30 avril 2014
Quatre après-midis de chien...
Il y a tout juste vingt ans, la formule 1 connut à Imola un de ses week-ends les plus noirs, perdant simultanément son leader déjà mythique et aussi, ne l'oublions pas, un pilote autrichien prometteur et débutant, prémices à une année sombre.
Beaucoup se remémorèrent alors des images déjà vues douze ans auparavant en Belgique avec la disparition presque en direct du petit prince de la discipline, au sein d’une année elle aussi passablement tourmentée.
Certains un peu moins jeunes revirent aussi les images de la tragédie ayant eu pour cadre le Parc de la Villa Reale à Monza, là encore douze ans avant Zolder, où le presque champion du monde charismatique perdit soudainement la vie, agravant ainsi le bilan d’une année qui fut terrible.
Enfin les plus anciens ne purent s’empêcher de se rappeler la tout aussi dramatique année 1958, avec comme point d’orgue le très richement doté Grand Prix de l’ACF à Reims qui fut fatal à un bel italien au regard ténébreux, ultime représentant de son pays dans la formule reine. Ces faits se déroulèrent une fois de plus douze ans avant Monza.
J’avoue avoir appréhendé l’année 2006. Mais au passage du XXIe siècle, le sortilège fort heureusement semble enfin avoir été rompu.
Reprenons ces quatre épisodes dans l’ordre chronologique.
Acte 1. 1958 - Reims, Le tout pour le tout
Luigi Musso arrive à Reims très déterminé. Face à une paire de britanniques ligués contre lui (Hawthorn et Collins), le champion italien veut reprendre le leadership du championnat, il tient surtout à empocher la super-prime de dix millions de francs – cinq fois le montant normal - attribuée au vainqueur du Grand Prix de l'A.C.F. , la course des producteurs viticoles champenois.
Juste avant la course, Musso a reçu un télégramme de son associé Mario Borniglia, mi-sérieux mi-blageur : « Gagnes, the IOU (la dette) doit être réglée demain ». Ses affaires d’importation de Plymouth (ou Pontiac) américaines vont mal - certains évoqueront la « Pieuvre » - sa vie sentimentale, qu’il partage avec la belle Fiamma, est un peu compliquée, il a laissé femme et enfants à Rome et leur doit à juste titre une pension conséquente.
Bien placé sur la ligne de départ, Luigi ne tient surtout pas à se faire distancer par ce « garagiste anglais » mieux parti que lui. Survient le 9e tour (ou 10e, selon certaines sources), où Musso s’est rapproché mètre après mètre de la Ferrari de Mike Hawthorn.
Il tente alors de mettre en pratique les conseils du grand Fangio sur la façon de prendre les virages le plus vite possible, et négocie la courbe du Calvaire complètement « flat-out » en débordant un attardé. Il perd alors le contrôle de sa Ferrari N° 2 qui s’envole dans un champ; Musso est éjecté, tout s'est joué en un instant, c’est fini. Le pilote romain s’en est allé rejoindre son ami Castellotti, parti quelques mois auparavant seulement. L'année précédente, Musso avait gagné ici même au volant d'une Ferrari portant également le N°2.
La course ne fut pas interrompue pour autant. Il importait qu’elle eut un vainqueur, Mike Hawthorn en remportant l’épreuve pris une sérieuse option sur le titre.
Dès lors l’époque des campionissimo toucha à sa fin. Plus personne, excepté l’américain Phil Hill, n’allait pouvoir empêcher la mainmise des sujets de sa gracieuse majesté sur le championnat du monde des pilotes, jusqu’à ce qu’un autrichien talentueux...
En cette maudite année 1958, la liste des disparus ne fera que s’allonger : Peter Collins allait se tuer un mois plus tard sur le circuit du Nürburgring, ensuite ce fut le tour de Stuart Lewis-Ewans à Casablanca dans des circonstances plutôt horribles. Le nouveau champion du monde Mike Hawthorn ne bénéficiera lui que de quelques mois de sursis.
Quant au sort de la ravissante Fiamma Breschi, le Commendatore prendra soin d'elle, mais ceci est une autre histoire qu'elle nous a elle-même racontée dans un livre intitulé « Il Mio Ferrari - Memorie di una Signora della Formula 1 ».
Acte 2. 1970 – Monza, Assurer la dernière levée
Tout autre etait l’état d’esprit de Jochen Rindt en abordant la course de Monza. On pourrait le rapprocher de celui du joueur de bridge qui sait qu’il est en très bonne voie pour réussir son contrat, mais qui pour cette même raison veut absolument remporter la levée décisive de peur que la chance ne lui tourne le dos. En se positionnant en haut du classement ici-même en Italie, Rindt aborderait les Grand Prix de fin de saison outre-atlantique d’une façon totalement sereine.
Jochen en effet n’est déjà plus le jeune chien fou qu’il était encore quelque temps auparavant. Il a trouvé en Nina son point d'équilibre, il commence à se projeter au-delà de sa carrière de pilote, il pourrait diriger une équipe à son nom, il a déjà eu des projets avec Matra et même avec Robin Herd.
Seulement rien ne fonctionne comme prévu. Un nouveau châssis Lotus comportant de nombreuses améliorations techniques dont des freins avant repensés est prévu pour lui, c'est le 72/5. Afin de l'aider dans sa tâche, un Cosworth plein de chevaux ira avec. Las, aux essais du vendredi, le néophyte Fittipaldi chargé de dégrossir les réglages du nouveau châssis part à la faute et entre en collision avec Giunti. Exit la 72/5, Jochen conduira son habituelle 72/2.
On sait ce qu'il advint le lendemain, l'accident fut très certainement dû à la rupture de l'arbre de frein avant droit, pièce qui comportait un défaut de fabrication, aggravée par le fait que Rindt n'utilisait que des harnais quatre points au lieu de six.
J'étais présent à Monza ce 5 septembre 1970, nous nous étions, mes cousins et moi, introduits - subrepticement - dans le paddock comme nous le faisions habituellement pour côtoyer au plus près nos héros. J'ai encore en tête l'image du Gold Leaf Team Lotus au complet parlant technique dans l' « hospitality » du Team dont la plus grande partie se trouvait alors en plein air.
Lorsque le speaker annonça la funeste nouvelle, nul besoin de parler italien pour comprendre, ce fut comme une chape de plomb qui s'abattit sur le circuit.
Cette terrible saison 1970 avait vu disparaître successivement Bruce McLaren, Piers Courage et maintenant c'était au tour de Jochen Rindt ! Sans même parler des deux espoirs français tués le même jour de juillet en Formule 3 à Rouen.
Nous avons malgré tout suivi la course le lendemain. Les tifosi avaient quant à eux déjà tourné la page et fêtèrent comme il se doit le succès de « l'italien » Clay Regazzoni au volant de la « Ferrari ». J'ai à ce moment-là pris quelques distances avec la course automobile et rangé au vestiaire mes rêves de devenir un jour pilote de course.
Les accidents ne cessèrent pas pour autant. Ajouté aux retraits multiples, c‘est presque la totalité de grille de départ qui fut renouvelée en l’espace de trois-quatre ans. Comme le résume parfaitement la citation attribuée à Jack Brabham, à moins que ce ne fût à Jackie Stewart, « I remember when sex was safe and motor racing dangerous ».
Acte 3. 1982 – Zolder, La soif de revanche
Nous ne nous appesantirons pas sur des faits que les fans de Formule un connaissent trop bien pour qu'ils soient détaillés ici : Gilles Villeneuve avait quitté Imola dans un réel état de fureur, dépité par ce qu’il considérait être une trahison, et bien décidé à ne plus se laisser grignoter un mètre de terrain par son encombrant équipier Didier Pironi.
Deux semaines plus tard en Belgique, il sent que son équipe le lâche, que son directeur sportif Marco Piccinini soutient le pilote français, en bref que Ferrari n’a plus la fièvre Villeneuve.
Dernière séance d’essai, Gilles est juste derrière Didier en qualifications. Dans son tour de rentrée aux stands, il fonce comme un damné, il arrive sur Jochen Mass qui s’écarte devant lui, Gilles a déjà choisi la même trajectoire, l’accident est inévitable. Le choc est terrible, la Ferrari s’envole, le pilote est éjecté, c’est déjà presque fini.
Villeneuve est celui qui ne baissait jamais les bras, en exagérant à peine on pourrait dire que par moments il torturait ses voitures, sa fin fut à l’image de son style, à fond et sans le moindre calcul.
Tout ceci ne put en aucun cas nous empêcher de vivre intensément la course derrière nos écrans. En ces temps éloignés où les Renault-elf crevaient l’écran, nulle dîme n’était perçue pour assister en direct au spectacle. Gilles était un kamikaze, voilà tout.
L’année 1982 allait être fertile en épisodes de toutes sortes mais surtout en drames. Elle avait commencée par une grève des pilotes, suivie par le boycott de la course d’Imola par les écuries liées à la FOCA.
Au Grand Prix du Canada le néophyte italien Riccardo Paletti disparût à son tour ; arrivant à pleine vitesse après le signal du départ, il ne put éviter la Ferrari de Didier Pironi placée en pole qui avait calée.
Peu de temps après Didier devait payer un lourd tribut à sa passion. On se réjouissait déjà de voir un français devenir enfin champion du monde. Comme Rindt quelques années avant, Didier ne voulut pas laisser la moindre part au hasard. Il partit sous la pluie lors des essais tenter de régler sa Ferrari dans l'hypothèse où les conditions seraient restées humides pour la course. Plus jamais Pironi ne participera à une course de Formule 1, il gardera de sérieuses séquelles de son crash, quant au titre de champion du monde…
Cet accident marqua le début d’une longue période de disette pour la Scuderia. On commençait à penser que l’écurie avait fait sien l’adage attribué à Coubertin « l’important c’est de participer ». Et ce n’est qu’après l’arrivée de Jean Todt suivie peu de temps après par celle du bien nommé « Baron rouge » que les choses évoluèrent.
Acte 4. 1994 – Imola, Un mauvais pressentiment
En 1994, la saison de Grand Prix débuta de façon étrange, rien de ce qui devait immanquablement arriver ne se produisait. La super star Ayrton Senna Da Silva, libérée de son plus grand rival Alain Prost et ayant récupéré le volant de l’invincible double championne du monde Williams-Renault n’aurait dû faire qu’une bouchée de tous ses adversaires, risquant par là même de semer l’ennui sur les courses à venir. Certes on comptait bien sur le jeune Michael Schumacher pour mettre un peu d’animation, mais il ne risquait pas de marcher sur les plates-bandes de « Magic Senna ». C’était du moins l’avis de la majorité des spécialistes. En quoi on se trompait.
On eut un premier démenti dès les premiers Grand Prix, celui du Brésil puis celui du Pacifique où Ayrton est, disons-le, « dominé » par le jeune allemand. Pire, il aborde Imola sans un seul point au compteur.
Le week-end du 1er mai démarre de façon violente. Aux essais déjà Rubens Barrichello effectue une cabriole terrifiante, les images des télévisions nous font peur, il se passe un certain temps avant que l’on puisse être rassurés sur l'état du pilote brésilien « junior ». Roland Ratzenberger n’aura pas cette chance et n’accédera à la notoriété qu’en y laissant sa vie, comment oublier ces images d’un casque aux couleurs autrichiennes ballotté dans l’élégante Simtek bleue ?
Des bruits dans le paddock disent que Senna ne veut plus participer a cette épreuve, qu'il n’a plus la « grinta ». Le professeur Watkins lui suggère de partir à la pêche. Quoiqu’il en soit Ayrton a un mauvais pressentiment.
Inutile de vous raconter la course du lendemain dont les images sont encore gravées dans toutes les mémoires. Seulement pour ajouter que comme pour l’accident de Rindt, c’est encore un tube en métal creux qui a cédé, ce qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup moins dramatiques si un petit morceau de métal provenant de la suspension n’avait pas traversé le casque jaune.
De fait, cette course marqua la prise de pouvoir de celui que personne ne surnommait encore « le Baron rouge ». La question devenant alors : qui pour s’opposer à Schumacher ? Nous sortions juste de l’ère « Prost vs Senna », nous n’avions pas encore ajusté nos repères, pour cela il nous faudra attendre dix ans.
Quinze jours après ce week-end tragique se déroula le Grand Prix de Monaco. Aux essais Karl Wendlinger percuta les barrières à la chicane du port avec une force inouïe. Ce nouveau drame plongea un peu plus la Formule 1 dans la torpeur, on crut que plus jamais le cauchemar ne s'arrêterait. Le pilote Sauber devait rester 19 jours dans le coma, plus deux semaines en état de « sommeil provoqué ». Mais les dieux de la course décidèrent alors de l'épargner.
Cette fois les nuages noirs avaient bien voulu s'éloigner. Depuis, et grâce aux actions menées en faveur de la sécurité, on ne compte plus les disparus mais plutôt les miraculés.
Et c'est beaucoup mieux ainsi.
Signé Francis Rainaut
- Photo 2: Luigi Musso, Fiamma Breschi ©Life
- Photo 6: Piers & Sally Courage ©HISTORIC RACING
- Autres photos: ©DR
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06:00 Publié dans a.senna, d.pironi, g.villeneuve, l.musso, p.courage | Tags : ayrton senna, gilles villeneuve, luigi musso, jochen rindt, roland ratzenberger, imola 1er mai | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook | |
Commentaires
Concernant l'accident de Paletti, c'est bien lui qui a percuté la voiture de Pironi et non l'inverse.
Écrit par : Philippe ROBERT | 30 avril 2014
Répondre à ce commentaireAbsolument exact, Philippe. Mon interversion des rôles n' a pas échappée au regard aiguisé de l'expert. Je m'empresse de rectifier la vérité.
Écrit par : MSo | 30 avril 2014
Merci pour ces tristes rappels, la date du 1er mai s'y prête tant malheureusement...
Écrit par : linas27 | 01 mai 2014
Répondre à ce commentaireOui linas, et bien que cela fasse partie de la vie, je me donne comme obligation pour la prochaine note de partir sur des histoires moins sombres.
Écrit par : MSo | 01 mai 2014
Nous nous souvenons tous du lieu où nous étions pour suivre cette mort en direct du 1er mai 94. Ayrton n'a jamais était remplacé et il y a vraiment un avant et un après cet accident ; j'ai continué à suivre la F1 avec intérêt mais sans la même passion.
Merci Francis pour ces tristes souvenirs .
Écrit par : JP Squadra | 01 mai 2014
Répondre à ce commentaireIl fut un temps où une proportion significative des pilotes de courses disparaissait chaque saison. Parfois, ils entrainaient dans la mort un nombre plus ou moins important de spectateurs, un sinistre record ayant été réalisé dans ce domaine au Mans en 1955. Ces pilotes, gantés de cuir et casqués de fer, étaient des héros qui se battaient pour la victoire plus que pour l’argent. Puis les temps changèrent : les voitures se couvrirent de publicités et d’appendices aérodynamiques, aussi disgracieux qu’efficaces. Et les pilotes se préoccupèrent de leur sécurité, notion précédemment grotesque. J’ai plus fréquenté l’aviation que l’automobile. J’y ai perdu trois copains : une faute de pilotage en avion pardonne rarement. Et à chaque fois, il se disait la même chose, dans les hangars : il est mort en faisant ce qu’il aimait le plus au monde…
Écrit par : Raymond Jacques | 11 juin 2014
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