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28 octobre 2019

Robin Herd (part 2) : la planète March

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Zandvoort 1970: Les March en escadrille (click to enlarge)

On poursuit la saga Robin Herd en reprenant le fil au tout début des seventies, quelque part en Afrique du Sud encore sous régime d’apartheid.

Où l'on en apprend de belles sur le GP de Belgique à Spa en 1970, sur la mystérieuse disparition d'une porte en acier à Watkins Glen, sur les dessous du couple Peterson-Chapman et sur les exploits, réels ou enjolivés,  du « Gorilla ».

Sans parler de la March 2-4-0 2WD ...

traduit et adapté par Francis Rainaut


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Amon la Marchance

Les premières formule 1 de la jeune firme March sont finalement terminées à temps pour participer au 1er Grand Prix de la saison 1970 à Kyalami.

« Robin Herd : ... La 701 m'a déçu, car elle ne ressemblait en rien à la voiture que je voulais construire. Nous avons dû faire tellement de compromis. Elle a fait le job, s’est qualifiée 1 et 2 pour son premier Grand Prix et a remporté trois de ses quatre premières courses. Mais elle était tellement rudimentaire. C’était comme ça : nous n'avions ni l'argent, ni le temps, pour faire autre chose. Si j'avais été avec Bernie et Jochen, j'aurais tout de suite fait une 711, avec de vrais sidepods à effet de sol. La 701 avait besoin de réservoirs latéraux supplémentaires pour certains circuits et Peter Wright de Specialized Mouldings les avait dessinés comme des sections de profilés aérodynamiques. Dans un communiqué de presse, j'ai dit qu'ils allaient ajouter de la stabilité, mais c'était du battage publicitaire. Dans l'air turbulent entre les roues avant et arrière, ils n'auraient pas fait grand chose. Mais Peter cherchait des appuis. Il mérite vraiment d'être crédité pour ses travaux sur l'effet de sol, pour ce qu'il a fait quand il est allé à Lotus. »

« Max a calculé que les 701 coûtaient 3.000 £ à produire, il les a donc facturés à 6.000 £, ce qui nous a semblé être une bonne marge bénéficiaire. Walter Hayes de Ford - qui payait pour les voitures Tyrrell - nous a avertis que cela ne suffisait pas et nous a demandé de lui facturer à 9.000 £. Mais toutes les allusions que Max a faites au lancement sur les grands sponsors secrets n'étaient de la poudre aux yeux. Le manque d’argent signifiait que les moteurs des voitures de l'équipe restaient plus longtemps entre deux révisions et que tout, y compris les amortisseurs, devait durer plus longtemps. »

« Je connaissais très bien Chris [Amon] chez McLaren - un gars adorable, un pilote très, très rapide et très sensible aussi. Peut-être ne lui manquait-il que de la confiance en soi. Mais lui et Max ne se sont jamais entendus, il y avait toujours de l'antagonisme. Chris croyait que toute l'équipe allait être montée autour de lui. Mais, après qu'il ait signé, Porsche nous a offert 30.000 £ pour mettre Seppi [Siffert] dans une voiture, de façon à le tenir à l'écart de Ferrari. Rétrospectivement, Max aurait aimé Seppi en tant que N°1 et Ronnie en tant que N°2, ce qui aurait permis d'économiser beaucoup d'argent. »

Jackie Stewart a remporté le deuxième Grand Prix disputé par March, l'Espagne en avril, et les 701 ont obtenu quatre secondes places – Stewart à Zandvoort et Monza, Amon à Spa et Clermont-Ferrand. À la fin de la saison, March était troisième au championnat des constructeurs, à quatre points de Ferrari. Amon aurait pu gagner Watkins Glen sans crevaison, mais la victoire qui aurait dû être la sienne était celle de Spa, une course qu’il avait menée avant de constater que la BRM de Pedro Rodriguez avait une vitesse étonnante en ligne droite.

« Il est généralement admis maintenant que Pedro avait un moteur de 3,3 litres ce jour-là. Nous le savions tout de suite après la course, mais poser une réclamation n'était pas le genre de chose que l'on faisait à cette époque. »

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Dans l'intervalle, les voitures des clients pour les autres formules devaient être conçues et fabriquées - F2, F3, Formula Ford, voire Can Am : Chris a conduit l'énorme 707 dans plusieurs manches américaines, dominant la puissante McLaren à Donnybrooke jusqu'à ce qu'il soit ralenti par des problèmes de carburant.

Graham Coaker, mécontent de l'opération de la F1 qui utilise des fonds prélevés sur la production, est parti en septembre. Il a emporté avec lui un châssis 712. À Pâques, il s’est blessé à Silverstone : une jambe cassée dégénére en septicémie et il décède de façon tragique deux mois plus tard. À la fin de 1971, Alan Rees décide de partir pour Shadow, puis enfin pour Arrows avec Jackie Oliver.

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Le thé est servi (sur un plateau)

Alors que la 701 était conventionnelle, la 711 était radicalement différente. La carrosserie avait été façonnée par l'aérodynamicien Frank Costin, avec un nez arrondi portant une aile sur une jambe de force centrale. 

« Frank était un gars adorable. Nous avons suggéré une rémunération forfaitaire, mais il a insisté pour que le paiement soit effectué en fonction des résultats - une augmentation considérable de la vitesse en ligne droite / mph -. Au premier Grand Prix à Kyalami, Ronnie suivait la 701 de John Love dans la ligne droite et ne pouvait pas le dépasser. Frank n’a donc jamais été payé. »

Le moteur de Ronnie, convenant parfaitement à l’équipe de Bicester à court d’argent, devait être un peu en manque de puissance ce jour-là.

« En fait, la 711 était une excellente voiture, avec un passage d’air très dégagé à travers les suspensions et un effet de sol. »

Peterson - lors de sa première année complète en F1 - a terminé deuxième du Championnat du monde derrière Stewart. Mais, après avoir perdu plus d’argent au cours de l’année, March n’a survécu à l’hiver que parce qu’un ambitieux petit gars de 23 ans avec les dents en avant, Niki Lauda,  est arrivé avec de l’argent d’une banque autrichienne, 35.000 £ pour un volant F1 et 8.000 £ pour un volant F2. Il a intégré l’équipe de 1972 aux côtés de Peterson.

« Ronnie était l'un de mes meilleurs amis. Un conducteur fabuleux et un être humain charmant. Il pouvait se tromper, tout comme moi. Comme avec la première voiture de 1972, la 721X, qui était terrible. C'était la voiture avec une boîte de vitesses positionnée en avant de l'essieu arrière, pour obtenir un moment d'inertie polaire plus favorable. Mais la première chose à faire avec une voiture de course est de ménager ses pneus, avec la 721X on était loin du compte. Dés que cela tournait un peu, le sous-virage se déchaînait de manière imprévisible. Nous voulions tous les deux que cela fonctionne, et Ronnie a tellement insisté que Niki s'est lancé dans l'aventure. Niki a toujours parlé comme il le sentait, et aussitôt il a dit: "C'est de la merde." Il avait absolument raison. Nous l'avons remplacée par la voiture basée sur la F2, que nous appelions la 721G. G pour Guinness, parce qu’en plein désespoir nous l’avons sortie en neuf jours, ce qui nous paraissait suffisant pour entrer dans le Guinness Book of Records »

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Charade 1972. Lauda, March 721G

 

Le meilleur résultat de Ronnie avec la 721G fut une troisième place au Nürburgring derrière les Ferrari, malgré une tête à queue, mais il garda la seconde place pendant la majeure partie du Grand Prix du Canada. Puis il s’est crashé lourdement lors des essais à Watkins Glen. 

« Pour réparer, nous avions besoin d’acier et nous n’en avions pas. Ainsi, cette nuit-là, nous sommes entrés dans la ville, avons fouillé les alentours jusqu'à trouver une maison avec une porte en acier, l'avons otée de ses gonds et avons fabriqué une nouvelle cloison. Ronnie a commencé 26e et a bataillé pour finir quatrième. »

En 1973, Peterson est parti chez Lotus, Lauda chez BRM, mais March a continué à jouer un rôle prolifique en F1, en partie parce qu'il vendait ses voitures à tous ceux qui pouvaient payer. Cette saison-là, ses voitures ont été engagées par cinq team différents, dont celui de Lord Alexander Hesketh. Il a acheté une voiture pour son protégé James Hunt, qui a pris une brillante seconde place à Watkins Glen, à moins d'une seconde de la Lotus de Peterson. Il y a eu beaucoup de succès en F2, mais ce n'est qu'en 1975 que l'Autriche, avec Vittorio Brambilla, a donné à l’équipe officielle sa première victoire en Grand Prix. Mais auparavant, Robin a une petite anecdote à raconter à propos de la pole position du GP de Suède.

Look out for The Cheater

« Je n’avais jamais pensé tricher en F1 et je n’ai jamais entendu parler que quelqu'un trichait - à part peut-être le moteur BRM de Spa en 1970 -. Certes de temps en temps, une ou deux personnes utilisaient de gros moteurs au moment où ils devaient renouveler leurs contrats de sponsoring. Ou il pouvait y avoir des histoires de poids ici ou là. Oh, et puis aussi le pit board en Suède. En qualifications, je me suis vu confier la tâche vitale de tenir le tableau. Notre stand se trouvait juste à côté du faisceau lumineux de la ligne d’arrivée, et j’ai peut-être bien fait basculer le tableau des stands lorsque Vittorio se trouvait encore à 50 mètres de la ligne. Pole ! Mais Vittorio marchait quand même assez fort. Il a mené la course pendant 15 tours, jusqu'à ce qu'il soit obligé de s'arrêter pour changer ses gommes. »

 

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Vittorio Brambilla. Zeltweg 1975

 

En Autriche, la course a commencé dans des conditions humides mais le temps était clair et la plupart des équipes avait donc opté pour des réglages de compromis. Max avait réglé la voiture de Brambilla pour la pluie. Le temps a empiré et la course a été arrêtée peu après la demi-distance.

« Vittorio prenait tous les risques, rejoint par l’Hesketh de James Hunt alors qu'ils doublaient tous les deux les voitures plus lentes et menait la course. Chaque fois qu'il passait dans un jet de fumée, nous disions : "C'est la dernière fois que nous le voyons." Puis ils ont brandi le drapeau à damiers. Il a jeté ses mains en l'air et, bien sûr, foncé directement dans les barrières. Ce qui a conduit à toutes sortes de théories du complot - il avait dû écraser la voiture pour cacher certaines preuves comme quoi elle était illégale, des absurdités comme ça. »

Le second pilote March cette saison était Lella Lombardi, soutenue par l'argent de son mécène, le comte italien Gughi Zanon.

« Lella était bien meilleure qu'on ne le supposait. Mais Ronnie était mécontent chez Lotus – le courant n’est jamais vraiment passé entre lui et Chapman - et au premier tour de la saison 1976, au Brésil, Ronnie me dit: "Je veux revenir." Nous avons convenu avec Zanon de transférer l'argent de Lella sur Ronnie, et après un deuxième entraînement, je suis allé dans sa chambre d'hôtel à São Paulo pour en parler. Puis on frappa à la porte et une voix dit: "C'est Colin". J'ai plongé derrière le lit. Chapman est entré et s'est assis sur le lit, j’étais juste derrière. Il avait découvert que Ronnie nous avait parlé et, pendant une heure, il nous a décrit comme étant des escrocs, a évoqué notre manque d'argent - il avait raison à ce sujet - et tout ce qui concernait les grands projets de Lotus pour l'année. Au bout d’un moment, j'avais vraiment envie de pisser. Je me demande ce qui se serait passé si je m'étais levé et que j'étais allé dans la salle de bains. Quoi qu'il en soit, j'ai réussi à m'accrocher et Chapman est finalement parti. Pour la course suivante, à Kyalami, Ronnie était à nouveau pilote March. »

« Pour économiser de l’argent, nous utilisions des freins de F2 pour la F1, et ils n’ont jamais été à la hauteur. Mais après avoir pris la pole et mené à Zandvoort, Ronnie fut brillant à Monza. Placé en huitième position sur la grille, il était en tête au 10e tour. Comme d'habitude, ses freins ont commencé à fatiguer, mais heureusement, des averses de pluie intermittentes leur ont donné un peu de répit. A l’aspiration de Regazzoni sur Ferrari, il établit un nouveau record de tour à deux boucles de l’arrivée et a gagné avec 2,3 secondes d’avance. Nous savions qu'il s’en allait chez Tyrrell, mais après la course, il m'a remis le trophée du vainqueur. Il a dit: "Ceci est pour vous jusqu'à ce que je revienne." Quelques années plus tard, quand il était à nouveau avec Lotus et suivait docilement Andretti dans toutes les courses, il a appelé pour nous voir à Bicester juste avant Monza. Il a dit: "Robin, s'il te plaît, fabrique-moi une voiture décente pour que je puisse revenir. Je sais que tu peux le faire. Aller chez March, c'est un peu comme rentrer à la maison." Une semaine plus tard, il était mort. »

 

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Slot Racing

En 1976, Tyrrell sortit sa P34 à six roues, mais Robin estimait que le concept était erroné. « Avec ses grandes roues arrière, il n'y avait pas d'économie de surface frontale efficace. » En réponse, il proposa la March 2-4-0, avec quatre petites roues motrices à l'arrière.

« Cela ressemblait un peu à une torpille en ligne droite, avec beaucoup moins de traînée en raison de sa plus petite surface frontale, et une traction phénoménale. Mais c'était plus lourd, et le problème était de faire fonctionner la transmission. Nous avons fait des tests à Silverstone, et bien sûr Max a invité la presse à venir regarder. La transmission a cédé au premier tour. Howden Ganley, qui la conduisait, s'est approché et nous avons raconté que nous avions un problème électrique. Ensuite, nous avons déconnecté l’entraînement des deux roues arrière et l’avons renvoyé  en piste. C'était humide, alors avec seulement deux petites roues motrices, nous l'implorions de faire preuve de souplesse en matière de puissance en sortie de virage. Howden a fait du bon travail, car les journalistes ont tous déclaré que la traction était incroyable, sans aucun patinage en sortie de Woodcote. La 2-4-0 n'a jamais couru, mais cela nous a rapporté beaucoup d'argent, car Scalextric a créé un modèle très populaire et a dû nous payer une redevance sur chacun d'entre eux. »

 

A Suivre...

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- Illustrations ©D.R., LAT IMAGES et GettyImages

Commentaires

Passionnant article avec nombre d' "anecdotes" édifiantes parfois croustillantes... Un excellent moment de lecture. Merci encore à Francis qui nous concocte ces belles pages.

Écrit par : F.Coeuret | 30 octobre 2019

Bonsoir Excellent et trés intéressant article .

Écrit par : Daniel Robin | 30 octobre 2019

Encore, encore des notes comme ces deux ci.

Écrit par : Jean-Paul Orjebin | 11 novembre 2019

Les commentaires sont fermés.