Tasman '69: surtout tant qu'Amon...

La série Tasman 1969, c’est un peu le monde à l’envers. En pleine période de domination Lotus-Cosworth, c’est une Ferrari, pardon une Dino, mue par un V6 dont le dessin initial vient tout droit des années cinquante qui domine les débats. A son volant, un Chris Amon qui a balancé aux orties sa tunique de poissard ! C’est un véritable conte de fées que vivra le charismatique pilote néo-zélandais. C'est à croire que son chat noir, probablement parti vers quelque escapade amoureuse, l'a enfin déserté…

Et les adversaires médusés d'en perdre leurs moyens, surtout tant qu’Amon aura la baraka. Que notre Kiwi réussit à conserver tout au long des sept courses que compte alors la série (*).

C’est cette saga peu habituelle que je vais vous conter...

par Francis Rainaut

(*) Et moi à placer ma blague à deux balles.

 

Préambule

C’est un peu une évidence que de signaler à quel point le comportement des Dino Ferrari F2 quelques semaines auparavant en Argentine s'était trouvé transfiguré. Certains parlaient des mensurations - disons généreuses - de leurs V6.  En l’absence de commissaires sportifs « internationaux » pendant la Temporada, la Scuderia avait habilement joué le jeu et des « pointures » telles que Tino Brambilla et autres Andrea de Adamich pouvaient ainsi doubler « flat out » rien moins qu'un Jochen Rindt dans les lignes droites argentines. Quoi de plus naturel, donc...

Mais il s'agissait alors de formule 2 de 1,6 litres de cylindrée. Le « vieux » n'était pas très chaud pour repartir aux antipodes pour la série Tasman, mais son pilote n° 1 allait user de toute sa force de persuasion pour aller courir « at home » et c'est finalement lui qui se chargea d'engager les Dino 246T de 2,4 litres de cylindrée, le V6 délivrant environ 290 chevaux. C'est Derek Bell qui était choisi pour seconder Amon.

Leurs principaux adversaires étaient représentés par le Gold Leaf Team Lotus avec le champion du monde en titre et son nouveau coéquipier, Jochen Rindt, au volant des 49T Cosworth DFW 2,5l d'environ 360 Cv. Piers Courage engagé par Franck Williams était lui aussi de la partie sur une Brabham-Cosworth 2,5l.

A noter la présence d'une Mildren-Alfa Roméo, une superbe monoplace conçue par Len Bailey à la finition exemplaire. De couleur jaune vif, elle n'est pas sans évoquer la McLaren de Formule 1, laquelle écurie McLaren qui n'a pas fait cette année le déplacement. L'Australien Alec Mildren est également représentant Alfa Roméo, ceci expliquant cela.

 

 

Acte 1: Pukekohe, 16^th New Zealand Grand Prix, January 4^th 1969

L’air du pays semble réussir à Amon. Après tout, n’est-ce pas sur ce tracé de Pukekohe qu'au volant de sa lourde Maserati 250F, le gamin de 18 ans qu'il était a tapé dans l’œil de Stirling Moss mais surtout dans celui de Reg Parnell qui s'est dit alors qu'il fallait surveiller de près ce Kiwi prometteur.

Dès les premiers essais, Amon est en grande forme. Il obtient la pole devant un Rindt un peu gêné par une préparation hative de sa Lotus. Hill et Courage se placent derrière eux, devant la superbe Midren « Yellow Submarine » de l'Australien Frank Gardner.

Chris Amon jaillit au départ mais un tour plus tard c'est Rindt qui prend le commandement. Amon le harcèle sans réussir à le passer et soudain l'incroyable se produit, La Lotus part en tête à queue sur une flaque d'huile. Chanceux comme jamais sur ce coup, le Kiwi prend le large. Rindt aura beau tout faire pour revenir, Amon gagne son Grand Prix national avec une avance de 20 secondes. Il n'avait plus terminé de course depuis le GP de Grande-Bretagne... Courage confirme tout son talent en terminant troisième devant Derek Bell sur l'autre Dino. La Mildren a elle connu des ennuis de pompe à essence.

 

 

Acte 2: Levin International, January 11^th 1969

On prend les mêmes une semaine plus tard à Levin, toujours en Nouvelle-Zélande. Amon comptait bien poursuivre sur sa lancée victorieuse, mais à l'issue des essais, c'est un Jochen Rindt déterminé qui prend les commandes. Jochen aimerait bien remporter sa première victoire sur Lotus, et dès le départ il va s'envoler.

Mais peut-être veut-il trop en faire, toujours est-il qu'il part en tête à queue et se retrouve en sixième position. Et devinez qui est là pour tirer les marrons du feu ? Un Chris Amon apparemment débarassé de sa scoumoune, mais quand même poursuivi par un goupe composé de son équiper Derek Bell, de Graham Hill et de Piers Courage toujours valeureux. Hill rencontre des problèmes mécaniques, puis Bell également à son tour, il ne reste que Courage pour aller titiller Amon. Piers réussit même à le passer au 26^e tour.

 

Frank Gardner, Mildren-Alfa Romeo

Mais Chris Amon a la baraka. Courage commet une faute, et le pilote néo-zélandais peut s'envoler vers sa 2^e victoire dans la série. Frank Gardner confirme la qualité de sa Mildren-Alfa en obtenant la troisième place.

 

 

Acte 3: 18^th Lady Wigram Trophy, January 18^th 1969

Une telle chance ne peut raisonnablement durer, surtout lorsqu'on s'appelle Chris Amon. Cette fois les duettistes du Gold Leaf Team Lotus sont bien décidés à prendre leur revanche. Et à faire parler les chevaux du 2,5 litres Cosworth.

Dès les essais, c'est Rindt qui va prendre les choses en mains. Jochen pilote une 49T directement arrivée d'Angleterre et préparée à la hâte. Ce qui ne l'empêche pas de signer une pole incontestable devançant Amon, Hill et Courage.

Et Jochen part tout de suite en tête, poursuivi par son ami Piers Courage extrêmement combatif. Mais la BT24 de Piers va connaître des ennuis de direction, et il doit alors laisser passer Hill et aussi un Amon très opportuniste, dont le Dino V6 ne peut rien contre les chevaux du Cosworth.

Jochen remporte enfin sa première victoire sur Lotus. Il devance à l'arrivée Graham Hill, Amon et Courage. L'ami Chris a bien fait les comptes, il mène le championnat avec 22 points contre 15 à Rindt et 13 à Courage.

Mais qui donc a parlé de pilote malchanceux ?

 

A suivre...

Bruce Wilson, Chris Amon's Mechanic

 - Illustrations ©D.R.