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Poursuite effrénée : Grand Prix d’Espagne 1971

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Le petit monde des Grands Prix se retrouve dans le parc de Montjuïc en Espagne pour le deuxième rendez-vous de la saison de Formule 1. Mario Andretti mène le Championnat devant Jackie Stewart. L’Ecossais est à la recherche d’une première victoire au volant de sa Tyrrell Cosworth. L’Américain a lui enregistré un succès chanceux en Afrique du Sud après la défaillance de suspension subie par Denny Hulme. Ce dernier était en tête à cinq tours du drapeau à damier.

par François Coeuret

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Etat des lieux

Situé dans le cadre enchanteur des hauteurs de Barcelone, ce « Monaco espagnol » est une piste très sélective où secteurs rapides et lents se succèdent. Le circuit sillonne dans un parc majestueux, la piste défile au sein d’une architecture royale. C’est la présentation enthousiaste des lieux. Une piste piégeuse bordée des inévitables rails de protection, d’arbres, de trottoirs et réverbères, agrémentée d’une bosse peu engageante  baptisée « stadium jump » par les anglophones. Le côté anxiogène du site. Le circuit catalan tourne à l’inverse des aiguilles d’une montre et présente des différences de dénivelés conséquentes. L’ensemble fait de cette piste un rendez-vous singulier pour les pilotes qui doivent s’armer d’une belle abnégation au volant pour affronter le ruban de bitume. Immanquablement leur mécanique est mise à rude épreuve sur ce circuit. Régler pile poil son châssis est impératif sur ce terrain. Le premier Grand Prix disputé à Montjuïc en 1969 fut le théâtre de sérieux accidents desquels Graham Hill et Jochen Rindt se tirèrent miraculeusement. Leurs volumineux ailerons se disloquent au passage de la bosse (1). L’anglais en sort indemne et l’autrichien victime seulement, si l’on peut dire, d’une fracture du nez et d’un traumatisme crânien. Huit abandons sur quatorze partants illustrent la difficulté de l’épreuve, terme qualifiant au mieux cette course. En 1970 Jarama prit le relai pour assurer le Grand Prix d’Espagne.

 

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Revue des forces en présence

1971, les ailerons se font moins ostentatoires et surtout plus solides. Les Lotus (Fittipaldi-Wisell) tenantes du titre ont peu évolué et sont en difficulté en ce début de saison. Colin Chapman se concentre sur sa 56B quatre roues motrices mue par une turbine. L’évolution des 72 en pâtit. Les Ferrari ont le vent en poupe, elles ont performé lors de la première course de l’année. Ce sont les 312B de 70 qui reprennent du service car la B2 est encore insuffisamment au point. Leur régime moteur a été augmenté. La Mc Laren M19 est compétitive comme en témoigne la course de Hulme en Afrique du Sud. Les Tyrrell sont en haut du tableau, Stewart tire l’équipe vers le sommet tandis que Cevert poursuit sa progression. Les Matra sont des concurrentes sérieuses. Leur V12 a été remanié. Amon, nouvelle recrue de l’équipe française, a retrouvé un co-équipier en la personne de Jean-Pierre Beltoise qui a récupéré sa licence après le drame de Buenos Aires. La justice italienne le tient cependant encore dans le collimateur. La BRM P160 est bien née, pilotée par les rapides Siffert et Rodriguez. Les Brabham (Hill-Schenken), March (Peterson-Adamich-Soler-Roig-Pescarolo-Beuttler) et Surtees (Surtees-Stommelen) ont encore à faire leur preuve.

 

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Les essais

La hiérarchie issue des essais ne révèle pas de surprise : deux Ferrari, une Matra en première ligne puis une Tyrrell, une BRM ensuite une Matra, une Mc Laren, une Ferrari. Leurs pilotes pointent dans l’ordre : Ickx, Regazzoni, Amon- Stewart, Rodriguez- Beltoise, Gethin (Mc Laren M14A), Andretti. Les pilotes Lotus se plaignent de la tenue de route de leur monture. Quatorzième temps pour Fittipaldi et seizième pour Wisell. Des orages ont perturbé ces essais.

 

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La course

Dans le parc espagnol un beau soleil accueille les pilotes pour la course. L’horaire du départ est singulier : 11H30 (2). La grille se forme après le tour de formation, Ickx bondit en tête au baissé du drapeau devant Regazzoni et Amon. Stewart prend le sillage du trio de tête, il est décidé à ne pas s’en laisser compter. Il surprend Amon au cours de ce premier tour puis la Ferrari du Suisse en fin de tour. L’Ecossais qui attaque sans retenue se hisse ainsi en seconde position, tenant Ickx en point de mire. Le Belge ne compte qu’une demi-seconde d’avance au troisième tour. Amon s’impose à Regazzoni et commence à le lâcher progressivement. La hiérarchie s’établit, trois hommes survolent les débats. Stewart et Amon tentent de se rapprocher de leur adversaire respectif.  La 312 embarque beaucoup de carburant en ce début de Grand Prix. La course prend une nouvelle tournure quand au sixième tour Stewart  attaque  Ickx qui s’incline. C’est au tour du Belge de chasser la Tyrrell.

 

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Au trentième tour les positions se fixent : Ickx à 7 secondes, Amon à 15 secondes de la Tyrrell. L’Ecossais commence à connaître quelques soucis de survirage et de freins. Il gère son avance mais Ickx dont la voiture est stable et s’allège grignote du terrain peu à peu. Le belge redonne du piment à la course, au 58ème tour moins de 5 secondes séparent les deux pilotes. Ickx bat le record du tour et semble en mesure de contester la suprématie du leader. Un écart de 2,4 secondes est enregistré au tour 70. Dans les secteurs rapides le balai des hommes de tête entre les rails est impressionnant. Les trois pointures affirment leur art du pilotage. Si la bataille se livre à distance relative elle demeure intense dans une ambiance de résonnance qui la rend émouvante… Il reste cinq tours. Amon troisième suit mais est maintenant lâché, il ne paraît plus en mesure de lutter avec le duo de tête et semble baisser les bras. Stewart déploie tout son talent pour compenser la dégradation du comportement  de sa monoplace. Ickx fait lui tout son possible pour opérer la jonction avec le pilote écossais. Ce dernier tient bon malgré le forcing mené par son adversaire. A la faveur des doublages de pilotes attardés la Tyrrell  franchit la ligne d’arrivée avec 3,4 secondes d’avance. Jackie savoure sa victoire sur le podium en compagnie d’Ickx et Amon. Cela faisait un an qu’il n’avait pas éprouvé cette satisfaction.

La suite de sa saison sera à l’aune de cette course et se soldera par un second titre de Champion du Monde.

 

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(1) - Les fragiles ailerons haut perchés et fixés sur les bras de suspension ont vécu. Ils seront interdits par les autorités sportives dès le Grand Prix suivant à Monaco (69).

(2) - Dans l'Espagne de ces années-là, l'après-midi est traditionellement réservée aux corridas.

 


 

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Le Mans 66 : une histoire à la gomme ?

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Plein de choses ont été dites ou écrites sur le déroulement des 24 heures du Mans 1966, à commencer par les notes de Rene Fiévet sur Classic Courses, à lire et à relire sans modération.

Nous ne reviendrons donc pas sur cette dramaturgie du vainqueur déchu par Beebe et ses cols blancs, si ce n'est pour souligner l'extrême justesse de ton présente tout au long du film qui sort en ce moment.

Après l'émerveillement au cinéma, replongeons-nous dans Virage auto en 1966 et savourons ce compte-rendu qui complète utilement les à-côtés du duel Ford-Ferrari, avec comme seconds rôles des noms comme Chaparral, Porsche, Matra ou encore Alpine.

un texte de Jean Thieffry, mis en page par Francis Rainaut

le mans 66,ken miles

Prologue

Regardons attentivement cette photo illustrant la couverture de Virage auto de juin 1966. L'épilogue d'un, voire de deux drames en suspens y figure déjà (1). Le premier indice est inscrit sur le blouson d'un mécanicien Ford. Le second indice, c'est le type même de la Ford, une J-car avec laquelle Ken Miles "Teddy Teabag" allait se tuer deux mois tout juste après la fin des Vingt-Quatre Heures (2).

Récemment sorti en salle, Le Mans 66 n'est ni tendre ni très vraisemblable envers l' « Ingeniere ». Pour se racheter, il n'oublie pas de citer Lance Reventlow (3) ni de faire la part belle à Phil Remington, ingénieur en chef chez Shelby après avoir œuvré sur les Scarab.

C'est de mon point de vue un grand film, qui raconte des histoires d'« hommes » à des spectateurs et spectatrices pas seulement venu(e)s entendre parler de boulons-rondelles, d'injection électronique ni même de flaps, de T-wings ou pire encore de D.R.S.

 

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Le top gagnant: blousons GoodYear sur combis Firestone ©Getty Images

 

« La plus belle course du monde : les 24 H. du Mans

De la peine à la joie

Sur le plus glorieux podium du monde, un Américain de 48 ans, cheveux gris, les traits émaciés et tirés par la fatigue, respire le parfum d'un œillet de la gerbe qui vient de lui échapper ; la gerbe du vainqueur.
Cet Américain aux yeux tristes, c'est Ken Miles. Mc Laren venait d'être proclamé vainqueur des 24 Heures 1966. A quelques centaines de kilomètres du Mans, un vieil Italien célèbre a fermé quelques heures plus tôt la télévision. Pour lui, la course est terminée, le dernier de ses prototypes venait d'abandonner. Cet Italien illustre aux cheveux d'argent, c'est Enzo Ferrari.
Les Vingt-Quatre Heures 1966 firent deux victimes morales. Pas d'accident grave et pourtant, on pouvait s'attendre au pire, mais deux hommes sont meurtris. Ken Miles, sa carrière se termine et ce succès au Mans lui aurait été comme une entrée à l'académie pour un homme de lettres déjà comblé. Ferrari... c'est plus terrible, c'est la dixième victoire qui lui échappe, celle à laquelle il ne croyait plus, mais qu'il espérait encore. Avec lui, dans son esprit, un style a été détruit, une idée anéantie, l'Europe atteinte et déshonorée.
Loin, très loin de ces deux hommes tristes, il y avait la joie des vainqueurs. Henry Ford rassuré, n'avait pas investi en vain, il allait enfin pouvoir connaître les honneurs dus aux succès sportifs et la publicité extraordinaire qui en découle. Von Hanstein souriait à son éclatante réussite. Porsche avait anéanti tous ses adversaires en ne perdant que deux voitures sur sept. Chez Jean Redelé, le bonheur était plus intime, plus discret, il était à l'image d'une performance pleinement française de 4 petites voitures bleues, dont la préparation avait été méticuleuse.
Entre ces extrêmes, il y avait des satisfactions... celle de Marnat, qui terminait les Vingt-Quatre Heures sur la seule Marcos qui fut au départ. Il y avait des désenchantements : Matra et Bizzarrini et surtout Chaparral. Les Texans y croyaient sans doute beaucoup plus que les deux autres. Et puis, ils ne furent éliminés que sur panne de batterie. Il leur reste un goût amer d'insatisfaction, leur expérience est loin d'être concluante. Ils ne se sentent pas battus.
Et chacun envisage l'année qui se prépare, les Vingt-Quatre Heures 1967, mais peut-on sérieusement y penser déjà. Quels seront les nouveaux règlements ? Quand saura-t-on si oui ou non une participation est possible ? Tout dépend de la rapidité que mettront les pouvoirs sportifs internationaux à examiner les propositions de l'Automobile Club de l'Ouest. Faites vite, Messieurs, pour que des voitures aussi parfaites que celles que nous avons vues cette année soient au départ le 6 juin 1967 et que la foule puisse encore vibrer comme cette année au seul spectacle de la technique extraordinaire des machines et des hommes.

 

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Début de course, Ford, Ferrari, Matra, Dino-Ferrari ©Getty Images

 

Une certitude à la douzième heure

Jusque là, rien n'était dit, rien n'était fait. Le départ avait déçu les spectateurs. Etait-ce la subtilité de certains pilotes, comme Graham Hill qui, sur sa lancée d'Indianapolis, avait réussi à démarrer le premier, ou la sagesse des autres ? Le départ en tout cas fut échelonné et déjà au premier passage, une question semblait résolue : les Ford étaient les plus rapides. Les P3 et la Chaparral avaient été dominées aux essais, mais n'y avait-il pas des réserves cachées ? Non, au premier passage, quatre Ford précédaient la première Ferrari, celle de Rodriquez, suivie de la Chaparral et de la Ferrari de Scarfiotti.
La course en tête allait se dérouler pendant les premiers tours dans cet ordre. L'écart se creusait vite entre la première Ford conduite par Dan Gurney et le groupe Ferrari-Chaparral. Au 4e tour, il dépassait une minute et demie. Ken Miles, déjà lui, battait le record du tour, après un bref arrêt au stand, il rejoignait ses coéquipiers en tête. A ce moment, la puissance des Ford 7 litres s'était exprimée complètement. Connaissant Rodriguez, on savait qu'il faisait rendre à sa voiture le maximum, tirant sur les derniers chevaux, montant aux limites des tours-minute autorisés, et pourtant, il ne pouvait suivre le train d'enfer mené par les Ford. Le spectacle était de toute beauté. Déjà, on avait assisté à l'élimînation des trois Ferrari-Dino, dont aucune n'aurait pu inquiéter Jo Siffert et sa Porsche, qui se mêlait aux Ford GT40 et dominait de très loin la classe 2 litres.

 

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Le problème des pneus s'était posé à tous les concurrents, dans la demi-heure qui précédait le départ. En réalité, jusqu'à l'arrivée qui se déroula sous une pluie battante, seules des ondées de courtes durées, mais présentant la dangereuse particularité d'être locales, mouillèrent la piste par endroits. La Chaparral fut l'une des seules voitures qui changèrent de roues à la première alerte. L'opération fut longue, et si la voiture victorieuse au Nürburgring n'avait pas été contrainte à l'abandon, les 4 minutes perdues auraient sans doute pesé sur son classement final. Car le rythme imposé par les Ford se maintînt jusqu'au moment où elles n'eurent plus d'adversaires et elles auraient sans doute pu le tenir jusqu'au bout. A la 7e heure, Rodriguez-Ginther, à la faveur des ravitaillements et d'une très belle contre-attaque, s'étaient portés à la seconde place derrière Miles-Hulme qui avaient pris la tête. Mais après 8 heures de course, deux minutes séparaient à nouveau Miles et Gurney en tête de la Ferrari de Rodriguez-Ginther.

Les positions étaient les suivantes : Ford 1, Ford 3, à 2 minutes Ferrari 27, puis la Ford des futurs vainqueurs Mc Laren-Amon à un tour, suivie elle-même de trois Ferrari, celle de Parkes-Scarfiotti, à 3 tours, celle de Mairesse-Müller en 6e position à 4 tours et celle de Bandini-Guichet à 5 tours. On le voit, les positions étaient fermement établies, si Ford était nettement détaché, rien n'était fait. Des hommes aussi habiles et expérimentés que Parkes, Mairesse, Guichet et leurs coéquipiers étaient tous bien placés et prêts à profiter de la moindre défaillance des Ford. Rodriguez menaçait-il vraiment les deux Ford de tête ? Tout est là. Ce sont celles qui terminèrent la course dans un état de fraîcheur remarquable, aux deux premières places. Il semble donc certain qu'elles n'étaient pas à la limite de leurs possibilités et qu'elles auraient pu améliorer encore le record du tour.
Nous n'avons rien dit des Ford GT40. Eliminées par la suite, elles étaient à la 23e heure en excellente position, Scott-Revson en 8e position et Ickx-Neerpasch en 9e, à 6 tours seulement des voitures de tête.

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Une triplette de Matra venues en observation. JLL derrière la #41

 

Les ennuis des Matra avaient commencé, celle de Jaussaud-Pescarolo avait été contrainte à l'abandon, en raison d'une fuite d'huile. Schlesser fut victime de l'un des deux accidents qui survinrent et Beltoise-Servoz cassèrent leur boîte après avoir été privés d'embrayage.
Deux accidents : le premier dans les Hunaudières, à 20 heures 30, une fumée s'était élevée, nous nous trouvions à Mulsanne à ce moment. On pouvait craindre le pire. Heureusement, des débris de la CD conduite par Ogier et de l'ASA de Pasquier, on pouvait dégager rapidement Ogier, qui souffre de fractures aux bras. Pasquier est indemne. C'est un peu après l'abandon de la Chaparral que les feux oranges s'allumèrent au bout des stands. Le journal des 24 Heures annonça plus tard : « 23 h 46, télescopage dans les « S » du tertre rouge, les voitures 20 - 43 - 56, les pilotes sont indemnes », La Ferrari n° 20 était pilotée par Scarfiotti. C'était la voiture que devait conduire John Surtees, l'un des deux P3 de la SEFAC. Un coup dur pour Ferrari.

Lorsque la P3 de Rodriguez-Ginther abandonna, boîte de vitesses cassée, le suspense était terminé, la course était jouée. Ford ne pouvait plus perdre. En deux litres, Porsche restait seul en course avec toutes ses voitures et Alpine dominait la troisième partie du classement.

 

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La fin des Ferrari et de la course

Restaient en piste, sur les 13 Ferrari engagées, les deux GT qui se classèrent 8e et 10e, la dernière P3 de Bandini-Guichet, la P2 de Mairesse-Müller, celle de Beurlys-Dumay et enfin la LM de Gosselin-de Keyn.
Les deux dernières avaient accumulé les arrêts au stand depuis le début de la course. Accablée par la malchance, l'écurie belge avait perdu le moral et le matin, les deux voitures jaunes devaient abandonner. Bandini-Guichet quittèrent la course presqu'en même temps que Mairesse-Müller, qui étaient très bien classés au moment de leur abandon. Pour la Ferrari P2 de l'écurie Filipinetti, la 3e vitesse restait calée. Décidément, ce sont les boîtes de vitesses qui auront décimé les Ferrari.
Les voitures italiennes disparues, que restait-il à attendre de la course ? Rien sur le plan du combat.
Nous admirions les magnifiques vainqueurs, satisfaits d'avoir réalisé un bon tiercé dans notre numéro de juin, mais regrettant l'abandon trop rapide de la Chaparral et l'échec si lourd des Ferrari. Quel intérêt la course n'aurait-elle pas eu jusqu'au bout si, entre les Ford, on avait trouvé des P3. Elles pouvaient inquiéter leurs rivales, mais il aurait fallu que trois conditions soient réalisées : qu'il y en ait eu quatre bien préparées, soutenues par 4 P2 tout aussi vaillantes, que Ferrari n'ait pas dispersé ses efforts en engageant trois Dino et que John Surtees soit resté dans la course et avec lui un esprit d'équipe et un moral qui ne semblait pas des meilleurs chez Ferrari.
Surtees vainqueur à Monza, à Syracuse et à Spa a été heurté par la décision de M. Dragoni d'adjoindre à son équipage un pilote de réserve. Est-ce une raison suffisante ? Les divergences de vues entre Surtees et Ferrari n'ont-elles pas une origine plus lointaine ? Si le champion anglais quitte l'équipe italienne, celle-ci perdra un de ses meilleurs atouts.

 

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Faisons le point

En revoyant l'ensemble des courses de prototypes de cette saison :

-          Le Mans devient en quelque sorte un championnat du monde, une course qu'il faut gagner, quitte à s'abstenir ailleurs.

-          Ford a gagné quand il le voulait : Daytona, Sebring et Le Mans.

-          Ferrari a profité de l'absence des Ford à Monza et à Francorchamps.

-          La Chaparral reste une extraordinaire voiture, capable de vaincre, elle l'a prouvé eu Nürburgring, mais que pouvait-elle au Mans en solitaire ?

-          La bataille est finie... l'avenir est à l'Automobile Club de l'Ouest. Quelle lourde responsabilité !

Henri Ford II disposait de la puissance financière et de moyens techniques extraordinaires. Carroll Shelby, ancien vainqueur des 24 Heures avait la passion de la course. La rencontre de ces deux hommes a provoqué la victoire du deuxième constructeur mondial dans la plus grande course du monde.
Pour le sport automobile, c'est une nouvelle ère qui s'ouvre. Déjà sacré le plus populaire des U.S.A., il prend aux yeux du public européen une importance particulière.
C'est un constructeur de voitures de série qui s'impose, ce n'est plus un mystérieux homme illustre et inaccessible, dont les voitures ne peuvent être acquises qu'à prix d'or. Ferrari, c'était l'automobile, sport d'une élite. Ford, c'est une sociologie nouvelle.


Tous les records ont été battus :

Ford à la distance : 4.843 km 160.
                 contre : 4.695 km 310.
Ford sur un tour par Gurney : 230,102 km/h.


Après la 12e heure, le suspense était terminé. Ferrari ne pouvait plus gagner. Premières de bout en bout, les Ford n'ont jamais été sérieusement inquiétées par les prototypes P3 et P2 de Ferrari. »

Jean Thieffry.

 

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Epilogue

Le 17 août 1966, sur le circuit de Riverside, Ken Miles allait se tuer en essayant la dernière évolution de la Ford J, celle qui deviendra la Ford Mk IV.

Après une ultime tentative en 1967, on ne reverra plus de Chaparral en championnat du monde.

Après son triomphe de 66 au Mans, Ford allait récidiver en 67 avec cette fois un équipage 100% U.S. S'en suivront deux victoires « bonus » en 68 et 69 des GT40 « Wyer ». Ferrari, elle, n'allait plus jamais goûter la saveur du champagne dans la Sarthe.

Chris Amon aura l'occasion de conduire sur ce circuit des prototypes Ferrari et Matra. Mais il n'aura plus jamais la « vista » au Mans, ne dépassant pas le 1er tour en 69 sur la Ferrari 312P.

Sa maladie de cœur a eu raison de Caroll Shelby. Il nous a quitté en mai 2012.

 

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(1) - L'équipage McLaren - Amon était sous contrat avec Firestone (rappelez-vous du casque de Chris). Ils ont été considérablement ralentis en début de course en raison de leur monte pneumatique. Ils décidèrent ensuite de chausser des Goodyear et de foncer comme des damnés. Si les "administratifs" de la Ford Motor Company s'en étaient mêlés, s'en étaient finies des chances des Kiwis,... ou comment réécrire l'histoire.

(2) - Un autre pilote de développement Ford, Walt Hangsen, s'est également tué en 1966 au volant d'une MkII, au mois d'avril.

(3) - Tout comme Phil Remington mais dans une moindre mesure, Ken Miles a participé à l'aventure Scarab. Anglais d'origine, Miles a débarqué en Californie au début des années 50' avec sa jeune famille après avoir conduit des chars britanniques pendant la guerre. Après avoir fait ses armes sur des MG et de Porsche, il devient "test driver" chez Sunbeam, avant de rejoindre Lance Reventlow ses Scarab. Le même Reventlow qui cédera ses locaux à Caroll Shelby au moment où il changera d'activités.

 

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- Images ©DR

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20 novembre 2019 | Lien permanent | Commentaires (5)

Sebring 1970 : victoire non contestée

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 Au bout des 12 Heures que comptait la course Mario Andretti associé à Vaccarella-Giunti sur la Ferrari 512S reçoit le drapeau à damier en vainqueur. Vingt-deux secondes plus tard  la Porsche 908/2 de Revson - McQueen  franchit la ligne. L’acteur américain réalise une belle performance compte tenu du handicap représenté par un pied plâtré à la suite d’une chute en moto. Son pilotage a bien sûr été perturbé pour l’occasion. Son équipier a compensé en pilotant durant huit heures au cours de l’épreuve.

Vingt-deux secondes d’écart à l’issue d’une course d’endurance de 12 heures on a déjà vu mieux. Au Mans notamment en 1933 ou 1969…

Mais un doute planerait-il sur ce classement ? Steve McQueen et Peter Revson auraient-ils été dépossédés de leur victoire ?

François Coeuret

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Louis Galanos est un grand amateur de sport automobile. Il a officié quelques années en tant que commissaire de piste sur les circuits de Daytona et Sebring. Louis a raconté sur internet nombre de courses auxquelles il a assisté. Il a illustré celles-ci par les nombreuses photos qu’il a commises sur les lieux de son job.

Racing’ Memories a d’ailleurs publié un de ses reportages  sur les 24H de Daytona 1969. Suite à son article sur les 12H de Sebring 1970 il a reçu un post. En avril 2009 cette missive lui fut envoyée par John Bradley de Washington. Ce dernier vivait en Floride dans les années 70. Il était présent sur le circuit de Sebring car chronométreur agrée par le Sports Car Club of America. En somme un collègue de Louis Galanos qui lui travaillait en bord de piste. John était l’ami d’un pilote qui courait sur une Camaro Z28 lors de cette épreuve. Ce dernier occupé au contrôle médical du circuit avait demandé à John d’amener sa voiture aux vérifications techniques. Elle se trouva sur la file derrière la Porsche de Steve Mc Queen. Il discuta lors de l’attente avec le célèbre acteur. De fil en aiguille Steve précisa à John que l’équipe Solar engageant sa Porsche cherchait justement un chronométreur chargé de suivre le tour par tour. Durant les essais Bradley fut autorisé à chronométrer dans le stand Porsche Solar. Pour la course il faisait le va et vient entre la direction de course et le stand.

 

 

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John Bradley écrit que selon ses observations du suivi le la voiture de Revson-McQueen cette dernière a devancé en fait la Ferrari 512S d’un peu moins d’un tour…

Au cours de l’épreuve la Porsche 917 leader de Rodriguez-Kinnunen-Siffert perd du temps au stand sur un bris de suspension installant la Porsche 908/2 en tête. Les Ferrari sont en proie à de nombreux problèmes notamment de roulement qui retardent leur progression. Celle de Vaccarella-Giunti alors seconde est la seule rescapée de la Scuderia. En fin de course Mauro Forghieri demande à Andretti de piloter la voiture de Vaccarella-Giunti. L’Italo-américain remonte et passe la Porsche 908, prend une avance virtuelle de vingt-deux secondes, il reçoit le drapeau à damier en premier à l’issue des douze heures de course au grand étonnement de Bradley. D’après ce dernier la Ferrari en passant la Porsche était simplement revenue dans le même tour que l’équipage américain mais derrière lui.

 

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La Ferrari 512S #21 déclarée victorieuse de Vaccarella-Giunti-Andretti 

 

Alors que la cérémonie de victoire se précisait, John Bradley et l’équipe Solar demandèrent à McQueen s’il souhaitait porter réclamation auprès des organisateurs. L’acteur fit la moue et déclina la proposition. « Je me suis bien amusé, nous avons gagné notre classe, restons-en là ». McQueen d’après John ne voulait pas créer l’agitation et laisser considérer au public qu’on avait fait une faveur à une star de cinéma gâtée.

Dont acte, l’erreur est humaine (dans les deux sens bien entendu) et chaque lecteur pourra réagir à sa façon face à cette révélation.

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- Illustrations ©TheCahierArchive, Louis Galanos, D.R.

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07 août 2020 | Lien permanent | Commentaires (5)

Mano a mano

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Sur le podium les deux pilotes européens quittés par leur collègue néo-zélandais prolongent la cérémonie. Ils décompressent après un âpre combat. Celui-ci a duré tout au long des cinquante tours que comptait la course...

par François Coeuret

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En ce début des seventies le circuit du Nürburgring est contesté par l’Association des pilotes de Grands Prix. Après une inspection, c’est au cours du Grand Prix de France que Jochen Rindt présenta à ses pairs un rapport alarmant. Les travaux destinés à améliorer la sécurité sur la célèbre boucle de 22 kilomètres ne pouvaient être réalisés pour le 2 août 1970. Le rendez-vous allemand est délaissé au profit d’une piste plus sûre située dans le Bade-Wurtemberg. Le circuit d’Hockenheim a été validé par le GPDA. Ce dernier a reçu des modifications significatives pour l’époque depuis l’accident tragique de Jim Clark. Deux chicanes ont été aménagées dans les lignes droites et la piste a été bordée de rails. Aux secteurs très rapides de la forêt s’oppose la partie stadium et ses enchaînements serrés. Les pilotes sont confrontés à un choix de réglages cornélien, un compromis peu évident à trouver.

 

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Le point et les essais

L’autrichien Jochen Rindt est en tête du Championnat avec onze points d’avance sur Jack Brabham. Il vient d’enregistrer trois victoires d’affilée. Son enthousiasme est cependant modéré par la relation qu’il entretient avec le patron de Lotus. Sa confiance s’est amenuisée. La raison de cette retenue se nomme Lotus 72. Si la monoplace de Colin Chapman se situe parmi les plus rapides du lot, Rindt juge sa fiabilité précaire aussi bien dans le sens mécanique qu’au niveau sécurité. Chapman n’a d’yeux que pour sa belle création et néglige les arguments de son pilote.

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Jack Brabham a joué de malchance à Monaco comme en Angleterre, ce dont a profité le jeune autrichien qui a le vent en poupe. Sur la piste d’Hockenheim, « Black Jack » a réalisé le douzième temps des qualifications loin derrière Jacky Ickx qui a coiffé de justesse la Lotus de Rindt en s’adjugeant la pole position. Comme son équipier, Regazzoni a exploité la puissance du 12 cylindres de Maranello et obtient le troisième temps. Suivent Siffert (March), Pescarolo (Matra), Amon (March), Stewart (March) puis Rodriguez (BRM), Andretti (March) et Miles (Lotus) qui bouclent le « top ten ».

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La course

Une belle chaleur continentale enveloppe un stadium bondé au baissé du drapeau. Siffert, parti comme une fusée, bondit en tête suivi de Ickx et Rindt avec le reste de la meute des 21 monoplaces. Ickx déborde virilement le Suisse au premier freinage. Il prend la tête. Rindt lui fait subir le même sort dans l’ Ost-kurve. Regazzoni double aussi Siffert au second tour et prend le sillage des deux leaders. L’aspiration joue encore un petit rôle dans les deux lignes droites malgré les chicanes qui cassent l’élan des monoplaces. Rindt se fait pressant derrière la Ferrari de Ickx. Au septième tour il passe le Belge qui est pénalisé face à l’Autrichien par sa quantité de carburant embarqué. Dans la manœuvre Regazzoni reprend la seconde place à son équipier mais Ickx récupère vite sa place.

jochen rindt,hockenheim

Dixième tour Rindt se fait surprendre dans le Stadium et cède le commandement à la Ferrari. Les trois premières monoplaces suivies par Amon sont roues dans roues et les pilotes jouent aux chaises musicales. Regazzoni s’impose furtivement face à Rindt qui rétablit rapidement la situation. Même si les phases de doublage ont lieu la plupart du temps dans les lignes droites à l’approche des chicanes ou dans la longue courbe au fond du circuit les spectateurs n’ont pas le temps de s’ennuyer. Quand les voitures entrent dans le stadium il faut souvent réviser le classement !

Tour 18 : Rindt retrouve la première place au petit jeu de l’aspiration.

Tour 20 : Rindt, Ickx et Regazzoni sont toujours roues dans roues, la bataille fait rage. Du beau spectacle ! Le Suisse va alors surprendre Ickx puis Rindt. Emporté par son enthousiasme Rega va commettre une légère faute qu’il paye cash : Rindt et Ickx repassent !

Tour 26 : Ickx prend le meilleur sur la Lotus 72 dans Ost-kurve et récupère la première place. Au tour 31 son équipier part en tête à queue au fond du circuit, sa transmission cède au moment de reprendre la piste.

Tour 32 : Rindt attaque Ickx à l'aspiration et reprend une nouvelle fois la tête.

Tour 35 : Amon qui était venu chatouiller les deux hommes de tête stoppe soudainement son élan moteur cassé.

Tour 36 : les spectateurs s’agitent dans le stadium : Ickx vient de doubler la Lotus 72 ! Il résiste jusqu’au tour 42. La Ferrari domine sur les parties sinueuses tandis que la Lotus se rapproche dans les secteurs rapides.

Tours 44/45 : Rindt passe puis se fait à nouveau doubler ! Il reste 5 tours tout peut encore changer d’ici le drapeau à damier. Pescarolo en quatrième position  réalise une belle course mais perd l’usage de son 5e rapport, Hulme futur troisième le passe.

Tour 47 : Rindt est dans les échappements de la Ferrari et exerce une énorme pression à laquelle Ickx ploie. Mais ce dernier à l’approche d’une chicane reprend ses droits au tour 48 ! Le public dans le stadium ne doit pas en revenir !

Tour 49 : tournant de la course; le pilote Lotus qui s’était tout de suite collé derrière la Ferrari après s’être incliné réussit à déborder Ickx. Le suspense est à son comble ! Rindt va garder de justesse l’avantage jusqu’au drapeau à damier : sept dixièmes d’avance. Le public exulte ! Les deux hommes ont fait oublier tout le monde. Hulme termine troisième à plus d’une minute du vainqueur. Sept pilotes seulement terminent la course et autant de moteurs ont rendu l’âme lors de ce Grand Prix.

 

jochen rindt,hockenheim

 

Après ce vibrant spectacle le podium fait retomber la tension pour tout le monde ! Le drame veille malheureusement chez Lotus. Rindt abandonnera sur casse moteur à domicile en Autriche lors du Grand Prix suivant. Ce sera sa dernière course.


 

N.B. en écrivant cette note grâce à l’aide de l’excellent site « Statsf1 » qui publie les tour par tour de nombreux Grands Prix, je prends conscience qu’à cette époque et dans mes rêves d’adolescent, c’est à cette course que j’aurais voulu entre toutes assister.

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   - Illustrations ©D.R.

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18 juin 2019 | Lien permanent | Commentaires (3)

Chienlit à Mexico City

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Au volant de sa Tyrrell Jackie boucle son trente-quatrième tour lorsqu’à la sortie d’un virage son regard se fixe sur le chien qui traverse le tarmac. En une fraction de seconde la trajectoire de la monoplace et celle de l’animal se croisent. Le choc est violent et l’écossais perd le contrôle de sa F1 dont un demi-train avant est détruit…

par François Coeuret

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La sortie de Stewart se réduit heureusement à une belle frayeur. Elle n’a pas de conséquence physique mais sous son crâne ça doit bouillonner ! Il s’extirpe de son cockpit et ôte son casque. Le pilote secoue la tête de droite à gauche et enrage : « Il fallait que ça se termine comme cela dans ce foutoir ! »*.

Jackie Stewart a eu de la chance mais pas l’animal... Une course hors normes. Comment imaginer les spectateurs debout, assis ou couchés à quelques mètres de la trajectoire des pilotes. Ce depuis le baissé du drapeau. Il y a de quoi frissonner encore en pensant à ceux qui ont parfois traversé la piste sans prendre conscience des risques qu’ils encouraient.

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Ambiance

Le Prince de Metternich-Winneburg vient d’être élu Président de la CSI au congrès annuel de Paris après la démission de Maurice Baumgarten. En cette triste fin de saison 1970 le dernier Grand Prix de la saison est une course pratiquement sans enjeu. Les attributions au Championnat de la seconde place des pilotes comme celle des constructeurs peuvent encore porter un peu d’intérêt à l’épreuve mais le cœur n’y est plus.

Jochen Rindt sera officialisé Champion du Monde à titre posthume à l’issue du Grand Prix du Mexique. Emerson Fittipaldi a remporté son premier Grand Prix aux USA trois semaines auparavant tandis que Jack Brabham a annoncé que le Grand Prix de Mexico serait son dernier.

 

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Les essais

Bataille entre les Ferrari très rapides en cette fin de saison et la Tyrrell de Stewart. Ickx domine les premiers essais mais Regazzoni réalise la pole position, première de sa carrière en F1. Stewart suit devançant la Ferrari de Jacky Ickx. Brabham n’est pas démobilisé. Il signe le quatrième chrono devant Amon et Beltoise, futurs équipiers l’année prochaine.

 

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La course

Ce dimanche 25 octobre la foule afflue sur l’autodrome Hermanos Rodríguez, près de deux cent mille spectateurs. Autour du circuit, l’enthousiasme de ces derniers est débordant. Les organisateurs constatent que les grillages sont endommagés ou qu’ils ont été franchis pour approcher la piste au-delà des rails de sécurité, notamment dans certains secteurs dangereux. Les mexicains sont passionnés et comptent ne pas perdre une miette du spectacle ! Au mépris d’évidentes précautions concernant le danger quantité de spectateurs stationnent en bordure de piste et batifolent même sur le bitume. Après des annonces micro qui restent infructueuses, les organisateurs font intervenir la police. Débordée, elle n’arrive pas toujours à faire reculer la foule. Stewart et Rodriguez vont même se déplacer sur les zones pour  exhorter les mexicains récalcitrants.  Sous la pression des pilotes les organisateurs songent à annuler l’épreuve mais craignent en représailles l’émeute et la violence. Finalement la piste est tant bien que mal dégagée.

 

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Le départ est donc  donné avec retard dans une ambiance électrique. Lors de cette course les pilotes vont évoluer sur une piste bordée d’une ceinture humaine. Une situation chaotique, totalement inimaginable.

Regazzoni part en tête tandis que Ickx déborde Stewart furtif second. Ickx attaque son équipier qui cède. Stewart va aussi doubler le Suisse et coller la Ferrari du Belge. Au quatorzième tour l’écossais sent sa voiture se dérober et stoppe au stand. Les mécanos interviennent sur la direction et Stewart reprend la piste. Alors que le pilote Tyrrell tente de remonter, II heurte le gros chien qui errait sur la piste. Ickx est maintenant confortablement installé en tête. Il compte dix secondes d’avance  sur son équipier à partir du 25ème  tour, ce dernier  bien établi à la seconde place.

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Tandis que Jacky Ickx augmente régulièrement son avance, Brabham troisième, encore une fois malchanceux, va devoir renoncer sur casse moteur. Hulme hérite de la troisième place. Ces positions ne vont pas changer jusqu’à l’arrivée. Seul Amon passe la Matra de Beltoise à douze tours du drapeau à damier. Les deux hommes terminent quatrième et cinquième  La fin de course approche et le public est de plus en plus remonté. Dernier tour, lorsque Jacky Ickx sort de la Parabolique avant la ligne il voit au loin du monde sur la piste. Soudain  un groupe de spectateurs s’apprête à traverser devant lui l’obligeant à freiner en catastrophe et bifurquer vers les stands pour s’y réfugier. Sa Ferrari est alors entourée par la foule survoltée. Les autres concurrents franchissent la ligne d’arrivée au pas. La CSI tirera les enseignements de ce weekend. Il faudra attendre 1986 pour revoir les F1 à Mexico.

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Epilogue

Ainsi s’achève dans la pagaille une saison plombée par les disparitions de Bruce McLaren, Piers Courage et Jochen Rindt (de même que beaucoup d’autres toutes disciplines confondues). Stewart accroîtra son action dans  le domaine  de la sécurité, les exigences des pilotes augmenteront. La Formule 1 va dès lors prospérer dynamisée par le sponsoring. Celui-ci va permettre aux  « petites » écuries de pérenniser leur engagement  grâce à la fourniture de l’incontournable  V8 Ford Cosworth.   

(*) Geste et pensée extrapolés par l’auteur, probablement assez proches du ressenti du pilote après sa sortie.

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- Photos ©D.R.


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02 octobre 2019 | Lien permanent | Commentaires (2)

Victoire de l’aigle. GP de Belgique 1967

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L’ex G.I. engagé dans la guerre de Corée se passionne à son retour au pays pour la conduite sportive. Il est né à Port Jefferson (Long Island) aux US. Son aisance au volant est remarquée par Luigi Chinetti qui lui confie le volant de Ferrari sport. L’ « Ingeniere » lui donne ensuite sa chance en F1. Dan va devenir une valeur sûre pour les écuries de Formule 1. L’homme n’était pas dénué d’esprit d’entreprise. A l’instar de quelques pilotes il se lança dans la construction de monoplaces. Celles-ci portaient naturellement le nom du symbole des Etats Unis.

par François Coeuret

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Le challenge Gurney

L’aventure commence en 1966. Dan Gurney qui lie une carrière aux USA à une autre en Europe courut en F1 pour Ferrari, BRM, Porsche puis Brabham. Il a offert à Porsche et Brabham leur premier succès en Formule 1. A l’aube de la saison F1 66 il n’affiche que trois victoires à son compteur. Mais Clark le considère comme son plus dangereux adversaire. A l’issue de la saison 65, il quitte l’écurie Brabham pour emboîter le pas de son ancien employeur et celui de Bruce Mc Laren. Créer une équipe de Formule 1.

Gurney s’est lancé dans la construction d’une monoplace baptisée Eagle. Elle est conçue par Len Terry. Cette monopace est destinée à courir sur deux fronts. Aux US en formule USAC (MK2) avec un bloc V8 Ford et en Formule 1 (MK1) équipée d’un V12. En attendant le Weslake 3 litres commandé par Gurney et conçu par Aubrey Woods, transfuge de BRM, la MK1 est équipée d’un moteur Climax 2.8L 4 cylindres. Une mécanique qui n’est pas parmi les plus puissantes. Elle assurera le début de saison 66. La voiture équipée du propulseur initial sera prête pour le Grand Prix d’Italie.

Cette première saison sera difficile, 4 points glanés et une douzième place au classement pilotes du Championnat du monde. Si le châssis Eagle est bien né, Gurney a été confronté au manque de fiabilité mécanique de sa monture. Le V12 souffre d ‘un problème de jeunesse, la récupération d’huile est déficiente, il se « noie » et perd de la puissance. Weslake doit revoir sa copie.

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Un but atteint

Début janvier 67 Gurney utilise le Climax en Afrique du Sud où il abandonne à la suite d’un problème de suspension. Le V12 Weslake remanié est prêt pour la Course des Champions le 12 mars ( hors Championnat ). Gurney l’étrenne par une victoire de bon augure pour la suite de la saison. Mais à Monaco, l’Américain renonce en début de course sur rupture de pompe à essence. A Zandvoort c’est un souci d’alimentation qui ruine encore la course de Dan parti en première ligne, deuxième temps des essais. Consolation royale, le 11 juin il triomphe au Mans associé à Foyt sur la Ford MK IV.

 

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Spa-Francorchamps

A l’aube du Grand Prix de Belgique disputé à Spa, Hulme sur sa Brabham est en tête du Championnat devant Rodriguez, Clark, Brabham, Amon au volant respectivement d’une Cooper, Lotus, Brabham, Ferrari.

Le châssis Eagle se comporte à merveille, le V12 Weslake à la sonorité envoûtante tourne enfin rond. Il reste à couvrir la distance d’un Grand Prix de Championnat du Monde. Le circuit de Spa est un des points d’orgue de la saison. Les essais sont dominés par la Lotus 49 de Clark qui réalise une pole exceptionnelle en 3’28’’1. Dan Gurney se positionne en outsider à trois secondes de l’Ecossais. Il domine Hill troisième temps des essais au volant de la deuxième Lotus.

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Une journée ensoleillée est prévue pour la course ce 18 juin. Clark bondit en tête au départ tandis que Hill reste sur la grille pour un problème de batterie. Gurney s’élance moyennement. Stewart au volant de la BRM H16 double Rindt et part chasser Clark. Dan double Rindt et Amon lors du deuxième tour et occupe ainsi la troisième position. Les trois hommes commencent alors à asseoir leur domination. Clark réalise un début de course fantastique mais au treizième tour son élan est brutalement coupé. Son Cosworth tourne sur sept cylindres. Il passe par les box, une bougie est cassée. L’écossais perd du temps et repart en huitième position. Stewart prend le relai en tête mais pour huit tours. Gurney remonte régulièrement sur la BRM. En fait Stewart est en délicatesse avec sa tringlerie de boîte qui saute, il doit maintenir son levier. Gurney fond sur sa proie comme le ( tel un ) pygargue. Il passe en tête au 21ème tour et s’envole. Parkes est sorti violemment, sa voiture s’est retournée, il est victime de fractures. Stewart poursuit malgré son problème alors que Clark qui tentait de remonter est maintenant en proie à des soucis d’embrayage. Gurney a battu le record du tour pendant sa remontée sur Stewart. Le pilote américain passe le drapeau à damier avec un peu plus d’une minute d’avance sur la BRM. Le Team Eagle triomphe. Gurney est radieux, autant pour son équipe que pour lui. Il sait que sa victoire, somme toute chanceuse, est aussi le fruit du travail effectué par l’ensemble des membres de son écurie ( Voir L'étoffe d'un héros dans Racing’ Memories ).

 

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La suite de la saison sera moins favorable. Gurney monte une fois encore sur le podium, une troisième place au Canada mais il est victime d’abandons à répétition sur problèmes mécaniques lors des autres courses. L’Américain termine huitième du Championnat.

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L’aigle retourne au nid

En 68 Gurney poursuit en F1 mais les performances de son Eagle sont en baisse. En manque de budget pour faire évoluer sa voiture il finira la saison sur une Mc Laren. On le retrouvera en 70 lorsqu’il reprendra le volant d’une Mc Laren F 1 pour quelques courses après la disparition de Bruce. A partir de 1969 Dan Gurney se consacre aux courses américaines, Nascar ( Ford-Chrysler ), CanAm avec une Mc Laren , USAC avec ses Eagle. Ces dernières triomphent à trois reprises lors des 500 Miles d’Indianapolis, en 68 ( B. Unser-champion ), 73 ( G. Johncock ) et 75 ( B. Unser ). Bobby Unser est champion en 1974. Si Dan remporte plusieurs victoires en USAC il échoue très près du but sur le speedway d’ Indy, second en 68, également en 69 puis troisième en 70. Il raccroche alors son casque et se consacre à la direction de son écurie. Après le Championnat USAC, le CART ainsi que la catégorie IMSA où son équipe se distingue. Son retour en Indy Car en 1996, 1998 et 1999 se solde par de faibles résultats. AAR (All American Racers) réduit ensuite son activité. La structure dirigée par son fils participa au projet « Delta Wing » concrétisé lors des 24H du Mans 2012. Le pilote constructeur s’est éteint en janvier 2018 à l’âge de 86 ans.

 

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- Photos ©D.R.


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28 août 2019 | Lien permanent

JPB: Mi Temporada 1968 en Argentina

MI  TEMPO

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MI  RADA...

... C'est à peu près le jugement que porte Jean-Pierre Beltoise sur sa saison argentine 1968.
Vous vous en souvenez, voici deux ans, la Temporada avait été pour lui et Matra un triomphe total, l'équipe française ayant littéralement écrasé l'opposition.

Cette année, ce fut au tour de Ferrari de manifester une nette supériorité.

Et Andrea de Adamich, dont vous voyez ci-contre l'air épuisé mais heureux à l'issue de sa victoire de Cordoba, a remporté le Championnat argentin qui marquait sa rentrée en course après son grave accident de Brands Hatch en mars 68.

Nous avons demandé à Jean-Pierre qui, s'il n'a gagné aucune course là-bas, fut constamment à la pointe du combat, quelles impressions il a retiré de cette tournée d'un mois.

(Fac similé d'un article de la revue « Champion » du 15 janvier 1969)

- Voir aussi:  Beltoise el Ganador (1)

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Champion : Quelles étaient les forces en présence ?

J.-P. B.
:
L'équipe Ferrari présentait deux Dino à moteur V6 conduites par deux pilotes italiens, Tino Brambilla, ancien champion moto et espoir presque... quadragénaire en monoplace, et Andrea de Adamich, beaucoup plus jeune, qui fut incorporé au début de la saison à l'équipe Ferrari F1. Son activité s'arrêta brutalement contre un mur à B'Hatch en mars, et il ne réapparut en F2 qu'à Vallelunga, dernière course européenne de la saison. L'écurie Winkelmann était aussi présente avec ses impeccables Brabham-Cosworth pilotées par Rindt et Rees.
Piers Courage avait également une Brabham. Tecno présentait deux voitures officielles confiées à Siffert et Regazzoni. Jackie Oliver conduisait sa Lotus, Rodriguez la Tecno de Ron Harris. Il y avait aussi Moser et Jonathan Williams (Tecno). Enfin Pescarolo et moi-même représentions Matra. A ce plateau très relevé se joignirent des pilotes argentins sélectionnés par l'Automobile Club local.

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Champion : Il y eut quatre courses. Sur quel genre de circuit ?

J.-P. B. : La première et la dernière se sont déroulées, comme d'habitude, sur l'autodrome de Buenos Aires, qui comporte la particularité de posséder un réseau de pistes autorisant neuf tracés possibles. On a d'abord couru sur le circuit n° 9 de 3,4 km, puis sur le n° 6 de 4,2 km. Sur l'un comme sur l'autre, le tracé est varié, assez rapide dans l'ensemble, absolument plat. La seconde et la troisième course se disputaient en revanche sur des circuits tout neufs: Cordoba d'abord, une piste ultra-rapide avec cinq courbes qui se passent entre 140 et 230 km/h, une sorte de petit Enna en plus difficile. San Juan ensuite, construit dans une cuvette naturelle en pleine montagne, c'est fabuleux.
A un bout, il y a une courbe très relevée, puis la moitié du circuit se parcourt tout en limite d'adhérence, en troisième-quatrième, entre 140 et 200 km/h. C'est une réalisation vraiment extraordinaire à tous points de vue, dans un paysage aride, quasi lunaire. Les spectateurs, dont beaucoup peuvent rester dans leurs voitures, surplombent la piste et voient presque tout le circuit. L'architecture (stands, tour, etc.) est futuriste. Bref, on est tout à fait dépaysé.

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Champion : Quatre courses en un mois, les Européens forment-ils colonie ?

J.-P. B. : Un peu. Nous formions un groupe avec Siffert, qui est un type très drôle, Regazzoni, aussi casse-cou à cheval (il a ramassé deux terribles « gamelles ») qu'en voiture, Rindt, Rees, Courage, Moser, à l'ineffable accent suisse, Pescarolo et moi-même. L'ambiance était merveilleuse et détendue, c'est d'ailleurs l'un des aspects les plus agréables de la Temporada. Le fameux Pepe Migliore, dont je vous avais conté les exploits en 66, nous accompagnait constamment lui aussi, ce qui nous facilitait bien· les choses, surtout pour circuler…

Champion : Pour circuler ?

J.-P. B. : Ah ! oui, parce que la circulation argentine, c'est un truc vraiment spécial ! Là-bas, tout le monde attaque à fond sur la route, dans les rues, debout sur le klaxon, et de préférence en échappement libre... Mais, en revanche, il n'y a pas de conducteurs vindicatifs. Quant à la priorité... Légalement, elle est à droite. Dans les faits, c'est plus compliqué que ça... Généralement, les carrefours sont à angle droit. Les types arrivent très vite dessus, et calculent au plus juste. J'ai établi une liste de priorité qui me semble plus conforme à la réalité.
D'abord, les Collectivos, les autobus du coin. Ensuite, par ordre décroissant: les camions, puis les taxis. Après, au plus culotté. A culot égal, priorité à droite. Enfin, et c'est vrai, celui qui hésite... ne passe jamais! L'interprétation des règlements est très souple.
Ainsi, si Pepe arrive très vite à un carrefour, qu'un agent lui fait signe de stopper, mais qu'il voit qu'il a le temps de passer, il avertit d'un grand signe du bras le policier qu'il va forcer son barrage. Et si l'agent pense qu'après tout, c'est faisable, il accepte volontiers et donne le passage! Pour ce qui est des feux rouges, des lignes jaunes, c'est pareil : s'il n'y a pas d'obstacle; on franchit, tout le monde- trouve çà naturel... Au total, la circulation est très rapide, les conducteurs sont très attentifs et conduisent vraiment. Cependant, comme le trafic est plus dense qu'il y a deux ans, il m'a semblé que « ça tapait » davantage...

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Champion : Pour toi, comment les courses se sont-elles déroulées ?

J.-P. B. : Pas très bien... En fait, nous savions avant de partir, après Vallelunga, que les Ferrari étaient au moins les égales des Matra, mais que leurs pneus Firestone leur conféraient un avantage d'environ 1" au tour sur un circuit de 3-4 km. Il m'aurait donc fallu, pour rééquilibrer les choses, un super-aileron et un super-moteur. Malheureusement, je ne pus disposer ni de l'un, ni de l'autre, faute de temps surtout. Au dernier moment, nous avons acheté un moteur à Ken Tyrell, qui se révéla hélas être un vieux rossignol... J'ai donc cassé deux moteurs aux deux séances d'essais de la première course à Buenos Aires. Après, ce fut pendant un mois, pour les mécaniciens, une interminable partie de meccano, bloc de l'un monté sur culasse de l'autre, etc.
A Buenos Aires donc, ça a ratatouillé sans arrêt, et moi je me suis arrêté je ne sais plus combien de fois: A Cordoba, j'ai encore explosé (le bloc) aux essais. Et puis, en course, ça a failli marcher. Parti en cinquième ligne, je me fais un peu décoller au départ par le groupe de tête. Mais ils se gênent un peu : la piste est en effet très large, mais seule la trajectoire adhère, en dehors, c'est plein de poussière et ça glisse comme du verglas.
Alors, devant, il y a pas mal de travers et de chaleurs à ce que je peux voir! Et en sept tours, je reviens, c'est l'euphorie... Je me vois déjà en train de les doubler les uns après les autres... En fait, je vais rester là où je suis arrivé, à dix mètres derrière... J'ai beau me défoncer, rien à faire, ce n'est pas le cœur qui me manque, mais les chevaux...
Et à San Juan, j'ai failli gagner.

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Champion : Alors, les V6 Ferrari sont plus puissants que les quatre cylindres Cosworth ?

J.-P. B. : Non, pas que les meilleurs Cosworth, comme ceux qu'avaient cette saison Rindt et Stewart par exemple. La supériorité des Ferrari tenait toute dans les pneus et, d'ici la saison prochaine, j'espère bien que Dunlop aura comblé l'écart.

Champion : Après la Temporada, Ferrari devient le grand favori en F2 pour 1969. Crois-tu que le Championnat argentin ait donné une indication certaine à cet égard ?

J.-P. B. : Tout dépendra du programme de développement suivi par les autres marques. Ainsi Matra. Nos voitures sont un peu trop lourdes, elles pèsent 456/458 kg contre 435 pour les Dino et les Brabham. Nous devons donc, si nous voulons rester dans le coup, gagner 20 kg et nous savons ce qu'il faut faire. Il suffirait déjà de monter les freins F1, et on retirerait ainsi 10 kg de poids, non suspendu par-dessus le marché. Personnellement, j'aimerais bien avoir une coque plus courte; En outre, chez nous, on n'a pas pu suivre les moteurs F2 assez méticuleusement, à cause du programme de développement du moteur F1. Et il faudrait qu'en 1969, nous puissions repartir avec des mécaniques neuves.
Enfin, il faudra procéder à des séances de mise au point méthodiques avant le début de la saison plutôt que de tâtonner dans les réglages pendant les séances d'essais officiels. Si nous y parvenons, nous serons certainement dans le coup. Autrement…

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Champion : Et les autres marques ?

J.-P. B. : Pas de soucis pour les Brabham, elles sont toujours là, les voitures-base en F2. Leur plus gros handicap sera de perdre Rindt qui conduira des Lotus, l'an prochain. Mais il faudra compter avec Courage qui ne s'arrêtera sûrement pas sur son succès de Buenos Aires, à la dernière de la Temporada. En Argentine, les Tecno ont fait bonne figure. Mais elles devront progresser. Comme les Matra, elles sont trop lourdes. En plus, elles étaient trop survireuses, et la lourdeur excessive de leur direction est un handicap certain, dans une course de plus d'une heure. Cependant, ces gens-là travaillent beaucoup, ils peuvent progresser…

Champion : Les pilotes ?

J.-P. B. : Rindt n'a gagné aucune course, mais il était quand même, à mon avis, le meilleur. Siffert a eu un peu de mal à s'habituer à la Tecno, mais à la fin, il était plus vite que Regazzoni. Celui-là, il est vraiment super-gonflé, c'est un tempérament ! Comme Brambilla d'ailleurs, qui est encore plus nerveux. Il est très adroit, quand il fait des erreurs, il se rattrape très bien, mais il en fait tout de même beaucoup, c'est le spécialiste de la trajectoire originale... Juste l'antithèse, c'est assez curieux, de De Adamich, très calme, réfléchi, posé, au style élégant et dépouillé. Andrea a gagné deux courses, terminé second et cinquième des deux autres; il a dominé, c'est incontestable. Il m'a semblé pourtant n'être pas encore tout à fait délivré du souvenir de son accident. Courage a eu beaucoup d'ennuis, mais c'est vraiment un beau pilote, et il est plus calme et régulier que par le passé. Pescarolo a été formidable à Cordoba, ce qui ne vous étonnera pas puisque sur ce circuit ultra-rapide, il fallait avoir le gros cœur ! Et puis, je dirai que Moser a bien mieux marché que le laissent supposer ses médiocres résultats.

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Champion : Les Argentins ?

J.-P. B. : Ils étaient très bons dans l'ensemble. Les meilleurs étaient Reutemann et Vianini, qui seraient dans le coup en Europe. Bordeu et Pairetti conduisaient trop « style Turismo de Carretera », genre Coupe R8G si vous voulez, ils manquent d'entraînement en monoplace. Enfin, ils attaquent tous très fort.

Champion : Pour toi, Jean-Pierre, le bilan ?

J.-P. B. : Sincèrement, je crois qu'avec un peu de chance, je pouvais gagner une course. Il m'a seulement manqué un bon moteur de chez Cosworth. La Temporada a prouvé que nous ne devions pas nous endormir, c'est normal. Il faut que nous nous réorganisions mieux, pour éviter les trop nombreux petits pépins que nous subissons. Si on y parvient, si on allège les voitures et on les met rapidement au point, nous serons dans le coup en 1969, au moins autant qu'en 1968. Les Ferrari n'ont pas une avance telle que l'on puisse les considérer comme imbattables. Seulement, nous sommes « condamnés » à évoluer: c'est la course, comme toujours.

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 - Illustrations ©DR

 - Mise en page Francis Rainaut


1 - Buenos Aires


2 - Cordoba


3 - San Juan


4 - Buenos Aires

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17 février 2016 | Lien permanent | Commentaires (3)

Autodromo Nazionale di Monza

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Des Houches – entrée de la vallée de Chamonix - à Monza, il n’y a jamais que 261km, ceci depuis que le Tunnel du Mont Blanc a récemment été terminé. C’est nettement moins que la distance du Grand Prix d’Italie 1970, qui lui en totalise 391. C’est la fin des vacances, Monza c’est notre ultime récré avant la rentrée au « bahut », départ le 4 septembre.

par Francis Rainaut

- Voir aussi: Monza, septembre 1970

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monza 1970,jochen rindt

L'année dernière on a levé le pouce pour se rendre dans le parc de la Villa Reale. Mais cette année j'irai avec le cousin Jo au guidon d'une vénérable DKW Rt250, on a  rendez-vous avec les autres venus en stop devant le paddock. La décavée, ancêtre de toutes les japonaises 2 temps, a été relookée orange papaye et noir mat, ce qui bien évidemment change tout ! A se demander d'où nous est venue cette inspiration... Et puis DKW c'est aussi Auto-Union, la marque aux anneaux, il est vrai qu'à cette époque on s'en fiche un tout petit peu.

Question permis, je me suis inscrit à la licence moto pour la rentrée, mon pécule gagné cet été à la Saviem a été réinvesti dans une Moto Morini, en attendant je peaufine mon expérience sur les routes italiennes, E basta con carabinieri !

Mes cousins et moi on va à Monza en espérant surtout voir gagner une Matra. On ne sait pas encore que le châssis MS120 est loin d’être à la hauteur du MS80, on imagine encore que ça n’est qu’une histoire de moteur qui peut toujours progresser en puissance et en fiabilité.

monza 1970,jochen rindt

Après tout, les BRM étaient bien à l’agonie il y a quelques mois. Puis tout s’est mis en place : nouvel ingénieur, nouvelle livrée « classe » et pour finir victoire éclatante sur le juge de paix qu’est le circuit de Spa, le vrai, celui de quatorze et quelques kilomètres, celui qui « différencie les hommes des petits garçons » enfin d'après Dan Gurney. Quant au boxer Ferrari, il ne fait que monter en puissance, comme ses pilotes, l'ancien et les deux italiens (ou peu s'en faut), quatrièmes tous les deux dès leur premier Grand Prix. Les douze cylindres sont bien là, on parle en coulisse d'un futur V12 Ford Weslake, les jours du V8 sont comptés.

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Alors ça pourrait bien être le jour de l'équipe Matra-Elf, c'est peut-être bien pour un futur podium, ou bien encore parce qu'il fait vraiment très chaud que JPB se fait rafraîchir la coupe à l'intérieur du paddock, celui avec les pavés rouges et les portes vert olive. Et nul besoin de tirer un rideau de fer, « notre » Beltoise n'a rien à cacher, Bernie n'est encore « que » le manager d'un pilote largement en tête du championnat du monde, il ne gère pas encore les accréditations et encore moins les « Hospitality », un mot qui de toutes façons n'existe pas encore dans l'univers de la Formule 1, encore moins chez les amateurs de sport.

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Le paddock pour le moment, on en fait notre affaire. Deux méthodes au moins: escalader le grillage, ou encore distraire l'attention de l'un des deux cerbères - ou plus exactement gardiens, le paddock est tout sauf l'enfer - postés à l'entrée principale, c'est la deuxième qui a notre préférence. Pour la tribune au-dessus des stands, c'est la méthode italienne, génie et inventivité : un même billet attaché à un fil peut ainsi donner l'accès à une vingtaine au moins de tifosis dont nous faisons partie, évidemment.

"Le soir tombe sur cette route
En passant vous souriez
Vous vous amusez sans doute
De ce que je suis à pieds..."

Mon frère arrivé plus tôt assiste aux essais du jeudi, ceux où les Formule 1 n'ont pas encore oté leurs ailerons. La DKW nous joue en effet un tour à sa façon en serrant peu avant d’arriver sur Milan. Qu’à cela ne tienne, nous sommes au paradis de la mécanique et le patron jovial d’un petit atelier nous assure qu’il aura le nouveau piston en début de semaine, qu’il se charge de le remonter après avoir réalésé, il nous promet aussi que nous pourrons repartir en France sans trop de retard, rentrée oblige ! Prendi la cosi... D'ici là la vieille dame sera bien au chaud. Première séance loupée, donc.

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Il fait beau ce samedi 5 septembre, cela promet d'être une belle journée. Première étape, le paddock : t'as vu, Jean-Pierre, il ne veut pas avoir les cheveux aussi longs que Johnny (Servoz). A l'époque, la longueur de cheveux, c'est un sujet sérieux avec lequel on ne blague pas. D’un garage à l’autre, on touche de très très près notre passion. C'est normal, nous sommes dans le temple de la vitesse. Tiens, regardes, Regazzoni n’est pas encore passé à l’intégral.

Un peu plus tard: alors tu l'as vue la Tyrrell ? C'est vrai qu'elle ressemble à la MS80 ? Et Fittipaldi, qu'est-ce qui lui est-il arrivé ? La F1 c'est pas la F3, même si Ronnie...

Ensuite on est monté sur la terrasse au-dessus des boxes, pour voir la deuxième séance d’essais « in situ ». Les Ferrari, à l’inverse des Matra, paraissent très en forme, oubliée la débâcle de 1969. Certains pilotes ne sont pas sûrs de se qualifier, elle n'est pourtant pas vilaine cette M7D Alfa...

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Et puis soudain, le volubile commentateur italien se mit à parler d’une voix plus solennelle, mezzo forte,  nul besoin de parler italien pour comprendre qu’il venait de se passer quelque chose de très grave. On devina les mots Rindt, Lotus, grave incidente, Parabolica…

Alors en très peu de temps une chape de plomb s’abattit sur le circuit. Je ne me souviens plus comment, mais rapidement la nouvelle du décès de Jochen Rindt a circulé dans le Parc de Monza. A la fin de l’après-midi, l’information était devenue officielle. Nous étions choqués et même atterrés d'apprendre qu’un champion qu’on était tranquillement en train de filmer quelques heures avant venait de perdre brutalement la vie.

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Lentement les qualifications reprennent… On retrouve cinq V12 dans les trois premières lignes, mais aucun qui puisse nous faire entendre le chant du coq, chez les gaulois seul le « débutant » François Cevert s’en sort à peu près bien avec sa rustique March 701, après une grosse frayeur lors des premiers essais. Ne parlons pas d'Amon, quelle folie d'avoir lâché Ferrari !

Le dimanche est comme on le sait un autre jour, nous étions venu voir un Grand Prix de Formule 1, lo spettacolo deve continuare...

Le quasi italiano (1) Gian Claudio « Clay » Regazzoni saisit crânement sa chance, un peu à la manière d’un Daniel Ricciardo en 2014. Une nouvelle fois Beltoise tira le maximum de sa MS120 pour accrocher le podium. Cette victoire arrangea tout le monde, les tifosis fêtèrent comme il se doit la victoire Ferrari (2), Jochen lui gardait toutes ses chances d’être sacré champion du monde, du moins à titre posthume. Champion du monde il l’était incontestablement, il avait ébloui la saison de toute sa classe. On était loin des débuts turbulents du blouson doré de Graz, s’en rappeler nous avait rendu le personnage d’autant plus sympathique, pas vraiment conforme aux standards de la profession. Pas une pop star, mais presque. On n'oublia pas de se joindre à la marée humaine qui déboula sur le tarmac, pour fêter les héros du jour. Au sein d'un temple, il est important de communier.

 

©Motor Racing Diary Vol10

En quittant Monza le lendemain, on avait tous vieilli de quelques années en un seul week-end. La faucheuse cette fois, on l’avait vue à l’œuvre presqu’en face de nous, elle n’avait plus la forme d’un communiqué abstrait lu dans les potins de Sport-auto ou entendu à la radio. Peu de temps après le grand Jimi tira sa révérence, s’en fut alors bien fini de l’enfance et de son innocence.

On récupéra la DKW réparée avec un peu de retard, Ma scusi !, on occupa le temps en flirtant un peu avec la fille du mécano, et dans l’affaire j'arrivais en retard pour la rentrée scolaire.

Mais quelle importance cela pouvait-il bien avoir, à coté tout ce que l’on avait vécu en quelques jours...

"Oh, a storm is threat'ning
My very life today
If I don't get some shelter
Oh yeah, I'm gonna fade away

War, children, it's just a shot away
It's just a shot away..."

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Epilogue:

monza 1970,jochen rindtLors d'un récent voyage touristique à Milan, j’ai tenu - en plus de la célèbre Scala - à rendre visite à ce cher « Autodrome Nazionale », même en l’absence de toute manifestation sportive. Sitôt arrivés nous nous sommes dirigés vers l’ancien paddock afin de retrouver le décor et un peu de cette ambiance des 60’. Exercice difficile, pour autant les garages sont toujours là, même si leurs portes ont troqué la couleur vert olive contre un plastique blanc nettement plus vulgaire. Au sol toujours les mêmes pavés rouges, il ne leur manque que la parole pour nous raconter toutes ces histoires de 12 cylindres Ferrari, de Surtees, de Pedro, de Jackie, de Niki et de tous les autres bien sûr, parmi lesquels figurera toujours en bonne place l’autrichien Jochen Rindt (3).

 

Cela ne dérangerait probablement ni les joggeurs, ni les familles, encore moins les calmes promeneurs arpentant les allées majestueuses du Parco Di Monza.

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(1) Originaire du Tessin, seul canton suisse exclusivement italophone.

(2) Après quatre années d'abstinence.

(3) Revoir Nina Rindt l'année dernière à Montlhéry, accompagnée d'Helen & Jackie Stewart, fut un autre grand moment d'émotion.

 

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- Photo 9 ©D.R..

- Autres photos ©Rainaut Frères

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05 septembre 2014 | Lien permanent | Commentaires (11)

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