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29 septembre 2018

les 24h du Mans 1968

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Longtemps j'ai cru que les seules chances de victoire française au Mans reposaient sur les épaules de la valeureuse équipe Alpine. Mais il était sans doute écrit qu’en 68, certains événements allaient quelque peu bousculer l’ordre établi...

Et les vingt-quatre heures n’échappèrent pas à la règle. Ainsi en lieu et place de la bataille attendue entre les Porsche, les Alpine et les Ford, c’est à une domination de Ford, avec une Matra Sports à parement vert fluo comme invitée surprise, que l’on allait assister.

Cinquante ans après je me rappelle encore ce rendez-vous d'automne.

par Francis Rainaut


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Il est interdit d'interdire

L’édition 68 des vingt-quatre heures du Mans avait la lourde tâche de succéder à « la course du siècle », le fameux duel au sommet Ford-Ferrari. La course avait été reportée fin septembre pour cause d'événements que vous savez, donnant aux concurrents un délai supplémentaire pour peaufiner leur préparation.

Ferrari en était le grand absent, le « Commendatore » n'ayant pas toléré l'affront que lui avaient fait ses « amis » organisateurs de l'ACO. Mais derrière les réparties un brin théâtrales du « Drake » se cachait sans doute la fine analyse du stratège considérant que les Sports-prototypes 3 litres n'avaient aucune chance au Mans face à des Sports 5 litres telles que les GT40 4,9 litres à culasse Gurney-Weslake.

Ainsi reportées, les vingt-quatre heures allaient en plus désigner le vainqueur du championnat du monde des marques. Tout ceci n'empêcha pas le « Zec » (Claude le Guezec) de maintenir le suspense quant à la participation de la 630 V12 à la course, cependant personne n'eut misé un Voltaire - et encore moins un Pascal - sur les chances qu'avait ce moteur F1 d'aller au bout de la course, Matra était juste venue là pour faire un coup...

Les pronostics désignaient Porsche comme grand favori, certains pensaient même que le nouveau règlement limitant à 3 litres la cylindrée des protos avait un peu été fait pour eux.

Cette édition avait plutôt mal commencé en ce qui concerne les pilotes belges. Jacky Ickx, 1er pilote de l’équipe Wyer, se cassait la jambe en F1 une semaine avant au Canada. Et c’est un autre pilote belge, expérimenté, qui allait le remplacer, ceci compensant cela.

Le départ, type « le Mans » évidemment, est donné par Giovanni Agnelli sous une pluie de plus en plus dense. Comme prévu, quatre Porsche prennent aussitôt le commandement, suivies par les vaillantes Alpine-Renault, les Ford étant déjà un peu larguées. Johnny a pris un bon départ, mais la Matra va s’arrêter tout de suite à son stand, son essuie-glace balaie davantage le capot que le pare-brise.

Les prévisions étaient donc justes...

 

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Ford GT40 - Mairesse / « Beurlys »

Mémoires d’Ostende

Mais il y eut plus dramatique que les pépins de la Matra. Sur la GT40 belge qu’il partage avec « Beurlys », alias Jean Blaton, le fougueux Willy Mairesse (*) a pris un départ canon. Au Tertre Rouge, le Belge est dans l’aspiration des trois Porsche de tête. Il prend alors la courbe des Hunaudières un peu large, la Ford percute le talus avant de s’envoler puis de s’écraser, complètement disloquée.

Misant un peu trop sur le départ, le malheureux Willy a mal refermé sa portière et omis de s’attacher. Il va le payer très cher… Ejecté de la Ford, le pilote est sérieusement blessé à la tête et aux membres : il restera deux semaines dans le coma et en sortira fortement diminué. En proie à une grave dépression et conscient que sa carrière était définitivement terminée, Mairesse finira par se suicider dans un hôtel d’Ostende moins d’un an après l’accident, par overdose de médicaments. Il n’avait pas encore 40 ans, la course représentait tout pour lui.

Ce départ précipité devait forcément marquer un autre coureur d'outre-Quiévrain, tout le monde aura bien sûr reconnu Jacky Ickx qui s’en souviendra à sa manière un an après…

(*) ce qui relève un peu du pléonasme

 

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Rendez-vous d'Automne

Auparavant un petit tour dans le paddock nous a permis de détailler quelques unes des forces en présence. Profitant du report de la course en septembre, Alpine-Renault est arrivé en force dans la Sarthe. Pas moins de quatre prototypes A220 à moteur 3 litres Gordini candidats à la victoire sont de la partie, sans compter une escadrille d' A210 de plus faible cylindrée aux mains entre autres des jeunes Ethuin, Serpaggi, Wolleck et Andruet, Alpine visant comme de coutume les victoires à l'indice.

Au volant des « grosses » Alpine 3 litres, on retrouve les équipages M.Bianchi/Depailler, Grandsire/Larrousse, de Cortanze/Vinatier et Guichet/Jabouille.

 

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Alfa Romeo effectue son retour en force avec quatre « 33/2 » 2 litres pour l'écurie officielle AutoDelta et deux pour les privés belges du team V.D.S. On ne sait pas trop à quoi s'en tenir à leur sujet, en clair on ne s'attends pas à les voir jouer les premiers rôles, même si elles ont quand même beaucoup d'allure.

Se voient refuser le départ la Hrubon, la Marcos et à une Ferrari GTB du NART, trop lentes toutes les trois.

 

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Simca ou l’éternel retour…

Au 8e tour, l’élégante Simca-Moynet XS 68, née Moynet MH 68 (MH pour Moynet-Hubert), s’arrête à son stand pour une panne bénigne. En fait, l’arbre d’entrainement de la pompe à huile s’est cassé net. La voiture ne repartira pas, son abandon est officialisé trois heures plus tard.

C'est fort dommage, ce prototype construit sur la base d’un châssis Costin-Nathan dégageait un fort capital de sympathie. Jacques Hubert, ancien de D.B. et concepteur de l’Elina a produit un dessin superbe et Stéphane Seckler au parcours tout aussi dense s’est chargé de sa réalisation, sur les directives d’André Moynet, lequel n’a lancé son projet qu’en tout début d’année. Au dernier moment Simca, dont le moteur de 1200s équipe le proto, s’est associé au projet. Et c’est un équipage éminemment sympathique qui pilote au Mans la XS,  à savoir René Ligonnet le baroudeur associé au marseillais Jean Max – son pseudo de pilote – grand dominateur du tout nouveau championnat de Formule France.

Je ne détaillerai pas ici - Mille vies ne sont pas suffisantes - tout le parcours d’André Moynet, une note entière de Racing’ Memories n’y suffirait pas. Relevons simplement que c’est lui qui mit en relation Marcel Chassagny et René Bonnet en 1961, avec la suite que tout le monde connait.

 

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Les allemands dans la débâcle

18 heures, c’est l’instant où la mécanique allemande commence à s’enrayer, Siffert doit abandonner sur panne de transmission. Stommelen n’est pas beaucoup mieux loti, sa 908 connait de gros soucis d’embrayage, il perd un temps précieux au stand. Un peu plus tard, c’est au tour de la #34 d’être retardée par des ennuis d’alternateur.

Et c’est comme ça que l'on retrouve maintenant les deux Ford Wyer pointant en tête, Lucien Bianchi devançant Paul Hawkins. Las ! la GT40 de l’Australien abandonne à son tour après minuit, au moment même où la pluie se déchaîne. 

Mais l’attention du public, bientôt de la France entière, ou presque, se porte ailleurs. C’est désormais la Matra MS630 #24 pilotée par Servoz-Gavin qui chasse la Ford  de tête ! Sauf que l’essuie-glace, lui, ne veut plus rien savoir, et que Johnny n’est pas du tout chaud pour les Hunaudières à fond sans visibilité. (1)

 

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Je me suis bientôt trouvé en position pour doubler l'Alfa, j'aurais pu le faire dans la ligne droite, mais j'ai attendu les tribunes et l'effet a été formidable, les mains étaient tendues, les gens se levaient...

 

Pescarolo dans le sillage de Mermoz

Jean-Luc Lagardère propose alors le deal à Pescarolo qui lui, n’imagine pas une seconde abandonner en aussi bonne posture. Et voilà comment le grand Henri va, de manière indélébile, graver son nom dans la légende du Mans et faire du vert fluo son image de marque pour l'éternité. Tous les médias, essentiellement la radio, mettent alors  le paquet sur LA course. Le Général de Gaulle est parait-il sur le coup, on est en train de rejouer la bataille des Ardennes ! Aux premières lueurs de l'aube, la Matra est toujours là et bien là.

La journée du dimanche commence, beaucoup de jeunes ou de moins jeunes, vingt dieux, vont manquer la messe, tout ça pour rester scotchés à leur « transistor » en quête du dernier point de Tommy Franklin : « ... Ici le Mans, je prends l’antenne au moment même où la Matra de Johnny Servoz-Gavin vient de reprendre la deuxième place à l’Alfa Romeo des Italiens Nanni et Giunti, le public s’est levé dans les tribunes, l’ambiance ici est indescriptible,... à vous les studios ! » (2).

 

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Alpine A220 3L - de Cortanze/Vinatier

 

Exodos en bleu majeur

Un telle odyssée méritait une fin tragique, ou pour le moins théâtrale. Vers 11h30, Mauro Bianchi au volant de l'Alpine la mieux placée repart de son stand, plaquettes de freins neuves. Mauro est fatigué, un instant il ne pense plus à ses freins, il arrive dans les esses du Tertre Rouge. Au freinage l'Alpine est déséquilibrée et s'en va heurter les fascines. Le choc est violent, en un instant la voiture s'embrase, son pilote mets un peu de temps à sortir de la voiture en feu, il s'en tirera avec de sérieuses brûlures aux mains, malgré ses gants soi-disant « ignifugiés ». Exit la belle bleue, alors en 6e position.

Lucien Bianchi passe au ralenti le long du bolide calciné de son frère sans pouvoir connaitre dans quel état se trouve ce dernier...

Mais la dramaturgie n'a pas fini de nous réserver des surprises. En roulant probablement sur des débris de l'Alpine, la Matra #24 de l'héroïque Pescarolo crève à l'avant, le pilote rentre lentement au stand pour réparer les dégâts. La Porsche 907 suisse de Spoerry/Steinemann prends alors la seconde place, mais Pesca reparti en piste grignotte peu à peu son retard sur la Porsche, à ce stade rien n'est encore perdu !

Coup de massue peu de temps après, la Matra ne passe plus ! Cette fois c'est le pneu arrière qui s'est déchiqueté, entrainant un début d'incendie et des dégâts irréversibles sur la batterie, cela sans compter l'intervention d'un commissaire un peu trop zêlé. L'abandon de la #24 est annoncé dans la foulée.

La déception des spectateurs et de milliers de supporters fut à la mesure des espoirs placés depuis le crépuscule sur une possible victoire de la Matra V12 au numéro fétiche. Servoz-Gavin était déjà une star, Pesca devint ce jour là un véritable héros. La chevauchée fantatique de la #24 réconcilia nombre de français de tous bords. Lagardère en homme féru de communication comprit instantanément le formidable impact qu'avait eu sur le public l'incroyable course de la Matra MS630 à parement vert.

 

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Number nine, number nine...

La Ford GT40 #9 de Lucien Bianchi et Pedro Rodriguez n'eut plus qu'à se laisser glisser doucement vers l'arrivée. Des cinq GT40 engagées elle restait la seule survivante. Et même si le public eut manifestement préféré qu'elle soit teintée de bleu foncé, cette victoire de Lucien et de Pedro, eux qui n'eurent pas toujours la chance de leur coté, fit chaud au coeur. Ils furent fêtés et applaudis à la hauteur de leur mérite, eux qui n'étaient au départ que les deux « remplaçants ».

Les pilotes belges avaient laissé un lourd tribut à cette course. Il était juste qu'un des leurs recoive les lauriers du vainqueur.

 

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Giancarlo Picchinini (à gauche) et la Porsche 907 Squadra Tartaruga

 

Plus surprenante était la seconde place de la Porsche 907 des suisses Spoerry-Steinemann, résultat d'une excellente préparation ainsi que d'une régularité toute helvétique.

Les Alfa 33, grandes animatrices de la course, firent un triplé aux places d'honneur, avec les 4e, 5e et 6e places.

Les Alpine-Renault ne furent pas en reste, elles triomphèrent à l'indice de performance et à celui du rendement énergétique, placant également une 3L en une peu glorieuse 8e position derrière la vénérable Ferrari 250LM de David Piper et Richard Attwood. L'ami Christian Ethuin associé à Bob Wolleck termina ses premières vingt-quatre heures à la 11e place, Bravo !

Et nous les teenagers de 68, on eut soudain gravé au coeur une sorte de tatouage, un truc invisible. En cherchant bien on aurait certainement pu y lire :

- MATRA Sports, ou bien peut-être, EQUIPE MATRA-ELF

 

Ferodo's Le Mans movie


 

(1) "(...) C'était de la folie douce de rouler dans de telles conditions, seul un candidat au suicide aurait pu y trouver son plaisir ; je n'étais pas du bois dont on fait les cercueils.

Je stoppai près des stands et annonçai à tout le monde que si Henri voulait continuer, c'était son affaire mais que l'on ne compte plus sur moi. J'étais conscient de mes propres limites et je ne voulais pas m'amuser à les dépasser pour les honneurs publicitaires d'une marque de voiture."

"(...) Henri accepta de continuer. Cela me fit mal de le voir repartir mais il était imperturbable et dix mille fois plus calme que moi. Je ne pus que l'admirer et lui tirer un grand coup de chapeau pour les deux relais qu'il accomplit."

Servoz-Gavin "Mes excès de vitesse", ed. Balland.

 

(2) à la Maison de la Radio Paris XVIe et non rue Cognacq-Jay où se trouvaient les studios de TV. Merci Bruno.

 

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- Illustrations ©D.R. 

Commentaires

Bel article ! Merci , je me permets juste de donner une autre version de l’accident De Mairesse ... cette Gt40 souffrait d’un défaut au niveau des portes et déjà à Spa la portière s’etait Envolée ! Il est plus que probable que Mairesse a vu de nouveau la porte s’oyvrir Et qu’il A essayé de la refermer ...il en perdit le contrôle et non attaché il fut éjecté.

Écrit par : Hawotte | 03 octobre 2018

Excellente intervention, Alain ! En tant que belge, tu en connais certainement plus que moi sur les pilotes et les courses de ton pays. Tu noteras que les pilotes belges ont joué un grand rôle dans cette édition 68 - comme souvent au Mans -, alternant le meilleur et le pire... Mairesse est né un 1er octobre, je suis donc un poil en retard pour le fêter.

Écrit par : RMs | 03 octobre 2018

Un sujet culte que Francis a traité en supporter inconditionnel des voitures bleues. Tu nous as fait vibrer comme à l'époque où nous suivions l'exploit de Pesca, pour la plupart l'oreille collée au transistor. Merci Francis!

Écrit par : F.Coeuret | 03 octobre 2018

"Mémoires d’Ostende" : clin d'œil fort sympathique............. Quant à l'exploit de Pescarolo, il lui valut la reconnaissance éternelle de J-Luc Lagardère ! Merci Francis pour cette belle narration qui me ramène à l'époque où j'aimais la course automobile

Écrit par : Raymond Jacques | 04 octobre 2018

Merci pour ce récit qui m'a reporter 50 ans en arrière.
Mais dites moi, Tommy Franklin, il rendait l'antenne à Cognac Jay ???

Écrit par : Bruno | 04 octobre 2018

Je vais mener l'enquête, Bruno, c'est peut-être toi qui est dans le vrai... Exact, France Inter était plutôt du coté de la Maison de la Radio sur les quais. Merci à toi.

Écrit par : RMs | 04 octobre 2018

"Les vaillantes Alpine-Renault" : autre clin d'œil ? Bonjour Monsieur Graton....

Écrit par : Raymond Jacques | 04 octobre 2018

Nouvel éclairage sur une course d'anthologie: excellent ! J'ai moi aussi particulièrement apprécié le "mémoires d'Ostende"...

Écrit par : JP Squadra | 04 octobre 2018

Les commentaires sont fermés.