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Beltoise el Ganador (1)

jean-pierre beltoise,matra

J’aurais pu bien sûr, vous raconter son triomphe au grand prix de Monaco 1972.

J’aurais pu aussi vous parler de ses onze titres de champion de France moto, de sa victoire à Reims en 65, qui sonna le réveil du sport automobile français, de ce jour de 66 - c'était en formule 2 - où le grand Jimmy lui signifia qu’il était désormais admis chez les plus grands,

de ses débuts fracassants en Espagne en 68 sur une (vraie) formule 1, où il frôla la victoire, de ses exploits sur la Matra V12 sous la pluie de Zandvoort où il termina « seulement » deuxième,

de Charade 69 où je n’ai presque vu que lui, de Monza la même année, des 1000 km de Paris 69 où il a fait tout ce qu’il fallait pour faire gagner « sa » Matra, de Charade 70 où on est passé tout prêt du rêve, de Monza 70,...

de toutes les vocations qu'il a suscité, de tous les petits Francis qui rêvaient en allant le voir courir de devenir pilote de course ...

Aujourd'hui ça fait mal, et je pense surtout à Jacqueline et à toute la famille Beltoise.

Francis Rainaut

(1) le gagnant

jean-pierre beltoise,matra

J’avais en préparation pour le 22 janvier un article paru initialement dans la revue Champion. Interviewé par Jean-Pierre Zachariasen, JPB s’y exprime sur la Temporada argentine 67, qu’il a littéralement survolée. Toujours pressé, il ne m'a pas laissé le temps de le peaufiner, mais ça n'était sans doute pas nécessaire.

Car Jean-Pierre Beltoise était aussi une très belle plume, rappelez-vous ses articles dans Moto-Revue ou Champion. Justement, écoutons-le nous raconter sa Temporada...

 

Jean-Pierre, tu viens de gagner la Temporada argentine en remportant la totalité des courses. C’est un résultat extraordinaire. Peux-tu nous dire si ces quatre victoires ont été dures, ou t’ont posé des problèmes ?

La première course était Buenos Aires. Là, il n’y a pas eu trop de problèmes. J’étais parti avec des pneus Goodyear excellents, et les seuls à disposer des mêmes pneus n’étaient pas ce que je pourrais appeler des adversaires dangereux, mis à part Johny Servoz qui a eu des ennuis de carburation. Jaussaud pourtant avait aussi des Goodyear, mais je ne sais pour quelle raison, il les a gardé pour le cas où il pleuvrait. Or, il n’a pas plu.
 
 
jean-pierre beltoise,matra Par contre, à la deuxième course, Mar-del-Plata, j’ai eu de gros problèmes, et la victoire n’a pas été facile. Ma couronne d’embrayage a commencé à casser aux essais. J’ai donc pris un moteur de rechange pour l’essayer. Il n’allait pas du tout, et j’ai dû pour me qualifier en seconde position prendre de très gros risques. A cause de mon bras raide, j’avais du mal à me récupérer. J’étais tout le temps en catastrophe, et je me suis fait peur. Deux fois, j’ai vraiment cru que je sortais. En plus, là-bas, il y a des trottoirs et des poteaux partout… Enfin, le principal, c’est que j’ai pu gagner. Et à Cordoba, la troisième épreuve, j’étais totalement décontracté. Je savais très bien que je n’avais plus qu’à assurer des places d’honneur pour remporter facilement cette Temporada. Johnny disposait d’un moteur un peu plus puissant que le mien, et je pensais surtout à l’éventualité d’une victoire de ce dernier.  Tu sais, à la Matra, on ne nous donne pas d’ordres. Alors, copain ou pas copain, on court chacun pour soi, et pour gagner. Pour éviter une fatigue supplémentaire aux mécaniciens, j’avais décidé de faire les premiers tours d’essai avec les mêmes rapports de boîte que sur le précédent circuit. Bien m’en prit, car finalement, les rapports en question étaient les meilleurs. Ce qui m’a permis de faire les meilleurs temps aux essais. Le circuit était assez difficile, et me plaisait bien. Le lendemain, on a quand même tous revu nos rapports. Puis j’ai refait trois ou quatre tours pour essayer de nouveaux Firestone, et faire la différence avec les Dunlop dont je disposais cette fois. Les Firestone s’avérant plus rapides, je me suis arrêté pour ne pas user la voiture, et je me suis allé voir tourner les autres. Johnny fit le meilleur temps, mais ça ne m’inquiétait pas trop. Je n’étais qu’à 3/10e derrière, et me sentais encore de sérieuses ressources.
 
Je suis parti seul dans ma manche, que j’ai remporté facilement. Dans l’autre manche, Jaussaud fit successivement un, puis deux, puis trois, puis quatre tête à queue, et c’est Johnny qui a caracolé en tête. Eric Offenstadt roulait moins fort, parce qu’il était parti avec de mauvais pneus, gardant les bons pour la finale. Une finale qui s’annonçait très chère. Johnny était toujours l’homme à battre. Eric avait ses bons pneus. Il fallait aussi compter avec Jaussaud. Et puis il y avait tout de même Rollinson et Dubler, qui sont dangereux. Le circuit est constitué par une piste d’aviation, très large, où on peut arriver facile à vingt ensemble au premier freinage. Moi, j’ai pris le risque de prendre la bonne trajectoire, quitte à être gêné par ceux qui se trouvaient à l’intérieur. En fait, je suis passé, et ressorti très vite. Les autres, derrière, se sont tous gênés, et au bout d’un tour, je jubilais, car j’avais déjà 3’’ d’avance. Cela se transforma en 7’’ au quatrième tour. Je n’en revenais pas, et me demandais ce qui pouvait bien se passer. Johnny, peu après, cassa son moteur, ce qui porta mon avance sur le second, Rollinson, à 12’’. A mi-course, Offenstadt et Rollinson avaient cassé tous les deux. J’avais 18’’ d’avance sur Jaussaud. Puis ma troisième s’est mise à sauter. Je devais donc prendre un grand Sjean-pierre beltoise,matra très rapide du bras gauche seulement, ma main droite étant occupée à maintenir le levier de vitesses. Jaussaud s’est alors mis à me remonter. Puis j’ai trouvé un système pour passer ce S en quatrième, et j’ai pu conserver jusqu’au bout 15’’ d’avance suffisantes pour m’assurer la sécurité en cas de tête à queue. Il ne restait plus que Buenos Aires, encore et déjà. Le nouveau moteur de Johnny n’était plus supérieur aux nôtres en puissance. Ce qui n’empêche que Eric et lui restaient mes deux plus dangereux concurrents. Pour cette course, Eric eut malheureusement de nouveaux ennuis de pneus, et j’ai remporté l’épreuve en marchant à une cadence très proche de la limite. On avait décidé que, au cas où on serait tous les trois en tête, le premier ralentirait pour attendre les deux suivants, et passer la ligne à trois ex aequo.  Mais comme j’avais 40’’ d’avance sur Jaussaud, qui lui en avait huit sur Eric et Rollinson qui bagarraient derrière lui, ça a posé quelques problèmes. En fin de compte, on a quand même passé la ligne tous les trois ensemble, devant les spectateurs ébahis… J’étais comblé de joie pas ces quatre victoires, comme tu peux l’imaginer…
 

On a dit que l’ordre, l’organisation et la discipline ne sont pas le fort des circuits argentins. Qu’en penses-tu ?

 

jean-pierre beltoise,matra Buenos Aires, à tous points de vue, est bien orchestré. Les organisateurs donnent des boxes fermant à clé pour chaque écurie ou concurrent. Il y a 100 000 places dans les tribunes, en face des stands et dans les courbes, d’où l’on peut suivre pratiquement tout le circuit. En plus, il y a des grillages partout devant les spectateurs, et pour les pilotes, la sécurité est vraiment extraordinaire. Le circuit de Buenos Aires est un magnifique exemple de ce que devrait être l’aménagement d’une piste permanente. Cordoba, c’est un aérodrome. Assez insignifiant. L’ensemble n’est pas extraordinaire. En plus il y faisait une telle chaleur qu’on était tous complètement abrutis, et qu’on avait plutôt envie d’aller à la piscine que de courir.
 
 
Mar del Plata, c’est comique, et tragique à la fois. Du grand guignol. Ceux qui aiment l’humour noir en auront pour leur argent. D’abord, on ne ferme la route que quelques minutes avant l’heure officielle des essais… Si bien que quand on part, il y a encore des voitures et des vélos plein la piste. Moi, je suis parti bien après tout le monde, justement pour ne pas heurter un promeneur attardé. Le dimanche, à 4 heures et demi, heure du départ, juste après les grosses chaleurs, aucun pilote n’était encore habillé, car les organisateurs avaient décidé en dernière minute jean-pierre beltoise,matra de rajouter dix tours à la finale. Finalement, on a cédé, mais la course a commencé avec ¾ d’heure de retard. A peine le départ était-il donné que la piste était déjà bondée de spectateurs, tranquillement assis sur les trottoirs bordant la route. Dans les virages,  on leur passait au ras des pieds, sans qu’ils paraissent trouver cela anormal. Les échappatoires sont noires de monde. Dès les premiers accidents, on a eu droit au festival des ambulances et voitures de pompier circulant dans n’importe quel sens sur le circuit.
 
jean-pierre beltoise,matra On était obligé de slalomer au travers. Quand Rosadelle Facetti est sortie dans la foule, certains ont dû penser qu’il valait mieux arrêter la course. Alors des tas de gens se sont précipités, tentant de nous barrer le passage. Des agents, des spectateurs, des commissaires. Ça courait partout, une véritable panique. Nous on continuait, car nous n’avions pas reçu d’ordres officiels. Et les gens, voyant qu’on ne s’arrêtait pas, se sont mis à nous lancer des bottes de paille, juste quand on passait… Finalement, la course s’est achevée dans la plus grande pagaïe. Dans la ligne droite, les gens se resserraient de plus en plus vers le milieu de la piste pour mieux nous voir passer. A la fin, le passage était à peine plus large que la voiture. Et on fendait tout ça à deux cents à l’heure… On a été quatre à pouvoir passer. Les autres ont tout bonnement été coincés. Le pire de tout, c’est que tout le monde s’est mis à leur taper dessus, avec des bâtons, des matraques, des cailloux. Tout le monde, police et spectateurs compris. Le soir, il devait y avoir une remise de prix. A 10 heures et demi. Nous, on arrive à l’heure. On nous dit qu’en raison des événements de cet après-midi, il vaut mieux que cette remise n’ait pas lieu. On remet ça au lendemain midi, dans l’hacienda du directeur de course. 25 000 hectares à 40 km de la ville. Tous, on est arrivés entre midi et une heure. L’hacienda était vide. Finalement, après avoir circulé au hasard dans cette immense propriété, nous avons rencontré le frère de l’hôte, au volant de sa voiture. Il nous a dit que s’il n’y avait personne, c’était que ça avait dû être annulé. C’est tout. Et on est tous rentrés, couverts de poussière écrasés de chaleur. La remise des prix n’eut en fin de compte jamais lieu…

 

Les Argentins semblent donc bien décontractés. On m’a beaucoup parlé de la circulation dans ce pays. As-tu quelques anecdotes à raconter à ce sujet ?

La conduite en Argentine, c’est le délire total ! Le premier matin, à Buenos Aires, en sortant de l’hôtel, quelle ne fut pas ma surprise en voyant une file de dix voitures  garées le long du trottoir se déplacer toutes seules, les unes contre les autres. Et tout d’un coup, je m’aperçois que c’était une Chevrolet qui était tout simplement en train de se garer dans une place à peine large pour une Isetta. En fait, c’est la coutume. On se gare en poussant les autres voitures qui sont garées les unes contre les autres, au point mort, frein à main desserré. Le tout, c’est de ne pas se garer dans un coin, car on a vite fait de se retrouver au milieu de la chaussée. Les voitures sont également assez délirantes. Environ 50 % de tacots genre Peugeot 201, Ford T, voitures à roues en bois. Beaucoup d’entre elles roulent sans immatriculation, et personne n’en prend ombrage. Les carrosseries sont rouillées, sans phares, sans portes, et il n’est pas rare de voir des gars circuler à bord de châssis nus...
 
Les camions et les cars sont dans un état de total délabrement, mais même les plus répugnants ont toujours une calandre de radiateur méticuleusement briquée, et souvent de très luxueux enjoliveurs de roues. Buenos Aires est une ville dont les rues sont faites de gros pavés. On y a conservé les rails de tramways, et tout le monde roule dessus parce que ça secoue moins. La règle générale de circulation est la suivante : la priorité n’existe pas. C’est le plus gros et le plus rapide qui passe, sans problème, qu’il vienne de la gauche ou de la droite. Un camion déboulant à 100 à l’heure dans la ville passe tous les carrefours sans ralentir. Le plus drôle, c’est qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’accidents. Un des seuls que j’ai vu : deux camions qui s’étaient rentrés dedans, de face, sur une large  route droite ! Sinon, on passe les carrefours debout sur son avertisseur, avec un coup d’œil absolument infaillible. Malheur à vous si vous ne démarrez pas dans le dixième de seconde qui suit le moment où un feu devient vert. Car déjà, à cet instant, tout le monde klaxonne à mort, et si vraiment vous ne partez pas, on vous pousse. Mais pas par vengeance. Pour aider, carjean-pierre beltoise,matra on croit que vous êtes en panne. Du reste, quand on tombe en panne, on s’arrête au milieu de la chaussée, et on répare sur place.
 
Sur la route, c’est assez extraordinaire aussi. Les bandes jaunes ne servent effectivement qu’en cas d’accident. Sinon, si rien ne se passe, que vous doublez en quatrième position dans un virage sans visibilité avec double bande jaune, sans accrocher personne, alors c’est que vous avez eu raison, et même un motard ne dira rien. Les routes à double voie sont bordées de chaque coté d’une sorte de chemin de terre. On double invariablement à droite sur la terre, ou à gauche, ça n’a pas d’importance. Il arrive que des cars ou des camions qui se connaissent, et se croisent, s’arrêtent au milieu de la route, à hauteur de portières, pour discuter cinq minutes. Les routes à simple voie, c’est quelque chose de terrible. Car pour croiser, il faut descendre dans le bas-côté. Et là encore, c’est le plus gonflé qui reste sur la route. Une des plus belles histoires que j’ai à raconter est la suivante. On roulait sur une route goudronnée, à double voie. On arrivait en haut d’une côte, et il y avait un camion. Je me suis rabattu derrière les voitures qui suivaient ce camion, pour attendre. Une voiture arrivait derrière à toute allure. Elle a doublé toute la file complètement en haut de la côte, à 120 à l’heure. Comme je l’avais prévu, une voiture arrivait en face, à la même allure. Personne n’a bronché. Pas de coups de klaxon, pas d’appels de phares rageurs, pas de coups de volant intempestifs. Le gars qui roulait dans le même sens que nous est passé complètement de l’autre coté, à gauche, et sur la droite du type qui venait en face…

Le plus drôle de tout, c’est que jamais il n’y a de ces disputes d’automobilistes, si fréquentes chez nous. Si vraiment vous faites la grosse bourde, on ne vous insulte pas, on vous méprise. C’est tout. Mais je t’assure que moi, qui conduis vite, très vite dans Paris, eh bien là-bas j’étais assez perdu…

 

jean-pierre beltoise,matra

Interview recueillie par Jean-Pierre Zachariasen, mise en page Francis Rainaut

jean-pierre beltoise,matra

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07 janvier 2015 | Lien permanent

El Maserati 250 de ”Paco” Godia

paco godia

François Blaise nous a transmis cette image de Maserati 250F prise au GP d'Allemagne 1957. C'était l'occasion de découvrir son pilote, Francisco "Paco" Godia Sales qui fut le meilleur représentant de l'Espagne en Grand Prix jusqu'à l'arrivée du "taureau" des Asturies.

 

L’inauguration en 2008 du nouveau siège de la Fondation Francisco Godia, était l’occasion d’apprécier deux joyaux de l’histoire de l’automobile : la Maserati 250F et la Ford GT40 avec lesquels Don Paco courrait dans les années 50 et 60.

paco godiaLa Maserati 250F est considérée comme la dernière représentante de la Formule 1 classique avec le moteur à l’avant. Dessinée par Giulio Alfieri, Godia a disputé plusieurs épreuves des Championnats du Monde, participant à la moitié de courses en 1956.

 

 paco godia

 

 

De son côté, la Ford GT40 est une voiture mythique des épreuves d’endurance avec laquelle Paco Godia a gagné les six heures de Barcelone en 1968.

 

Francisco Godia était un personnage polyvalent. Impresario, pilote de course, collectionneur passionné et ami des artistes, il incarne mieux que personne le personnage du gentleman driver des débuts de l’automobilisme sportif. Avec six points en championnat du monde de Formule 1, il obtint le meilleur résultat d’un pilote espagnol jusqu'à l’arrivée de Fernando Alonso.

Ceux qui le souhaiteraient peuvent admirer la collection d'art privée de de la famille, qui regroupe toutes les disciplines (céramiques, esquisses, peintures, sculptures) depuis le XIIème jusqu'au XXIème siècle. Tout cela sous la marque de la Fondation qui porte le nom du pilote, fondation créée par sa fille Liliana en 1998.

paco godia

1. GP allemagne 1957 + F.Blaise ©François Blaise

2 et 3. ©www.motorpasion.com

http://www.fundacionfgodia.org/index.php/en/

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02 octobre 2012 | Lien permanent | Commentaires (3)

Bremgarten 1951 : El Maestro dompte la tourmente

juan manuel fangio,gp de suisse

Berne 1951 ©Michael Turner 

 

La décennie Fangio - I -

  El Maestro se positionne en première ligne sur la grille de ce second Grand Prix de Suisse, première épreuve du Championnat Mondial de l’année. Le ciel a décidé de verser une pluie tenace sur l’épreuve. Le circuit helvétique tracé dans la forêt au nord de Berne ne représente pas une sinécure pour les pilotes par temps sec. Sous la pluie, il va tourner aux « travaux forcés » pour nombre de concurrents mais pas pour l’argentin de Balcarce.

 par François Coeuret (*)

 

Fangio Farina Villoresi Berne 51.jpg

 Fangio, Farina, Villoresi

 

Le Grand Prix de Monaco est annulé pour la saison 1951. La première course se dispute en mai dans la Confédération helvétique à proximité de Berne sur le circuit routier de Bremgarten. La piste développe 7,280 km à parcourir 42 fois, soit un total de 306,760km.

L’équipe Alfa Romeo auréolée par un premier titre officiel au Championnat du Monde de Formule 1 en 1950 engage quatre monoplaces pour Farina, Fangio, Sanesi et Graffenried le régional de l’étape. L’Alfetta 159 bénéficie par rapport à sa devancière  la 158  d’un pont De Dion destiné à maîtriser plus facilement les 410 cv du 8 cylindres 1500 bi-compresseur de la marque. Farina dispose de réservoirs latéraux supplémentaires qui vont lui éviter un arrêt  ravitaillement tandis que le suisse Graffenried profite (avantage territorial !) d’un moteur poussé à 430 cv.

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Nino Farina - Alfa Romeo

 

La Scuderia Ferrari, le principal adversaire du tenant du titre lui oppose le châssis 375 F1 propulsé par un  V12 4.5L atmo de 380 cv rendant donc pas mal de chevaux à l’Alfa. Ascari, Villoresi et Taruffi piloteront les monoplaces de la Scuderia. Les privés Whitehead et Fischer disposent respectivement des châssis 125 F1 et 212 F1 de la marque au Cavallino rampante.

Maserati aligne deux  4CLT 1.5 compresseur pour Chiron et Schell.

De nombreuses Talbot Lago 26C vont tenter de contrer la cavalerie italienne. Elles sont menées par les français Rosier, Etancelin, Louveau, Giraud-Cabantous. Complétées par celles des belges Mairesse / Claes ainsi que celle de l’argentin Jose Froilan Gonzales.

Les voitures britanniques sont en petit comité avec deux H.W.M F2 à moteur Alta pour Moss et Abecassis. Le suisse Peter Hirt pilote une Veritas Meteor F2.

 

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Stirling Moss - H.W.M. Alta F2

 

L’atmosphère tout au long des essais et de la course va se résumer en deux mots : froid et précipitations qui vont rendre la piste particulièrement piégeuse. Juan Manuel Fangio se joue de ces mauvaises conditions, il réalise le meilleur temps des essais devant le champion en titre Farina. Les deux duettistes de la saison écoulée devancent Villoresi qui a hissé sa Ferrari en première ligne. En seconde ligne se placent Sanesi et Graffenried au volant de leur Alfa. Suivent les Ferrari et le contingent Talbot-Lago emmené par Rosier, huitième temps.

 

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"Toulo" de Graffenried - Alfa Romeo

 

Au jour de la course, Fangio constate que la météo est encore au plus mal et a compris que la seule issue pour vaincre est de tenter de s’emparer du commandement dès le départ. Il veut s’enfuir en profitant  d’une vision non perturbée par les pulvérisations d’eau de ses petits camarades. Un plan qu’il réussit à confirmer dès les premiers tours de roues sur une piste étroite et glissante à souhait. Farina, Sanesi, Villoresi, Graffenried, Ascari, Fischer, Whitehead, Taruffi, Etancelin… suivent mais sont naturellement gênés par les gerbes d’eau soulevées par les pilotes qui les précèdent. Les dépassements s’avèrent plus que périlleux, les écarts se creusent. Ce n’est pas le problème de Fangio qui bénéficie d’une parfaite vision jusqu’au moment où il rattrape les pilotes moins rapides.

 

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La Talbot Lago 26C d'Henri Louveau

 

L’argentin maîtrise son sujet sur la patinoire suisse, il fait preuve d’une adresse le plaçant au dessus du lot. La preuve en est faite au 24e tour durant lequel son ravitaillement permet à Farina parti pour un non-stop de prendre la tête. El Maestro lui reprend la position quatre tours plus tard et creuse à nouveau son avance ! La piste glissante a eu raison de Villoresi qui heurte sans conséquence les ballots de paille tandis que Louveau écrase sa Talbot sur un poteau télégraphique se cassant une jambe et une clavicule. En fin de course Whitehead passe Ascari mais sort ensuite sa Ferrari. Il se fracture le nez contre son saute-vent. Farina est épuisé  et Taruffi, très à l’aise sous la pluie,  prend l’avantage sur lui à deux tours de la fin. Graffenried commet une faute et sort dans la paille tout en préservant sa cinquième place derrière Sanesi. Suivent Ascari, Chiron, Moss, Rosier.

Juan Manuel Fangio triomphe. Pour sa 4e victoire, il a réalisé un sans faute à 143,445 km/h de moyenne sous le déluge. Il décrochera son premier titre en fin de saison devant Ascari. La décennie Fangio est bel et bien entamée.

 

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- Illustrations ©DR

 

(*) C’est un plaisir et un honneur d’accueillir sur ce site un nouveau correspondant que les plus anciens connaissent bien. François Coeuret faisait en effet partie de l’aventure « Memoire des Stands »; il a par ailleurs œuvré sur son propre site et également en d'autres lieux. Souhaitons-lui donc un accueil chaleureux sur « Racing' Memories ».

Cette note représente précisément la centième publiée sur le site. 

 

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23 octobre 2017 | Lien permanent | Commentaires (4)

JPB: Mi Temporada 1968 en Argentina

MI  TEMPO

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MI  RADA...

... C'est à peu près le jugement que porte Jean-Pierre Beltoise sur sa saison argentine 1968.
Vous vous en souvenez, voici deux ans, la Temporada avait été pour lui et Matra un triomphe total, l'équipe française ayant littéralement écrasé l'opposition.

Cette année, ce fut au tour de Ferrari de manifester une nette supériorité.

Et Andrea de Adamich, dont vous voyez ci-contre l'air épuisé mais heureux à l'issue de sa victoire de Cordoba, a remporté le Championnat argentin qui marquait sa rentrée en course après son grave accident de Brands Hatch en mars 68.

Nous avons demandé à Jean-Pierre qui, s'il n'a gagné aucune course là-bas, fut constamment à la pointe du combat, quelles impressions il a retiré de cette tournée d'un mois.

(Fac similé d'un article de la revue « Champion » du 15 janvier 1969)

- Voir aussi:  Beltoise el Ganador (1)

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Champion : Quelles étaient les forces en présence ?

J.-P. B.
:
L'équipe Ferrari présentait deux Dino à moteur V6 conduites par deux pilotes italiens, Tino Brambilla, ancien champion moto et espoir presque... quadragénaire en monoplace, et Andrea de Adamich, beaucoup plus jeune, qui fut incorporé au début de la saison à l'équipe Ferrari F1. Son activité s'arrêta brutalement contre un mur à B'Hatch en mars, et il ne réapparut en F2 qu'à Vallelunga, dernière course européenne de la saison. L'écurie Winkelmann était aussi présente avec ses impeccables Brabham-Cosworth pilotées par Rindt et Rees.
Piers Courage avait également une Brabham. Tecno présentait deux voitures officielles confiées à Siffert et Regazzoni. Jackie Oliver conduisait sa Lotus, Rodriguez la Tecno de Ron Harris. Il y avait aussi Moser et Jonathan Williams (Tecno). Enfin Pescarolo et moi-même représentions Matra. A ce plateau très relevé se joignirent des pilotes argentins sélectionnés par l'Automobile Club local.

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Champion : Il y eut quatre courses. Sur quel genre de circuit ?

J.-P. B. : La première et la dernière se sont déroulées, comme d'habitude, sur l'autodrome de Buenos Aires, qui comporte la particularité de posséder un réseau de pistes autorisant neuf tracés possibles. On a d'abord couru sur le circuit n° 9 de 3,4 km, puis sur le n° 6 de 4,2 km. Sur l'un comme sur l'autre, le tracé est varié, assez rapide dans l'ensemble, absolument plat. La seconde et la troisième course se disputaient en revanche sur des circuits tout neufs: Cordoba d'abord, une piste ultra-rapide avec cinq courbes qui se passent entre 140 et 230 km/h, une sorte de petit Enna en plus difficile. San Juan ensuite, construit dans une cuvette naturelle en pleine montagne, c'est fabuleux.
A un bout, il y a une courbe très relevée, puis la moitié du circuit se parcourt tout en limite d'adhérence, en troisième-quatrième, entre 140 et 200 km/h. C'est une réalisation vraiment extraordinaire à tous points de vue, dans un paysage aride, quasi lunaire. Les spectateurs, dont beaucoup peuvent rester dans leurs voitures, surplombent la piste et voient presque tout le circuit. L'architecture (stands, tour, etc.) est futuriste. Bref, on est tout à fait dépaysé.

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Champion : Quatre courses en un mois, les Européens forment-ils colonie ?

J.-P. B. : Un peu. Nous formions un groupe avec Siffert, qui est un type très drôle, Regazzoni, aussi casse-cou à cheval (il a ramassé deux terribles « gamelles ») qu'en voiture, Rindt, Rees, Courage, Moser, à l'ineffable accent suisse, Pescarolo et moi-même. L'ambiance était merveilleuse et détendue, c'est d'ailleurs l'un des aspects les plus agréables de la Temporada. Le fameux Pepe Migliore, dont je vous avais conté les exploits en 66, nous accompagnait constamment lui aussi, ce qui nous facilitait bien· les choses, surtout pour circuler…

Champion : Pour circuler ?

J.-P. B. : Ah ! oui, parce que la circulation argentine, c'est un truc vraiment spécial ! Là-bas, tout le monde attaque à fond sur la route, dans les rues, debout sur le klaxon, et de préférence en échappement libre... Mais, en revanche, il n'y a pas de conducteurs vindicatifs. Quant à la priorité... Légalement, elle est à droite. Dans les faits, c'est plus compliqué que ça... Généralement, les carrefours sont à angle droit. Les types arrivent très vite dessus, et calculent au plus juste. J'ai établi une liste de priorité qui me semble plus conforme à la réalité.
D'abord, les Collectivos, les autobus du coin. Ensuite, par ordre décroissant: les camions, puis les taxis. Après, au plus culotté. A culot égal, priorité à droite. Enfin, et c'est vrai, celui qui hésite... ne passe jamais! L'interprétation des règlements est très souple.
Ainsi, si Pepe arrive très vite à un carrefour, qu'un agent lui fait signe de stopper, mais qu'il voit qu'il a le temps de passer, il avertit d'un grand signe du bras le policier qu'il va forcer son barrage. Et si l'agent pense qu'après tout, c'est faisable, il accepte volontiers et donne le passage! Pour ce qui est des feux rouges, des lignes jaunes, c'est pareil : s'il n'y a pas d'obstacle; on franchit, tout le monde- trouve çà naturel... Au total, la circulation est très rapide, les conducteurs sont très attentifs et conduisent vraiment. Cependant, comme le trafic est plus dense qu'il y a deux ans, il m'a semblé que « ça tapait » davantage...

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Champion : Pour toi, comment les courses se sont-elles déroulées ?

J.-P. B. : Pas très bien... En fait, nous savions avant de partir, après Vallelunga, que les Ferrari étaient au moins les égales des Matra, mais que leurs pneus Firestone leur conféraient un avantage d'environ 1" au tour sur un circuit de 3-4 km. Il m'aurait donc fallu, pour rééquilibrer les choses, un super-aileron et un super-moteur. Malheureusement, je ne pus disposer ni de l'un, ni de l'autre, faute de temps surtout. Au dernier moment, nous avons acheté un moteur à Ken Tyrell, qui se révéla hélas être un vieux rossignol... J'ai donc cassé deux moteurs aux deux séances d'essais de la première course à Buenos Aires. Après, ce fut pendant un mois, pour les mécaniciens, une interminable partie de meccano, bloc de l'un monté sur culasse de l'autre, etc.
A Buenos Aires donc, ça a ratatouillé sans arrêt, et moi je me suis arrêté je ne sais plus combien de fois: A Cordoba, j'ai encore explosé (le bloc) aux essais. Et puis, en course, ça a failli marcher. Parti en cinquième ligne, je me fais un peu décoller au départ par le groupe de tête. Mais ils se gênent un peu : la piste est en effet très large, mais seule la trajectoire adhère, en dehors, c'est plein de poussière et ça glisse comme du verglas.
Alors, devant, il y a pas mal de travers et de chaleurs à ce que je peux voir! Et en sept tours, je reviens, c'est l'euphorie... Je me vois déjà en train de les doubler les uns après les autres... En fait, je vais rester là où je suis arrivé, à dix mètres derrière... J'ai beau me défoncer, rien à faire, ce n'est pas le cœur qui me manque, mais les chevaux...
Et à San Juan, j'ai failli gagner.

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Champion : Alors, les V6 Ferrari sont plus puissants que les quatre cylindres Cosworth ?

J.-P. B. : Non, pas que les meilleurs Cosworth, comme ceux qu'avaient cette saison Rindt et Stewart par exemple. La supériorité des Ferrari tenait toute dans les pneus et, d'ici la saison prochaine, j'espère bien que Dunlop aura comblé l'écart.

Champion : Après la Temporada, Ferrari devient le grand favori en F2 pour 1969. Crois-tu que le Championnat argentin ait donné une indication certaine à cet égard ?

J.-P. B. : Tout dépendra du programme de développement suivi par les autres marques. Ainsi Matra. Nos voitures sont un peu trop lourdes, elles pèsent 456/458 kg contre 435 pour les Dino et les Brabham. Nous devons donc, si nous voulons rester dans le coup, gagner 20 kg et nous savons ce qu'il faut faire. Il suffirait déjà de monter les freins F1, et on retirerait ainsi 10 kg de poids, non suspendu par-dessus le marché. Personnellement, j'aimerais bien avoir une coque plus courte; En outre, chez nous, on n'a pas pu suivre les moteurs F2 assez méticuleusement, à cause du programme de développement du moteur F1. Et il faudrait qu'en 1969, nous puissions repartir avec des mécaniques neuves.
Enfin, il faudra procéder à des séances de mise au point méthodiques avant le début de la saison plutôt que de tâtonner dans les réglages pendant les séances d'essais officiels. Si nous y parvenons, nous serons certainement dans le coup. Autrement…

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Champion : Et les autres marques ?

J.-P. B. : Pas de soucis pour les Brabham, elles sont toujours là, les voitures-base en F2. Leur plus gros handicap sera de perdre Rindt qui conduira des Lotus, l'an prochain. Mais il faudra compter avec Courage qui ne s'arrêtera sûrement pas sur son succès de Buenos Aires, à la dernière de la Temporada. En Argentine, les Tecno ont fait bonne figure. Mais elles devront progresser. Comme les Matra, elles sont trop lourdes. En plus, elles étaient trop survireuses, et la lourdeur excessive de leur direction est un handicap certain, dans une course de plus d'une heure. Cependant, ces gens-là travaillent beaucoup, ils peuvent progresser…

Champion : Les pilotes ?

J.-P. B. : Rindt n'a gagné aucune course, mais il était quand même, à mon avis, le meilleur. Siffert a eu un peu de mal à s'habituer à la Tecno, mais à la fin, il était plus vite que Regazzoni. Celui-là, il est vraiment super-gonflé, c'est un tempérament ! Comme Brambilla d'ailleurs, qui est encore plus nerveux. Il est très adroit, quand il fait des erreurs, il se rattrape très bien, mais il en fait tout de même beaucoup, c'est le spécialiste de la trajectoire originale... Juste l'antithèse, c'est assez curieux, de De Adamich, très calme, réfléchi, posé, au style élégant et dépouillé. Andrea a gagné deux courses, terminé second et cinquième des deux autres; il a dominé, c'est incontestable. Il m'a semblé pourtant n'être pas encore tout à fait délivré du souvenir de son accident. Courage a eu beaucoup d'ennuis, mais c'est vraiment un beau pilote, et il est plus calme et régulier que par le passé. Pescarolo a été formidable à Cordoba, ce qui ne vous étonnera pas puisque sur ce circuit ultra-rapide, il fallait avoir le gros cœur ! Et puis, je dirai que Moser a bien mieux marché que le laissent supposer ses médiocres résultats.

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Champion : Les Argentins ?

J.-P. B. : Ils étaient très bons dans l'ensemble. Les meilleurs étaient Reutemann et Vianini, qui seraient dans le coup en Europe. Bordeu et Pairetti conduisaient trop « style Turismo de Carretera », genre Coupe R8G si vous voulez, ils manquent d'entraînement en monoplace. Enfin, ils attaquent tous très fort.

Champion : Pour toi, Jean-Pierre, le bilan ?

J.-P. B. : Sincèrement, je crois qu'avec un peu de chance, je pouvais gagner une course. Il m'a seulement manqué un bon moteur de chez Cosworth. La Temporada a prouvé que nous ne devions pas nous endormir, c'est normal. Il faut que nous nous réorganisions mieux, pour éviter les trop nombreux petits pépins que nous subissons. Si on y parvient, si on allège les voitures et on les met rapidement au point, nous serons dans le coup en 1969, au moins autant qu'en 1968. Les Ferrari n'ont pas une avance telle que l'on puisse les considérer comme imbattables. Seulement, nous sommes « condamnés » à évoluer: c'est la course, comme toujours.

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 - Illustrations ©DR

 - Mise en page Francis Rainaut


1 - Buenos Aires


2 - Cordoba


3 - San Juan


4 - Buenos Aires

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17 février 2016 | Lien permanent | Commentaires (3)

Et chante le coq : 1000 km de Buenos Aires 1970

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 Les 1000 km de Buenos Aires marquent le lancement de la saison sport prototype en ce début janvier 1970. La course n’est pas inscrite au Championnat du Monde des Marques mais deux équipes usines y voient l’occasion de se préparer pour les futurs affrontements nord américains et européens. En l’occurrence Autodelta SpA (Alfa Romeo) et l’Equipe Matra Sports, ou plutôt exactement Matra Simca. Le gros du plateau est composé d’équipes privées.

Pour le public argentin un évènement de taille souligne cette course. La Berta LR locale va se mêler à l’affrontement des européennes. De quoi faire converger quarante mille spectateurs autour de l’autodrome de Buenos Aires.

par François Coeuret

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Les engagés, les essais

L’autodrome a subi pour l’occasion un sérieux rafraîchissement ; les pilotes emprunteront le grand tracé de 6,121km contournant le lac. Oreste Berta engage sa dernière création, un joli prototype mu par un 3L Cosworth livré depuis l’Angleterre. L’argentin est un self made man passionné de mécanique diplômé tout de même par trois universités dans son pays. Sa société Oreste Berta SA a pris part à différents projets liés aux sports mécaniques moto et auto en Argentine. Sa voiture est l’attraction de la foule locale. David Piper s’est alloué les services de Brian Redman pour partager sa Porsche 917K, la voiture la plus puissante du lot. Une brochette conséquente de Porsche 908/2 privées participe à la fête.

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On note à leur volant Rindt-Soler Roig, Van Lennep-Laine, De Cadenet-Pairetti, Juncadella-Fernandez, Dechent-Koch, Kauhsen-Schultze, Gregory-Broström, Dean-Copello. De nombreuses Lola T70 sont engagées. Parmi leurs pilotes figurent Peterson-Cupeiro, Oliver-Reutemann, Pilette- Garcia-Veiga, Jacques Rey-Berney, Craft-Attwood, Smith-Swart, Gethin-Taylor, Bonnier-Wisell, Morand-Pillon, Pascualini-Prophet. Deux Alfa 33/3 concourent aux mains de Courage-de Adamich et Galli-Stommelen. Matra engage une ancienne 630/650 pilotée par Beltoise-Pescarolo. Deux Ford GT 40 et une Serenissima MK 168 bouclent la grille.

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Les locaux sont bien sûr de la partie, rappelons Reutemann, Garcia-Veiga, Pairetti, Copello, Brea, Cupeiro, Pascualini ainsi que Di Palma et Marincovich.

Lors d’essais préliminaires un des pilotes de la Berta, Oscar Mauricio Franco sort assez fort et se blesse. Oreste doit le remplacer par Carlos Marincovich qu’il associe à Di Palma. Il a fallu reconditionner la voiture. A l’issue des qualifications Redman place la 917K Piper en pole devant une Alfa 33, celle de Adamich-Courage. La Berta est véloce, ses pilotes l’ont hissée en troisième position. Une belle performance d’autant qu’à haut régime le Cosworth cafouille obligeant les pilotes à ne pas le solliciter au maximum. Rindt et Soler Roig quatrièmes ont bien exploité les qualités de leur 908/2. Suivent Gregory-Broström(1) (Porsche 908), Stommelen-Galli (Alfa), V. Lennep-Laine (Porsche 908), Wisell-Bonnier (Lola T70). Beltoise-Pescarolo, neuvièmes n’ont pas forcé en attente de Good-year neufs bloqués en douane. Ils devancent la Lola T70 de Oliver-Reutemann. La deuxième moitié de la grille des 25 qualifiés est composée du peloton de T70, 908/2, GT 40 et de la Serenissima.

(1) Broström est sorti lors des essais, se blessant et endommageant sa voiture qui ne prendra pas le départ.

 

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La course

Une belle chaleur d’été austral baigne l’autodrome argentin lors du départ que domine la Porsche de Redman suivie des deux Alfa, de la Berta et la 908 de Rindt. Le public est ravi de voir évoluer « son auto » parmi les meilleures européennes. Malheureusement la voiture d’Oreste Berta est rapidement victime d’un problème de suspension arrière. Ce souci va stopper prématurément la belle argentine après 28 tours couverts au grand dam des spectateurs. Le festival de la Porsche 917 tourne court, elle ne va pas tenir ses performances suite à des problèmes de pneus puis de suspension. La voiture allemande abandonne au cinquante-huitième tour. A partir de ce stade l’explication entre les Alfa 33 et la Matra va concentrer l’intérêt de la course. Les Porsche 908 privées sont dominées. Elles se cantonnent derrière les italiennes et la française. Beltoise et Pescarolo chaussés de neuf sont partis prudemment mais sont montés crescendo au fil des tours.

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L’équipage français est troisième au 40e tour. Il pointe premier au tour 60 en bagarre avec Courage-Adamich. Ces derniers reprennent le dessus mais sont pris en chasse par la Matra. L’équipage anglo-italien résiste, toujours en tête à l’approche du tour 90, une minute le sépare de la voiture bleue. Rindt et Soler Roig, le duo le plus rapide au volant d’une 908, a pris maintenant la troisième position après un arrêt prolongé au stand de l’Alfa de Galli-Stommelen victime d’une rupture de suspension. C’est en évitant Beltoise parti en tête à queue sur l’huile déposée par une GT40 qu’eut lieu l’incident. L’Alfa va d’ailleurs stopper définitivement au 108e tour.

Passé le quatre-vingt dixième tour la seconde l’Alfa de tête rentre soudain au stand, soupape cassée sur un cylindre. Les pilotes poursuivent sur 7 cylindres mais la perspective d’une victoire s’envole. Côté spectateurs une partie du public a déserté l’enceinte du circuit dégoûtée par le retrait de la Berta. Les français ont donc pris le pouvoir, ils possèdent un tour d’avance sur la 908 de Rindt-Soler Roig. Il reste plus de soixante dix tours à accomplir. Les deux duettistes n’ont cependant pas de répit, il n’est pas question de se déconcentrer d’autant que la chaleur sollicite les organismes. Les 908 derrière sont prêtes à profiter de toute opportunité.

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La Matra fera résonner son V12 jusqu’au drapeau à damier. Beltoise a fourni l’une de ses plus belles courses, il est épuisé ; El Ganador a dû assurer en pilotant plus que de coutume pour compenser la méforme de Pescarolo. La plus haute marche du podium les attend. Derrière finissent deux Porsche 908 à respectivement un tour et quatre tours (Rindt-Soler Roig et Dean-Copello) tandis que Pilette-Garcia Veiga se classent au quatrième rang sur une Lola T 70. Ensuite De Cadenet-Pairetti (908) terminent cinquièmes devant l’Alfa boiteuse de Adamich-Courage à 11 tours(2). Les pilotes argentins ont fait bonne figure sur leur terre où un coq exotique a chanté.

 (2) L’équipage va prendre sa revanche le weekend suivant en remportant les 200 miles de la Temporada (Beltoise-Pescarolo 3es).

 

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Postface, par Francis Rainaut

Lorsque l’on se remémore cette course, une chose, en dehors du graphisme tellement typique des numéros de course - astucieuse mise en avant de la « Yacimientos Petroliferos Fiscales » -, une chose en fait vient immédiatement à l’esprit, c’est le brio avec laquelle la Berta LR s’est comportée, surtout s’agissant d’une auto conçue en à peine trois mois. J’ai tenté d’en savoir plus à son sujet…

 

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IKA Torino "Marathon de la Route"

 

Les Argentins de retour dans l’Eifel

Qui se souvient encore du Marathon de la Route 1969, épreuve de 84 heures disputée au mois d’août sur le circuit du Nürburgring par des voitures de tourisme « améliorées ». Peu d’entre nous je pense, ce qui n’est pas le cas des Argentins, je vais tenter de vous expliquer pourquoi.

Donc cette année-là, les Argentins décident d’engager trois IKA Torino 3,7 L - rien à voir avec celle de Clint Eastwood -, l’équipe est placée sous la responsabilité du grand Juan-Manuel Fangio.

Dans cette épreuve redoutable, trois jours et demi à tourner sans discontinuer sur la Nord et Südschleife, l’une des Torino était pilotée par l’équipage Oscar Fangio (le fils de Juan Manuel), Luis Di Palma et Carmelo Galbato. Ils affrontaient la crème des voitures de tourisme, avec notamment des BMW 2002, des Lancia Fulvia, des R8 Gordini et autres Nissan ou Datsun. Un certain Luca di Cordero Montezemolo était même engagé sur une Fiat 125.

La météo était typique de l’endroit, à savoir orages, pluie, brouillard et parfois un grand soleil. La lutte se circonscrivit assez vite entre les Lancia et les Torino, chacune de ces équipes perdant deux de leurs trois voitures. A l’arrivée ce fut la Torino rescapée qui couvrit le plus de tours, mais de sombres histoires de pénalités - déjà ! – la firent rétrograder en 4e position. Qu’importe le classement pour les Argentins, ils avaient démontré qu’ils avaient leur place parmi l’élite du sport automobile, bataillant au milieu des BMW, Porsche, Alfa Romeo, et autres Lancia.

 

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L'innattendue Berta LR

Immédiatement après cette course mythique au cœur des Argentins eut lieu une épreuve de Sports Prototypes à Mantorp Park en Suède. JM Fangio et Oreste Berta assistaient à cette course, remportée par le Finlandais Leo Kinnunen sur une Porsche 908.

« Patricio Peralta Ramos (propriétaire du grand quotidien "La Razón") et les gens du YPF Club étaient également là », a raconté Oreste lui-même dans son livre Motores, Autos y Sueños. « Alors que les 1000 km de Buenos Aires devaient se courir en janvier, la délégation argentine m'a demandé de l'aider à sélectionner du matériel pour équiper nos pilotes... »

« Lors d'une de ces nuits suédoises, Fangio et Peralta Ramos m'ont demandé de construire notre propre voiture. Je leur ai dit qu'ils étaient fous, mais Juan était déterminé et Patricio a proposé de payer le moteur que j'avais choisi et les pièces de rechange dont j'avais besoin... Il ne leur a pas fallu s'exciter longtemps ».

Ainsi, avant de retourner à Buenos Aires, Berta & co ont acheté un moteur Ford Cosworth DFV 3 litres (le roi incontesté de la Formule 1, mais personne ne croyait qu'il convenait aux sport protos) et diverses pièces pour Lola : des roues (les mêmes que celles de la F1), des freins, des porte-moyeux, etc. L'idée de Berta, le "Magicien de Alta Gracia", était claire :

« Je voulais construire un prototype avec la puissance, le poids et les pneus d'une Formule 1 ».

Dans l'avion du retour, Berta a dessiné l'esquisse de la voiture et dès l'atterrissage il s'est mis au travail avec son groupe de travail : calculs, plans, maquettes, tests de résistance. « Concernant le design de la voiture - dit Berta - l'idée générale se résumait en : très légère (châssis multitubulaire), rigide (le premier proto à utiliser le moteur comme structure, à la manière de la Lotus 49 en F1), avec une surface frontale minimale (corps monobloc en fibre de verre) et facile à monter ou à réparer en cas d'accident » (une qualité qui a été mise à l'épreuve plus d'une fois). La puissance du Cosworth, avec des retouches à l'échappement, était d'environ 406 ch et le poids, sans pilote ni carburant, de 678 kg (contre environ 650 kg et 350 ch pour la 908 et 800 kg et 416 ch pour les Alfa T33 ou les Matra, toutes avec des moteurs de 3 litres).

« Il nous a fallu moins de quatre-vingt-dix jours pour concevoir et construire la voiture », explique le magicien. De la course en Suède au premier test à Cordoue, trois mois et deux jours se sont écoulés.
« Le nom Berta LR n'a plus de secret : il est celui de La Razón, principal sponsor du projet. »

 

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Premiers revers

Le premier essai de la LR ne fut pas du tout de bon augure. « Nous avons emmené la voiture à Cabalén. Je n'avais fait que quelques tours, je descendais la longue ligne droite, où elle atteignait environ 280 km/h. Je pensais m'arrêter, j'ai levé le pied de l'accélérateur loin de la courbe (n°2) mais la voiture s'est arrêtée. Elle a traversé et je me suis écrasé violemment », raconte Oreste, qui était toujours le premier à conduire ses voitures.

Vendredi 3 janvier, l'Autodromo affichait complet. Les 1000 km avaient lieu le 10 et les voitures arrivaient déjà d'Europe. Il faisait très chaud, mais...

« Nous avons commencé à tester avec Franco au volant », raconte Berta. « Soudain, une averse s'est déclenchée. C'était une bande de pluie sur la ligne droite et elle a continué jusqu'au Curvón. "Chub" y est allé crânement, il est entré dans le secteur mouillé de la piste, a perdu le contrôle de la LR et a heurté la rambarde. Nous avons observé comment la voiture a sauté de plusieurs mètres dans les airs... Quand nous sommes arrivés, Cacho(3) était inconscient. Il n'y avait pas d'ambulance... ». Berta a bricolé un corset avec un morceau de carrosserie pour immobiliser la colonne vertébrale de Franco, ils l'ont chargé dans un camion et l'ont emmené à l'hôpital de Salaberry, où il a repris connaissance, pour plus tard être transféré dans un autre hôpital.

La voiture fut durement touchée : suspension arrière cassée, réservoir d'essence explosé et son support tordu, radiateur d'huile détruit, berceau moteur tordu, barre de direction incurvée, carrosserie inutilisable et autres dommages.

(3) Oscar Mauricio "Cacho" Franco

Après avoir travaillé dur, nuit blanche à la clef pour les mécaniciens et les amis, la LR était tout juste prête pour les premiers essais officiels des 1000 km. Il a fait la deuxième session (Carlos Marincovich a remplacé Franco) et pour ses débuts s'est qualifié troisième derrière la seule et formidable Porsche 917 de Brian Redman et David Piper (avec son moteur de 5L) et l'Alfa Romeo T33/3 officielle d'Andrea de Adamich-Piers Courage. « Je ne peux pas oublier les acclamations qui ont accueilli notre voiture », dit le magicien. C'était une vraie fête.

 

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La course, c’est toujours différent

Lors des 1000 km, la Berta LR a dû abandonner. Selon Oreste, ils n'avaient aucune information sur le calage d'injection mécanique Lucas du Cosworth et il était également difficile de déterminer les bonnes bougies d'allumage (le moteur tournait donc à environ 1500 tr/min de moins que sa vitesse maximale de 10.000 tours et avait des ratés d'allumage). De plus, les vibrations du moteur ont desserré les supports de suspension ancrés à la boîte de vitesses.

Cependant, la voiture était compétitive : « même en Grande-Bretagne, ils n'ont pas réussi à faire un proto avec le Cosworth V8, Ford a essayé en 1967, mais la voiture était très difficile. La Berta LR, en revanche, affichait un look qui avait très peu a à envier aux protos des écuries confirmées comme les Porsche 908, Alfa Romeo et Matra », a affirmé Alberto Del Priore dans Automundo.

Oreste Berta n'en restera pas là. Il construisit pour la saison 1975 rien moins qu'une formule 1, fortement inspirée par ce qui se faisait chez Brabham. Mais ceci est une autre histoire...

 

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Oreste Berta 2019

 - Illustrations ©DR

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08 décembre 2021 | Lien permanent | Commentaires (1)

Giunti vs Beltoise

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 Circuit de Buenos-Aires, le 10 janvier 1971. Sur le grand tracé de « l'Autódromo 17 de Octubre » fraichement rénové se déroule la 1e course de Championnat du Monde à avoir lieu en Argentine depuis le GP de formule 1 de 1960 remporté par Bruce McLaren sur Cooper.

Cinquante ans ont passé, pas mal de choses ont été dites ou écrites sur la tragédie dont l'autodrome a été le théâtre ce jour-là.

Mon propos n'est pas de rejoindre « la meute des imbéciles et des hypocrites »[1] qui va rapidement se déchaîner contre celui qui est alors le chef de file des pilotes français[2].

Sur Ignazio Giunti en revanche la presse française ne s'était pas trop épanchée, louant ses talents de pilote de prototypes, certes, mais confondant sans doute sa classe naturelle avec une relative discrétion en piste. Nous allons voir qu'il en était tout autrement.

Francis Rainaut

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« il barone » Ignazio Giunti

Que savait-on d'Ignazio Giunti ? Pas grand-chose en réalité. Tout juste qu'il formait la seconde moitié de l’équipage Galli-Giunti qui sévissait en championnat du Monde au volant des Alfa Roméo 2 litres, ah oui, souvenez-vous la folle épopée du Mans 1968. Et aussi qu'il arborait un casque intégral au dessin aussi original qu'inspiré. Inspiré d'antiques dessins aztèques, à ce que je croyais, mais sans en connaître la raison.

Mais le pilote romain était un peu plus que tout ça.

Ignazio Giunti était né à Rome le 31 août 1941 au sein d'une famille noble ayant aussi des intérêts en Calabre dans la province de Cosenza. Comme beaucoup de jeunes dans sa situation, il commença à courir en course de côte de façon assez discrète afin de contourner l'opposition de sa famille, au volant -déjà - d'une Alfa Romeo (Giulietta Ti).

Puis il se tourna vers la piste et débuta à domicile sur le circuit de Vallelunga. 1964 le verra finir second du championnat italien des voitures de tourisme et participer à plusieurs rounds du championnat européen.

Il devient dès lors le grand spécialiste de Vallelunga, quasiment imbattable sur la piste romaine. L'année suivante le voit ferrailler au volant d'une Alfa Romeo Giulia GTA contre les spécialistes Spartaco Dini, Nanni Galli, Carlo Benelli "Riccardone", Andrea de Adamich, Luigi Rinaldi, Teodoro Zeccoli, Roberto Bussinello , Enrico Pinto, et tutti quanti.

1966 est l'année de ses débuts en monoplace sur la rétive De Sanctis formule 3 et aussi celle des premiers pas de l'équipage Galli-Giunti. En 1967 il est promu pilote officiel Autodelta, tout comme son acolyte Nanni Galli, et remporte le championnat d'Europe de la montagne catégorie tourisme.

 

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Tous les deux passent alors aux prototypes en 1968. Alfa Romeo leur confie sa nouvelle arme, la 33.2 conçue par l’inénarrable Carlo Chiti. Ils vont si bien s'en servir qu'ils finiront seconds à la Targa Florio et 4es des 24 heures du Mans. Sur la scène internationale,  Ignazio Giunti n'est plus un inconnu.

En Italie, Giunti a attiré l’attention d'Enzo Ferrari qui lui propose une place dans son équipe « Sports » qui engage des 512S en endurance pour 1970. S'en suivront une victoire aux 12 heures de Sebring, une  2e place aux 1000km de Monza, une 3e à la Targa, idem aux 6 heures de Watkins Glen. Giunti est la nouvelle étoile montante transalpine, la presse est derrière lui, Ferrari lui propose de débuter en formule 1 sur le « grand » Spa-Francorchamps, rien de moins !

 

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Acte II, I.Giunti

Des débuts en fanfare, Ignazio termine son premier Grand Prix à la  4e place, une star est née.

La suite fut moins spectaculaire. Giunti ne confirme pas totalement ses excellents débuts en F1, il faut bien avouer que le « presque italien » Clay Regazzoni lui fait pas mal d'ombre.

Pour 1971, Giunti est confirmé comme pilote leader de l'équipe Ferrari en endurance. La firme italienne a sorti un tout nouveau prototype 312 PB équipé du 12 cylindres à plat dérivé de celui utilisé en F1.  La première course a lieu à Buenos-Aires, où il aura à affronter en compagnie d'Arturo Merzario les puissantes Porsche 917 ainsi que des Ferrari 512 privées, sans oublier les « petites » Matra et autres Alfa Romeo. La mission est de s'aguerrir afin de viser le titre mondial l'année suivante.

 

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J-P.B.

A l’orée des années soixante-dix, Beltoise est arrivé quasiment au faîte de sa carrière de pilote de course.

Effectuons un bref retour arrière.

Descendants d'une longue lignée de bouchers parisiens, et animateur invétéré du fameux troquet du 1er arrondissement vite surnommé « le Stand 14 » , Beltoise n'a de passion que pour la vitesse. A ce stade il est bon d'ajouter que la vie n'a pas toujours été d'une grande tendresse avec Jean-Pierre.

Les ennuis ont commencé avec la guerre d'Algérie. Comme beaucoup de jeunes de sa classe d'âge, Jean-Pierre fut appelé pendant près de 24 mois pour s'en aller pacifier la proche colonie. Il n'en ressortira pas intact, mais en reviendra plus fort. Ce qui compte désormais, c'est la course, la course de motos d'abord, comme son idole Jean Behra.

Un peu plus tard, il encaisse de plein fouet le décès brutal de son frère ( et copain ) Jean-Claude qu'un bête accident de la route enlève à la famille Beltoise.

 

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Beltoise, qui arbore désormais le mythique écusson « Stand 14 » sur son casque, emblème représentant l'établissement que vient de créer son pote Pierre Landereau, commence à franchir une à une les marches du succès. Multiple champion de France vitesse moto, entre autres sur Moto Morini, il commence à entrer pour de bon dans le paysage sportif français.

La moto n'est pas sa seule passion. En plus d'écrire avec talent, il envisage déjà de passer à l'automobile. Il force un peu son entrée chez René Bonnet, et les résultats déjà tombent : victoire à l'indice avec Claude Bobrowski au Mans en 1963.

Mais sans doute n'a-t-il pas encore suffisamment payé son dû. Trahi par une fuite d'essence indétectable d'une voiture le précédant, il est victime en juillet 1964 d'un accident effroyable aux 12 heures de Reims sur sa René Bonnet. Les médecins veulent lui couper le bras, son équipier Gérard Laureau est là pour les en empêcher.

La suite est connue. A force de volonté et de détermination, Beltoise fait fi de son handicap et assiège l'état-major sportif de Matra afin d'obtenir un volant dans l'équipe. N'importe qui d'autre aurait échoué, JPB saura convaincre le visionnaire Jean-Luc Lagardère.

Et c'est sur ce même circuit de Reims que le glorieux tandem connaitra son premier sacre en 1965 dans l'épreuve de formule 3, évènement synonyme du réveil du sport automobile français.

Nouveau coup dur en 1966, sa femme Eliane se tue au volant d'une Matra Djet, Jean-Pierre est anéanti, l'ami Servoz-Gavin fait de son mieux pour lui redonner goût à la vie.

 

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Formule 3, formule 2, Champion d'Europe, formule 1. Pour son 1er GP au volant d'une véritable F1 3 litres, en remplacement de Stewart blessé, Beltoise manque de l'emporter ! Maudite fuite d'huile... Sous la pluie à Zandvoort sur la Matra V12, Jean-Pierre effectue un véritable récital. La victoire dans la catégorie reine n'est plus très loin, nul ne peut en douter.

On accélère le film, nous voici à la fin de l'année 1970. Aux yeux des dirigeants de Matra, bien ou mal conseillés par ces Talleyrand des temps modernes faisant et défaisant les équipes, Beltoise n'a pas ou n'a plus la stature d'un « premier pilote » . C'est un Chris Amon qu'il vous faut pour gagner. Qu'en pense ce brave Henri ?

 

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1000 km de Buenos-Aires, ou la fureur de vaincre

Beltoise aime bien l'Argentine, celle-ci le lui rend bien ; n'est pas  « el Ganador » qui veut. Lui et Matra y ont toujours brillé. Jean-Pierre a survolé la Temporada 1967, et l'année dernière, lui et son coéquipier Pescarolo y ont enlevé les 1000 km disputés hors-championnat au volant d'une Matra 650 ornée de ces curieux numéros jaune sur fond noir imposés par le sponsor local YPF. Cette année avec les Sports 5 litres, la tâche sera plus rude mais JPB ne lâchera rien, il fera tout ce qui est en son possible pour faire briller les couleurs Matra. Sa MS 660 ne vient-elle pas de remporter haut la main les 1000 km de Paris, sous les yeux d'un public comblé dont je faisais partie.

Dans le clan Ferrari, Giunti est dans les mêmes dispositions. Sa nouvelle Ferrari 312 PB est un jouet fantastique, suffisamment affûté pour viser les, ou même la première marche.

Ces deux-là sont de grands coureurs. Ils allient l'adresse, le courage, le sang-froid et aussi l'expérience. Mais surtout la fureur de vaincre, celle qui est nécessaire pour devenir un champion.

A l'issue des essais, c'est Pedro Rodriguez sur Porsche 917 Wyer qui décroche le meilleur temps juste devant... Ignazio Giunti sur sa Ferrari 312 PB. La voiture italienne et son pilote numéro un font forte impression, on peut les ranger sans équivoque parmi les candidats possibles à la victoire.

 

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Le grand Juan Manuel Fangio donne le départ. Vif comme l'éclair, Giunti bondit en tête mais Rodriguez fait bientôt parler la puissance de sa 917 et avale la Ferrari. Beltoise bien parti est maintenant 6e dans le sillage de Parkes sur Ferrari 512S.

Les Porsche 5 litres lâchent maintenant les chevaux, et Elford rejoint Rodriguez en tête de la course. Sur sa petite 3 litres, Giunti est époustouflant, à la limite partout, du grand pilotage. Mais les gros cubes doivent ravitailler plus tôt, laissant Giunti au commandement devant Beltoise et les deux Alfa Romeo. La course est passionnante et indécise, qui va l'emporter ?

La dramaturgie est désormais en place, n'y manque probablement que l'intervention du malin.

Son intervention prend la forme d'une panne d'essence affectant la Matra du pilote français. Au fait, pourquoi cette panne d'essence ? Erreur de calcul, dérèglement de l'injection, fuite à un réservoir ? Pour Beltoise, c'est catastrophique, il ne veut pas ruiner sa course pour autant, les stands sont tout proches, il commence à pousser la Matra 660.

Auparavant, cette manœuvre était courante, et même autorisée, désormais c'est aux commissaires d'éventuellement intervenir pour l'interdire, ces derniers se contentent de brandir les drapeaux jaunes signalant un danger. Giunti passe une première fois, visualise la Matra en souffrance, puis continue son sprint.

giunti,beltoise,buenos-aires

Pour Beltoise les stands sont tout proches, il reste moins de 100 mètres à parcourir. Mais il y a aussi la piste à traverser. Il serait idiot que tout s'arrête là, un pilote professionnel est payé pour mener sa voiture le plus loin possible.

Ici s'arrête mon compte-rendu des 100 km de Buenos Aires, course que tout passionné a encore en mémoire.

giunti,beltoise,buenos-aires

 

In memoriam Ignazio Giunti, Jean-Pierre Beltoise

Giunti nous a quitté le premier. C’était certainement un homme charmant, sous des aspects réservés. C'était surtout un homme qui gagnait à être connu.

Nous savons aujourd'hui que le dessin de son casque est dû à un ami architecte milanais. Il représente un aigle bicéphale parfaitement symétrique. Les deux têtes forment un  « M » majuscule, M étant la 1re lettre du prénom Mara, comme Mara Lodirio, top-modèle et petit amie officielle d'Ignazio Giunti.

Sa dernière course nous a montré un Giunti extrêmement brillant et combatif. Sa place était très certainement la formule 1, au plus haut niveau. Après l'accident de Lorenzo Bandini, l'Italie perdait encore un grand champion. Les gazettes italiennes, AutoSprint en premier[3], allaient se déchaîner contre Beltoise. Fangio montra toute sa classe, défendant le pilote français en soulignant les failles de l'organisation.

Ce dernier ne revint pas intact de Buenos-Aires. Même s'il s'en était miraculeusement sorti indemne, il fut extrêmement choqué puis cloué littéralement au pilori par sa confrérie. Les pires étant, comme de coutume, la « meute des imbéciles et des hypocrites », ainsi que les désignait si bien José Rosinski. Vous savez, ceux qui ne s'intéressent aux courses automobiles, aux courses en montagne ou même aux vrais exploits sportifs que lorsqu'ils y sentent une odeur de sang, ou de scandale, ou même des deux. Ils sont alors les premiers à dénoncer ces fous, voire ces demi-fous, enfin tous ceux pour qui le progrès est inséparable de la prise de risques, comme l'a si bien écrit Louis Lachenal, à peu de choses près[4].

Jean-Pierre Beltoise a rejoint Ignazio Giunti le 5 janvier 2015. Les voici réunis au paradis des pilotes. Leur histoire suscite une grande émotion, tant les deux ont élevé la passion au sommet de leur échelle de valeurs. Pour cela au moins ils méritent notre respect.

 

giunti,beltoise,buenos-aires

 

Epilogue

L'épilogue de ce mauvais film, c'est peut-être Arturo Merzario qui l'a le mieux exprimé :

« Jean-Pierre se sentait attaqué de toutes parts, désemparé. Nous en avons parlé autrefois, même s'il a toujours hésité à aborder le sujet. Ils lui ont jeté l’opprobre qu'il ne méritait pas vraiment. À Monza, ils lui ont vraiment jeté la pierre. Il a immédiatement admis qu'il avait fait une bêtise en poussant sa Matra au milieu du circuit. Mais nous tous, je veux dire tout le monde, savions très bien qu'il y avait une règle non écrite qui devait être respectée à tout moment, sous peine de licenciement. Je ne plaisante pas : de licenciement. La règle de base voulait que nous, les pilotes, amenions la voiture aux stands, quitte à la porter sur nos épaules. Cela était vrai pour Matra, ainsi que pour Ferrari, Porsche ou Alfa Romeo. Vous deviez ramener la voiture aux stands, toujours et dans tous les cas, et alors les ingénieurs auraient décidé si et comment vous renvoyer sur la piste. Le comportement de Beltoise n'était donc pas quelque chose de "jamais vu auparavant". Bien sûr, pousser la voiture le long de la piste était interdit par la réglementation, mais les commissaires auraient dû l'arrêter. Et ce faisant, vous pouviez expliquer à votre équipe que vous aviez fait tout ce qui était possible ». 

 

giunti,beltoise,buenos-aires

- Illustrations ©gettyimages, CahierArchive, D.R.

 

Notes et références

  1. Selon les mots de José Rosinski, revue Champion #62.
     
  2. Probablement les mêmes, ou leurs descendants, qui s'en prendront un peu plus tard au pilote franco-suisse Romain Grosjean.
     
  3. Pour ceux de nos lecteurs maitrisant la langue de Dante, en voici un extrait : AUTOSPRINT-71-03
     

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10 janvier 2021 | Lien permanent | Commentaires (15)

... c'est au moins Fangio qui est au volant ! (II)

jm.fangio,mike hawthorn

Durant les deux tours qui suivent son arrêt calamiteux au stand, Fangio s’attache consciencieusement à faire chauffer ses gommes Pirelli, sans vraiment chercher la performance. Il espère surtout que côté Ferrari, ces derniers comprennent que pour lui la victoire n’est plus une priorité, que désormais seule la troisième place compte, et qu’il a ainsi accepté  de laisser gagner les autres monoplaces rouges.

 

- Voir aussi: ...c'est au moins Fangio qui est au volant ! (I)

jm.fangio,mike hawthorn

Lors du 15e tour, on intime l’ordre aux pilotes Ferrari de baisser le rythme. Mais au 17e tour, Fangio passe la ligne et réalise une performance tellement incroyable qu’elle laisse tout le monde sans voix durant un court instant.

Comme il l’écrit lui-même dans ses mémoires (1), l'Argentin conduit comme un dément. «Je négociais chaque virage sur le rapport supérieur me disant à chaque fois que c'était une folie.»

En un seul tour, l’Argentin vient de reprendre 12 secondes sur les deux machines de Maranello, alors qu’il en comptait plus de 50 de retard au tour précédent !

17e tour : Fangio 9’28’’5 ; Hawthorn 9’41’’6
18e tour : Fangio 9’23’’4 ; Hawthorn 9’35’8

Fangio est alors à 14 secondes des deux Anglais et vient de boucler un tour à 145,7 km/h de moyenne quand la Scuderia Ferrari se décide enfin à réagir. Prévenus, Hawthorn et Collins haussent le rythme. Mais Fangio est déchaîné. À deux tours de l’arrivée, la Maserati rejoint les deux Ferrari.

La foule n’en croit  pas ses yeux ni ses oreilles quand le speaker lui annonce durant ce tour de jonction que le record du tour a été battu ! 9’17’’4 (147,3 km/h de moyenne).

19e tour : Fangio 9’21’’6 ; Hawthorn 9’38’’4
20e tour : Fangio 9’17’’4 ; Hawthorn 9’33’’5

L’Argentin, après avoir signé le meilleur temps, qui ne sera battu que bien plus tard par Jim Clark, déborde dans la foulée Collins qui ne se laisse pas faire pour autant. La lutte dure un moment. Se doublant et se redoublant, les deux hommes s’affrontent de manière chevaleresque, quand Fangio passe définitivement l’Anglais et sa Ferrari à la corde derrière le virage des stands, dans une manœuvre un peu musclée avec deux roues dans l’herbe et les deux autres sur la piste. Profitant de cette lutte, Hawthorn prends une centaine de mètres d’avance que l’Argentin comble très rapidement. Le pilote Maserati double finalement le futur champion du monde 1958 de manière franche et sans bavure lors du dernier tour.

Malgré leur volonté, les deux Anglais durent s’incliner lourdement face au futur quintuple champion du monde.

"Ça alors, mille tonnerres ! c'est au moins Fangio qui est au volant !"

jm.fangio,mike hawthorn

 

jm.fangio,mike hawthornLorsque le drapeau à damier s’abaisse devant le bolide de Fangio, les mécanos de la Scuderia de Modène sautent et s’embrassent sans retenue, le sourire aux lèvres. La foule hurle sa joie, et c’est porté en triomphe par le public que Juan Manuel Fangio, "El Chueco", s’en va recevoir la couronne de lauriers du vainqueur qui le récompense pour son exploit.

Mais ce que l'on retient aussi de ce 4 août 1957, ce sont les paroles de Fangio à sa descente de voiture. Epuisé nerveusement, il avoue: «Je pense que j'étais possédé aujourd'hui. J'ai fait des choses au volant que je n'avais jamais faites et je ne veux plus jamais conduire comme cela.»

Épilogue : En 1957, Fangio était intouchable et décida de se retirer de la F1 en fin d’année. Il fera pourtant deux courses en 1958. Le GP d’Argentine et le GP de France ou il avait débuté sa carrière en 1948 au volant d’une Gordini. Lors de ce même GP de France 1958, Hawthorn en lutte pour le titre mondial et en passe de remporter le Grand Prix, arrive derrière Fangio pour lui prendre un tour. Ce qu’il ne fit pas. Après la course, l’Anglais dira : " On ne prend pas un tour à Fangio". L’Argentin prendra définitivement sa retraite, à la plus grande satisfaction de sa femme Beba, pour s’occuper de ses affaires commerciales dans son pays.

Ses grands amis Musso et Collins, 2 authentiques champions eux aussi, trouvent la mort respectivement en Juillet et en Août de cette année-là.

 

jm.fangio,mike hawthornPost scriptum : En 1940, Fangio remporte sa première grande épreuve, le Gran Premio del Norte, une longue course harassante de deux semaines et de 9445 km entre Lima au Pérou et Buenos Aires en Argentine via la traversée de la cordillère des Andes par des cols qui culminent à plus de 4000 mètres. Ceux qui ont voyagé comme je l'ai fait de ce coté-ci de l’Amérique Latine mesurent d’autant mieux la valeur de cette performance.

 

 Francis Rainaut

 

jm.fangio,mike hawthorn

(1) Fangio, Ma vie à 300 à l'heure, Plon, 1961, 300 pp.

1. FANGIO G.P Allemagne 1957©François Blaise

2. FANGIO G.P Allemagne 1957©DR

3. FANGIO 1er, Hawthorn 2e G.P Allemagne 1957©François Blaise

4. Autographe El Chueco©Francis Rainaut

5. Maserati 250F Age d'or 2007©Francis Rainaut

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20 octobre 2012 | Lien permanent | Commentaires (7)

... c'est au moins Fangio qui est au volant ! (I)

jm.fangio,nurburgring

C'est par cette réplique du capitaine Haddock dans l'affaire Tournesol que j'ai été initié, comme tant d'autres, au petit monde du sport automobile.

Plus tard j'ai eu la chance de croiser Juan-Manuel Fangio dans le paddock de Monza en 1969 et de lui glisser trois mots pour obtenir un autographe*. Après tout mes cousins avaient bien serré la main du "Général", ça remontait ma cote dans la famille.

François Blaise a assisté quant à lui à la dernière victoire du mythique El Chueco sur la non moins mythique Nordschleife de l'anneau du Nürburg. Il en a ramené des photos pleines d'émotion.

(*) Merci aux tifosis m'ayant fait la courte échelle pour passer le grillage sans y faire de trous.

- Voir aussi: ...c'est au moins Fangio qui est au volant ! (II)

jm.fangio,nurburgring

 

Cette victoire, François Blaise a dû s’en souvenir longtemps.

Comme Fangio, qui la gardera à jamais dans sa mémoire, sans doute parce qu'elle était à la fois la plus belle, celle de son 5e titre et aussi sa dernière.

Quand il arrive sur le fameux circuit de 22,810 km aux 176 virages - à parcourir 22 fois, soit un peu plus de 500 km -, Fangio est au sommet de son art.

Pourtant, malgré trois victoires à son actif cette année-là, il semble préoccupé. Il se méfie des Vanwall anglaises, et dans une moindre mesure des Lancia-Ferrari de Hawthorn et de Collins. Il se méfie surtout de ses pneus Pirelli, moins endurants que les Englebert ou les Dunlop de la concurrence. Aussi Fangio et son équipe ont-ils prévu un changement de pneus à mi-parcours et aussi de s'élancer avec seulement un demi-plein d’essence afin d’alléger la Maserati 250F.

Le Grand prix démarre doucement pour l’Argentin qui prend le temps de bien chauffer ses gommes et se fait immédiatement passer par les Ferrari. Il faudra attendre le 3e tour pour que Fangio hausse le ton et prenne ainsi le commandement de la course avec assurance.
L’idée du staff Maserati était que Fangio prenne le maximum d’avance en prévision des ravitaillements prévus pour le 11e tour.
À coup de records du tour, Fangio s’est aménagé une avance de 31 secondes au dixième des 22 tours de l’épreuve.
Selon Nelle Ugolini, le directeur de la Scuderia Maserati, le changement de pneumatiques devrait être effectué en 30 secondes maximum.

Quand le grand Fangio rentre au stand lors du 12e tour, l’opération pneus s’éternise, et cela coûte 53 secondes à l’Argentin qui repart rageusement en piste avec un retard de 48 secondes sur les deux Ferrari de Hawthorn et Collins qui roulent de concert, biens en ligne pour la victoire finale. À ce moment précis, tout le monde pense que le grand prix est fini et que Fangio ne pourra jamais revenir sur les deux Anglais. Pourtant, c’est à ce moment précis que l’histoire va s’écrire.

jm.fangio,nurburgring

Fangio, avec la complicité de son chef mécanicien Bertocchi, met en place une stratégie assez curieuse. L’idée était d’intoxiquer le directeur sportif de Ferrari en faisant semblant de vouloir renoncer. Idée risquée mais qui, sur le long tracé du Nürburgring, était une tactique finalement assez ingénieuse car les communications ne se faisaient que lorsque les pilotes passaient devant les stands.

A suivre...

 

jm.fangio,nurburgring

 

 Francis Rainaut

1, 2 et 3. FANGIO, Paddock, H.Herrmann G.P Allemagne 1957©François Blaise

4. Carrusel Germany 1957©The Cahier Archive


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17 octobre 2012 | Lien permanent | Commentaires (1)

Nürburgring 1956 : qui sera « Ring Master » ?

Fangio collins all 56 B Cahier.jpg

 

 La décennie Fangio - IV -

  Juan Manuel Fangio a du fil à retordre depuis le début de l’année. La Scuderia Ferrari qui engage pour son compte les Lancia D50 lui oppose un jeune anglais coriace. Peter Collins ne se laisse pas impressionner par le triple Champion du monde. Il défend son pré carré avec talent et détermination. A la veille du Grand Prix d’Allemagne disputé sur le circuit du Nürburgring, l’un des juges de paix de la saison, Collins précède l’argentin au classement du Championnat du monde. Certes un seul petit point les sépare mais un point qui agace « El Chueco » comme le surnomment les railleurs… 

par François Coeuret

jm fangio,peter collins

Depuis le début de saison le pilote argentin est confronté non seulement à la vive concurrence de ses collègues mais aussi à quelques soucis mécaniques qui  l’ont desservi. En arrivant dans les montagnes de l’Eifel, Juan Manuel Fangio compte bien en imposer à son jeune équipier mais aussi rival. Les deux hommes s’élancent pour les essais avec la ferme détermination de réaliser le meilleur temps. Behra et Moss au volant de la Maserati 250F contestent la suprématie des pilotes Ferrari. L’anglais s’est imposé à Monaco, il se positionne quatrième au classement général tandis que le français régulier et opiniâtre est troisième. Au sein même de la Scuderia le jeune italien Castellotti se montre parfois dangereux pour ses équipiers. Le verdict tombe à la veille de la course.

 

jm fangio,peter collins,stirling moss

 

Fangio réalise le tour le plus rapide pour… trois dixièmes de secondes devant Collins. Un écart infime compte tenu des 22,810 km composant le tour de circuit. Castellotti réalise le troisième temps à 3.2 secondes du record, contribuant à placer la Lancia-Ferrari D50 au sommet de la hiérarchie. Suit la Maserati de Moss mais à 12.2 sec puis on pointe Musso (Ferrari)  précédant quatre Maserati (Perdisa, Maglioli, Behra, Salvadori) et la Ferrari de De Portago.

 

jm fangio,peter collins,stirling moss

 

La grille 4-3 promet un départ indécis. Fangio fébrile rate son envolée et Collins profite de l’aubaine pour s’emparer du commandement devant le Champion du monde qui emmène dans son sillage Moss et Castellotti. L’argentin attaque et réagit. Après Flugplatz il passe Collins, Moss incisif déborde aussi son compatriote. Ce dernier ne compte pas se faire décrocher et au prix d’une attaque virile reprend la seconde position. Un début de course haletant durant lequel les trois hommes ont fait le trou. Castellotti victime d’un tête à queue dans le  premier tour est lâché. La D50 est irrésistible au point que Moss va petit à petit perdre du terrain sur le duo majeur.

 

jm fangio,peter collins,stirling moss

Collins, Fangio, Moss, Castellotti

 

Derrière Moss roulent Behra, Salvadori et Portago qui réalise au beau début de course. Fangio domine Collins, il conquiert une petite marge mais se fait parfois recoller comme s’il souhaitait prendre des pauses, toutes relatives cependant. Les deux hommes sont les patrons reprenant plusieurs fois le meilleur tour. Qui va remporter le titre de « Ring Master 1956 » ? Le neuvième tour rend un début de verdict quand Collins rentre prématurément au stand suivi d’un nuage de fumée. Une conduite d’essence a privé les observateurs de la suite du formidable combat. La tension qui étreignait Fangio a dû baisser de quelques crans. Ce qui ne l’empêche pas de battre encore une fois le record de la piste, dix secondes de mieux que son temps des essais ! Il contrôle ainsi Moss à 15 secondes qui attaque aussi fort. Behra malchanceux est passé par son stand pour faire refixer une attache de réservoir. Collins qui avait relayé Portago après l’abandon de sa propre voiture sort de la route violemment mais s’en tire indemne. Behra en conséquence rallie la troisième place du podium.

 

jm fangio,peter collins,stirling moss

Stirling Moss - Maserati 250F

 

Juan Manuel Fangio termine sa course en contrôlant Moss, il rentre marqué par sa brillante performance. Le pilote de Balcarce reprend la tête du championnat avec 8 points d’écart sur Behra et Collins.

Il va dans la lancée s’adjuger le titre à l’issue du Grand Prix d’Italie gagné par un Moss irrésistible. Durant ce Grand Prix Collins cédera son volant à Fangio en fin de course. La voiture de l’argentin souffrait d’un problème de direction qui le ralentissait. Ce geste chevaleresque salué par Fangio le priva d’une possibilité de coiffer le titre dans l’hypothèse d’un abandon de Moss.

 

jm fangio,peter collins,stirling moss

 

 - Photo 1 & 3 ©Cahier Archive

 - Autres photos ©DR

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16 décembre 2017 | Lien permanent | Commentaires (3)

Guelfi le Jdidi

andré guelfi,agadir
Agadir 1955. Guelfi et Della Favera

Cela s’est passé un 29 février à Mazagan, vers la fin des années vingt. Sentant arriver les premières douleurs, ma grand-mère prit le volant de la Chevrolet familiale pour aller accoucher de sa 3e fille (1) dans le premier dispensaire suffisamment équipé du coin, à savoir celui de Safi, un peu plus au sud en suivant la côte atlantique. Il faut dire que mon grand-père se trouvait à cet instant précis dans le bled, en train de vérifier les contributions des autochtones (2), car c’était là son métier après avoir suivi une formation d’ingénieur agronome (3).

Au sein de la petite communauté française de l’ancien bastion portugais – qui deviendra plus tard El Jadida – mes grands-parents ne pouvaient pas ne pas connaître le commandant du port, un officier corse du nom de Guelfi.

Son fils André Guelfi vient de nous quitter, après une vie riche en aventures de toutes sortes. Pour parler de ce « personnage », nous avons retrouvé un article de Stephen Smith paru dans « Libération » le 10 mars 1999. Cela au nom de l’histoire et en dehors de toute polémique.

 

(1) Qui allait devenir ma mère.

(2) Il s'agissait en fait du « Tertib », impôt agricole unique.

(3) Ses propres grands-parents avaient émigré de la région d’Argovie en Suisse vers la banlieue parisienne pour y fonder une firme d'impression sur tissus. Après avoir connu le front de la grande guerre, où il perdit son frère ainé, mon grand-père se maria et eut envie d'horizons nouveaux. Cela tombait bien, les protectorats français recrutaient alors à tout-va, notamment des ingénieurs qualifiés. Mais que l'on ne vienne pas me parler de colonies et encore moins de « repentir », ça n'est pas du tout la même histoire...

andré guelfi,agadir

" André Guelfi, 79 ans, l'homme des commissions d'Elf. La vie de ce self-made man né au Maroc est un feuilleton d'affaires.

par Stephen SMITH — in « Libération » du 10 mars 1999.

 

Le commissionnaire voyageur.

andré guelfi,agadirCe fut son premier emploi, obtenu sans avoir réussi son certificat d'études, une larme écrasée sur le CV ayant ému la secrétaire du directeur de la banque. A 17 ans, André Guelfi était coursier. Un jour, dans le sous-sol, il découvre des classeurs étiquetés « créances irrécouvrables ». Après avoir consulté un dictionnaire, André conclut à une contradiction dans les termes. Des dettes irrécupérables ? Aidé de la secrétaire, il obtient un rendez-vous avec le patron, qui, mi-amusé mi-intrigué, lui signe une délégation de pouvoir avec à la clé, déjà, 15% de commission. « Mais seulement quand on n'a pas besoin de toi pour les courses. » Neuf mois plus tard, mettant à profit son bagout pour faire honte aux mauvais payeurs, « Dédé » gagne plus que le directeur. Sous peu, il a tant d'argent qu'il s'associe à l'un de ses oncles, armateur de pêche à Agadir. Ainsi naquit un bâtisseur de fortune, malencontreusement surnommé « Dédé la Sardine » et qui réapparaît aujourd'hui comme intermédiaire dans l'affaire Elf ou au cœur du système du Comité olympique international.

Avant de découvrir le trésor dormant dans les entrailles de la banque, André Guelfi n'était jamais sorti de son Mazagan natal. Ce vieux comptoir portugais, rebaptisé El Jadida après l'indépendance, se situe sur la façade atlantique du Maroc. Le père Guelfi, officier corse de la Royale, était le commandant du port. Il avait épousé une Espagnole, fille d'un Turc, qui chantait au piano en répétant ad infinitum une rhapsodie de Liszt, le Lac de Côme. Les parents d'André sortaient beaucoup. Leur fils, cancre à l'école, était élevé par sa grand-mère, en espagnol. Dans les venelles de la casbah, il apprit aussi l'arabe dialectal. En 1939, appelé sous les drapeaux à 20 ans, le coursier-armateur rejoignit le 2e régiment de tirailleurs marocains.

 

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Agadir 1955. Bourrely et Guelfi

 

L'armée, Guelfi n'aime pas. Chauffeur passionné dès l'âge de 10 ans, conduisant à l'aide de cales pour atteindre les pédales, il fait la guerre dans des ateliers mécaniques, conduit des commandants. Envoyé en Italie, son navire fait naufrage. De retour au Maroc, André intègre les services spéciaux, toujours au volant. Il se souvient de Pierre Guillaumat, chef des « services » gaullistes et père fondateur d'Elf-Aquitaine, qui lui assenait des coups de baguette quand il appuyait trop sur l'accélérateur. Parachuté au Bureau central du renseignement de l'armée à Paris, André Guelfi cherche un moyen de se faire démobiliser. Le chemin le plus court passerait par l'Indochine. Il part au pays des sampans comme volontaire. Mais Guelfi n'est pas une bête de guerre. Il cherche des bouddhas en or. En vain. Après deux ans de coups de main, il ouvre à Saïgon le Garage toulousain.

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Agadir 1955. Guelfi sur Gordini

 

On ne badine pas avec les fiançailles en Cochinchine. Fin 1947, Guelfi, multirécidiviste en la matière, fuit l'obligation matrimoniale pour se marier au Maroc, quelques mois plus tard, avec une Française qu'il n'aime pas non plus. Heureusement, il se découvre d'autres passions: l'auto et l'avion. Joker de l'écurie Gordini, Guelfi participe à six Grands Prix de Formule 1. Il achète à Paris un bar dans l'immeuble du journal Sport-Auto, fréquenté par les accros du circuit. Mais, sauf dans le cockpit, il n'est pas dans le coup. Quand Amédée Gordini lui confie Françoise Sagan pour une initiation au domptage de bolides, il répond à la romancière, qui lui lance un « bonjour tristesse » d'époque, par un sot « bonjour, Guelfi ». Le Tout-Paris n'est pas son monde. Le grand superstitieux, suspendu à l'oracle d'un pendule avant de prendre une décision, reste un marginal.

Au large, il a pourtant réussi. Guelfi a été le premier industriel à congeler la sardine, le premier aussi à avoir fait construire un bateau-usine en conditionnant des centaines de tonnes. Au Maroc, protégé du roi Mohammed V et du futur général Oufkir, il a bâti un premier empire, qui s'est effondré le 29 février 1960, date du séisme d'Agadir. Guelfi part sur la côte la plus poissonneuse du monde, en Mauritanie. Il reconstruit une flotte et des usines à Port-Etienne, l'actuel Nouadhibou, toujours sous haute protection. Le président Moktar Ould Daddah est son « ami ». Jusqu'au jour où le chef de l'Etat découvre que Guelfi verse 5% de commission au ministre des Finances, un Négro-Africain. Guelfi fuit le pays des Maures en abandonnant tout. « Pour ne pas balancer le ministre, un type bien », explique-t-il. « Guelfi s'est évadé, il aurait dû être jugé », affirme Ould Daddah, aujourd'hui en exil à Nice.

André Guelfi amorce sa « mue ». Selon un ancien associé, il ne cherche plus que « des affaires sans patrie », d'autant qu'il perd son pays d'adoption, le Maroc, quand le général Oufkir est exécuté, en 1972, à la suite d'une tentative de régicide. Hassan II persécute les Oufkir et poursuit leur ami ­ « Tonton Dédé » ­, à qui il demande la restitution d'un avion. « La justice française ayant reconnu qu'il m'appartenait, je l'ai fait exploser sur un petit aérodrome pour montrer au roi que je n'en avais rien à foutre. » Divorcé et remarié avec une nièce de Georges Pompidou, Guelfi acquiert trois palaces parisiens et le café de la Paix. Dans la corbeille, il découvre 45% de la Rente foncière, propriétaire de 128 immeubles intra-muros. En quatorze mois, Guelfi rachète les 6% manquants pour être majoritaire. « Pour faire de l'argent, il n'y en a pas deux comme lui », reconnaît Fatima Oufkir, la veuve du général.

andré guelfi,agadir

 

En 1975, candidat au permis de résidence helvétique, Guelfi déclare 50 millions de francs suisses. Qu'il perdra, au fil des ans, par exemple en investissant dans l'élevage de vers, censés devenir le fertilisateur du XXIe siècle. Ayant racheté le Coq sportif, il gagne cependant plus qu'il ne perd. Avec Horst Dassler, patron d'Adidas France, il met la main sur la régie publicitaire de la Fifa et des Jeux olympiques. Les duettistes se sentent « les maîtres du monde ». En 1980, malgré le veto américain, ils offrent les Jeux à Moscou et font élire Juan Antonio Samaranch président du CIO. Ils utilisent l'olympisme pour pénétrer au plus haut niveau. André accède à nombre de chefs d'Etat, notamment dans les pays de l'Est. A 72 ans, la chenille industrielle éclot en papillon financier.

A partir de 1992, Guelfi multiplie les affaires en empochant des commissions. Il travaille avec son carnet d'adresses, entre autres pour Elf, et ne voit pas d'« inconvénients » à mettre à la disposition du pétrolier sa fiduciaire genevoise comme société-écran pour ventiler l'argent de la corruption. « Je croyais que l'opération était blanc-bleu », prétend-il lors d'une rencontre en Corse, l'été dernier. Mais il voit rouge quand elle le mène en prison. Trente-six jours à la Santé, à faire la ronde dans les baskets que lui prête Bernard Tapie, le poussent à rectifier les « versions falsifiées » de sa vie d'« original » dans un livre qu'il vient de publier (4). Une photo montre l'octogénaire maniaque d'hygiène de vie dans la piscine de sa villa corse. Il y rame dans un kayak attaché au bord par une corde élastique. Plus il se démène, plus vite il est ramené à ses origines. C'est le supplice de Dédé la Sardine.

(4) L'Original. D'un village marocain aux secrets de l'affaire Elf, le parcours d'un aventurier de la vie, chez Robert Laffont.

 

André Guelfi en 8 dates.

1919 Naissance à Mazagan, au Maroc.

1939 à 1946 Soldat, pour finir en Indochine.

1948 Premier mariage, après 27 fiançailles.

1960 Ruiné par le séisme d'Agadir.

1971 Fuite de Mauritanie et second mariage.

1984 Second divorce et brouille avec Horst Dassler.

1997 36 jours de préventive à la Santé."

2016 Décès à Saint-Barthélemy à l'âge de 97 ans.

 

andré guelfi,agadir

Comme épilogue, qu'il me soit permis de citer la grosse blague des français du Maroc:

« Ouarzazate, et puis mourir… »

 

- Illustrations ©DR

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30 juin 2016 | Lien permanent | Commentaires (5)

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