27 janvier 2018
Daytona 1970 : Porsche s’envole
La Porsche 917 est née en 1969. Ce « phénomène », extrapolation de l’homogène 908 sa devancière, fut produit à 25 exemplaires comme la réglementation l’imposait. Elle représentait à l’époque l’aboutissement de l’offensive de la marque de Stuttgart dans la catégorie Sport. Un début de carrière difficile n’empêchera pas sa progression, mise au point laborieuse qui l’acheminera vers une insolente réussite. Avec Daytona 70 débute son impressionnante série de succès.
par François Coeuret
La présentation de la 917 est l’occasion d’annoncer la couleur. Exposée au salon de Genève début mars 69, elle fait sensation. L’ambition de Porsche se résume quelques semaines plus tard par un spectaculaire alignement des vingt-cinq unités requises pour l’homologation de la voiture en endurance. La 917 est gréée de sa « langheck » (longue queue) pour l’occasion, celle-là même qui va poser de sérieux problèmes de stabilité à haute vitesse. Les pilotes qui vont la déverminer lors des premiers tests se plaignent d‘une tenue de cap particulièrement aléatoire. L’exercice s’apparente à un essuyage de plâtre en bonne et due forme. L’adoption d’une « kurzheck » (queue courte) améliore la situation mais son excès de portance est avéré. Lors des 1000km du Nürburgring, les pilotes maison lui préfèrent la saine 908. Piper-Gardner prennent courageusement en charge la 917.
David Piper-Frank Gardner, Nürburging 1969
Revenons à sa genèse. Le Châssis de la 917 est conçu sur l’exigence de la légèreté. Il est tubulaire, réalisé en alliage léger. Le moteur est un 12 Cylindres ouvert à 180° refroidi par air, la spécialité de la marque. Oserait-on dire qu’on ne s’est pas foulé pour sa conception ? On a repris l’alésage et la course du groupe de la 908. Pour simplifier il est le résultat de l’adjonction d’un « demi 8 cylindres » au 8 cylindres 3L d’origine. On a affaire au pragmatisme germanique. Pourquoi redessiner un nouveau moteur alors qu’il suffit de reprendre l’excellente base du moteur de la 908 ? La cylindrée s’élève donc à 4500 cm3, la puissance tourne autour des 530 CV.
La saison 1970 va donc débuter après un long épisode de mise au point côté aérodynamique. D’autres postes ont été travaillés, le renforcement des freins, de la boîte de vitesse et la fiabilisation moteur. Sur les conseils de David Piper, l’un des pilotes d’essai les plus assidus, le nouveau capot arrière court s’inspire de celui de la Lola T70. Le résultat s’avère enfin efficace. La version capot arrière profilé a également été revue pour l’épreuve mancelle.
En ce début de saison 70 un duel prometteur s’engage en Floride pour la première épreuve du Championnat mondial. Ferrari, engagé en 3L avec son proto en 69, a anticipé la saison suivante. L’usine a conçu sa 512S en vue de contrer l’offensive germanique. La belle rouge possède des caractéristiques la différenciant notablement de sa rivale. Les variantes se situent au niveau du 12 cylindres, un 5L en V ouvert à 60°, de puissance supérieure (550CV), refroidi par eau. Le système de refroidissement volumineux lié au châssis cage acier renforcé par des panneaux alu confèrent à cette voiture un handicap poids de près d’une centaine de kg. Autre inconvénient, l’architecture moteur de l’italienne la pénalise par un centre de gravité plus haut que celui de sa concurrente.
Enfin la Ferrari ne s’est pas aguerrie en compétition comme la Porsche qui a bataillé pendant 6 mois sur les circuits. Si la compétition peut apparaître équilibrée en visualisant les deux protagonistes qui ne manquent pas d’allure, les détails de leur conception tendent à desservir l’italienne côté dynamique. Cette dernière par contre est plus puissante. La piste va bientôt rendre son verdict.
Sur le continent américain, la première manche du Championnat Mondial d’Endurance va engager le premier duel italo-germanique. Chez Porsche on a mis les œufs dans deux paniers. La récente association avec John Wyer dont l’expérience est précieuse permet à Porsche de disposer d’une seconde équipe en parallèle avec l’usine qui présente une voiture sous l’égide de Porsche Autriche avec Elford-Ahrens au volant.
L’équipe Gulf Wyer engage 2 voitures. Rodriguez associé au méconnu Kinnunen et Siffert-Redman piloteront les 917 K livrée bleue azur. Dans la même optique Ferrari concourt avec ses 512S usine pour Ickx-Schetty, Andretti-Merzario et Vaccarella-Giunti ainsi que des privées. Le N.A.R.T présente une 512S aux mains de Gurney-Parsons tandis que la Scuderia Picchio Rosso engage aussi une 512S pour Manfredini-Moretti. En catégorie Sport, les autres voitures présentes ne sont pas de l’année : Lola T70 et Ford GT 40. Côté Sport Prototype 3L, l’équipe Matra va tenter de damer le pion aux puissantes Sport. Trois pilotes de F1 et un futur sont aux commandes des 650 : Brabham-Cevert et Beltoise-Pescarolo. Dans cette catégorie on trouve de nombreux privés à bord de Ferrari 312P, Porsche 908, 906 et une Chevron B 16. Les GT et Tourisme forment le gros du plateau. Parmi elles, les voitures les plus rapides devront se frayer un chemin. Dans ces dernières catégories, les plus performantes se nomment Chevrolet Corvette, Camaro et Porsche 911.
Samedi 31 Janvier les qualifiés vont s’élancer pour deux tours d’horloge sur le Speedway de Daytona. Pas de surprise aux essais, les 917 et 512S ont largement dominé. Andretti-Merzario qui ont arraché la pole et Siffert-Redman occupent la première ligne devant Rodriguez-Kinnunen et Elford-Ahrens. Suivent les autres 512S. Les Matra 650 sont en embuscade mais avec leur moteur issu de la F1 le problème est de durer. Un bel entraînement pour Le Mans cependant.
Après le tour de lancement, Siffert prend la tête devant Andretti alors que Rodriguez se porte dans le sillage de l’américain. Le mexicain perd un peu de terrain dans la partie routière du circuit mais recolle la 512 sur l’anneau. Il prend finalement le meilleur sur l’américain. Ickx est parti calmement et suit un groupe de protos 3L. Les 512S ravitaillent cinq tours avant les Porsche et Ickx s’arrête aussi pour un problème de roue. Giunti ouvre le premier abandon d’une Ferrari de pointe, il heurte le mur sur le banking et détruit ses suspensions en rentrant au stand. Plus tard Redman équipier de Siffert explose un pneu et perd 15 minutes au stand. La Porsche N°2 prend la tête. Celle de Siffert est ensuite victime d’un amortisseur puis de son embrayage. Rodriguez-Kinnunen augmentent leur avance. Dans la nuit Ickx, gêné par des GT, heurte le mur du banking. Sa voiture trop endommagé abandonne. La Matra de Beltoise-Pescarolo tient une belle quatrième place que des ennuis d’allumage vont gâcher. Deux Ferrari usine ont disparu et Ickx remplace Merzario sur la 512 usine restante. La 917 « Autriche » casse une suspension qui l’oblige à un long arrêt, une fuite de réservoir la ralentit ensuite.
La longue nuit vaut des soucis pour Siffert, encore un amortisseur. Andretti s’arrête au stand en panne de feux arrière. Les Matra souffrent, démarreur pour l’une, allumeur pour les deux. Elford-Ahrens finissent par renoncer avec leur fuite. Au petit matin la Porsche N°1 de Siffert casse son embrayage, longue réparation en vue. Rodriguez-Kinnunen, épargnés d’ennuis, mènent alors largement.
Pour l’anecdote Rodriguez demanda à son équipier de rouler tranquille. Le manager de Wyer le remplace par Redman jugeant Kinnunen trop lent ! Kinnunen qui ne parle pas anglais n’a pas expliqué sa relative lenteur ! Après mise au point les choses rentrent dans l’ordre. Siffert a repris la ronde avec un embrayage neuf et attaque une belle remontée. Les Matra, ralenties par leur soucis d’allumage, vont terminer cependant toutes deux la course (10e - 18e). La Ferrari usine restante, deuxième après le long arrêt de Siffert-Redman, connaît des problèmes de châssis (les mécaniciens ont dû procéder à des soudures) et d’amortisseur. Pour ces deux voitures, la fin de course va se conclure en sprint. Siffert se déchaîne et prend le meilleur sur le fil.
La Porsche N° 2 de Rodriguez-Kinnunen triomphe devant la voiture sœur N°1 de Siffert-Redman. La Ferrari N°28 de Andretti-Merzario-Ickx complète le podium. Au bilan, la Porsche 917 a largement dominé cette première manche.
Ferrari remportera la course suivante à Sebring puis Porsche aura la mainmise sur le reste du Championnat. La 917 coiffe haut la main la couronne mondiale et récidive en 71 après avoir subi une augmentation de cylindrée (5 Litres). La règlementation à partir de 72 l’écarte du Championnat Endurance. Elle migrera vers la Can Am, amassant de nouveaux succès. Ce palmarès élogieux lié à son impressionnante allure feront d’elle une voiture de course mythique.
- Photos ©D.R.
00:10 Publié dans b.redman, h.pescarolo, j.ickx, jp.beltoise, m.andretti, p.rodriguez, v.elford | Tags : pedro rodriguez, porsche 917 | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook | |
Commentaires
Il était une fois un Britannique richissime qui avait un rêve. Il a vingt-cinq ans lorsqu’il décide de piloter en course, et sa fortune va lui permettre de s’acheter des Jaguar E Type, des TVR, des Cobra, des Lola et des Chevron… Il est habité par une ambition : gagner les 24 Heures du Mans ! ! ! Ce Britannique s’était déjà engagé aux 24 Heures 1968 au volant d’une Chevron B12 à moteur V8 Repco spécialement assemblée pour lui. Il était secondé par Digby Martland, un autre bon pilote privé. Mais le moteur issu de la F1 casse à la troisième heure de course.
Lorsque Porsche met en vente sa 917, il se précipite en Allemagne pour en acheter une, la toute première vendue par le constructeur allemand. Il engagera sa belle 917 blanche numéro 10 toute neuve aux 24 Heures 1969. Mais la belle auto s’avère rétive, et Martland abandonne : il sera remplacé par Herbert Linge, envoyé à la rescousse par l’usine Porsche.
Le Samedi 14 juin 1969, le départ de la course est donné à 14 heures, pour cause d’élections présidentielles. La 917 numéro 10 fait un départ moyen et commence la compétition dans le flot des GT. A Maison Blanche, à la fin de ce premier tour, c’est le drame. La Porsche sort de la route, et son pilote, qui n’avait pas bouclé son harnais de sécurité, est éjecté et il est tué sur le coup. Il s’appelait John Woolfe.
Quelques instants auparavant, pour protester contre les départs « type Le Mans », les pilotes traversant la piste en courant pour bondir dans leurs voitures, Jacky Ickx avait volontairement rejoint sa voiture en marchant calmement et il avait pris soin de s’attacher avant de démarrer.
Écrit par : Raymond Jacques | 27 janvier 2018
Répondre à ce commentaireCet épisode Raymond est révélateur du comportement de la 917 en 1969. Il faut noter également le sérieux accident de David Piper lors du tournage du film "Le Mans" en 70, cependant suite à un accrochage avec sa rivale la 512 d'après mes souvenirs... Pour précision la 917 n'est pas la seule actrice des 2 titres mondiaux de Porsche en 70/71. La 908/3 est venue à la rescousse sur le circuit routier de la Targa Florio et sur le Nürburgring où ses qualités dynamiques firent merveille sur ces pistes tourmentées.
Écrit par : F.Coeuret | 28 janvier 2018
Répondre à ce commentaireConcernant David Piper, je l'ai vu piloter sa 250 LM à Montlhéry à l'époque du GPAO, bien après son accident qui lui couta la moitié de sa jambe droite. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser : "M****, ce mec conduit comme ça avec une "JAMBE DE BOIS".............. David Piper a aujourd'hui 87 ans, ce qui veut dire qu'il a passé PLUS DE TEMPS DE VIE avec une seule guibole qu'avec sa dotation d'origine de deux jambes ! ! ! Chapeau l'artiste ! Et je me demande par quelle stupidité, par quelle aberration ce monsieur n'a pas été anobli pour de venir "Sir David", comme "Sir Jackie" ou "Sir Stirling" ? ? ? ?
Écrit par : Raymond Jacques | 29 janvier 2018
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