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02 juin 2022

24H du Mans 1970 : échec et Mat… ra !

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La firme Matra connut une saison faste en 1969. L’équipe Tyrrell (Matra International) remporte le Championnat du Monde F1 avec le châssis MS 80 mû par le Cosworth. Johnny Servoz-Gavin empoche le titre européen de F2 sur la MS7. L’équipe fait bonne figure en catégorie sport prototype notamment au Mans où trois voitures sont classées aux quatrième, cinquième et septième places.

Suite à cette période favorable 1970 ouvre les prochains enjeux de la firme de Vélizy. Le V12 maison équipe la nouvelle F1 MS 120 et la victoire au Mans demeure le défi lancé par Jean-Luc Lagardère.

François Coeuret


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Cent chevaux qui comptent

Un défi plutôt osé lorsqu’on prend en compte les armadas Porsche et Ferrari qui vont battre le fer dans la Sarthe à cylindrée égale, 5 litres. Des autos censées être des « voitures de sport » mais qui sont en fait de véritables protos construits à 25 exemplaires avec 2000 cm3 de plus que ceux de la catégorie « prototypes » limités à 3000 cm3. Le V12 3 litres Matra, s’il a bien évolué dans sa version MS 12, rend une bonne centaine de chevaux aux productions italiennes et germaniques. Le PDG français si pressé de conquérir Le Mans tente une gageure car de la part de Porsche et Ferrari il s’agit bien d’un « léger » contournement de réglementation.

 

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Une saison laborieuse

Le clan Matra fourbit ses armes en vue de l’épreuve phare. L’équipe est sur le pied de guerre dès le mois de janvier à Buenos Aires où Beltoise et Pescarolo remportent les 1000 km, disputées hors Championnat. Daytona suit, une répétition sur deux tours d’horloge. Jack Brabham vient renforcer les rangs des pilotes maison Beltoise, Pescarolo, Cevert au volant des 650. Amortisseurs, embrayage, allumage : la liste des soucis ne va pas épargner les bleus. Pilotes et mécanos ont eu du pain sur la planche pour amener les deux protos à l’arrivée aux dixième et dix-huitième places. A Sebring où Gurney et Servoz-Gavin remplacent Brabham et Beltoise retenus en Europe, les deux voitures terminent cinquième et douzième. La campagne nord-américaine a vu au moins les 650 finir leur course. Il est à noter que l’arrivée chez Matra de François Cevert au sein d’un effectif de pilotes très confirmés s’est déroulée favorablement pour l’intéressé. Issu de la F2 le pilote parisien s’est intégré facilement. Il s’est hissé rapidement au niveau de ses illustres équipiers Jack Brabham et Dan Gurney. Une victoire mais hors championnat vint d’ailleurs récompenser le duo Brabham-Cevert lors des 1000 km de Paris en fin de saison.

 

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Objectif Le Mans 

Après les courses de Brands Hatch et Monza sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement l’impasse est faite sur Spa de même que la Targa Florio et le Nürburgring dont les circuits sont très éloignés des contraintes du Mans. Pourtant ce sont ces deux épreuves-là qui étaient à la portée d’une 650 ou d’une 660. Porsche y engageait ses 908/3 3L et Ferrari ses trop volumineuses et lourdes 512S. Matra peaufine donc sa préparation pour les 24 Heures. Le handicap est conséquent face aux nombreuses « sport 5L » mais impossible ne fait pas partie du vocabulaire du PDG de Matra.

 

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Essais - course : la quadrature des segments 

Trois protos arrivent en terre sarthoise. La dernière création de la marque, la 660 à châssis monocoque et deux 650. La 650 de Brabham-Cevert possède une « poupe » profilée. La seconde à capot arrière conventionnel est pilotée par Jabouille et Depailler qui arrivent en renfort. Les essais débutent, Beltoise et Pescarolo ne sont pas satisfaits de leur 660. Brabham « l’ancien » est le plus enthousiaste. L’Australien prend plaisir à piloter… Dans sa fougue il alla jusqu’à sortir une Porsche 908 à la chicane Ford ! A la vue de ces séances le pari de Lagardère paraît osé. Treize 5 litres ou 4.5L précèdent sur la grille la Matra la mieux qualifiée, celle de Brabham-Cevert, meilleur temps tout de même des 3 litres (3’32’’200 contre 3’19’’800 pour la pole de Elford-Ahrens-Porsche 917 LH). S’imposer à l’usure devenait un pronostic hasardeux.

 

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De fait lors des trois premières heures même les Alfa tiennent tête aux Matra. Pescarolo a été retardé par des soucis de capot avant à refixer. Depailler-Jabouille sont en retrait. Le moral est en berne même si au cours de la 5e heure deux voitures bleues se maintiennent en 8e et 9e position. Au cours de la sixième heure de course la douche va être froide pour l’équipe alors que la pluie s’est invitée au-dessus du circuit. Les trois voitures vont sombrer à tour de rôle victimes de segments défectueux. Cette fourniture de pièces ruine donc les espoirs de Jean-Luc Lagardère. L’équipe Matra sonnée fait ses valises.

 

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On ne récrit pas le passé mais on peut commenter !

Contre toute attente, et si le pari de Lagardère n’avait pas été si utopique ? En Amérique du Nord les moteurs avaient tenu respectivement 24 et 12 heures. En se remémorant le déroulement de la course il est concevable de penser que sans cette faiblesse anormale concernant la segmentation les voitures bleues, épargnées de soucis techniques majeurs, n’auraient pas été loin du trio final au bout de 24 heures. La course peut réserver tellement de surprises (35 abandons) … Pour revenir encore sur cette épreuve, il faut noter les conditions dantesques que notamment les pilotes des autos de pointe durent affronter au cours des épisodes pluvieux. Les langues se sont déliées par la suite et le commentaire d’un des vainqueurs résume l’ensemble des révélations.

 

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Hans Herrmann : « On ne voyait plus rien, dans la rectiligne on osait tout juste mettre la troisième, on ne devait ni freiner, ni donner des gaz, ni lever le pied. Dans ces flaques, la voiture ne réagissait plus à aucun mouvement du volant. Ma décision de renoncer définitivement à la course automobile est née dans les trombes d’eau du Mans. Je me serais retiré après cette course même si je n’avais pas remporté la victoire, car la situation sous les averses devenait tellement incontrôlable que le risque était effrayant. »

Au passif de l’écurie on peut arguer que Matra en catégorie Sport engagea pour 1970 une 650 à bout de développement et une 660 qui entamait tout juste sa carrière au Mans. Une stratégie qui peut paraître irrationnelle. Ne fallait-il pas tout miser sur la dernière création dès le début de saison pour optimiser sa mise au point ? La 660 bien préparée en 1971 fit une course brillante (mais malheureuse). Courir deux lièvres à la fois, Formule 1 et Championnat Sport fut cependant une lourde tâche. Matra n’est pas la seule équipe à en avoir fait l’expérience. Les moyens financiers et humains n’avaient-ils pas atteint une limite rendant les objectifs simultanés difficilement réalisables ?

Pour Matra une seule bonne nouvelle en cette année permettra d’espérer. La future réglementation 3 litres en Sport-prototype placera les bleus dans une compétition à armes égales. Ce sera à l’horizon 1972. Après cette saison diamétralement opposée à la précédente, la patience du PDG Lagardère fut mise à rude épreuve.

 

24h du mans

 - Illustrations ©DR

Commentaires

Je ne sais pas exactement pourquoi, mais dans la famille des protos Matra, c'est la 650 qui éveille chez moi le plus de sympathie. C'est aussi la première de l'ère moderne, celle qui pouvait concrétiser tous les espoirs que la 630 avait fait naître une nuit de septembre au Mans.
C'est Servoz-Gavin qui lui fit faire ses premiers tours de roue (en version 630/650), ce sera aussi le dernier proto Matra qu'il aura piloté (je ne compte pas la Murena en course sur glace). C'est d'ailleurs étonnant de voir ce passage de témoin prémonitoire entre entre Johnny et François.
Merci François de nous plonger dans cette édition 1970 riche en évènements de toutes sortes, préparation du film "Le Mans", première victoire Porsche, et aussi, et c'est là le sujet, déroute des Matra par la faute d'une fournisseur de segments pour une fois pas à la hauteur.
Mais qu'elle était sympa, cette équipe Matra elf !

Écrit par : Francis | 03 juin 2022

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