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17 février 2016

JPB: Mi Temporada 1968 en Argentina

MI  TEMPO

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MI  RADA...

... C'est à peu près le jugement que porte Jean-Pierre Beltoise sur sa saison argentine 1968.
Vous vous en souvenez, voici deux ans, la Temporada avait été pour lui et Matra un triomphe total, l'équipe française ayant littéralement écrasé l'opposition.

Cette année, ce fut au tour de Ferrari de manifester une nette supériorité.

Et Andrea de Adamich, dont vous voyez ci-contre l'air épuisé mais heureux à l'issue de sa victoire de Cordoba, a remporté le Championnat argentin qui marquait sa rentrée en course après son grave accident de Brands Hatch en mars 68.

Nous avons demandé à Jean-Pierre qui, s'il n'a gagné aucune course là-bas, fut constamment à la pointe du combat, quelles impressions il a retiré de cette tournée d'un mois.

(Fac similé d'un article de la revue « Champion » du 15 janvier 1969)

- Voir aussi:  Beltoise el Ganador (1)


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Champion : Quelles étaient les forces en présence ?

J.-P. B.
:
L'équipe Ferrari présentait deux Dino à moteur V6 conduites par deux pilotes italiens, Tino Brambilla, ancien champion moto et espoir presque... quadragénaire en monoplace, et Andrea de Adamich, beaucoup plus jeune, qui fut incorporé au début de la saison à l'équipe Ferrari F1. Son activité s'arrêta brutalement contre un mur à B'Hatch en mars, et il ne réapparut en F2 qu'à Vallelunga, dernière course européenne de la saison. L'écurie Winkelmann était aussi présente avec ses impeccables Brabham-Cosworth pilotées par Rindt et Rees.
Piers Courage avait également une Brabham. Tecno présentait deux voitures officielles confiées à Siffert et Regazzoni. Jackie Oliver conduisait sa Lotus, Rodriguez la Tecno de Ron Harris. Il y avait aussi Moser et Jonathan Williams (Tecno). Enfin Pescarolo et moi-même représentions Matra. A ce plateau très relevé se joignirent des pilotes argentins sélectionnés par l'Automobile Club local.

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Champion : Il y eut quatre courses. Sur quel genre de circuit ?

J.-P. B. : La première et la dernière se sont déroulées, comme d'habitude, sur l'autodrome de Buenos Aires, qui comporte la particularité de posséder un réseau de pistes autorisant neuf tracés possibles. On a d'abord couru sur le circuit n° 9 de 3,4 km, puis sur le n° 6 de 4,2 km. Sur l'un comme sur l'autre, le tracé est varié, assez rapide dans l'ensemble, absolument plat. La seconde et la troisième course se disputaient en revanche sur des circuits tout neufs: Cordoba d'abord, une piste ultra-rapide avec cinq courbes qui se passent entre 140 et 230 km/h, une sorte de petit Enna en plus difficile. San Juan ensuite, construit dans une cuvette naturelle en pleine montagne, c'est fabuleux.
A un bout, il y a une courbe très relevée, puis la moitié du circuit se parcourt tout en limite d'adhérence, en troisième-quatrième, entre 140 et 200 km/h. C'est une réalisation vraiment extraordinaire à tous points de vue, dans un paysage aride, quasi lunaire. Les spectateurs, dont beaucoup peuvent rester dans leurs voitures, surplombent la piste et voient presque tout le circuit. L'architecture (stands, tour, etc.) est futuriste. Bref, on est tout à fait dépaysé.

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Champion : Quatre courses en un mois, les Européens forment-ils colonie ?

J.-P. B. : Un peu. Nous formions un groupe avec Siffert, qui est un type très drôle, Regazzoni, aussi casse-cou à cheval (il a ramassé deux terribles « gamelles ») qu'en voiture, Rindt, Rees, Courage, Moser, à l'ineffable accent suisse, Pescarolo et moi-même. L'ambiance était merveilleuse et détendue, c'est d'ailleurs l'un des aspects les plus agréables de la Temporada. Le fameux Pepe Migliore, dont je vous avais conté les exploits en 66, nous accompagnait constamment lui aussi, ce qui nous facilitait bien· les choses, surtout pour circuler…

Champion : Pour circuler ?

J.-P. B. : Ah ! oui, parce que la circulation argentine, c'est un truc vraiment spécial ! Là-bas, tout le monde attaque à fond sur la route, dans les rues, debout sur le klaxon, et de préférence en échappement libre... Mais, en revanche, il n'y a pas de conducteurs vindicatifs. Quant à la priorité... Légalement, elle est à droite. Dans les faits, c'est plus compliqué que ça... Généralement, les carrefours sont à angle droit. Les types arrivent très vite dessus, et calculent au plus juste. J'ai établi une liste de priorité qui me semble plus conforme à la réalité.
D'abord, les Collectivos, les autobus du coin. Ensuite, par ordre décroissant: les camions, puis les taxis. Après, au plus culotté. A culot égal, priorité à droite. Enfin, et c'est vrai, celui qui hésite... ne passe jamais! L'interprétation des règlements est très souple.
Ainsi, si Pepe arrive très vite à un carrefour, qu'un agent lui fait signe de stopper, mais qu'il voit qu'il a le temps de passer, il avertit d'un grand signe du bras le policier qu'il va forcer son barrage. Et si l'agent pense qu'après tout, c'est faisable, il accepte volontiers et donne le passage! Pour ce qui est des feux rouges, des lignes jaunes, c'est pareil : s'il n'y a pas d'obstacle; on franchit, tout le monde- trouve çà naturel... Au total, la circulation est très rapide, les conducteurs sont très attentifs et conduisent vraiment. Cependant, comme le trafic est plus dense qu'il y a deux ans, il m'a semblé que « ça tapait » davantage...

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Champion : Pour toi, comment les courses se sont-elles déroulées ?

J.-P. B. : Pas très bien... En fait, nous savions avant de partir, après Vallelunga, que les Ferrari étaient au moins les égales des Matra, mais que leurs pneus Firestone leur conféraient un avantage d'environ 1" au tour sur un circuit de 3-4 km. Il m'aurait donc fallu, pour rééquilibrer les choses, un super-aileron et un super-moteur. Malheureusement, je ne pus disposer ni de l'un, ni de l'autre, faute de temps surtout. Au dernier moment, nous avons acheté un moteur à Ken Tyrell, qui se révéla hélas être un vieux rossignol... J'ai donc cassé deux moteurs aux deux séances d'essais de la première course à Buenos Aires. Après, ce fut pendant un mois, pour les mécaniciens, une interminable partie de meccano, bloc de l'un monté sur culasse de l'autre, etc.
A Buenos Aires donc, ça a ratatouillé sans arrêt, et moi je me suis arrêté je ne sais plus combien de fois: A Cordoba, j'ai encore explosé (le bloc) aux essais. Et puis, en course, ça a failli marcher. Parti en cinquième ligne, je me fais un peu décoller au départ par le groupe de tête. Mais ils se gênent un peu : la piste est en effet très large, mais seule la trajectoire adhère, en dehors, c'est plein de poussière et ça glisse comme du verglas.
Alors, devant, il y a pas mal de travers et de chaleurs à ce que je peux voir! Et en sept tours, je reviens, c'est l'euphorie... Je me vois déjà en train de les doubler les uns après les autres... En fait, je vais rester là où je suis arrivé, à dix mètres derrière... J'ai beau me défoncer, rien à faire, ce n'est pas le cœur qui me manque, mais les chevaux...
Et à San Juan, j'ai failli gagner.

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Champion : Alors, les V6 Ferrari sont plus puissants que les quatre cylindres Cosworth ?

J.-P. B. : Non, pas que les meilleurs Cosworth, comme ceux qu'avaient cette saison Rindt et Stewart par exemple. La supériorité des Ferrari tenait toute dans les pneus et, d'ici la saison prochaine, j'espère bien que Dunlop aura comblé l'écart.

Champion : Après la Temporada, Ferrari devient le grand favori en F2 pour 1969. Crois-tu que le Championnat argentin ait donné une indication certaine à cet égard ?

J.-P. B. : Tout dépendra du programme de développement suivi par les autres marques. Ainsi Matra. Nos voitures sont un peu trop lourdes, elles pèsent 456/458 kg contre 435 pour les Dino et les Brabham. Nous devons donc, si nous voulons rester dans le coup, gagner 20 kg et nous savons ce qu'il faut faire. Il suffirait déjà de monter les freins F1, et on retirerait ainsi 10 kg de poids, non suspendu par-dessus le marché. Personnellement, j'aimerais bien avoir une coque plus courte; En outre, chez nous, on n'a pas pu suivre les moteurs F2 assez méticuleusement, à cause du programme de développement du moteur F1. Et il faudrait qu'en 1969, nous puissions repartir avec des mécaniques neuves.
Enfin, il faudra procéder à des séances de mise au point méthodiques avant le début de la saison plutôt que de tâtonner dans les réglages pendant les séances d'essais officiels. Si nous y parvenons, nous serons certainement dans le coup. Autrement…

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Champion : Et les autres marques ?

J.-P. B. : Pas de soucis pour les Brabham, elles sont toujours là, les voitures-base en F2. Leur plus gros handicap sera de perdre Rindt qui conduira des Lotus, l'an prochain. Mais il faudra compter avec Courage qui ne s'arrêtera sûrement pas sur son succès de Buenos Aires, à la dernière de la Temporada. En Argentine, les Tecno ont fait bonne figure. Mais elles devront progresser. Comme les Matra, elles sont trop lourdes. En plus, elles étaient trop survireuses, et la lourdeur excessive de leur direction est un handicap certain, dans une course de plus d'une heure. Cependant, ces gens-là travaillent beaucoup, ils peuvent progresser…

Champion : Les pilotes ?

J.-P. B. : Rindt n'a gagné aucune course, mais il était quand même, à mon avis, le meilleur. Siffert a eu un peu de mal à s'habituer à la Tecno, mais à la fin, il était plus vite que Regazzoni. Celui-là, il est vraiment super-gonflé, c'est un tempérament ! Comme Brambilla d'ailleurs, qui est encore plus nerveux. Il est très adroit, quand il fait des erreurs, il se rattrape très bien, mais il en fait tout de même beaucoup, c'est le spécialiste de la trajectoire originale... Juste l'antithèse, c'est assez curieux, de De Adamich, très calme, réfléchi, posé, au style élégant et dépouillé. Andrea a gagné deux courses, terminé second et cinquième des deux autres; il a dominé, c'est incontestable. Il m'a semblé pourtant n'être pas encore tout à fait délivré du souvenir de son accident. Courage a eu beaucoup d'ennuis, mais c'est vraiment un beau pilote, et il est plus calme et régulier que par le passé. Pescarolo a été formidable à Cordoba, ce qui ne vous étonnera pas puisque sur ce circuit ultra-rapide, il fallait avoir le gros cœur ! Et puis, je dirai que Moser a bien mieux marché que le laissent supposer ses médiocres résultats.

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Champion : Les Argentins ?

J.-P. B. : Ils étaient très bons dans l'ensemble. Les meilleurs étaient Reutemann et Vianini, qui seraient dans le coup en Europe. Bordeu et Pairetti conduisaient trop « style Turismo de Carretera », genre Coupe R8G si vous voulez, ils manquent d'entraînement en monoplace. Enfin, ils attaquent tous très fort.

Champion : Pour toi, Jean-Pierre, le bilan ?

J.-P. B. : Sincèrement, je crois qu'avec un peu de chance, je pouvais gagner une course. Il m'a seulement manqué un bon moteur de chez Cosworth. La Temporada a prouvé que nous ne devions pas nous endormir, c'est normal. Il faut que nous nous réorganisions mieux, pour éviter les trop nombreux petits pépins que nous subissons. Si on y parvient, si on allège les voitures et on les met rapidement au point, nous serons dans le coup en 1969, au moins autant qu'en 1968. Les Ferrari n'ont pas une avance telle que l'on puisse les considérer comme imbattables. Seulement, nous sommes « condamnés » à évoluer: c'est la course, comme toujours.

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 - Illustrations ©DR

 - Mise en page Francis Rainaut


1 - Buenos Aires


2 - Cordoba


3 - San Juan


4 - Buenos Aires

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Commentaires

Excellent ! Merci Francis pour ces pépites...

Écrit par : Marc Ostermann | 17 février 2016

Merci, bel article qui ne nous parle pas que de Course.

Donc d'après Jean Pierre Beltoise, rien à redire sur le 1,6L des Dino 166 F2, Elles n'avait pas un 2L.

Écrit par : Bruno | 18 février 2016

Quel souvenir ! La "Temporada" sud-américaine,comme le championnat de Tasmanie,
était devenue une institution,réunissant,sur un même plateau,des pilotes professionnels
(classés comme tels par l'ex-CSI)et quantité d'amateurs "éclairés" ou fortunés !
Organisés,tous les deux,pendant la trêve hivernale,ces compétitions attiraient de
nombreuses écuries et concurrents européens.
Comment as-tu fait,Francis,pour récupérer ces excellentes vidéos ?
Merci et encore bravo. Amitiés.

Écrit par : Michel Lovaty | 18 février 2016

Les commentaires sont fermés.