. Mais en 1946, les usines redémarrent lentement, très lentement, et il n’existe sur le marché aucun moteur Diesel disponible rapidement et en nombre suffisant.

 

La famille Delettrez est entièrement vouée à la mécanique automobile et poids lourd : le père possède une agence Unic, et ses deux fils, Jean et Jacques, travaillent avec lui. Ils pressentent un juteux marché de fourniture de moteurs Diesel pour poids lourds, et ils décident de convertir au mazout le GMC 270 si goulu en essence ! Et pour montrer à la face du monde que cette transformation est pleine d’avenir, ils vont engager une voiture équipée de cette mécanique aux 24 Heures du Mans !

 

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Jean et Jacques Delettrez

 

Cette biplace course est fabriquée à partir d’un châssis de voiture Unic U4C, auquel ses concepteurs ont greffé un avant de châssis de U6C.  Cet assemblage est habillé d’une carrosserie de Delage V12 modifiée. Le moteur GMC passe de 4424 (ou 4417 ?) centimètres cube à 4395 centimètres cubes, en même temps qu’il change de carburant. Il reçoit en outre une boite de vitesses électromagnétique Cotal.

 

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La voiture « donneuse » de châssis.

 

Les 24 Heures du Mans 1949.

 

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La Delettrez 1949 (photo Georges Dardenne)

 

Première voiture Diesel à s’aligner dans l’épreuve mancelle, le « bitza » Delettrez est piloté par les deux frères, Jean et Jacques. Mais, au cent vingt-troisième tour, Jacques qui est au volant, tombe panne de carburant ! Il tente de rejoindre son stand en faisant avancer la voiture avec son démarreur, mais la batterie rend l’âme dans l’opération et la course des deux frères se termine là. Le moteur qui délivre environ 70 chevaux (contre 104 ch à sa version essence) a montré qu’il pouvait propulser la voiture à quelques 170 kilomètres à l’heure.

 

Les 24 Heures du Mans 1950.

 

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La Delettrez 1950

 

C’est la même voiture et ce sont les mêmes pilotes qui reviennent au Mans en 1950. La concurrente numéro 10 est la dernière à abandonner, dans la vingt quatrième heure de course, sur casse moteur. Dommage, mais la performance est quand même mémorable !

 

Les 24 Heures du Mans 1951.

 

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La Delettrez 1951

 

C’est la dernière participation de la Delettrez Diesel et de ses deux pilotes, qui se solde à nouveau par un abandon. Elle ne présente que d’infimes améliorations cosmétiques par rapport à ses deux précédentes apparitions. La distribution du moteur casse après seulement vingt-six tours… Il faudra attendre 2004 pour revoir un Diesel au Mans : la Lola Caterpillar, propulsée, malgré son nom, par un V10 VAG.

 

La MAP :

 

Une première Manufacture d’Armes de Paris fut crée pendant l’été 1793 dans le but de fabriquer des fusils. Mais elle sera dissoute en 1795, avec la chute de Comité de Salut Public qui en avait pris le contrôle dès décembre 1793.

 

Le 5 juillet 1915 est crée une société anonyme qui reprend le nom de Manufacture d’Armes de Paris, MAP en abrégé, sans aucun rapport avec son homonyme révolutionnaire. Son siège social est situé au 271 boulevard Ornano à Saint Denis. Dès sa création, elle reçoit une commande du gouvernement pour la fabrication de 300.000 fusils. Inexpérimentée, la MAP n’arrive pas à tenir ses objectifs, et elle est rapidement reprise par des cadres de la FN Herstal belge qui réorganisent efficacement la production. Dans l’entre deux guerres, la MAP se reconvertit dans l’usinage mécanique de précision. En 1921, la FN Herstal prend le contrôle de la MAP, qu’elle revend à Hotchkiss en 1937.

En 1936, la MAP répond à une consultation du gouvernement français pour la fourniture de pistolets automatiques, mais son offre est déclinée. Curieusement, la fabrication majoritaire de la MAP n’est pas une arme, mais une machine à écrire !

 

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Publicité d’époque

 

Pendant la Seconde guerre mondiale, MAP fabrique des gazogènes et se lance dans l’étude d’un tracteur agricole animé par un moteur Latil. Mais cette étude est mise en sommeil, car l’occupant allemand oblige l’entreprise à lui fournir du matériel de guerre.

 

En 1947, la MAP lance le tracteur agricole modèle DR3, mû par un très curieux moteur Diesel suralimenté, le type 2H 88, un deux temps à pistons à cinématique antagoniste, fonctionnant en mode boxer inversé dans le même cylindre (!), une création de l’ingénieur Roland Laraque.

 

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Coupe du moteur 2H88, extrait de la notice d’entretien du tracteur MAP DR3
( Voir l’excellent schéma animé de Techni-Tacot: www.techni-tacot.com )

 

Pour prouver l’efficacité de cet étrange moteur, la MAP décide en 1949 de fabriquer une voiture de records qui en sera équipée. Construite sur un châssis Delahaye muni d’une carrosserie spéciale, la MAP Diesel pilotée sur l’autodrome de Montlhéry par son concepteur François Lacour, bat le record des 200 kilomètres à plus de 182 kilomètres à l’heure et le record des 12 heures à plus de 175 kilomètres à l’heure. Le tour le plus rapide du banking a été effectué à plus de 195 kilomètres à l’heure.

 

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La MAP de record 1949 dans la presse

 

Sur les deux journées du 5 février et du 31 mai 1949, François Lacour bat une quinzaine de records. Il était connu comme préparateur de diverses Delahaye de course, comme celle qui remporta les 24 Heures du Mans en 1938 avec Chaboud et Trémoulet au volant. Pour battre ces records, Lacour s’est adjoint les services de pilotes de renom : Yves Giraud-Cabantous, Eugène Chaboud et Charles Pozzi.

 

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François Lacour dans le cockpit de la MAP de record 1949

 

Ces encourageants résultats conduisent la MAP à s’engager aux 24 Heures du Mans 1950 avec une voiture totalement novatrice…

 

Les 24 Heures du Mans 1950.

 

Un châssis entièrement nouveau en acier au chrome molybdène est construit. Il va accueillir un moteur MAP 2H88 de 4820 cc en position centrale arrière, ce qui est du jamais vu !

 

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Châssis MAP 1950 (collection H. Le Guellec)

 

La carrosserie en aluminium est l’œuvre de l’ingénieur Labeyrie, et l’aspect de la voiture terminée est tout à fait étonnant. Les pilotes qui vont avoir la tâche de mener cette curiosité jusqu’au terme de la course sont François Lacour, Jean-Pierre Wimille et le vainqueur de l’édition 1939, Pierre Veyron.

 

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MAP Diesel 1950

 

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MAP Diesel 1950

  

L’aventure prendra fin dans la septième heure de course, arrêt définitif dû à une surchauffe du moteur au trente neuvième tour, à cause d’une fuite d’eau. Ce sera la seule apparition de la MAP en course. L’entreprise est mise en liquidation judiciaire lors de cette même année 1950, à cause d’une série d’impayés dus à un manque chronique de trésorerie. Le liquidateur cédera l’activité tracteurs à Simca, qui en fera les tracteurs SOMECA.

 

Si la voiture de tourisme à moteur Diesel s’est rapidement démocratisée à partir de la fin des années soixante, il aura fallu attendre 2006 pour qu’un tel mode de motorisation monte sur la plus haute marche du podium des 24 Heures du Mans, avec l’Audi R10 TDI. Les précurseurs décrits ici arrivèrent manifestement bien trop tôt, et avec de trop faibles moyens financiers.

 

 - Illustrations ©DR

16:50 Publié dans jp.wimille | Tags : delettrez, map diesel | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |

Commentaires

Bonsoir .Encore une fois très intéressant .Merci .

Écrit par : Robin Daniel | 05 juin 2017

magnifique document !! merci

Écrit par : Adrien Legros | 06 juin 2017

Les commentaires sont fermés.