05 décembre 2022
Jean Guichet le « mercenaire »
Lorsque Ferrari remporte les 24 Heures du Mans dès sa première participation par l’entremise de pilotes privés en 1949, Jean Guichet a 22 ans. Alors industriel dirigeant un atelier de réparation navale à Marseille il s’intéresse au sport automobile et participe à des rallyes dans sa région. Son intérêt va rapidement migrer vers le département de la Sarthe...
François Coeuret
Le Mans 1956 - Gordini T15S
« J'avais entendu parler des 24 Heures du Mans par la presse. Ce qui m'a intéressé, c'est qu'aux 24 Heures, il faut savoir aller vite sans casser la voiture, sans abîmer les freins, etc. Tout cet ensemble rendait cette course très attrayante pour moi. »
C’est au volant de Gordini (T15 S puis T24 S) qu’il fait ses premières armes au Mans en 1956-57 puis sur une Abarth 850S en 1960.
Jean Guichet a piloté des Ferrari en compétition pendant dix ans, de 1957 à 1967. Comme pilote privé tout d’abord de 1957 à 1962, puis comme pilote officiel de la Scuderia de 1963 à 1967.
« En 1961 et 62 Enzo Ferrari m’avait remarqué parce que je disputais des courses au volant des Ferrari que j’achetais en tant que client. »
Le Mans 1962 : Noblet - Guichet, Ferrari 250 Gto
Jean Guichet pilote pour la première fois une Ferrari dans la Sarthe en 1961. C’est sa quatrième participation au cours de laquelle débute une fructueuse association avec Pierre Noblet. La petite structure privée engage une 250 SWB puis une 250 GTO. En trois départs, le duo termine troisième au général en 1961 puis deuxième l’année suivante au volant de la mythique GTO. Les deux compères dament le pion des équipages officiels.
« Pierre Noblet et moi courions ensemble en gardant à l'esprit le fait qu'il fallait préserver la voiture pendant 24 Heures, en ne dépassant jamais les tours et les régimes que nous avions définis ensemble et surtout, l'un n'essayait jamais d'être plus rapide que l'autre ».
Du coup Enzo Ferrari conscient des qualités du pilote français lui propose des volants officiels en catégorie GT ainsi que la possibilité de courir en sport proto.
« Après mes résultats en tant que pilote privé, Ferrari m’a contacté me déclarant qu’il était prêt à me faire « pilotare un prototipo a motore posteriore e di non dimenticare la cara GTO » (Conduire un prototype à moteur arrière et ne pas oublier la chère GTO) ! Voilà comment je suis devenu pilote officiel de la Scuderia à partir de 1963. »
Ford le sollicite en février 64 pour piloter une Cobra officielle en compagnie de Jo Schlesser à Daytona. Cette infidélité lui vaudra son surnom de « mercenaire » évoqué sarcastiquement par le « commandatore ».
Au sein de la Scuderia Guichet l’industriel va nouer amitié avec le prof de math sicilien Nino Vaccarella.
« Nino et moi nous sommes connus sur les courses auxquelles nous participions tous les deux, et nous avons sympathisé. Nous étions toujours d'accord sur la manière de ne pas dépasser les limites de la voiture. Il n'y avait absolument aucune méfiance entre nous, nous nous entendions très bien. »
Le 21 juin 1964 Ferrari triomphe de son premier affrontement avec Ford. Les GT 40 MK1 4,2L vont faire illusion en début de course mais connaître ensuite des soucis. Incendie pour Schlesser-Attwood et boîte de vitesse (Ginther-Gregory). Malgré la remontée de Hill-Mc Laren dans la nuit Ford trébuche après la panne de transmission de ce dernier équipage. Surtees-Bandini ont pris la relève en tête. Des problèmes de freins et d’alimentation ralentissent l’équipage de la 330 4L. Cela fait les affaires de Guichet et Vaccarella. La 275P s’empare de la tête pour ne plus la quitter à partir de la mi-course. Guichet est le premier français victorieux au Mans depuis Maurice Trintignant dix ans plus tôt. Cette association franco-sicilienne établit un nouveau record de la distance (4965 km à 195 km/h de moyenne).
Le Mans 1966 : Ferrari P3
Le Mans 1969 : Matra 630
En 1965, 1966 et 1967 ses trois dernières participations au volant d’une Ferrari s’achèvent sur autant d’abandons. Mais la victoire de Jean Guichet en 1964 marque le retour des pilotes français au sommet des 24 Heures grâce à Matra dont il fut l’un des pilotes en 1969.
Il change ensuite de discipline en 1970 pour courir en rallye en se spécialisant dans les épreuves africaines (Bandama-Maroc-Safari ...) sur des Peugeot 504 groupe 1 qu’il engage en tant que privé. Elles bénéficient cependant de la collaboration du bureau d’étude du « Lion » qui en fait prépare un futur engagement officiel en 73. Guichet va d’ailleurs remporter le rallye d’Argentine-Codasur 1979 au sein de l’équipe usine sur une 504 Groupe 4 en compagnie de Jean Todt. Il participa aussi en 1973 à huit records du monde d’endurance entre 10 km et 500 miles sur le circuit de Linas Montlhéry. Il était au volant d’une Peugeot 204 proto Diesel en compagnie de Jean Todt et Hannu Mikkola.
Jean Guichet a la particularité d’avoir mené de pair ses carrières professionnelles et sportives. De par cette position son succès du Mans 1964 lui fait occuper une place à part au panthéon Ferrariste.
Jean Guichet, commandeur de la Légion d’honneur, a fêté ses 95 ans en août 2022, il fut jeune résistant.
« ... » : extraits d’une interwiew de Jean Guichet par le magazine Spirit of Le Mans – ACO
Addendum :
La famille de Jean Guichet est dans la réparation navale à Marseille depuis 1851 - son arrière-grand-père maternel, Marius, a fondé l'entreprise de carénage Castellano, toujours propriété du groupe Sud Moteurs.
Jean Guichet crée en 1954 la Compagnie Marseillaise de Réparation et profite de l'âge d'or de la réparation navale, quand le port phocéen compte des dizaines d'entreprises et jusqu'à 5000 ouvriers au début des années 80.
Mais la CMR ne résiste pas à la concurrence des chantiers asiatiques à l'orée des années 2000, et Jean Guichet doit trouver un repreneur pour la CMR... mais sans abandonner la réparation navale. Il fonde alors Sud Moteurs, groupe dirigé aujourd'hui par son fils.
Palmarès 24H du Mans :
- 1956 : Gordini T 15 S n° 15, Manzon, Guichet (abandon, moteur).
- 1957 : Gordini T 24 S n° 18, Guelfi, Guichet (abandon, moteur).
- 1960 : Fiat Abarth 850 S n° 50, Guichet, Condrillier (abandon, embrayage).
- 1961 : Ferrari 250 GT n° 14, Noblet, Guichet (3e).
- 1962 : Ferrari 250 GTO n° 19, Guichet, Noblet (2e).
- 1963 : Ferrari 330 LM n° 9, Guichet, Noblet (abandon, circuit d’huile).
- 1964 : Ferrari 275 P n° 20, Vaccarella, Guichet (1er, et victoire à l'indice de performance).
- 1965 : Ferrari 330 P2 n° 20, Guichet, Parkes (abandon, batterie).
- 1966 : Ferrari 330 P3 n° 21, Bandini, Guichet (abandon, moteur).
- 1967 : Ferrari 330 P3/4 n° 22, Muller, Guichet (abandon, fuite huile).
- 1968 : Alpine A 220 n° 29, Guichet, Jabouille (abandon, panne électrique).
- 1969 : Matra Simca MS 630 n° 32, Vaccarella, Guichet (5e).
- 1975 : BMW 3.0 CSL n° 93, Guichet, Posey, Poulain (abandon, transmission).
Victoires :
- 1963 : 6H de Dakar - Tour de France auto.
- 1964 : 6H de Dakar
- 1965 : 1000km de Monza - 12H de Reims.
Rallyes :
- Vainqueur de la Ronde Cévenole 1961, sur Abarth 1000.
- Vainqueur du 1er Rallye CODASUR: 1979, sur Peugeot 504 (copilote Jean Todt).
- 3e du Tour de Corse en 1958 (copilote Robin, sur Renault Dauphine Gordini).
- 3e du Tour de Corse en 1960 (copilote G.Happel, sur Renault Dauphine Gordini).
- 3e du Rallye Bandama de Côte d'Ivoire en 1977.
- 5e du Rallye de Côte d'Ivoire en 1976.
- 6e du Tour de Corse en 1966 (copilote G.Happel, sur Alfa Romeo Giulia GTA).
- 9e du Rallye du Maroc (WRC) en 1976.
Watkins Glen 1969 : Guichet - Widdows, Matra 630/650
14:55 Publié dans j.guichet, j.schlesser, n.vaccarella | Tags : jean guichet, sud moteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |
Commentaires
"Guichet - Noblet", voilà un binôme inséparable, dans ma mémoire indissociable des 24 Heures du Mans et de Ferrari. Cette note arrive à point pour me rappeler que Jean Guichet fit bien plus que cela...
Écrit par : Raymond Jacques | 07 décembre 2022
Répondre à ce commentaireJean Guichet, chez moi, cela correspond à la découverte du monde du sport automobile.
Trainaient à la maison le microsillon où Crombac et Trintignant nous racontaient les 24H du Mans, et aussi une Ferrari 250 ou 275P modèle réduit que mon frère avait du recevoir à Noël.
Sans que je m'en doute, les deux concernaient Jean Guichet (en couverture du disque), dont je n'entendis plus beaucoup parler.
J'ignorais alors que la course automobile n'était qu'une facette de sa personnalité, et qu'il dirigeait, tel un maître Panisse moderne, des chantiers de réparation navale à Marseille. Ce qui change agréablement des bleus bites qui nous gouvernent aujourd'hui...
Merci François pour cette note qui nous éclaire sur l'un des seconds rôles de la course auto, certainement l'un des plus sympathiques, Monsieur Jean Guichet.
Écrit par : Francis Rainaut | 09 décembre 2022
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