17 janvier 2018
L'étoffe d'un héros
"Avec un dernier sourire sur son si beau visage, Dan s'en est allé vers l'inconnu juste avant midi ce dimanche 14 janvier...", a écrit son épouse Evi dans un communiqué (1).
Dan Gurney, c’était à la fois Buck Danny et Michel Vaillant, Gurney c’était un mythe, un héros à qui tous les garçons voulaient ressembler, et par pudeur je ne vous parlerai pas de ce qui pouvait bien traverser la tête des filles.
C'est avec d'autant plus d'émotion que l'on relit aujourd'hui les réponses qu'il avait apporté aux questions formulées par les lecteurs de MotorSport Magazine en 2003.
adaptation Francis Rainaut
Mike Parkes, Dan Gurney, A.J Foyt - Le Mans 67
MotorSport, November 2003
... Dans le milieu de la course automobile, Dan Gurney c’était "le" type irréprochable, même s’il lui arrivait parfois de "piquer" des serviettes dans les chambres d’hôtel,... même s’il aimait les roadsters Indy de Mickey Thompson... et même s’il rendit dingue l’état major de Jaguar avec son impétueux tank Yankee.
- Pour quelle raison vous êtes vous tous les deux arrêtés net avec Mike Parkes, pendant l’édition 1967 des 24 heures du Mans ?
- Ce n’était pas un plan en ce qui me concerne, c’était juste la conséquence de la décision du moment. Mike était un excellent stratège et il savait très bien que notre auto était la seule Ford encore en lice pour la victoire. Il savait aussi que sa meilleure chance de faire gagner Ferrari était de me faire conduire en mode « sprint » plutôt qu’en mode « endurance » : il me harcelait vraiment comme un moustique. J’en déduisis alors que si je me rangeais pour le laisser passer, le problème se réglerait de lui-même et que je pourrais continuer ma propre course. C’est exactement ce que j’ai fait, me rangeant sur la droite après Arnage. Mais il s’arrêta lui-aussi, et nous restâmes sur place peut-être 10-15 secondes jusqu’à ce qu’il soit embarrassé et accélère un grand coup. Je suis reparti à mon rythme que j’estimais approprié pour terminer la course. Quatre tours plus tard, je l’ai repassé et ne l’ai plus revu jusqu’à l’arrivée.
1966 Riverside 500 - Gurney 1st
- Vous avez remporté de nombreuses victoires à Riverside, laquelle était la plus belle à vos yeux ?
- C’était un fameux circuit qui ne livrait pas ses secrets si facilement. Mais je n’étais pas trop mauvais sur les circuits un peu tordus. Pas loin de la fin, je me suis retrouvé avec un pneu à plat, et lorsque je suis ressorti des stands j’étais 42 sec derrière avec 20 tours restant à couvrir. Tous les paris étaient ouverts et je me suis jeté dans la bataille. La voiture elle aussi a bien marché et j’ai repris la tête. J’étais euphorique. Et mon sponsor Ozzie Olson l’étais tout autant, il avait installé une immense tente et apporté tout un tas de bonnes choses. C’était l’un des premiers événements de « Public Relation » à l'occasion d’une course, dont je me rappelle. Nous avons ensuite eu droit à une « party » mémorable.
- Etait-ce “Jaguar Cars” qui était derrière les “difficultés d’homologation”, qui ont forcé le retrait de votre Chevrolet Impala du championnat 1961 des “British Saloon” cars ?
- Ouais, c’était du Lofty England tout craché (2). Je ne lui en veux pas, ça fait partie de la course. J’avais filé une grosse frousse aux Jaguar à l’International Trophy, et il fallait bien qu’il protège sa firme. Ils n’ont jamais vraiment détaillé les divergences qui m’empêchaient d’utiliser encore la Chevy, mais je n’ai jamais trop cherché à savoir non plus. Pourquoi lutter contre des bureaucrates ?
- Avez-vous envisagé de vous présenter à la Présidence, et quelle est l’histoire de ce fameux sticker ?
- David E Davis, de Car & Driver, y avait pensé. Je lui ai dit qu’il devait sans doute plaisanter, mais il a répondu que l’on pouvait passer de bons moments avec ça. C’était en 1964, une année électorale, mais je n’avais strictement aucune ambition politique. J’ai entendu plus tard que j’avais quand même récolté de nombreux votes !
- Comment vous est venue l’idée du “Gurney Flap" ?
- Nous venions d’avoir trois journées de test exaspérantes avec Bobby Unser dans un Phoenix surchauffé. J’étais assis, complètement abattu sous un peu d’ombre quand Bobby m’interpella : 'Bon sang, tu es supposé être capable d’arriver avec plein d’idées innovantes. Pourrais-tu faire quelque chose ?' Ce fût l’évènement déclencheur. J’avais longtemps bricolé avec les spoilers arrière sur les voitures de sport, et j’étais conscient de leur importance. Je me demandais si le fait d’ajouter un spoiler sur un aileron allait changer quelque chose. Nous en avons fabriqué un en 20 mn et l’avons riveté sur le bord de fuite. Bobby est ressorti… et a réalisé exactement le même chrono ! Mais quand il est rentré il a dit que… la voiture souffrait maintenant de sous-virage chronique. On comprit alors qu’on était sur quelque chose d’important. J’ai même essayé d’obtenir un brevet pour ça, mais un immigrant hongrois en Angleterre m’a battu en 1937 sur ce coup-là.
Spa 1967 ©CahierArchive
- Qu’est-ce qui vous a donné le plus de satisfaction à Spa en 1967 : gagner en tant que pilote ou gagner en tant que constructeur ?
- Il m'est impossible de séparer les deux : ce que j’ai réalisé était absolument unique pour un Américain. Mais j’étais également heureux pour l’équipe, qui mit tout son cœur et toute son âme dans ce challenge. Ce fut une occasion très particulière.
- Qu'est-ce que cela vous a fait de conduire pour McLaren immédiatement après la mort de Bruce ?
- J’aimais bien la branche Can Am de l’équipe, mais je rencontrais des problèmes de communication avec Teddy Mayer en F1. J’ai fait le job car je pensais très fort à Bruce. L’équipe était en plein désarroi, et j’étais heureux de leur donner un coup de main. J’aurais préféré, bien entendu, ne jamais avoir cette opportunité.
- N’avez-vous pas démoli une Ferrari à l’occasion d’un de vos premiers tests, et ne pensiez-vous alors avoir tout gâché ?
- Oui. Et encore oui. C’était en 1959. J’avais attendu presque toute une journée à Monza pour saisir ma chance. Mon ami Jean Behra venait juste d’établir un nouveau record du tour quand l’équipe m’a dit, ‘Okay, c’est ton tour’. J’ai fait 10 tours avant qu’ils ne me rappellent. A ce moment-là, ils m’ont demandé de tester de nouvelles dimensions de pneus avant. Je pense que j’y ai été prudemment, mais lorsque j’ai pris mon point de corde normal à la Parabolique, les freins avant ont bloqué. Je les ai débloqués, mais cela m’a fait dériver encore plus, jusqu’à ce qu’ils se bloquent à nouveau. J’ai dérapé et heurté un talus herbeux. Je n’ai pas été éjecté, mais il y avait des morceaux d’herbe sur ma combinaison jusqu’en bas de ma hanche droite. J'ai pensé alors que ma chance d’aller en F1 venait de passer.
Mais trois semaines plus tard, J’ai effectué mes débuts en F1. A ma grande surprise, j’avais égalé les chronos de Jean lors de ces 10 premiers tours.
- Pourquoi avoir quitté Ferrari pour BRM en 1960 ?
- Ce fut juste une de mes merveilleuses décisions ! Le salaire chez Ferrari était maigre ; BRM m’offrait le double juste pour que je signe pour eux. J’étais naïf et pensait que toutes les voitures d’usine étaient aussi robustes que les Ferrari.
- Comment avez-vous pu passer à coté des courses de Dirt-Track ?
- J’aimais bien conduire sur les pistes de Dirt (*). J’avais l’habitude de les pratiquer sur les routes locales quand j’étais jeune. Je pense que j’aurais pu être compétitif, mais la façon d’émerger de ce type de courses est d’être au volant de voitures Midget. J’en ai essayé une, mais ça n’a pas été. J’avais essayé des voitures de course qui étaient trop petites pour ma taille, et aussi récolté pas mal de blessures à cause de ça…
(*) Pistes en terre ou en cendrée, NdT
- La fin précoce de ‘Swede’ Savage en 1973 n’a-t-elle pas privé le sport automobile d’un talent majeur ?
- Je pense qu’il avait à peu près tout ce qu’il fallait. Il avait beaucoup de charisme et attirait de nombreux supporters. Je ne doutais pas de la sincérité de ses supporters, mais je doutais du bien-fondé de lui faire subir autant de pression. Quelques journalistes ont commencé à écrire à mots couverts qu’il pourrait bien devenir champion du monde de F1 en 73 ou 75. Les médias étaient tout émoustillés par son talent, mais j’étais de mon coté opposé à tout ce battage. Au cours de la saison, Swede eu un gros carton à Ontario et il resta un bon moment dans le coma. Il effectua son retour, mais de mon point de vue il ne fut plus vraiment le même. Je crois que les attentes de ses supporters bien-intentionnés ont probablement joué un rôle dans ce qui s’est finalement produit à Indy.
500 miles Indianapolis 1962
- Vous avez conduit une des fameuses monoplaces Indy de Mickey Thompson en 1962, c’était chouette ?
- C’était extra. Je me suis qualifié au 9e rang après un jour et demi , c’était pourtant ma toute première qualification sur un ovale. Le problème venait du fait que l’auto ne disposait pas d’un moteur capable de finir le job (3). Mickey était un pilote de dragster, et ces gars-là aiment bien démonter leur moteur après chaque ¼ de mile. C’est aussi comme ça qu’ils approchaient Indy. Il se rendirent compte alors qu’ils allaient devoir rendre leurs moteurs plus endurants.
- Il y a une photo de vous - qui a beaucoup fait jaser - où vous portez un foulard sur lequel est écrit "blanchisserie" …
- Cela se passait avant l’époque du casque intégral. Très souvent, je me protégeais le visage avec la première chose qui me tombait sous la main : un vêtement, une serviette piquée à l’hôtel ! Ne parlez pas trop de ce foulard, cependant...
Evi & Dan Gurney
(1) "With one last smile on his handsome face, Dan drove off into the unknown just before noon today, January 14, 2018. In deepest sorrow, with gratitude in our hearts for the love and joy you have given us during your time on this earth, we say ‘Godspeed.’ "
"…Smell the sea and feel the sky,
Let your soul and spirit fly into the mystic…"
M'friend Dan Gurney died today too young. He was so gracious & kind to mutual friend, Russ Schleeh- took him to lunch every Sat., kept him alive 10 yrs longer. Whenever we were in LA, V & I were welcome & sure enjoyed it. Dan was such a kind, generous, interesting, talented guy. https://t.co/AAQmQYTSEA
— Chuck Yeager (@GenChuckYeager) January 15, 2018
(2) Frank Raymond Wilton "Lofty" England, manager du "Jaguar Cars" racing team dans les 50'
(3) Comme l'a très justement fait remarquer Philippe de Lespinay, "La Thompson-Buick n'a pas cassé le moteur a Indy, c'est le pignon et la couronne sur le pont arrière Halibrand a deux vitesses qui a perdu toutes ses dents. "
Roger Penske, Dan Gurney - Indy 62
- Photos ©D.R.
12:59 Publié dans b.mclaren, b.unser, d.gurney, j.behra, m.parkes | Tags : dan gurney | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |
Commentaires
A travers les paroles du "Grand Dan", voici un bel hommage Francis à cet homme aussi talentueux qu'intègre.
Écrit par : F.Coeuret | 17 janvier 2018
Répondre à ce commentaireMerci Francis, pour ton très bel article sur Dan. Deux petits commentaires:
1/ Can Am, pas Canam (pas bien grave).
2/ La Thompson-Buick n'a pas cassé le moteur a Indy, c'est le pignon et la couronne sur le pont arrière Halibrand a deux vitesses qui a perdu toutes ses dents.
Amicalement,
Philippe
Écrit par : Philippe de Lespinay | 17 janvier 2018
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