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24 septembre 2012

Pour tous les amis de MDS

Article émouvant sur la mort de Jean Behra que j'ai bien connu.
Je vous adresse une photo en couleur que j'ai prise au G.P. F1 d'Allemagne sur le Nürburgring en 1957 avec Jean Behra.

Jean Behra G.P. Allemagne 1957.+M.C.Blaise.jpg

            GP Allemagne 1957 + M.C.Blaise©François Blaise

 

Une photo à la course de côte du Gaisbergrennen 1958

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               ©François Blaise

 

            Une photo à l'aéroport du ôsterreichischen Zeltweg 1958.

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               ©François Blaise

 

Pour tous les amis de MDS.

Amitiés sportives.

 

François Blaise (commissaire inter. 61- 91 historien amateur)

18 septembre 2012

A quelques mètres près...

jean behra

 

1958 - 1959 - Dans la cour de récré, il y a un terrain de basket. Ses lignes blanches, peintes au sol, sont aussi un circuit pour courses de voitures. Je pilote la Talbot-Lago bleue numéro quatre. Et je suis plutôt bon pilote. Le pouce sur le capot, une pichenette, et ma Talbot-Lago s’élance… Toute la difficulté réside à ne pas sortir de la ligne blanche. Si on en sort, on revient au point de départ. Mon plus féroce adversaire est Michel M. Il pilote une méchante Auto-Union de record vert pâle avec des roues rouges. J’ai beau préparer très soigneusement ma Talbot, bien graisser les essieux au savon, Michel M. arrive souvent en tête, avec sa voiture profilée à la fantastique tenue de route. Il a lui-même décidé qu’il était « Fangio » ! Moi, je m’en fiche : je suis « Jean Behra » ! ! !

 

jean behraAoût 1959 - C’est le magazine qui propose à ses lecteurs « le choc des photos et le poids des mots ». Dans ce numéro, il montre une photo floue, en noir et blanc, représentant l’accident de Jean Behra sur le banking de l’Avus, le 1er aout 1959. Une vague silhouette humaine, qui semble exécuter un vol plané en plein ciel, y est signalée par un cercle. C’est le corps du pilote français, éjecté de sa voiture, qui effectue là sa dernière cabriole… Quand je découvre cette page, je suis figé d’horreur : « je » suis mort………

La grande trouille des pilotes de cette époque était de capoter, de se retrouver prisonniers dans leurs voitures retournées, et d’y mourir brûlés vifs dans l’incendie qui n’aurait pas manqué de se déclarer ! Jean Behra avait donc mis au point une technique très personnelle qui lui permettait de se faire volontairement éjecter de sa voiture en cas de violente sortie de route. Il y avait laissé – pour le moins - une oreille (la droite, avantageusement remplacée par une prothèse*) et un morceau de son nez, mais il s’en était toujours sorti vivant. Rapiécé, suturé, brûlé, fracturé, recousu mais vivant.

 

jean behraL’Avus ne doit pas son nom à quelque empereur romain (très) en avance sur son temps, mais c’est le sigle acronyme correspondant à Automobil Verkehr und Ubung Strasse, soit, approximativement, « route d’exercice et de circulation automobile ». En fait, il s’agissait d’une portion d’autoroute publique toute aussi droite que le mètre étalon du pavillon de Breteuil. D’une longueur totale d’un peu plus de huit kilomètres, le circuit empruntait alternativement chacune des deux chaussées de l’autoroute. Il était terminé d’un côté par une sorte d’épingle à cheveux qui reliait ces deux chaussées, et de l’autre par un virage relevé, très en vogue dans l’entre deux guerres, la Nordkurve. Surnommé « le Mur de la Mort », ce banking était, selon la rumeur de l’époque, le plus incliné et le plus large du monde. C’était surtout une piste de briques à peu près plate, contrairement à celles de Montlhéry ou de Monza qui sont incurvées. Elle était extrêmement cassante pour les mécaniques, et elle se transformait en terrible patinoire à la moindre pluie. Conçu au départ pour battre des records de vitesse, l’Avus était quelque peu inadapté aux courses classiques.

 

jean behra

En ce pluvieux 1er août 1959, deux pilotes firent le même terrible valdingue dans le banking de la Nordkurve. Jean Behra y laissa la vie, parce que sa Porsche RSK numéro 21 vint heurter de plein fouet et en marche arrière un socle de béton qui avait servi de support à une batterie de DCA pendant la guerre. Pour tout arranger, les organisateurs avaient dressé des mâts supportant des drapeaux – sans doute ceux des pays compétiteurs - au sommet de l’anneau de vitesse, et dont l’un d’entre eux fut abattu dans l’accident. Lorsqu’un spectateur (???) prit la photo du vol plané du pilote français publiée dans « Paris-Match », Jean Behra avait probablement déjà été tué, écrasé par le moteur de sa Porsche et par l’extrême violence du choc. Carel Godin de Beaufort eut, lui, rendez-vous ce jour-là avec la chance : la sortie de piste de son spyder Porsche dans la Nordkurve fut amortie par des arbres et la voiture retomba sur ses roues comme un chat retombe sur ses pattes… Carel contourna le virage relevé par l’extérieur et reprit la course ! ! ! Mais il fut rapidement arrêté par les commissaires… Contrairement à Montlhéry, où une sortie de l’anneau de vitesse ne pouvait se solder que par un drame (comme le malheureux Benoit Musy et sa Maserati 200 S, le 7 octobre 1956), le virage relevé de l’Avus ne finissait pas en manière de falaise abrupte comme celui du circuit français, mais il était doté d’une sorte de contre-pente. On comprend alors comment ce miracle a pu se produire. De Beaufort décida de poser au sommet du banking, pour une photo qui explique tout…

jean behra

Ce jour-là, le pauvre Behra n’avait vraiment pas de joker dans son jeu… Il aurait pu s’en sortir s’il n’avait pas percuté ce maudit socle de béton. A quelques mètres près……………

* L’histoire raconte que Behra adorait enlever sa prothèse dans les moments les plus inopportuns. Ce qui devait, j’imagine, lui procurer une grande jubilation intérieure !

 

Raymond JACQUES, alias JaC, peintre épisodique, provincial et banlieusard à la fois.

 

1. Crash JeanBehra by JaC©JaC

3. JeanBehra by JaC©JaC

 

En définitive, ce ne sont pas deux, mais bien trois pilotes qui sortirent du banking ce jour là.

MsO

jean behra

11:30 Publié dans j.behra | Tags : jean behra | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |

05 septembre 2012

Monza, septembre 1970

rindtchapman.jpg

 Parcourant le net, nous avons retrouvé le très beau texte de John Miles, paru jadis sur MdS et qui relate la fin de Jochen Rindt le 5 septembre 1970. Ce texte, comme Jochen, mérite de ne pas tomber dans l'oubli.

 

« Le soleil était bas lorsque le Trident British Airways, vol 062, atterrit à l’aéroport de Milan Linate le jeudi 3 septembre 1970. Il faisait chaud et humide, comme il semble que ce soit toujours le cas en Italie. Je jetai un œil dans le cockpit baigné de pénombre où le pilote et le co-pilote remplissaient leurs plans de vol de retour. Ils seraient à la maison ce soir, les veinards.

Jochen était au sommet. Il régnait sur le championnat du monde. Sa confiance était inébranlable. Il venait de marquer une fantastique série de victoires qui avait débuté à Monaco sur une Lotus 49C, puis sa nouvelle 72 s’était mise à voler. Victoires à Zandvoort, Charade, Brands Hatch et Hockenheim. Jochen Rindt semblait indestructible, vu de l’extérieur.
Mais il ne faut pas se fier aux apparences. J’avais le sentiment que nous avions essuyé trop de casses. Les modifications constantes et les mises à jour – auxquelles s’ajoutaient la surcharge d’une troisième auto pour Emerson Fittipaldi – étaient le signe d’une activité frénétique et engendraient trop de fatigue chez les mécanos. On ne pratiquait pas comme ça chez nos concurrents, me semblait-il. Une intuition trottait dans ma tête, me disant que les choses ne se passeraient peut-être pas aussi bien durant ce week-end.

La 72 avait commencé sa carrière entachée de deux défauts de base : une anti-plongée excessive qui agissait sur les freins en les bloquant, et un anti-patinage également trop prononcé engendrant une traction trop faible. Une fois supprimés les systèmes “anti”, la voiture a vraiment bien marché – car le reste était parfait.

Mais, mon Dieu, qu’elle était fragile ! Nous étions sans arrêt en train de la rafistoler. De plus, le fait de ne pouvoir garder un moteur intact me frustrait (on sut après qu’il y avait un défaut de lubrification). Sur l’Osterreichring, deux semaines avant Monza, un axe de frein s’était rompu sur ma voiture, manquant de peu de me précipiter contre un arbre. Une vibration horrible s’était déclenchée au début de la course. Quand je freinais, la voiture se déportait sans prévenir sur la droite et m’envoyait me bagarrer avec les virages – heureusement que mon ange gardien y veillait. C’en était assez. Chaque fois que je montais dans 72/R1, le moteur pétait ou quelque chose cassait.

rindt4.jpgJ’avais demandé à la merveilleuse Trish, du Team Lotus, de me réserver une chambre calme à l’arrière de l’Hôtel de la Ville, afin d’en finir avec les lumières des feux de signalisation et des courses de mobylette toute la nuit. Je n’ai pourtant pas fermé l’œil, n’arrêtant pas de songer à Bruce McLaren, Piers Courage et Paul Hawkins. Piers venait juste de me doubler quand il s’est crashé. Et maintenant je suis à Monza, théâtre de combats de titans, fief des tifosi. Je n’aime pas cet endroit. Est-ce un circuit automobile ou une arène de chars, style Ben-Hur ? Quelle est la différence ?

Vendredi matin. Il y avait une superbe suspension dans la salle à manger et un lot de boiseries anciennes. N’ayant pas aperçu Jochen au petit-déjeuner, je suis parti au circuit, seul. Les tifosi était déjà à l’œuvre, tentant d’escalader les grillages. L’un avait du sang sur les mains. Aucun camion Gold Leaf Team Lotus n’était en vue. Pas de chef mécano Gordon Huckle, ni Dave “Beaky” Sims, non plus Eddie Dennis. Tous les autres étaient là, par contre. Graham Hill avait essayé sa Lotus 72 Rob Walker plus tôt dans la semaine ; je notais ses spécifications aérodynamiques : ailerons avant plats et section centrale de l’aileron arrière à trois plans ôtée.

Le camion Lotus arriva au paddock peu avant la première séance d’essais. Les gars venaient de s’envoyer 48 heures de route non-stop. Ils avaient l’air épuisé. Ils avaient fourni une grosse somme de travail depuis le GP d’Autriche, outre une 72 à assembler pour Emerson. Les gars étaient en train de régler les rétroviseurs, installaient le siège d’Emerson et faisaient les pleins.

Drôle de façon de gagner un championnat du monde, lance Phil Kerr, le team manager de McLaren, alors qu’il passe près de moi. Je suis convoqué au centre médical. Typique absurdité italienne : on me fait mettre sur une jambe, les bras écartés, les yeux fermés. Je n’ai jamais compris pourquoi. Dingue ce truc.

Jochen semblait en forme. Il savait le championnat dans sa poche. Nina, son épouse, était là comme d’habitude. Autour de Jochen flottait en permanence comme un air d’urgence. Il explosait très vite. Il détestait les essais ; j’adorais ça. En ce qui me concernait, ma conception du paradis était de tourner à Silverstone pour améliorer une auto. Une auto bien réglée va vite sans faire prendre à son pilote beaucoup de risques. Jochen et moi étions en retard après la première séance d’essais : dans les 1,28 alors que Jacky Ickx était à 1,24.6 en compagnie de Clay Regazzoni et Jackie Stewart dans les 1,25 sur sa Tyrrell 001 dont c’était la première sortie. Mais c’est dans la deuxième séance que les choses se sont sérieusement gâtées.

Jochen et moi travaillions sur la vitesse de pointe et nous en étions plus ou moins arrivés aux même conclusions que Graham Hill : ailerons avant et arrière plats, volet central de l’aileron arrière enlevé. Il restait environ une demi-heure d’essais. Les Ferrari était devant en 1,24, nous étions deux secondes derrière. Jochen s’arrête au stand pour réclamer davantage de vitesse de pointe. Il avait failli gagner ici l’an dernier sur une Lotus 49 dépourvue d’ailerons. Il exige qu’on ôte ses ailerons.

Nouvelle image.pngC’est le seul moyen d’aller vite sur ce toboggan, dit-il à Eddie Dennis, son mécano. J’avais perdu un temps fou dans le deuxième Lesmo à cause de la sortie qui est aveugle et qui commande le bout droit menant à l’ultra-rapide courbe Ascari (une chicane maintenant) et à la longue ligne droite qui va vers la Parabolique.
C’est alors que j’aperçus Jochen dans mes rétroviseurs. Il restait environ une demi-heure à tourner. Il y avait quelque chose de changé sur sa voiture. J’ai ralenti. Il est passé sous le pont de l’anneau de vitesse dans l’habituel environnement de bruit et de turbulences. Dans Ascari sa voiture était comme folle : l’arrière zigzaguait, elle utilisait toute la piste, même le tarmac où le circuit junior rejoint le grand circuit. Nous nous sommes arrêtés tous les deux au stand. Jochen avait fait 1,25.7, moi 1,26.5. Il était de 500 à 600 tours plus vite en ligne droite sans ailerons. Il voulait maintenant une très longue 5e vitesse pour exploiter au mieux le super DFV à 10 500 tours qu’on lui installerait pour le samedi.

La vision de sa voiture très instable sans ailerons m’avait convaincu de garder les miens. Une conversation que je n’oublierai jamais s’ensuivit alors. Avant que j’aie pu dire quoi que ce soit, un ordre fusa de Colin :

Enlevez les ailerons de la voiture de John ! J’ai répliqué par la négative.
Colin a insisté :

Virez-lui ses ailerons ! Confronté à ce genre de situation, je me fie toujours à mon instinct. La méthode la plus lente est souvent la plus efficace, se plaît à dire Jackie Stewart.

J’avais une idée de ce qui m’attendrait sans ailerons, car même avec ses appuis, ma voiture était très nerveuse. Dans le premier virage, la Curva Grande, l’arrière partait, ainsi que dans Lesmo. Il n’y avait aucune adhérence. Pour la première fois, j’avais peur dans une voiture de course. Les essais se sont achevés. Jochen et moi étions respectivement 6e et 11e. Emerson était en 1,28 mais sa 72 était en panne quelque part sur la piste. Encore un pépin de plus.

En ce temps-là, l’effectif du Team Lotus se montait à 12 personnes. On n’avait pas encore entendu parler de motor-homes ; les débriefings avaient lieu à l’arrière du camion.

La seule façon pour toi de faire du bon boulot est d’enlever ces ailerons, avait renchérit Colin, ce à quoi je m’opposai.

On construisait des voitures avant que les ailerons n’apparaissent, tenta de me rassurer Colin.
Oui mais il me faut du temps pour régler l’auto, répliquai-je, à quoi Colin, têtu, avait répondu :

Tu tourneras demain sans ailerons.
Je ne veux pas.

C’est un ordre, tu le feras !
Et le dialogue s’est arrêté là.

Jochen_Rindt_mit_Colin_Chapman_in_Zeltweg_im_Jahr_1970.jpg


Je me sentais mal. Etre en désaccord avec l'homme qui m'avait tant aidé ne me mènerait nulle part. Toutefois je savais mes jours comptés chez Lotus. Jochen, lui, était optimiste. Il avait réussi à régler la voiture sans ailerons en moins d'une heure et il se sentait capable d'en maîtriser l'instabilité. Pour ma part, j'estimais le risque trop grand. Nous n'avions pas la moindre idée du comportement aérodynamique de cette auto privée de ses ailerons. Je n'aimais pas cette approche irréfléchie du problème.

J'avais abandonné Dave à sa check-list : réglages des sièges, rapports de boîte, etc. Je lui avais rappelé mon opposition formelle à la suppression de mes ailerons, mais je m'attendais au pire. J'ai quitté le paddock, ai passé une bonne nuit, et le lendemain, je suis tombé sur Jochen et Peter Gethin prenant leur petit-déjeuner. Nous avons causé ailerons. Stewart avait été sacrément rapide sans les siens, je suis sûr qu'il avait fait des essais ici même dans la semaine. La plupart des autres pilotes tournaient avec de l'appui.

Ne t'inquiète pas, John, ça va aller, me fait Jochen. Alors qu'il ne restait qu'une séance d'essais ? J'en doutais. Je voulais faire les choses à ma façon.

Samedi matin, l'équipe Lotus paraissait plus sereine. Bien entendu, on avait ôté les ailerons de ma voiture.
Désolé John, le Vieux m'a donné des ordres, s'est excusé Dave.

J'avais perdu le contrôle de ma prise de risque. La journée s'annonçait belle. Jochen a pris la piste dès le début des essais. Dave finissait de faire le plein de ma voiture. Il avait modifié mon siège, ainsi que je le lui avais demandé. Dix minutes après, mécontent de mon sort mais confortablement sanglé, je quittais le paddock en roulant au pas en direction des stands.


Ces DFV était tellement souples, dociles. Avant d'avoir gagné la ligne des stands, je me suis rendu compte que les bruits de moteurs avaient cessé, seuls quelques borborygmes de Cosworth s'étouffant au pied des mécanos troublaient le silence qui s'était abattu sur Monza.
Bizarre. Soudain, Colin, l'ingénieur Maurice Philippe et Dick Scammell se sont matérialisés devant moi, surgissant de la foule qui encombrait les stands.

Jochen a eu un accident. Va voir sur place ce qui s'est passé ! lança Colin.

Mon Dieu ! Que s'est-il passé ? Que puis-je faire ? J'aurais voulu rentrer dans un trou de souris. J'ai été soulagé quand les commissaires ont refusé que je prenne la piste. Bernie Ecclestone, le manager de Jochen à cette époque, suivi d'Eddie Dennis, ont cavalé comme des fous vers la Parabolique. Jochen avait été extrait de l'épave de sa voiture lorsqu'ils y arrivèrent. Un commissaire leur fit un signe qui indiquait le pire. Ils eurent le sentiment que son esprit n'était plus là, qu'il s'était envolé.
Eddie a ramassé un morceau de disque de frein, et l'a balancé au loin. Il a trouvé une des chaussures de Jochen et aussi son casque. Tout l'avant de la voiture était parti. La voiture avait quitté la piste sur la gauche, heurté le rail et explosé dessus. Jochen n'était pas attaché.

On l’a trouvé tellement enfoncé dans le cockpit que la boucle du harnais de sécurité était enroulée autour de son cou. Tout le monde s'est figé. Même les tifosi avaient fait silence. Une autre catastrophe pour Lotus à Monza, là où ils saisissent les autos et traînent les gens devant les tribunaux. Graham et Rob Walker ont rentré leur auto au garage ; Dick Scammell et moi leur avons emboîté le pas, en refermant le rideau presque complètement derrière nous, de façon à ne laisser filtrer de l'extérieur qu'un mince trait de lumière.

Il ne restait rien de l'avant de la voiture de Jochen.
Regardons les choses en face, il est mort, a murmuré Dick.

Il savait déjà car il avait vu le corps de Jochen transporté dans l'ambulance. J'étais terriblement bouleversé, mais aussi quelque part soulagé, comme si j'avais joué à la roulette russe et en avais réchappé. Graham avait souvent été de bon conseil envers moi. J'aimais son approche sensée et raisonnable de ce sport, analogue à la mienne. Mais là, dans cette lumière glauque, il semblait ailleurs ; il a demandé à Rob quand les essais reprendraient.

Il n'y aura pas, bien entendu, de départ à Monza pour le Team Lotus. Aux alentours de cinq heures, la mort de Jochen était officielle et toutes les 72 furent embarquées dans les camions. Je suis rentré à l'hôtel où j'ai vu Nina Rindt en plein désarroi, soutenue par son père, Kurt Lincoln, et par Helen Stewart. J'avais voulu dire quelque chose mais je n'y suis pas parvenu. J'ai dîné, ce soir-là, en ville avec Emerson et des membres de sa famille. Puis j'ai appelé Chris, mon épouse, et je me suis mis au lit.

Piers Courage, Bruce McLaren, et maintenant Jochen Rindt. Sans compter les pilotes moins connus qui sont morts durant cette période et qui n’étaient pas moins importants à mes yeux. Voilà un sport que j’avais toujours rêvé de pratiquer, étant gosse, et qui se changeait aujourd’hui en une histoire d’amour tournant au vinaigre.

miles70.jpgNous ne saurons jamais ce qui s’est réellement produit. On a trouvé l’arbre de frein avant-droit cassé. Une rupture nette tendrait à suggérer que la pièce a cédé dans le choc contre le rail ; une rupture de torsion serait à porter au compte de l’arbre de frein lui-même, qui en lâchant, aurait déséquilibré la voiture sur la gauche, comme la mienne l’avait été sur la droite lors de mes ennuis en Autriche. Denny Hulme a témoigné que la Lotus avait oscillé sur la piste avant de virer sur la gauche. Une pièce s’est-elle cassé, ce qui aurait contraint instinctivement Jochen à donner un coup de volant tout en freinant ? Il avait monté des pneus usagés, et d’autre part, il avait des plaquettes neuves.
On peut aussi imaginer que la balance des freins n’avait pas été adaptée à la faible adhérence du train arrière engendrée par l’absence d’ailerons, ce qui a pu l’envoyer direct dans le rail quand il a freiné. On a raconté aussi que Jochen avait été mis en garde par des membres de l’équipe Lotus qui s‘appuyaient sur mes dires, du risque encouru à tourner sans ailerons.

Des pièces cassent sur les voitures de course. Je pense que c’est ce qui s’est produit. Je n’imagine pas que Jochen ait fait une faute, même sur une auto aussi difficile à mener. J’ai pris le bus pour rejoindre l’aéroport, le jour de la course, avec Bernie Ecclestone. Il était à la fois très éprouvé et en colère. Il semblait vouloir désigner des responsables. Une semaine plus tard, le team manager Peter Warr et Maurice Philippe, déguisé en mécanicien, se sont introduits dans l’enceinte où était entreposée la Lotus accidentée et en ont prélevé le moteur, lequel n’était pas concerné dans l’enquête. Ce DFV fut installé dans la 72 d’Emerson et a gagné le GP des USA quatre semaines après.

J’ai rencontré Colin peu près ce drame. Il était évidemment très affecté et m’a dit que Lotus manquerait le GP du Canada pour se réorganiser. Il m’a donné son accord pour aller au Mans faire quelques prises de vues (John Miles avait collaboré au film Le Mans). Deux semaines après, je reçus un appel de Peter Warr m’informant que Reine Wisell me remplaçait. J’en ai été très chagriné sur le coup, mais rétrospectivement Colin avait sans doute raison. L’équipe avait besoin de nouvelles têtes, pas de quelqu’un dont la confiance était au plus bas. Au Glen, Emerson et Reine firent du bon boulot, en arrivant premier et troisième. La Lotus 72 avait commencé à rembourser ses dettes.

Une de mes meilleures décisions fut de décliner, ce même week-end, le volant d’une Lotus 70 F5000 d’usine à Brands Hatch. Alan Rollinson l’a conduite et l’auto a cassé, l’envoyant dans l’herbe un peu avant Hawthorn !

En ce qui concerne 72/R2, la voiture de Jochen, des rumeurs prétendent qu’elle serait détenue par un particulier en Suisse. J’espère, pour ma part, que ce qu’il en reste est parti là où est sa vraie place – dans un broyeur. »


Un texte de John Miles pour ITV Television (1999), traduit par Patrice Vatan

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La Lotus 72 de John Miles sans ses ailerons