04 août 2022
Jim Redman : Hard Years (2)
Cette note termine « Hard Years », le chapitre 2 de la biographie de Jim Redman. On comprend à sa lecture toute la force de caractère qu’il a fallu au pilote Honda pour surmonter les aléas de la vie. Pour autant, jamais on ne se résigne, jamais on ne s'ennuie, pour un peu on se croirait dans une fiction d'aujourd'hui. Mais ne vous y trompez pas, il s'agit ici de réalité pure et dure.
A l'heure où beaucoup se lamentent à propos de leur misérable « pouvoir d'achat », il est bon de se remémorer quelles pouvaient être les conditions de vie dans l'Angleterre et autres pays européens au début des années cinquante. C'est entre autres ces conditions rudes qui allaient forger toute une génération de pilotes mythiques, qui sont restés pour la plupart dans notre mémoire.
On retrouve ça et là quelques titres de musique qui ont rajoutés afin d'aérer un peu le texte. Vous pourrez vous amuser à les identifier...
Cette note marque aussi le 10e anniversaire de ce site, initié le 30 juillet 2012 suite à la disparition soudaine de "Mémoire des Stands".
Francis Rainaut
- voir également Jim Redman : Hard Years (1)
Masters of War
... En 1944, ma mère a finalement reçu des nouvelles de mon père, mais ça n’était pas bon, en fait, c’était terrible. Sa propre mère était en train de mourir et il avait tenté en vain d’obtenir quelques jours de congé pour raisons familiales afin d’être avec elle. Cela lui fut catégoriquement refusé et ma grand-mère paternelle est morte cette année-là sans voir son fils bien-aimé pour la dernière fois. Cet événement tragique a été le tournant de la vie de mon père. Je me suis souvenu plus tard que ma mère nous avait dit que ses lettres changeaient et que leur ton devenait de plus en plus amer.
La guerre se termina enfin et, bien que l’Angleterre ait été dévastée par les bombardements incessants, son peuple était libre. Les jumeaux purent rentrer chez eux. Nous ne les avions pas vus depuis trois ans - trois longues années ! Ils avaient maintenant huit ans et étaient gentils et en bonne santé. Ma mère était fascinée par leur nouvel accent et ne pouvait s’empêcher de leur poser des questions sur tout ce qu’ils avaient vu ou fait pendant leur absence, afin qu’elle puisse comprendre leurs nouvelles manières et habitudes apprises pendant leur séjour.
Petit à petit, la famille Redman était à nouveau regroupée, mais cela n’a pas empêché ma mère d’être toujours très stricte sur nos tâches ménagères. Chacun d’entre nous connaissait ses tâches, que nous faisions ou alors étions punis, et nous n’étions pas autorisés à écouter la radio le soir à moins que nos devoirs ne soient terminés. Enfin, un jour, nous avons reçu la grande nouvelle ; notre père rentrait à la maison. Nous étions tous tellement excités à l’idée de le revoir - enfin, nous allions être réunis et redevenir une vraie famille ! Il avait passé six ans en Afrique - six longues et interminables années loin de sa famille, dans la solitude la plus totale - avec les forces alliées, et n’avait pas réussi une seule fois pendant tout ce temps à obtenir des congés pour rentrer chez lui.
Nous ne sommes pas allés à sa rencontre parce qu’il préférait rentrer seul à la maison. Avant qu’il n’arrive, mon souvenir était celui d’un homme gai, doux et charmant, et je m’accrochais de toutes mes forces à cette image de peur de me retrouver devant un étranger. Quand nous l’avons vu, il était terriblement mince, son visage était fatigué, son corps plié, visiblement usé et meurtri par tout ce qu’il avait enduré. Il avait même été touché par des éclats d’obus et semblait grandement diminué à cause de cela. Ce fut un gros choc pour nous, mais encore plus pour lui. Il semblait perdu, incapable de trouver ses repères. Les jours passèrent. Il parlait peu et se refermait de plus en plus sur lui-même, malgré tout l’amour et le soutien de ma mère. Son retour à la vie civile allait être extrêmement difficile.
L’armée lui trouva rapidement un emploi de livreur de lait, mais le salaire net était modique. De plus, depuis le retour de son mari, ma mère avait cessé de louer des chambres à des employés de l’usine qui pouvaient maintenant retourner à leur travail normal. J’ai aidé mon père du mieux que je pouvais, en l’accompagnant dans ses tournées chaque fois que le temps scolaire le permettait. J’ai adoré être avec lui à ces moments-là. Il m’a laissé conduire le cheval et la charrette, nourrir et nettoyer l'animal et j’ai adoré cela. Les disputes qui avaient divisé mes parents dans le passé semblaient maintenant oubliées, mais après quelques semaines de calme relatif, la situation s’est à nouveau détériorée. Alors qu’avant ce n’était que des mots, c’était maintenant des cris violents, au cours desquels ma mère explosait en larmes. Comme toujours, je défendais ma princesse.
"Mum" Redman
I Can See for Miles
Une fois, alors que j’étais submergé par les cris et les larmes de ma mère, je me suis précipité dans la chambre de mes parents et j’ai violemment poussé mon père hors de la pièce. Lui - qui pensait que ses enfants le considéreraient comme le héros conquérant - n’avait jamais imaginé que ce serait notre mère qui allait susciter toute notre admiration. À l’époque, nous lui en voulions tellement que nous ne pouvions pas arrêter de nous moquer de lui et de l’appeler « vieil homme » ou « sympathie », et tout cela parce qu’un jour, il avait négligemment laissé échapper, de manière résignée, que la seule chose qu’il souhaitait de nous était un peu de sympathie. Une chanson populaire de l’époque que tout le monde fredonnait s’appelait Sympathy et nous avions pris l’habitude de la chanter derrière son dos. À une autre occasion, Wendy et Peter préparaient une sorte de bonbon sucré au cacao dans une vieille boîte de tabac, dans laquelle ils ont trempé leurs doigts. Notre père les a surpris et a crié avec colère : « Que faites-vous tous les deux ? » Le bruit de sa voix les effrayait tellement qu’ils couraient à l’étage et s’enfermaient dans la salle de bain. Mon père s’est précipité dans les escaliers et a frappé plusieurs fois à la porte, les implorant de l’ouvrir. Mais Wendy et Peter, pour qui mon père était un parfait inconnu, n’obéissaient pas, tant ils avaient peur de la colère de cet homme. Au bout d’un moment, cependant, ils l’ont entendu pleurer et ont légèrement ouvert la porte. Il était assis, complètement perdu, pleurait et répétait doucement « mes enfants, pourquoi avez-vous si peur de moi ? » Wendy et Peter se sont regardés, n’ont pas bougé, et n’ont pas dit un mot.
Malgré leurs violentes disputes, mon père n’a jamais frappé ma mère. Il était évident qu’ils s’aimaient, mais qu’ils ne pouvaient plus se comprendre ou se tolérer et qu’ils ne pouvaient donc plus vivre ensemble. Pendant trop d’années, ils avaient été séparés et maintenant trop de blessures anciennes et nouvelles, trop de malentendus les séparaient à jamais.
Aucun de nous, les enfants, ne détestait notre père, juste le fait qu’il rendait notre mère malheureuse. Jackie et moi avons découvert plus tard que la première chose que mon père a demandé à ma mère, tout en la tenant tendrement dans ses bras, était de savoir si elle lui avait été fidèle pendant son absence ... Finalement, c’est l’armée qui a décidé de l’avenir de mon père en l’envoyant dans un centre de réhabilitation dans une ferme, dans l’espoir qu’il puisse retrouver le chemin de la vie civile. Dans sa jeunesse, mon père avait grandi à la campagne et travaillait dans une ferme. Avant de partir, il a demandé à ma mère s’il pouvait emporter avec lui des effets personnels, comme sa collection de timbres et son précieux piano car, sans eux, il ne partirait pas. À ma grande surprise, elle a accepté ; elle était si fatiguée des disputes brutales, de la tension entre eux et du mal qui consumait constamment mon père et sur lequel elle n’avait aucun contrôle, qu’elle aurait accepté toute condition qui l’éloignerait de chez nous. Quelque temps plus tard, il est rentré chez lui et la vie était à nouveau calme. Mon père semblait s’améliorer, du moins physiquement, mais tout cela était une illusion : en fait, il ne s’en est jamais complètement remis. Chaque fois que son anxiété revenait et que les disputes avec ma mère devenaient plus orageuses, il retournait dans une ferme différente, jusqu’au jour où il abandonna tout espoir d’être guéri et se résigna, cette fois, à partir pour de bon. Le problème était qu’il avait vu tellement de choses et, comme je l’ai découvert beaucoup plus tard, qu’il avait été un pilote de moto et un chauffeur de camion de munitions assez courageux, qu’il était « choqué par les obus », comme on l’appelait.
School's Out
En 1946, je venais d’avoir 15 ans et j’ai été obligé de quitter l’école, avant même d’avoir obtenu mon Matric (baccalauréat, Ndt), parce que mes parents n’avaient plus les moyens de me garder là-bas. Mon père venait à nouveau d’être envoyé dans une ferme, cette fois près de Bath, pour une durée indéterminée. Maintenant, même si ma mère recevait une petite allocation de l’armée, elle n’était pas en mesure d'assumer les besoins financiers de toute une famille. C’est pourquoi j’ai dû quitter l’école et commencer à chercher du travail. En tout cas, je savais au fond de moi que je n’aurais pas réussi l’examen ; il devenait de plus en plus difficile pour moi d’accepter l’autorité stricte de l’école.
J’ai trouvé un emploi et j’ai commencé à travailler immédiatement en tant qu' « improver » (metteur au point , Ndt) dans l’atelier de réparation automobile d’un grand constructeur et entrepreneur en génie civil dans la région appelée Taylor Woodrow. Avec l’avenir si incertain en cette période juste après la guerre, les garagistes ne signaient pas de contrats d’apprentissage, mais utilisaient plutôt ces contrats de techniciens pour les jeunes hommes à la recherche d’un emploi. Au fur et à mesure que nous avancions dans nos connaissances et nos compétences, nous avons pu monter en puissance pour enfin devenir mécaniciens à part entière. Alors, j’ai balayé le sol, nettoyé les pièces de rechange et commencé à faire des réparations simples. Par-dessus tout, j’ai regardé, écouté et appris rapidement. Ma mère était très fière de moi. Un jour, elle revint de la bibliothèque publique avec un livre sur Henry Ford. Debout près de moi, et d’une voix confiante, elle a dit : « Voilà, vous avez commencé sur la dernière marche comme Henry Ford et vous aussi, vous pouvez devenir aussi grand et aussi important que lui. » Elle nous a vraiment fait croire à l’impossible.
Même si je ramenais de l’argent à la maison, ce n’était pas suffisant, et nous devions augmenter le revenu familial. À cette époque particulière, il y avait beaucoup de gens du nord de l’Angleterre et de l’Irlande qui cherchaient du travail, et ma mère a donc décidé d’accueillir à nouveau des locataires. Après la guerre, la reconstruction s’est opérée partout : ponts, routes, bâtiments, bureaux, tous avaient été endommagés ou détruits par les bombardements, et il y avait donc beaucoup de travail autour, en particulier dans la région du grand Londres. Nous avons pu loger plusieurs personnes dans notre maison, la plupart étaient des hommes gentils et bien élevés.
Je me souviens d’un en particulier. Il était irlandais, marié, père de plusieurs enfants, et a commencé à m’emmener avec lui quand il allait pêcher le week-end. Il était courtois et charmant et, par la façon dont il regardait ma mère, il était facile de deviner qu’il était entiché mais, bien sûr, elle a fait semblant de ne pas le remarquer. Quoi qu’il en soit, elle est toujours restée polie et amicale envers lui. Je pense cependant qu’elle n’était pas complètement indifférente à lui mais restait totalement silencieuse sur le sujet et s’il y avait un secret entre eux, c’était un secret très bien gardé...
Récemment, alors que Jackie lisait un journal, elle est tombée sur un article relatant l’histoire d’un vagabond irlandais qui, depuis 50 ans, errait dans toute l’Angleterre. Il n’était jamais retourné chez lui en Irlande et avait récemment été retrouvé mort à l’âge de 94 ans. À son grand étonnement, l’homme en question portait le même nom, Paddy Duffy, que le jeune Irlandais qui avait logé chez nous 50 ans auparavant. L’âge était juste, donc l’idée nous a traversé l’esprit que cela pouvait être un seul et même homme qui avait, à cause d’un amour impossible pour une femme - notre mère - passé toute sa vie à errer, rêvant d’un amour qui ne pourrait jamais être.
Black denim trousers and motorcycle boots
Dans le garage où je travaillais, deux des mécaniciens, Keith Starling et Bob Baker, possédaient leurs propres motos, il était donc naturel que je gravite autour eux car j’avais toujours été intéressé par les bécanes. Au fil des jours et des semaines, nous sommes devenus amis, et souvent le week-end, nous partions faire un tour ensemble. Je roulais sur l’une ou l’autre des motos, me tenant fermement et devenant ivre par la vitesse et l’incroyable sentiment de liberté. Ce n’était pas assez pour moi cependant - je voulais apprendre à en conduire une moi-même, alors finalement Bob m’a appris comment. Dès la première fois que j’ai saisi le guidon de cette moto, j’ai su que je devais avoir la mienne.
C’était juste avant mon 16e anniversaire et je suis allé de magasin en magasin, à la recherche de la moto qui allait devenir la mienne. Après beaucoup d’indécision, j’en ai finalement trouvé une que j’aimais, ce n’était en aucun cas mon premier choix mais mon budget était très limité. C’était un monocylindre d’occasion, ex-War Department, une 350cc Matchless, avec des fourches à poutres et un cadre rigide. Ma mère a accepté que je puisse l’obtenir si je pouvais travailler sur un plan pour la payer : elle était proposée à 70 £. C’était beaucoup plus que ce que j’avais, mais un petit dépôt l’a garantie et ma mère a signé le contrat de location-vente. À l’époque, je ne gagnais que 1 livre 15 shillings par semaine, donnés pour l'essentiel à ma mère car mon père n’était pas là, ne gardant qu’un minimum pour l’argent de poche. Mais je voulais vraiment cette bécane et j’ai décidé de trouver un emploi dans la livraison de journaux tôt le matin, avant d’aller au travail. Cela payait 10 shillings par semaine, mais ce serait tout à moi et tout cela irait vers le paiement de la moto. Sur mon itinéraire de livraison des journaux, je lisais les magazines de moto. Je ne pouvais pas me permettre de les acheter et, bien sûr, je suis tombé amoureux des nouvelles motos affichées, rêvant qu’un jour je pourrais échanger ma bécane contre l’une d’entre elles. J’ai suivi aussi les courses de moto, et je savais juste que c’était quelque chose que je devais faire.
Vincent Comet 500cc
Des années plus tard, après avoir payé la Matchless et l’avoir échangé pour une bicylindre Triumph d’occasion, j’ai pu acheter l’objet de mes rêves, un Vincent Comet 500cc. En utilisant la Triumph comme dépôt, j’avais suffisamment pour l’acompte, le reste je rembourserai petit à petit à crédit. Nous avons appelé cela le « flux goutte à goutte » et, en fait, j’ai passé plus de temps à nettoyer et à faire briller ma moto que de la conduire car tout l’argent des journaux est allé payer la location-vente. Frustré de ne pas avoir d’argent pour l’essence, un jour au travail, j’ai siphonné de l’essence dans les réservoirs de quelques voitures différentes pour la mettre dans ma bécane. On m’a pris en flagrant délit et on m’a dit de démissionner immédiatement. Le même jour, j’ai trouvé un nouvel emploi dans un autre garage à environ 100 mètres de là, appelé Ellbourne’s Garage, dont le propriétaire, le colonel Ellbourne, était un ancien militaire. C’était un bâtiment très imposant, avec sa propre station-service, sa salle d’exposition et son garage pour les réparations, et j’ai travaillé là jusqu’à l’âge de vingt ans.
Malheureusement, dans le même temps, la famille a de nouveau été frappée par la main du destin. Un matin d’hiver, Jackie a subi de violentes douleurs au dos qui l’ont empêchée de respirer. Notre médecin de famille, le docteur Ginsberg, est arrivé presque immédiatement et son diagnostic était très alarmant : Jackie souffrait de pleurésie et de pneumonie combinées. Elle a été immédiatement transportée d’urgence à l’hôpital où il a été découvert qu’elle avait également contracté la tuberculose. Ma mère était dans un état d’effondrement total, mais devait être forte pour nous tous. J’étais - et je suis toujours - très proche de mes sœurs, et c’était insupportable de savoir que Jackie était loin de moi, dans une chambre d’hôpital entourée de malades. Au cours des six mois qui ont suivi, chaque fois que c’était possible, nous avons rendu visite à tour de rôle à Jackie, afin qu’elle puisse avoir les livres dont elle avait besoin pour étudier, des livres qui lui étaient enlevés dès que le membre de la famille avait quitté la pièce.
Elle était très volontaire et, avec ça et un peu de chance, elle se remit relativement rapidement de sa maladie mais, à sa grande déception, elle dut encore rester six mois à la maison pour un repos complet. Elle, qui adorait étudier et apprendre plus que toute autre chose, a dû se résigner à l’idée de quitter l’école pour toujours et de chercher un emploi une fois qu’elle fut debout.
Je gagnais maintenant plus que les mécaniciens expérimentés, ce qui a fait une grande différence pour moi et ma famille, même si j’ai continué à livrer les journaux pour payer ma nouvelle moto. Bob, Keith et moi avions acheté trois Vincent HRD 500cc flambant neuves, Cornet monocylindres et nos plaques d’immatriculation avaient des numéros consécutifs : LXH 767, LXH 768 et LXH 769. Nous avons vraiment adoré rouler le long des routes voisines dans l’ordre numérique !
Jackie a soudainement semblé très intéressée par nos sorties à moto et, avec Bob venant régulièrement à la maison, la romance s’est épanouie entre eux. J’étais toujours follement amoureux de Glen, même si je voyais d’autres filles en même temps quand elle étudiait. Même pendant que j’étais encore à l’école, pendant l’été, nous allions tous les jeudis soir soutenir le Wembley Lions Speedway Team, alors qu’en hiver, nous allions soutenir l’équipe de hockey sur glace des Lions à l’aréna de Wembley. Maintenant, le week-end, je prenais Glen sur la moto et j’allais faire des promenades avec Bob et Jackie, Keith et Una, qui était sa petite amie à l’époque et qui est devenue plus tard sa femme. Nous avons roulé pendant des heures, heureux, libres et loin de tous les ennuis de la vie.
Depuis quelque temps, le colonel Ellbourne me regardait démonter et réparer des voitures dans le garage, j’étais toujours pressé et je détestais être au travail sans avoir rien à faire. Après m’avoir regardé tranquillement pendant un certain temps, un jour il m’a dit « Cette voiture vient d’arriver ce matin et vous avez déjà sorti l’essieu et la boîte de vitesses et réparé la boîte de vitesses ... Je vais devoir vous payer plus cher, n’est-ce pas ? À peine dit que fait et je suis devenu non seulement le plus jeune mécanicien dans son garage, mais le mieux payé, que je me suis retrouvé avec une augmentation de salaire substantielle. J’étais fier, c’est le moins que l’on puisse dire, et les choses évoluaient d'une bonne manière. J’ai travaillé fort, livrant les journaux tôt le matin, travaillant dans le garage pour le reste de la journée et réparant les voitures des voisins le soir pour suivre les dépenses familiales et payer mes habitudes de moto. J’ai créé ma propre petite entreprise pour les soirées, et nous l’avons appelée en plaisantant « Curbside Motors » Quels que soit le temps, la pluie ou la neige, je travaillais sans relâche à l’extérieur sur la voiture du voisin que je réparais. Pendant l’hiver, il faisait souvent si froid là-bas sur le trottoir que je devais continuer à aller dans la maison pour réchauffer mes mains et outils gelés afin que je puisse continuer à travailler.
Waiting 'Round to Die
Je travaillais depuis longtemps pour le même magasin de journaux et j’ai pu choisir mon propre itinéraire de livraison, ce qui était parfait pour moi lorsque je me suis rendu à la boutique, puis j’ai livré des journaux jusqu’à la maison, terminant dans ma propre rue et maison. Un jour, alors que je livrais des journaux sur ma route, un policier s’est approché de moi à la recherche d’Enmore Road. Je lui ai dit qu’il était dedans mais que ça allait aussi au coin de la rue à gauche. Il m’a remercié et a continué son chemin. Je ne sais pas pourquoi, mais soudain j’ai senti qu’il cherchait ma maison. Oubliant mes livraisons, je l’ai poursuivi et rattrapé juste au moment où il se tournait vers notre maison. Je lui ai demandé pourquoi il y allait, et si quelque chose était arrivé à mon père. Il m’a demandé qui j’étais. Avant que j’aie eu le temps de répondre, ma mère est apparue à la porte et j’ai senti qu’il était très mal à l’aise devant elle, désolé d’être là. Après avoir pris quelques instants pour se ressaisir, sans même demander à entrer, il a annoncé d’une voix légèrement tremblante que mon père s’était suicidé et a demandé à ma mère de descendre à la morgue pour identifier le corps.
Même si elle avait été gravement secouée par de telles nouvelles livrées d’une manière aussi abrupte et sans nuances, ma mère semblait tout simplement fatiguée et résignée, comme si elle avait attendu une tragédie comme celle-là. Elle m’a pris dans ses bras et m’a serré fermement contre elle ; J’aurais donné ma vie pour qu’elle n’ait pas ressenti ce choc et ce malheur. La nouvelle nous a laissé sans voix ; Je ne voulais pas qu’elle aille à la morgue, craignant qu’elle ne souffre encore plus et que l’expérience ne la laisse marquée pour toujours. J’ai essayé d’y aller à sa place mais, comme je n’avais que 17 ans et que j’étais mineur, cela n’était pas autorisé par la loi. Je ne pensais même pas à mes sœurs et à mon frère, je me suis complètement concentré sur ma mère. Le policier avait été très vague sur la mort de mon père, et surtout sur la façon dont elle s’était produite, mais il n’y avait aucun doute : c’était un suicide. À l’époque, le suicide était considéré comme un péché et nous avions un peu honte que cela se soit produit dans notre famille.
Le lendemain, ma mère et moi avons pris le train pour Bristol, tandis que Jackie est restée à la maison avec les jumeaux. Une fois arrivés à la morgue, j’ai fait de mon mieux pour soutenir ma mère, prête à me serrer les bras au moindre signe de faiblesse. La feuille recouvrant le corps a été retournée au menton et le visage de mon père nous a regardés en arrière. Il semblait au repos, ses traits détendus, comme si, enfin, il était libre.
D’une manière très digne, ma mère a dit : « Oui, c’est lui ». Une fois le corps identifié, le cadavre a été rapidement incinéré et les cendres enterrées à côté du cimetière dans un endroit réservé aux plus pauvres, car nous n’avions pas l’argent pour payer de véritables funérailles. Nous sommes rentrés chez nous et, tout au long du voyage, pas un mot n’a été prononcé entre nous ; ma mère semblait discrète et triste, mais pas trop. Peut-être s’était-elle déjà préparée à une telle éventualité et sa tristesse s’est mêlée à un certain soulagement ? Peut-être avait-elle toujours su comment leur relation se terminerait ? Quant à moi, j’étais plus inquiet pour elle que pour mon père. Je ne l’aimais pas de toute façon, chaque fois qu’il était rentré à la maison, il l’avait blessée, et elle était ma princesse. Curieusement, je me suis soudainement rappelé comment, peu de temps auparavant, alors que mon père venait de se disputer à nouveau avec ma mère, il s’était tourné vers moi et, avec résignation, il m’avait dit : « Maintenant, tu es assez grand pour me jeter dehors si je fais trop de problèmes. » Ce à quoi j’avais répondu avec mépris « Oui, je n’hésiterais pas ! » Plus rien dans la vie ne signifiait quoi que ce soit pour lui, le respect de sa famille, son travail, son statut d’homme ; il se sentait à la fois inutile et pourtant impuissant à s’élever. Trop faible pour combattre ses démons, trop déprimé pour reconstruire une vie normale, étranger à lui-même et à sa famille, que lui restait-t-il ? La guerre l’avait démoli, la séparation entre nous et lui s’est approfondie. Il avait décidé de mettre fin à cette souffrance perpétuelle qui le rongeait, petit à petit, et s’éloignait silencieusement de la vue des autres. Dieu seul connaît le désespoir qu’il a dû ressentir et le courage qu’il a fallu pour faire ce qu’il a fait. J’avais toujours pris le parti de ma mère contre mon père mais, en vieillissant, vous comprenez que rien n’est tout noir ni tout blanc, et qu’il y a deux côtés à chaque histoire. Je n’étais pas assez mûr pour comprendre que mon père avait atrocement souffert ; J’ai seulement vu qu’il avait fait pleurer ma mère. Quand il voulait un peu de compréhension de notre part, il n’a eu que de l’indifférence et des critiques.
Il n’y a pas si longtemps, j’ai appris que mon père avait été une estafette pendant la guerre, se conduisant très courageusement et défiant le danger chaque fois qu’il passait les lignes ennemies. Avant cela, j’avais toujours cru que j’étais le seul pilote de moto de la famille. Mon père était attaché à la huitième armée, qui a combattu contre Rommel. Lorsque la grande offensive a eu lieu, il a conduit un camion rempli de munitions jusqu’à la ligne de front encore et encore, malgré le fait qu’il ait vu ses amis réduits en pièces faire le même travail. Je me rends compte maintenant de ce qu’il a dû endurer ; cela a dû être terrible.
À la maison, la vie a repris son cours normal, chacun de nous retournant à son travail et à ses tâches. Les jumeaux sont toujours allés à l’école, Jackie a continué son travail de réceptionniste pour un dentiste, et j’ai partagé mon temps entre ma ronde de papier, mon travail et Curbside Motors. Ma mère s’est occupée de la maison, toujours avec toute son énergie habituelle, tout en gardant un œil attentif sur l’éducation de Wendy et Peter. Un jour cependant, après avoir parcouru plusieurs pages, son attention fut attirée par un article particulier du journal. En le lisant, son visage est devenu pâle et ses traits se sont figés.
Slow Train Coming
Dans le titre de l’histoire il y avait " ... le corps décapité d’Edward Albert Redman retrouvé sur la voie ferrée ... », ainsi qu’une photo de mon père. L’article décrivait en profondeur l’horrible façon dont le pauvre homme s’était suicidé. Ces quelques mots ont suffi à ébranler toute notre existence pour toujours. Imaginer mon père poser la tête sur la voie ferrée de sa propre volonté, et attendre qu’un train arrive et lui coupe la tête, a grandement traumatisé ma mère. En même temps, elle ne pouvait pas l’imaginer malheureux au point de ne pouvoir lui dire, à elle sa propre femme, que la seule alternative qui lui restait était de mettre fin à ses jours de la manière la plus horrible possible. Ma mère avait plus ou moins réussi à se remettre du choc de son suicide mais, à la lecture de l’article de journal, quelque chose a semblé exploser dans son cerveau.
A la morgue, nous n’avions que son visage, lisse et non marqué, car les autorités avaient pris soin de nous cacher le reste du corps, tout en restant très évasifs sur la méthode de son suicide. Même dans ses pires cauchemars, mère n’aurait jamais pu imaginer quelque chose d’aussi monstrueux. Maintenant, le voici devant elle, écrit noir sur blanc. Pendant longtemps, elle est restée immobile, un regard hagard sur son visage. À partir de ce moment, ma mère s’est détériorée quotidiennement, souffrant de migraines qui l’ont terriblement torturée. Nous ne savions pas quoi faire pour l’aider pendant ces moments et cela nous a tous fait très mal de la voir dans cet état. Elle, qui avait toujours eu une volonté de fer, mais avec une personnalité enjouée, était devenue l’ombre d’elle-même.
Quelques jours plus tard, dans la soirée, elle ne se sentit pas bien, alors elle est montée dans sa chambre et a demandé à ma sœur de lui apporter un bol car elle a dit qu’elle se sentait malade. Pendant la nuit, j’ai été réveillé par un bruit étrange venant de sa chambre : c’était comme si quelqu’un raclait à la porte en essayant d’entrer. Étant jeune et fatigué de travailler dur, je ne me suis pas levé pour aller enquêter, et je me suis rendormi. Le matin, je suis entré dans la chambre de ma mère et j’ai été horrifié de constater que le bruit de grattage avait été causé par son « mélange » dans le bol avec sa main. Le fond du bol avait une finition très rugueuse et elle avait gratté la majeure partie de la peau de ses doigts. Elle était encore en train de se mélanger quand je suis entré et le bol avait beaucoup de sang dedans.
Ma mère était couchée sur le lit, avec un visage fatigué et tiré d’une nuit sans sommeil, j’ai couru l’aider pendant que Jackie appelait le docteur Ginsberg pour venir nous aider. Avec un regard absent, ma mère m’a dit qu’elle nous faisait un gâteau. Il était évident qu’elle perdait la tête. Dès que le Docteur est arrivé, il a confirmé la gravité de son état et a immédiatement appelé une ambulance. Alors qu’elle sortait sur une civière, ma mère nous a donné un sourire, doux et anxieux à la fois, comme pour nous rassurer. D’une voix à peine audible, elle avait encore la force de dire à ma sœur et à moi que, quoi qu’il lui arrive, nous, ses enfants, devrions toujours rester ensemble, à travers toutes les épreuves et ne jamais nous séparer. Les portes se sont fermées et l’ambulance a démarré brusquement au milieu du bruit des sirènes hurlantes. Au moment où elle est sortie de mon regard, je pouvais sentir mon cœur pressé par la douleur et les larmes qui s’abattaient à l’intérieur de moi.
London ambulance ©gettyimages
Je me suis tourné vers Jackie, qui essayait aussi de ne pas pleurer. Pendant une minute qui semblait durer une éternité, nous nous sommes regardés en silence, complètement brisés.
Nous avons pu rendre visite à notre mère plus tard dans la journée et, heureusement, elle semblait beaucoup mieux et beaucoup plus reposée. Son visage avait retrouvé sa couleur normale et le regard sauvage avait disparu, sa voix était claire et son sourire le plus doux était de retour en place. Nous avions retrouvé notre mère, la mère que nous aimions tant. Qui aurait cru que sa fin était si proche ? Le 11 juin 1949, alors que Jackie faisait le ménage et que je venais de terminer ma tournée de journaux, un policier est apparu à notre porte. Le visage froid, il nous a appris la terrible nouvelle : notre mère venait de mourir d’une hémorragie cérébrale, mais je savais bien que c’était le choc de découvrir les détails du suicide de mon père qui l’avait tuée.
Complètement dévastés, Jackie et moi avons laissé les jumeaux à la maison et sommes allés immédiatement à la morgue de l’hôpital ; nous avons pu la voir une dernière fois. La créature pâle ne ressemblait en rien à notre mère, mais au moins elle était en paix. Nous lui avons donné un dernier baiser d’au revoir, Jackie a rassemblé quelques-unes de ses affaires, y compris sa bague de mariage (que Wendy porte toujours). L’infirmière nous a dit que si notre mère avait survécu à l’attaque, elle aurait été complètement paralysée sur son côté gauche et aurait dû passer le reste de sa vie dans un fauteuil roulant. Connaissant le caractère de notre mère, nous savions qu’elle aurait détesté se sentir si physiquement diminuée, alors nous avons pensé que c’était peut-être mieux de cette façon ... Jackie et moi nous sommes occupés de tout : signer des papiers, téléphoner aux autres membres de la famille et, surtout, l’avenir de nous quatre. Notre mère nous avait toujours dit qu’en cas de décès, elle ne voulait pas que ses enfants la pleurent. Par respect pour ses souhaits, la nôtre était la seule maison de la rue dont les rideaux n’étaient pas fermés.
En l’espace de vingt-sept jours seulement, nous avions perdu notre père et notre mère ; ce fut un choc énorme pour nous tous. Dans ce court laps de temps, j’étais passé d’un adolescent protégé à un statut d’adulte. En même temps, ces événements m’ont appris très tôt à faire face aux coups durs de la vie : je devais me prendre en main, ne serait-ce que pour Wendy, Jackie et Peter.
Mon travail au garage était payé à l’heure et le moindre temps perdu signifiait de l’argent perdu, que nous ne pouvions absolument pas nous permettre de passer à coté. Pour cette raison, je ne pouvais même pas me permettre le luxe de pleurer sur la mort de mes parents : je suis resté à la maison juste un peu de temps pour rendre hommage à ma mère, puis je suis retourné travailler au garage. Il y avait très peu de monde aux funérailles : seules nos tantes avaient fait le voyage car leurs maris ne pouvaient pas se permettre de s’absenter du travail. Notre mère a été incinérée et nous avons gardé ses cendres dans une petite urne qui est restée pendant de nombreuses années sur le buffet du salon : de cette façon, nous avons senti que son aura protectrice veillait sur nous tous les jours. Jackie et moi avons d’abord dû penser aux jumeaux qui avaient besoin d’une énorme quantité d’amour et de tendresse, mais nous avons tous beaucoup pleuré. L’important à nos yeux, à l’époque, était de survivre et surtout de rester ensemble.
Heureusement, l’amour qui nous unissait nous semblait indestructible. C’était nous contre le monde entier.
Let's Go Together
Pendant un certain temps, ma sœur et moi avons pensé à demander de l’aide à nos oncles et tantes, mais cela aurait signifié que nous vivions séparément les uns des autres, et c’était donc hors de question. Jackie a pris le rôle de notre mère, préparant le petit déjeuner, gardant la maison en ordre, préparant le dîner ; tout en travaillant au cabinet du dentiste pendant la journée. Peter et Wendy avaient onze ans à l’époque et étaient assez grands pour donner un coup de main avec les corvées autour de la maison. Jackie a même trouvé le temps d’acquérir son permis de moto et, pour la première fois de sa vie, a eu son propre moyen de locomotion : une BSA Bantam, qui faisait sa fierté et sa joie. J’étais plus que fier d’avoir une sœur qui pouvait si bien conduire une moto.
Dans l’ensemble, nous avons tout à fait réussi. Pour le dîner, nous mangions beaucoup de pommes de terre et de légumes verts, et lors d’occasions spéciales, nous l’agrémentions de viande et de poisson. Jamais nous n’avons reçu d’encouragement ou d’aide de la part des voisins, qui nous considéraient comme la famille la plus pauvre de la région. Pour notre part, nous avons réagi comme l’aurait fait notre mère - trop fière pour demander aux autres quoi que ce soit.
Nous recevions souvent des lettres de nos oncles et tantes nous demandant si tout allait bien, et si nous avions besoin de quelque chose ? Un jour, entre eux, ils ont décidé qu’ils s’occuperaient des jumeaux car ils sentaient que Jackie et moi ne pouvions pas nous occuper de tous leurs besoins. Quand ils m’ont dit cela, le sang m’est monté à la tête et je suis devenu très en colère. Ma réponse a été ferme et définitive : en aucun cas nous ne serions séparés de notre sœur et de notre frère. Nous n’avions besoin de personne pour s’occuper de les instruire et de les éduquer car nous pouvions gérer cela et, de toute façon, notre mère nous avait demandé de le faire. Je leur ai ordonné de nous laisser tranquilles et de s’occuper de leurs propres affaires. D’une certaine manière, je pense qu’ils n'étaient pas fâchés mon attitude car une autre bouche à nourrir leur coûterait de l’argent. Cependant, malgré cette victoire, nous n’étions pas au bout de nos problèmes.
Un jour, un homme et une femme de l’aide sociale ont frappé à notre porte : ils étaient venus chercher Wendy et Peter et les emmener dans un orphelinat car les autorités avaient décidé que, compte tenu de notre situation, il n’y avait aucun moyen pour les jumeaux de rester avec nous. Ma réaction a été très violente, je leur ai dit de sortir et de nous laisser tranquilles, que nous pouvions prendre soin de leurs besoins sans aucun problème car ma sœur avait 18 ans et moi juste un an de moins. Nous faisions assez d’argent pour les garder, leur assurer une bonne éducation et leur fournir tout ce dont ils avaient besoin. La discussion fut longue et épuisante, mais j’ai refusé de reculer et d’accepter tout compromis. La raison en était simple, quelques jours avant, à l’intérieur de l’un de mes livres scolaires, j’ai trouvé un petit morceau de papier à notes sur lequel était écrit des mains de ma mère ces quelques mots :
« Si jamais quelque chose devait m’arriver, je veux que mes enfants restent ensemble contre vents et marées. C’est mon dernier souhait. »
Presque les mêmes mots qu’elle avait dit à ma sœur et à moi juste avant sa mort. C’était comme si elle avait eu une prémonition que quelque chose allait lui arriver. Face à notre détermination et à notre colère, les gens de l’aide sociale ont cédé - nous avions réussi !
Dans les jours qui suivirent, il n’y eut jamais de grand luxe, mais au moins nous avions suffisamment à manger et assez pour les nécessités de la vie. Quel appétit de vivre nous avions ! Jackie et moi étions très prudents, travaillant jour et nuit pour garantir le bien-être des jumeaux et nous assurer que nous ne donnions aucune excuse aux autorités pour interférer. Heureusement, le repas de midi à la cantine de l’école était gratuit pour tous les enfants, ce qui signifiait un repas de moins à payer. Dans la maison, tout était très bien organisé, chacun de nous sachant ce qu’il devait faire. Dans le passé, nous nous disputions souvent parce que l’un de nous avait fait la même tâche deux fois de suite, tandis que l’autre ne l’avait pas fait une seule fois. Après la mort de ma mère, nous ne nous sommes jamais disputés à ce sujet.
Les seuls plaisirs que je me suis permis étaient les courses Speedway auxquelles je suis allé avec Glen et les matchs de hockey sur glace à Wembley plus, bien sûr, ma bécane, qui était mon grand luxe mais toujours payé par les livraisons de journaux. Nous avions aussi un chat qui faisait la joie de Wendy et Peter, et à qui nous avons donné du lait et les restes. De temps en temps, j’emmenais les jumeaux faire un tour sur ma moto ce qui les ravissait. Bien sûr, j’enviais mes amis, Keith et Bob, qui vivaient toujours avec leurs parents et n’avaient pas les mêmes problèmes d’argent que moi. J’ai toujours été le plus pauvre du groupe et j’ai dû travailler moi-même presque à mort pour économiser le peu d’argent dont j’avais besoin pour pouvoir sortir avec eux. J’ai ai gagné beaucoup, en particulier de Curbside Motors, mais j’en avais besoin pour prendre soin de la famille. Quand mes parents sont morts, j’avais réussi à économiser huit livres sur mon compte d’épargne, auxquelles je n’ai jamais touché car c’était mon argent en cas d’urgence. C’était étrange ; Je me sentais en sécurité en sachant que j’avais ces huit livres. Tout aurait pu nous arriver mais je pensais que je serais capable de le gérer car je n’ai jamais été fauché, grâce à mes économies. Maintenant, quand j’y pense, je me rends compte à quel point j’étais stupide d’imaginer que je pouvais gérer tout ce qui venait avec une si petite somme d’argent ; ce n’était vraiment rien du tout. Tout de même, j’ai de bons souvenirs de cette période très difficile, car elle m’a appris - entre autres choses - à ne jamais abandonner le combat, à être indépendant et à prendre les coups de la vie comme ma mère l’avait fait, avec force et dignité.
Je me souviens du premier Noël sans nos parents. À son approche, nous avons réussi à mettre de côté des choses sucrées comme des pots de fruits et d’autres spécialités, tout comme notre mère l’avait toujours fait. Puis, juste deux jours avant Noël, alors que nous préparions tout, quelqu’un a frappé à la porte. C’était un colonel de l’armée de l’air américaine qui était arrivé dans une jeep de l’aéroport de Northolt, où son contingent avait établi sa base pendant la guerre. D’une voix franche et chaleureuse, il nous a dit qu’il avait demandé au maire de la ville des informations sur les familles les plus nécessiteuses de la région, et que notre nom était en tête de liste. Il avait à peine fini de parler quand quelques aviateurs ont placé deux énormes cartons remplis de nourriture à nos pieds ; certains des articles que nous n’avions jamais vus que dans les magazines. Il y avait toutes sortes d’énormes boîtes de conserve, contenant du jambon, des fruits, différentes viandes, des bonbons, ainsi que des pots de confiture, des chocolats et des noix ... Wendy et Peter sont devenus fous ! Ils ont crié de joie en déballant les cartons et ont couru sauvagement dans toutes les directions. Jackie, complètement bouleversée, ses yeux remplis de larmes, les regardait rire, ivre de bonheur, alors que je ne pouvais toujours pas les prendre. Je me tenais là, incapable de parler, complètement abasourdi de gratitude par tant de générosité. Au milieu de toutes ces boîtes de nourriture, j’ai découvert une vieille boîte à cigares qui cliquetait. Comme je l’ai ouvert, il je me suis tourné vers Jackie et lui ai dit que si c’était de l’argent, je ne serais pas en mesure de m’empêcher de pleurer. C’était bien de l’argent et j’ai fondu en larmes. Le pauvre Colonel lui aussi fondit en larmes, un gros mouchoir couvrant son visage pour cacher ses yeux rouges. Quel Noël fabuleux ce fut pour nous, mais quel dommage que notre mère n’ait pas pu être avec nous pour partager notre joie et Dieu sait comment nous avons ri pendant le dîner ! Jackie - pour son tout premier Noël en tant que cuisinière - avait décidé de cuisiner une oie et du porc. Malheureusement, elle ne savait pas qu’il était nécessaire de drainer à plusieurs reprises la graisse de la viande. Alors qu’elle ouvrait le four pour voir comment allait la viande, la graisse a pris feu et elle a presque été brûlée vive. Quand enfin elle est venue s’asseoir avec nous et servir la nourriture, elle n’avait plus de cheveux sur le devant de sa tête, pas de sourcils et pas de cils. A sa vue, Wendy, Peter et moi nous nous tordîmes de rire tout comme Jackie, un peu plus tard.
Au début de chaque semaine, Jackie et moi nous nous occupions des comptes. Tout était décidé très prudemment et rien n’était laissé au hasard. Nous réglions d’abord la question du loyer, puis celle de la nourriture, de l’argent pour l’essence et, enfin, celle de nouveaux vêtements pour les jumeaux qui grandissaient rapidement. Nous avons toujours apprécié d’être soignés et propres devant les autres et ne nous serions jamais présentés de manière négligée, ou avec des vêtements vieux et rapiécés. De temps en temps, lorsque le budget le permettait, nous achetions quelque chose pour la maison, et il n’était pas rare à Noël d’acheter un objet utile qui faciliterait la vie, une brosse pour l’évier, un fer à repasser. Mais la plupart du temps, c’était une lutte financière, une fois il est arrivé que nous n’ayions pas assez d’argent pour acheter une nouvelle paire de chaussures pour les jumeaux, mais j’ai travaillé quelques heures supplémentaires et nous leur avons obtenu ce dont ils avaient besoin. Wendy et Peter avaient leur propre argent de poche que Jackie et moi leur donnions chaque semaine et, avec lui, sommes allés à la piscine la plus proche et avons visité les musées de South Kensington.
Time Waits For No One
J’ai continué à livrer des journaux le matin, à travailler dans le garage pendant la journée et dans ma propre entreprise le soir, à réparer des voitures devant la maison, parfois avec Peter m’aidant du mieux qu’il pouvait.
Donc, c’est ainsi que nous avons vécu jusqu’à ce que j’aie atteint l’âge de dix-huit ans, au moment où tous les gars étaient obligés de s’enrôler dans l’armée pendant deux ans. Cependant, il était possible d’obtenir un report de six mois afin de terminer l’école ou pour des circonstances exceptionnelles. Lorsque j’ai reçu ma lettre de conscription, il était clair que je ne pourrais jamais quitter ma famille, alors je me suis rendu au centre de recrutement le plus proche et j’ai expliqué ma situation en détail au comité. On m’a demandé de quitter la pièce le temps qu’ils prennent leur décision. Les minutes passaient très lentement jusqu’à ce qu’on me dise d’entrer. Comme je l’avais espéré, j’ai eu droit à un premier report de six mois afin de continuer à m’occuper des jumeaux. Cependant, je devais faire un rapport au comité tous les six mois pour une réévaluation de ma situation. Chaque fois que je l’ai fait, mon sang s’est refroidi à l’idée qu’on m’apprenne que je doive rejoindre l’armée, même si je savais qu’un jour cela devait arriver. Néanmoins, j’ai réussi à retarder mon départ de deux ans.
Quand j’ai eu vingt ans, l’armée a finalement décidé qu’il était temps pour moi de rejoindre ses rangs. Les jumeaux avaient grandi et avaient maintenant quatorze ans ; un âge auquel ils seraient capables de se débrouiller avec ma sœur aînée, m’a dit le comité. Le comité était cette fois composé d’une douzaine de personnes - des soldats, mais aussi des représentants du système de protection sociale. J’ai accepté de m’enrôler dans l’armée, mais je voulais d’abord savoir comment ils allaient prendre soin de ma famille pendant que je serais parti. Il semblait qu’il y aurait une allocation pour l’éducation des jumeaux. J’avais vérifié combien serait l’allocation, le maximum était de 15 shillings par semaine chacun, ce qui ne paierait même pas le loyer, ni même la nourriture pour trois personnes. Ma solde de l’armée serait d’une livre quinze shillings par semaine, plus quinze shillings par enfant ; au total trois livres cinq shillings. Avec un loyer de deux livres par semaine, il ne restait plus grand-chose. Avec tous mes différents emplois, je gagnais environ treize livres par semaine, et, même alors, il n’y avait pas grand-chose pour les petits extras, il était donc hors de question de gérer un quart de cela. Je l’ai expliqué, mais la commission n’écoutait pas vraiment : c’était mon problème. Face à une telle indifférence, j’étais livide de rage et je ne pouvais pas contrôler mon tempérament. Je les ai insultés royalement, en les traitant de guerriers en fauteuil qui ne s’intéressaient pas du tout aux problèmes des autres, et qui étaient seulement assez bons pour s’asseoir là et mettre des croix dans les petites cases. Dégoûté, et furieux de la façon dont l’entrevue s’était déroulée, je suis sorti du comité et je suis immédiatement retourné au garage où le colonel Ellbourne m’attendait.
Sur le chemin du retour, j’ai décidé que, si c’était ça l’Angleterre, je préférais sortir de l’enfer et aller vivre ailleurs ! Je lui ai raconté tout ce qui venait de se passer, mon dégoût pour ce qui me semblait être une injustice flagrante et, surtout, ma décision de quitter le pays le plus tôt possible. Le colonel semblait secoué et a essayé de me calmer. Avant cela, il m’avait demandé de gérer le garage chaque fois qu’il n’était pas là afin qu’il puisse être libre de s’occuper de la station-service, des ventes de voitures et d’un nouveau garage qu’il achetait. Il m’a expliqué qu’une fois qu’il aurait acquis le nouveau garage, il voulait que je dirige complètement l’ancien. Il m’a ensuite emmené dans son bureau et m’a donné le conseil suivant « Si vous quittez le pays le lendemain de votre enrôlement, vous serez considéré comme un déserteur et la police vous cherchera. En revanche, si vous partez avant d’être mobilisé, ils ne peuvent rien faire. Si vous voulez le faire, vous devez agir rapidement ou il sera trop tard … » Je l’ai remercié pour tout ce qu’il avait fait pour moi et lui ai donné ma démission.
Immigrant Song
Nous avons eu cette conversation un jeudi. Le mardi suivant, j’étais sur un cargo en partance pour Le Cap, en Afrique du Sud, le seul navire sur lequel il y avait une couchette disponible, le prochain étant dans six semaines. Mon appel était effectif dans trois semaines, j’ai donc dû prendre ce navire. Le lendemain, vendredi, j’ai vendu ma moto, la Vincent Cornet, pour 200 livres et réservé et payé les 100 livres pour ma couchette sur le Capetown Castle. J’ai emballé mes clés et mes maigres affaires, et j’ai eu une longue discussion avec Jackie. Je savais que la décision que je venais de prendre allait changer le cours de nos vies pour toujours. Peut-être que je ne verrais pas mon frère et mes sœurs avant très longtemps. J’avais vraiment peur ; pas pour moi, mais pour Jackie, Wendy et Peter, que j’ai senti que d’une certaine manière je les abandonnais à un moment où ils avaient le plus besoin de moi.
Jackie m’a rassuré, dissipant mes craintes en annonçant qu’elle allait épouser Bob Baker, et qu’ensemble ils seraient en mesure de s’occuper des jumeaux. À ma grande surprise, elle semblait même excitée à l’idée que je parte en Rhodésie car elle espérait pouvoir, un jour dans le futur, me rejoindre avec les jumeaux. Ensemble, nous avons travaillé qu’ils auraient besoin d’argent pendant deux mois, le temps qu’il me faudrait pour arriver en Rhodésie et s’installer et trouver du travail, après quoi je ferais de mon mieux pour leur envoyer de l’argent chaque semaine pour aider avec les factures jusqu’à ce que les jumeaux aient terminé leurs études. Il me restait encore 100 livres de la vente de mon vélo après avoir payé le billet de bateau. J’ai décidé que je devrais gérer avec 30 livres pour le prix du train de Cape Town à Bulawayo et laisser les 70 autres livres avec Jackie pour la garder.
RMMV(*) Capetown Castle
Le Capetown Castle était un cargo et prendrait un mois pour se rendre au Cap, par rapport aux navires de courrier qui ne prenaient que deux semaines. Mais il n’y avait pas une seule couchette de disponible sur un navire postal avant six semaines, date à laquelle j’aurais été dans l’armée.
J’étais tellement heureux de savoir que Bob et Jackie allaient se marier. Maintenant que je n’avais plus de soucis pour les trois autres, je suis devenu très excité par la nouvelle vie que j’allais me faire en Rhodésie. Bob, Jackie et moi manigancions et planifiions comment, une fois que je serai installé, nous les amènerions tous - Bob aussi - en Rhodésie. Bob a emménagé dans la maison et je suis parti pour Londres pour monter à bord du vieux cargo en direction du Cap, voyageant à Bulawayo pour un voyage en train de deux ou trois jours. La seule raison pour laquelle j’ai choisi Bulawayo était que mon ami, Keith Starling, avait déjà quitté le Royaume-Uni pour y aller et avait écrit pour dire que c’était un pays merveilleux et que nous devrions tous venir. Keith et sa femme, Una, étaient les seules personnes au monde que je connaissais en dehors de l’Angleterre et dans ses lettres Keith m’a dit qu’il y avait beaucoup de travail là-bas pour la mécanique, et c’était une vie bien meilleure qu’au Royaume-Uni. Bien sûr, j’avais voulu y aller à l’époque, mais je ne voyais aucune chance de pouvoir le faire jusqu’à ce que l’armée intervienne et change tout cela.
Keith a déclaré que les salaires étaient deux fois plus élevés qu’en Angleterre, ses frais de bateau pour lui et sa femme avaient été payés par le CMED (qui était le garage du gouvernement en Rhodésie qui l’avait recruté). Il a ajouté que si je voulais les mêmes conditions, tout ce que j’aurais à faire était de trouver un employeur rhodésien à la recherche de quelqu’un ayant mes qualifications, et il y en avait beaucoup. Évidemment, je n’ai pas eu le temps pour cela car ma situation était urgente. Je ne pouvais pas attendre plus longtemps, alors j’ai dû acheter mon propre billet et tenter ma chance ..."
(*) RMMV : Royal Mail Motor Vessel
- Illustrations ©DR
16:58 Publié dans j.redman | Tags : jim redman, honda 6 | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook | |
Commentaires
La jeunesse de Jim Redman fut une rude épreuve. Elle lui a forgé à coup sûr son caractère de battant. A la lecture de cette traduction comme dit Francis de quoi se plaint-on de nos jours !? Ce doc fête excellemment les dix ans de RM... Belle opiniâtreté Francis pour ces traductions fleuve qu'on ne peut lire que d'un trait.
Écrit par : F.Coeuret | 04 août 2022
Répondre à ce commentaire...." qu'on ne peut lire que d'un trait . À la limite d'un scénario cinématographique fictif , et tout comme , en rester pensif de longues minutes. Tragique ce père cassé par le destin , héroïque cette femme face à ce destin , tenant toujours droit la barre contre vents et marées , réussissant à transmettre à ses enfants ses propres vertus : courage , abnégation , sens du devoir , honnêteté ,dignité . Compliments pour votre travail Francis , merci . ( je vais repasser la carrière de Jim Redman avec d'autres yeux !)
Écrit par : Albert | 05 août 2022
Répondre à ce commentaireJe ne suis pas fan de motos, mais ces deux bio de Jim Redman sont vraiment très émouvantes. J'avais un copain plus âgé que moi (et maintenant perdu de vue ou pire) qui avait couru sur un Manx racheté à Depailler. J'adorais aller avec lui à Moto Légende, car il savait tout sur tout et le nom de Redman revenait souvent dans sa conversation. Comme "Mémoire des Stands" revient en catimini dans les profonds replis de mon cerveau. Je suis très heureux de participer à cette sorte de renouveau qu'est "Racing Memories". Et comme disait la mère de Napoléon avec un accent corse à couper à la tronçonneuse : "Ma ! Pourvou che sa doure"......
Écrit par : Raymond Jacques | 10 août 2022
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