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20 mars 2017

Le Comte et le Commendatore (1re partie)

john surtees, domenico agusta

 

« C’est avec MV Agusta et Ferrari que John Surtees a remporté ses fameux titres mondiaux sur deux et sur quatre roues. Mais travailler avec ces deux grandes équipes italiennes n’était pas toujours très facile… »

C’est ainsi que commence l’article de Nigel Roebuck dans le numéro d’août 2009 de Motor Sport…

Immense est mon admiration pour John Surtees. Dans la galaxie très fermée des pilotes de Grand Prix, John occupe une place tout à fait à part. Sa trajectoire est limpide, on pourrait presque parler de ligne claire comme pour son casque blanc à liseré bleu clair… Qui, mieux qu’un grand journaliste anglais, peut nous parler d’un grand pilote anglais ? Pour nos lecteurs, et afin d’honorer « Il grande e unico Surtees », nous avons traduit cette note en français; en voici la première partie.


john surtees,domenico agusta
1951. John Surtees, Vincent HD

 

« Big John », c'est comme ça que nous l'appelions. Et en Italie, là où il a débuté, « Il Grande John ».
John Surtees a vécu, pendant une grande partie de sa vie, une véritable histoire d’amour avec l’Italie. Tout cela a commencé en 1955, lorsque qu’un jeune pilote de motos de course prodige de 21 ans comprit que s’il voulait progresser, il devait, comme il dit, « aller voir ailleurs ».
Surtees avait rejoint cette année-là le team officiel Norton, avec des résultats  remarquables, mais il était un peu frustré par le refus de la firme de s’engager dans le Championnat du Monde. Il plaida donc sa cause auprès du DG, Gilbert Smith. Il n’était pas impossible, suggéra-t-il, que Norton puisse gagner un titre ou deux.
« “Et bien, Surtees,” répliqua Smith – il m’appelait toujours “Surtees”  - je pense que vous avez raison, mais… non. Je veux dire, est-ce que vous réalisez que si vous remportez le Championnat du Monde, vous gagnerez plus que le directeur de cette compagnie ? »
Heureusement  pour John, on lui proposa cet été-là de conduire une BMW au Nürburgring. Il découvrait pour la première fois la Nordschleife, et il livra un beau duel avec Walter Zeller, la star de BMW.
« Plus important, » raconte Surtees « J’étais devant les MV Agustas ». Leur team manager  était Nello Pagani, qui avait été champion en 1949. Au retour il déclara, “Il nous faut Surtees”. ».
« Je voulais aller chez Gilera, mais ça n’a pas collé – leurs pilotes titulaires ne voulaient pas de moi là-bas. J’ai reçu également un appel de Moto Guzzi, mais ils n’étaient pas sûrs de ce qu’ils allaient faire avec leur huit-cylindres. A ce moment-là MV a dit, “On aimerait bien vous avoir chez nous”, et j’ai répondu je viens et j’essaie la moto. ”. »
« Rétrospectivement, ma carrière toute entière fut guidée plus par la passion pour tel ou tel travail, plutôt que par essayer d’obtenir à chaque fois la meilleure machine. Mais dans les faits, MV Agusta a joué un rôle très important dans ma vie, et je pense que la réciproque est vraie. A ce moment-là, ils avaient besoin de moi, et moi d’eux. »

 

john surtees,domenico agusta
Comte Domenico Agusta, John Surtees

 

«  Et ainsi, pendant alors que Surtees était à Monza, il en profita pour se rendre à Gallarate, afin de rencontrer le Comte Domenico Agusta. « Il adorait son titre, » dit John en souriant. « Il venait de Sicile ou de ses environs. L’Italie était encore assez féodale à cette époque, et l’est toujours, pas certains cotés ! »
Agusta désirait briller sur le devant de la scène, et pour y arriver il choisit la moto ; il voulait rivaliser avec les familles Gilera et Parodi (Moto Guzzi). C’était différent, pourtant, car pour Agusta les motos n’étaient qu’un hobby. Ce qui était important c’était le développement des hélicoptères, et il y avait aussi un avion de transport, un projet de développement  qui venait juste de tomber, financé par les fonds publics !
Par opposition, les membres de la famille Gilera étaient des coureurs, le fils Gilera était un grand ami de Dino Ferrari, et ce fut une terrible tragédie que de les voir partir tous les deux si jeunes, avant même qu’ils aient pu jouer un rôle dans les activités de course de leurs firmes. »

En 1950 le Comte Agusta engagea sa firme Meccanica Verghera dans la compétition motocycliste, débauchant en même temps plusieurs personnes de chez Gilera, incluant le designer Piero Remor dont les idées, selon Surtees, étaient totalement dépassées.
Lorsque Remor quitta Gilera, Piero Taruffi fut recruté, et ils sortirent une moto plus fine, plus petite. Hélas, Remor refit chez MV ce qu’avait été l’ancienne Gilera, une moto beaucoup plus grosse.
Surtees partit effectuer des tests à Monza, mais il plut sans interruption, et le circuit était couvert de feuilles. Mortel. Ils se replièrent alors sur Modène, mais il plut davantage encore. Ils déclarèrent “Nous n’effectuons habituellement pas de tests dans des conditions humides”. Je leur fis remarquer que les conditions étaient parfois humides les jours de course…

Ensuite Surtees fut conduit au bureau du Comte Agusta, en compagnie de Pagani et d’Arturo Magni, le chef mécanicien qui allait devenir ami de John pour la vie. « C’était un bureau plutôt sombre, et au milieu se tenait le Comte, portant des lunettes fumées. Après quelques échanges, il dit, “OK, voilà le contrat”. Il était plutôt meilleur que celui qui m’avait été proposé chez Norton…

Puis ils dirent “Encore un moment, il reste une formalité. Restez s’il vous plaît…” Et apparut soudain cette lady, habillée en noir, portant une voilette et tout ce qui va avec. Elle me dévisagea de haut en bas, marcha tout autour de moi, puis commença à baragouiner au Comte, qui s’adressa à Callatroni, l’interprète, qui m’annonça alors “John, vous êtes accepté dans la famille...” C’était la Comtesse, évidemment, la matrone. Et ce fût mon introduction à l’Italie !
Surtees se mit à apprécier rapidement le pays et ses habitants, établissant de bonnes relations avec les mécaniciens (comme il allait le faire pendant  toute sa carrière), et s’installant dans un hôtel à proximité.

 

john surtees,domenico agusta
TT Isle of Man. Surtees, MV Agusta

 

Au sujet du Comte, Surtees se souvient de lui comme d’un individu fondamentalement austère. « Ces personnes étaient un peu des archétypes, tu vois, que ce soit Agusta, Ferrari ou Honda. Ils gardaient une certaine distance. Je devais patienter devant le bureau du Comte pendant des heures, juste pour avoir la possibilité de lui demander si nous ne pourrions pas essayer quelque chose de différent.
Tout était fait pour que vous restiez à votre place. Il n’était pas inhabituel  à l’époque de se comporter ainsi, je veux dire, fussiez-vous un roi, Ferrari vous aurait fait la même chose ! Ces gens-là avaient tous leurs petits usages…
En fait, Ferrari ne m’a jamais traité comme ça, généralement vous étiez invité à déjeuner avec lui au Cavallino. Et sauf si vous tombiez sur un ce ses mauvais jours, c’était là la meilleure opportunité pour avoir une vraie conversation avec lui. »

« Chez MV, cependant, c’était plus difficile, et la plus grosse évolution que nous ayons faites – suite à laquelle la moto devint conduisible, malgré son poids, au point que je pouvais me pencher à la limite – intervint après toute une histoire. J’étais tellement frustré de ne pas pouvoir parler avec le Comte, qu'au lieu de reprendre ma voiture, je réservais une place dans le même train que lui au retour du Grand Prix de Belgique. En définitive, je réussis à le convaincre ! Et pendant la durée du voyage de retour, il fut décidé que ferions un tout nouveau cadre, quasiment une version du cadre Norton. Et cela a complètement transformé la moto. »
Cependant, John dut attendre jusqu’en 1958 pour obtenir ce qu’il voulait, et, compte-tenu qu’Agusta souhaitait que ses motos gagnent, on a un peu de mal à comprendre ce comportement dilatoire, pour ne pas dire obscurantiste, vis-à-vis de son pilote vedette.

« Vous savez, le Comte se rendait sur toutes les courses,  toujours avec son mouchoir serré autour de sa tête ! Ce que j’ai trouvé le plus triste dans ma période chez Ferrari, c’était que le Vieil Homme ne se rendait jamais sur les courses. Je l’aurais adoré s’il était venu voir courir ses voitures en par lui-même et je l’aurais par la même occasion conseillé sur ce qui devait être fait. Au lieu de ça, il restait chez lui, écoutant les dires de ceux qui savaient ce qu’il voulait entendre, à la place de la vérité.
Le Comte était un peu détaché de tous ce qui se passait. Parfois il avait un peu la grosse tête, mais bien sûr il était un peu “vieux style”. Oui, vous mangiez parfois avec lui, mais c’est principalement les jours de course que vous étiez ensemble. Il avait un grand sens de l’humour, et vous passiez parfois du bon temps avec lui. Mais à d’autres moments, tout devenait très guindé, et vous deviez alors vous conformer aux usages… »
Surtees devint comme prévu Champion du Monde en 1956, le seul raté dans ses cinq saisons avec MV se produisant l’année suivante, quand les motos furent affectées d’un manque de fiabilité. Cependant, par la suite, il devint pratiquement imbattable, Champion du Monde en 350 et en 500 trois années de suite.

 

john surtees,domenico agusta

 

Toutefois, à mesure que le temps passait, les frustrations s’installèrent. Bien que John conduisit pour MV dans le Championnat du Monde, une douzaine - ou à peu s’en faut - de week-ends de course par an était loin d’être suffisant pour satisfaire quelqu’un comme lui, et à l’origine, il était libre d’engager sa propre Norton dans d’autres épreuves, avec beaucoup de succès comme on pouvait le prévoir. A la fin de 1957, ceci commença à contrarier MV – « Ils commencèrent à me tailler des croupières dans la presse italienne, affirmant “Surtees n’a pas besoin de MV pour gagner.” » Lorsque John signa un nouveau contrat de trois ans avec le Comte, il lui fut interdit de piloter autre chose qu’une MV.
« Je pouvais comprendre cela sous certains aspects, mais en même temps je pensais “J’aime la course ! Je ne peux pas être heureux en ne courant que 12 ou 14 fois dans l’année”. Il n’y avait, par contre, aucune clause dans le contrat qui m’interdise de courir sur d’autres engins… »

Ce qui a incité Surtees à penser aux voitures fut la décision de MV de ne concourir que dans les épreuves du Championnat du Monde en 1960. Lors de ses deux premières courses, il termina second derrière Jimmy Clark et Innes Ireland, tous les deux sur Lotus, et peu de temps après, il reçu un coup de fil de Colin Chapman. « “Vous ferez de la F1”, dit-il. Je répondis, “Je ne peux pas, je suis un coureur motocycliste, et je dois disputer le Championnat du Monde…” Il objecta, “Parfait, lorsque vous n’aurez pas de course de moto, conduisez donc une voiture”, et c’est bien comme ça que tout s'est passé. »

 

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1960. John Surtees, Cooper F.Junior, team Ken Tyrrell

 

Dès son second Grand Prix, à Silverstone, Surtees termina second. A son troisième, à Oporto, il fit la pole. « Lorsque j’y pense aujourd’hui, il est probable que la Lotus 18 fut la voiture de F1 la plus compétitive que j’ai jamais pilotée, compte tenu de l’opposition en lice…  »
A ce moment-là, John avait compris que son avenir était avec les voitures. Ce fut à Monza, comme il se doit, qu'il courut à moto pour la dernière fois, et bien entendu il gagna. En quittant les courses de moto, le bilan de Surtees s’écrit ainsi : 348 courses, 255 victoires. Des statistiques à vous rendre fou.
«  Agusta était assez compréhensif au sujet de mes courses de voiture – ils auraient pu y mettre leur veto -. Lorsque j’ai annoncé que j’arrêtais les courses de moto à la fin de 1960, le Comte répliqua, “Très bien, je vais vous construire une voiture de Grand Prix !” »

Alors qu’un chapitre italien de la trajectoire de John se fermait, un autre commençait provisoirement à s'ouvrir. Mais lorsqu’il reçut le premier coup de fil de Ferrari, à la fin de l’année 1960, il répondit non : « Je pensais, “Je dois d’abord apprendre mon métier…” »

 

A Suivre...

traduit par Francis Rainaut

 

john surtees,domenico agusta
John Surtees, Mike Hailwood ©gettyimages

 

- Illustrations ©DR

Commentaires

Passionnant, vivement la suite !

Écrit par : marc Ostermann | 20 mars 2017

Cet article est passionnant et la photo de John Surtees au guidon de son MV Agusta sur la ligne de départ est superbe. Quelle allure dans son cuir noir ! C'est d'ailleurs incroyable car dans la silhouette de cette MV, pas grand chose ne la sépare de celles qu'utilisera plus tard et jusqu'en 1974, le très grand Giacomo Agostini. Au contraire de Big John, il s'essayera bien aux 4 roues mais avec beaucoup moins de succès et de persévérance !

Écrit par : Daniel DUPASQUIER | 22 mars 2017

Très bel article, merci.
Quand on regarde loin en arrière la liste des pilotes, on se rend compte que John Surtees n'est jamais citer parmis les grands, et pourtant...
À son époque il courait tout les week-end, en Sport, Grand Tourisme et en Monoplaces, et avec un gros palmarès.
J'attends moi aussi la suite.

Écrit par : Bruno | 23 mars 2017

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