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06 décembre 2018

F1 1969, la transmission intégrale en échec

69J STEWART MS 84.jpg

L’année 1969 de Formule 1 fut marquée par des tentatives techniques qui s’avérèrent décevantes sur la piste. Le recours à la transmission intégrale paraissait pourtant avantageux sur le papier. Les problèmes de motricité engendrés par le passage de la puissance aux roues arrière poussèrent Colin Chapman chez Lotus et Derek Gardner pour le compte de Matra à se pencher (de même que quelques autres) sur le sujet…

par François Coeuret 


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<Cliquez> sur les photos pour admirer les dessous de ces dames...

 

Avantages théoriques

Deux constructeurs menèrent un travail  assidu dans le domaine. Comme leurs homologues, les Lotus 63 et Matra MS 84 furent étudiées et produites  dans le but d’améliorer le passage de la puissance en répartissant la traction sur les trains avant et arrière des monoplaces. Un gain devait théoriquement se manifester au niveau du comportement en courbe et au rayon motricité lors des remises en vitesse en sortie de virage notamment en cas de pluie…

La transmission intégrale fit aussi l'objet de recherche chez McLaren et Cosworth. La McLaren M9A et la Cosworth F1 en sont les résultantes. Les deux autos feront des carrières météoriques, très vite abandonnées par manque cruel de compétitivité. Une seule course en Angleterre pour la McLaren conçue par Jo Marquart tandis que la Cosworth dessinée par Robin Herd ne passa pas le cap d'essais privés tant son sous virage catastrophique la pénalisait.

 

ms84,lotus 63,cosworth

 

Premiers pas difficiles  

Colin Chapman crée une formule 1 innovante (1). La Lotus 63 a des airs de monoplace Indy. Le système Ferguson est adapté à la monoplace. De même que ses concurrentes la boîte à répartiteur de couple et différentiel est montée au centre. Des arbres transmettent le mouvement  vers les ponts avant et arrière munis aussi de différentiels. La direction est très élaborée, son créateur fonde sur elle des espoirs certains. Matra engage Derek Gardner qui s’inspire de son expérience chez Ferguson pour élaborer une transmission intégrale montée sur le châssis multitubulaire MS 84 signé Bernard Boyer.  L’empattement est allongé par rapport à la MS 80, boîte de vitesse placée devant le moteur, Soixante kilos supplémentaires. Une conception moins sophistiquée que chez Lotus.  

Le Grand Prix de Hollande devait être l’occasion de jauger la Lotus 63 en course mais Graham Hill la juge rétive tandis que Jochen Rindt refuse de la piloter. C’est lors du Grand Prix de France que les deux monoplaces connurent leur baptême en course. Côté Matra l’expérience tourna court. Lors des essais Stewart considère que sa tentative est infructueuse. Au volant de la MS 84, quatre secondes d’écart au tour avec sa sœur la MS 80 le convainquent de cesser de perdre du temps. Chez Lotus, on va faire preuve de pugnacité d’autant qu’un pilote, John Miles, est particulièrement chargé du déverminage de la Lotus 63. Qualifié à 12 secondes de la pole, Miles abandonne  lors du premier tour à la suite d’une défaillance de sa pompe à essence.

ms84,lotus 63,cosworth

1969 British GP - Derek Bell McLaren M9A

 

La suite sans éclat

En Angleterre Chapman qui a vendu un châssis 49B confie une 63 à Graham Hill mais l’anglais la juge toujours non compétitive. A la suite d’une négociation en sous main, Hill l’échange contre la 49B achetée par Bonnier qui accepte de prendre en charge la Lotus « intégrale ». Le patron mécontent va faire la tête jusqu’au soir de la course. Bonnier couvre six tours avant d’abandonner. Miles sur la seconde 63 finit dixième à neuf tours du vainqueur. De son côté Beltoise qui a dû céder sa MS 80 à Stewart termine neuvième à six tours du vainqueur au volant de la MS 84.

 

ms84,lotus 63,cosworth

 

Mi-saison, Golden Cup  : Rindt et Stewart s’y collent…

Les Anglais sont friands de Formule 1. Trois courses hors Championnat sont organisées sur leur sol en 1969. La dernière d’entre elles a lieu à Oulton Park entre les Grands Prix d’Allemagne et d’Italie. L’effectif très restreint des F1 est complété par des Formules 5000 et Formule 2 venues en renfort. Chapman réussit à persuader son plus rapide pilote Jochen Rindt d’effectuer au moins une course avec la 63. Il veut la juger aux mains d’une pointure.

Six Formule 1 sont inscrites mais Bonnier (Lotus 49B) accidenté aux essais déclare forfait. Chez Matra, Stewart doit  piloter la MS 84, Jacky Ickx, quant à lui, est au volant de sa Brabham BT 26. Deux autres anciennes F1 sont engagées par Silvio Moser (Brabham BT 24) et Charles Lucas (BRM P261).  Siffert est absent de même qu’Amon (Ferrari) et les Mc Laren Boys retenus par la CanAm. Sept F5000 et  deux  F2 complètent le maigre plateau. Au chapitre des F 5000, deux  Surtees  TS 5 font leur première apparition en course.  Jackie casse son moteur aux essais. La MS 84 est remisée dans le box ! Il  n’était  pas satisfait de la voiture, par conséquent pas mécontent de retrouver son habituelle MS 80 avec laquelle il conquiert la pole. Au départ  Ickx prend la tête mais Stewart va rapidement  passer le pilote belge. Rindt se bat avec sa monoplace plus qu’avec ses adversaires. Stewart domine mais un fil de batterie détaché l'oblige à un arrêt qui s'éternise. Il offre ainsi la victoire à Ickx. Rindt a fait preuve d’opiniâtreté, il finit second incapable de menacer Ickx mais devant les F5000 et F2. A ce stade la Lotus 63 n’est pas compétitive. Chapman constate que beaucoup de travail reste à faire pour amener la 63 au niveau des classiques « propulsions ».

 

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Cosworth F1 - Trevor Taylor

 

Le chant du cygne

Les « intégrales » ne donnent pas satisfaction. Elles sont affublées d’une lourdeur conséquente au niveau de la direction couplée avec le surplus de poids produit par les systèmes de transmission. Les arbres en mouvement engendrent un excès d’inertie. Au bilan, les inconvénients de la transmission intégrale dépassèrent sur la piste les avantages estimés par les techniciens. Le solde présenta  un handicap jugé insurmontable pour l’époque et en ce qui concerne la discipline F1. John Miles a résumé plus tard la situation ainsi : « le truc était vraiment inconduisible. Terrible ! Elle virait très lentement. Il y avait tellement d’inertie dans les trains roulants - les arbres de transmission,  les différentiels avant et arrière, le différentiel central -, tout cela dégradait les temps de réponse lors des accélérations ou quand on braquait dans les virages. » (John Miles, « le troisième homme » - Racing’ Memories)

 

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Cependant Miles va poursuivre la mise au point jusqu’en fin de saison, Andretti fera deux piges pour Chapman en Allemagne et aux USA, sans succès. A la fin de la saison, le patron de Lotus renonce provisoirement (2) à la traction intégrale. Il prépare déjà une nouvelle œuvre en explorant le domaine aérodynamique et en approfondissant la répartition des masses. Chez Matra Stewart s’est concentré sur son titre, Jean-Pierre Beltoise puis Johnny Servoz-Gavin se sont chargés du pilotage de la MS 84. Elle n’enchantera guère ses pilotes, le moins qu’on puisse dire. Servoz va marquer un point au Canada (à six tours du vainqueur !), meilleur résultat de « l’intégrale » française qui prend sa retraite en fin de saison. En 1970 Lagardère veut engager deux monoplaces 100% françaises et doit se séparer de Stewart. Un projet MS 124 (4 roues motrices) est envisagé mais rapidement abandonné.

(1) - Colin Chapman a déjà travaillé sur la transmission intégrale qui équipait la Lotus 56 (turbine) ayant couru à Indianapolis en 68. 

(2) - Chapman a de la suite dans les idées, en 71 il conçoit la Lotus 56B  à transmission intégrale munie d’une turbine Pratt & Whitney. La carrière de la 56B en F1 fut de courte durée.

 

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Oulton Park 1961 - Moss, Ferguson

 

P.S. : En Europe le précurseur en matière de transmission intégrale fut Ferguson, le spécialiste dans le domaine, qui conçut  l’éphémère P99 de F1 (moteur avant). Elle courut sans succès le GP de Grande Bretagne 1961 (disqualifiée pour aide extérieure) mais remporta une victoire hors Championnat aux mains de Stirling Moss à Oulton Park. Elle finira sa carrière en course de côte. En 1964 BRM récupéra la transmission Ferguson qui équipa la BRM P67. Elle fut engagée au GP d’Angleterre, finalement l’équipe ne la fit pas courir.

 

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Essais British GP 1964 - Dick Attwood BRM P67

- Illustrations ©D.R.

Commentaires

Merci pour cet article bien documenté!

Écrit par : RIGO Jean-François | 06 décembre 2018

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J'ai eu la chance de voir (et quasiment ecouter...) la Lotus 56B à Monza en 1971

Écrit par : Marco Redaelli | 06 décembre 2018

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Tu as eu cette chance, Marco...
Je me revois moi aussi avec mon cousin Lionel, deux ados intimidés dans le paddock de Charade demandant à Stewart - à l'époque le nouveau Clark - s'il allait conduire la MS84 en course. Après la "révolution" des ailerons en 68, nous pensions que ça allait continuer en 69 avec les 4WD, 4RM en bon français.
Et je me rappelle très précisemment sa réponse, "Oh, I don't think so !". Plus que sa réponse, c'est son petit sourire de dénégation qui nous a fait comprendre que les 4RM n'étaient probablement pas la solution d'avenir. Des quatre, c'est quand même la Lotus 63 qui était la plus séduisante, elle n'avait pas ce coté pataud des trois autres.
On a revu ces monoplaces avec plaisir à Rétromobile il y a un ou deux ans, à l'exception de la Matra.
A ce propos, le point marqué par Servoz-Gavin l'a été transmission avant débranchée, donc en mode fausse 4RM.

Écrit par : Francis | 07 décembre 2018

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Très complet ! Bravo pour les vues " éclatées " sur un petit clic, original et instructif.

Écrit par : JP Squadra | 08 décembre 2018

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Une Matra MS84 était en reconstruction chez EPAF. On avait vu des photos de l'évolution du chantier, je ne sais pas où ça en est aujourd'hui.

Petite anecdote, après la saison 69, Bernard Boyer a demandé à un mécano Matra, Guy Prat, de cafuter le châssis de la MS84 (les transmissions étaient reparties chez Ferguson). Guy qui aimait bien les voitures de course, n'avait aucune envie d'en détruire une. Il n'a donc pas exécuté l'ordre. Boyer l'a sévèrement réprimandé, menaçant de le virer s'il n'obéissait pas. Apparemment, l'ordre venait d'en haut. La mort dans l'âme, Guy Prat a découpé le châssis de la MS84 en morceaux.

Écrit par : Christian BURDET | 11 décembre 2018

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Les quatre roues motrices sont une remarquable avancée automobile dans les domaines des véhicules de travail ou à usages militaires. Puis, il y eut des dérives luxueuses autant que britanniques, "I mean" le premier "Chelsea Tractor", soit la Range Rover. Les quatre roues motrices se taillèrent aussi en course de beaux palmarès en rallyes et en courses, principalement sur terrains "mous" ou "gélifiés"....
La présente note présente un panorama complet, voire même exhaustif de ce qui a pu se faire en formule 1, mais en sport proto, type endurance, y a-t-il eu des essais plus ou moins fructueux ? Je viens juste de consulter l'oracle Gougleu, qui, selon toute évidence, ne sait rien ! .....Hhhhelp !...................
Dans les conditions de course sur le "dur" macadamisé, ce dispositif me semble condamné d'avance pour deux essentielles raisons, cousines germaines :
- le poids d'engrenages divers et variés grevant le devis de masse de la voiture ;
- l'addition de frottements surnuméraires, gage d'élévation de température et de besoins en lubrification et refroidissement tout aussi surnuméraires.
J'ai bon ?

Écrit par : Raymond Jacques | 13 décembre 2018

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Pour tenter de répondre à l'interrogation de Raymond le site de Thierry Chargé consacré aux 24 Heures apporte des précisions sur le sujet. La première voiture à disputer la course mancelle en dispositif 4RM fut une Porsche 961 GTX en 1986. Pilotée par Medge - Ballot-Lena, elle finit 7è au général.
Un système électronique très sophistiqué pilotait le dispositif permettant de déconnecter les 4RM dans le secteur des Hunaudières. Cette auto avait bénéficié de l'expérience Porsche 959 du Paris Dakar. Une 961 Usine participa également l'année suivante, abandonnant sur un début d'incendie. Ce fut un exercice technologique ponctuel destiné à valoriser l'image de la marque allemande (aucune commande ne fut enregistré chez Porsche).
Plus près de nous comme on dit la 919 Hybride qui a couru en WEC était une 4RM (traction électrique). Les Audi R 18 et Toyota TS 050 sont aussi assimilées 4X4 grâce à la traction obtenue par leurs moteurs électriques AV.

Écrit par : F.Coeuret | 13 décembre 2018

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Merci François pour ces précisions ! En tant que vieux birbe, je dois avouer que les autos hybrides-électriques-moteurs à explosion modernes ne me passionnent guère... Par contre, la Porsche 961 GTX roulait à une époque où je m'intéressais aux 24 Heures du Mans, puisqu'il m'arrivait d'y travailler...

Écrit par : Raymond Jacques | 14 décembre 2018

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